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Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

Ce qu’a montré magistralement l’économiste et moraliste Bernard Maris dans son dernier livre, paru au même moment que son assassinat (on pense au roman Plateforme), c’est que le cœur des livres de Houellebecq c’est une protestation passionnée, vitale contre la domination de l’économie sur nos vies.

La science économique libérale, c’est-à-dire la théorie classique, est fausse. « Bien entendu,les hommes ne sont ni rationnels ni calculateurs, écrit Bernard Maris. C’est pourquoi ils sont surprenants, avec leurs passions, leurs peurs, leurs joies, leurs doutes, leurs naïfs désirs, leurs frustrations, et beaucoup de choses comme le mal au dos. » Mais Houellebecq ne se contente pas de critiquer la « science » économique, sa prétention, sa vacuité. Il voit la nocivité de la domination des préoccupations économiques. C’est ce que Viviane Forrester appelait « l’horreur économique ». Le bilan du libéralisme c’est la lutte de tous contre tous, c’est l’exacerbation des besoins. C’est le développement de l’individualisme, véritable tumeur maladive. « La conséquence logique de l’individualisme c’est le meurtre et le malheur » indique Houellebecq. L’homme est rabaissé et soumis à la logique des désirs, avec comme seul idéal de « se goinfrer comme des enfants ». C’est l’homme infantilisé et l’homme malheureux car la loi tendancielle de baisse du taux de désir (en fait, le corollaire anthropologique de la baisse tendancielle du taux de profit) oblige à en mettre sans cesse de nouveaux sur le marché, toujours plus débiles, soumis à une obsolescence toujours plus rapide.

On voit que toutes les leçons de Michel Clouscard sont comprises et reformulées. Le monde est devenu le résidu de la production d’argent. « Le libéralisme redessinait la géographie du monde en fonction des attentes de la clientèle. » Contrairement à l’extrême gauche qui critique le capitalisme sans mettre en cause l’individualisme absolu et libertaire, Houellebecq va à la racine : le règne du moi-je, le règne du « tout à l’ego », Ainsi « nous avançons vers le désastre, guidé par une image fausse du monde […]. Cela fait cinq siècles que l’idée du moi occupe le terrain ; il est temps de bifurquer ».

Sur quoi est fondée l’économie ? Sur l’organisation de la rareté. S’il y a abondance il n’y a plus d’économie (justement, Marx voyait le communisme comme surmontant la rareté de l’accès aux biens essentiels). C’est pourquoi l’économie libérale est l’organisation de la frustration. En période d’abondance et notamment d’abondance de travail la domination de l’économie et des puissances d’argent ne disparaît pas mais elle s’affaiblit. C’est ce que remarque Houellebecq, dans la lignée de George Orwell : « En période de plein emploi, il y a une vraie dignité des classes prolétariennes. » Elles « vivent de leur travail, et n’ont jamais eu à tendre la main ». C’est évidemment pour cela que le capitalisme ne veut pas se donner pour objectif le plein emploi et pousse à la précarité, à l’immigration, à la flexibilité du travail, à un droit du travail réduit à des cendres.

Le capitalisme pousse ainsi à l’homogénéisation du producteur-consommateur, à l’exception de différences illusoires qui constituent des niches de marché. Lucide sur le diagnostic, Michel Houellebecq n’y va pas par quatre chemins dans ses conclusions : « Nous refusons l’idéologie libérale parce qu’elle est incapable de fournir un sens, une voie à la réconciliation de l’individu avec son semblable dans une communauté que l’on pourrait qualifier d’humaine. » Il écrit encore : « Nous devons lutter pour la mise en tutelle de l’économie et pour sa soumission à certains critères que j’oserai appeler éthiques. »

 

Pierre Le Vigan
30 avril 2015

 

Bernard Maris, Houellebecq économiste, Flammarion, 2014.

 

 

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17 Commentaires

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  • #1174934
    Le 1er mai 2015 à 20:49 par Bougui Bouga
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    Il faut expliquer ce qu’on entend par économiste moraliste, un économiste moraliste est un économiste qui se fonde sur l’intégrité, la bonne gestion la vertu, proche d’Adams Smith.
    Au contraire des libéraux qui prétendent avec leur philosophe number one, Mandeville que les vices privés font le bien public, les défauts des hommes, dans l’humanité dépravée, peuvent être utilisés à l’avantage de la société civile, et qu’on peut leur faire tenir la place des vertus morales.

     

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    • #1175184

      Les libéraux sont le plus souvent des courtisants du banditismes... justement l’absence de morale.

       
    • #1175394

      Ils sont de plus en plus impliqués dans des affaires de corruption, détournement de fonds, tricherie, abus de faiblesse, enrichissement personnel, extorsion.... et pourtant ils sont de plus en plus visible dans les médias avec l’arrogance qu’on leur connaît, de vouloir donner des leçons au peuple et régler les problèmes du pays.

       
  • #1175017

    Le Réseau Salariat nous donne les moyens d’accéder à la souveraineté économique (qui passe évidemment par l’éradication du capitalisme) et les militants pro-démocratie connaissent la voie qui mène à la souveraineté politique.

     

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  • #1175110
    Le 2 mai 2015 à 00:25 par Ditchvan
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    Pour moi il y a une erreur sur le fond qui est la résultante d’un postulat de base erroné, à savoir ce qu’est réellement le libéralisme et ce que l’on en fait.

    Pour faire simple, le libéralisme se concentre sur la création de richesse et le socialisme sur son partage. Ces deux idéologies se basent sur un système capitalistique.

    Maintenant, il est évident que le communisme ne reflète pas la pensée de Marx, pas plus que le néo libéralisme ne correspond à ce qu’un vrai libéral veut, à savoir les conditions de création de richesse et la prospérité.

    70 % des transactions commerciales mondiales sont effectuées par les multis, dont 50% dans des paradis fiscaux. Si vous ajoutez les PME et autres formes en sous-traitance et dépendants directement de celles-ci, vous comprenez que le pouvoir hégémonique de ces multis faussent totalement le rapport de force (lobbying, cabinet noir pour négocier les impôts déjà ridicules etc, etc) et donc une concurrence totalement faussée et donc pas saine du tout.

    Et donc vous pensez que les libéraux de l’esprit, de la lettre vont applaudir ce qui se passe à l’heure actuelle ?

    Alors oui, on peut effectivement faire comme Houellebecq et critiquer la dérive totalitaire et cracher sur le comportement que cela entraîne sur la société.

    Enfin, si vous lisez Piketty et Stiglitz (et même Krugman), vous constaterez que les socialistes et les libéraux doivent se rejoindre : c’est parce qu’on nous avons de moins en moins de pouvoir d’achat que les conditions pour faire tourner normalement l’économie disparaît.

     

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  • #1175113
    Le 2 mai 2015 à 00:31 par goy pride
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    Bien entendu,les hommes ne sont ni rationnels ni calculateurs,



    Il ne faut pas non plus tomber dans l’inverse extrême ! L’homme est rationnel et calculateur comme n’importe quel autre animal ! Dans une société humaine équilibrée les hommes organisent efficacement leur survie et cela nécessite de la rationalité et de la planification ! Le chasseur nomade va ajuster son comportement de chasse et cueillette en fonction des saisons, de la disponibilité des ressources...il ne erre pas au hasard dans son milieu ! Le paysan agriculteur va planifier sa production...Les animaux sont prévisibles dans leurs activités de survie, l’homme, l’animal hyper cérébral l’est encore plus !
    Le problème de l’économie capitaliste ce n’est pas que les hommes sont par nature irrationnels mais c’est que c’est un système qui est en lui même irrationnel (en contradiction avec l’ordre des choses) appliquer dans ses formes les plus extrêmes par des gens adhérant à des doctrines erronées et à la santé mentale douteuse !
    A vrai dire le problème ne date pas d’aujourd’hui mais de l’époque où des hommes ont crû pouvoir substituer à la loi naturelle les lois humaines en contradiction avec cette dernière. De la créature l’homme est devenu créateur. C’est l’essence du luciférianisme, la volonté de l’homme de se substituer au Créateur et de créer ses propres règles en contradiction avec l’ordre naturel des chose. Au fil du temps ces gens ont acquis un pouvoir toujours grandissant jusqu’à aujourd’hui où ils ont fait de leur paradigme celui dominant de l’humanité. L’aboutissement final de cela est le transhumanisme, l’idéologie du progrès, l’intelligence artificielle, la marchandisation de l’humain...

     

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    • #1175874

      A vrai dire le problème ne date pas d’aujourd’hui mais de l’époque où des hommes ont crû pouvoir substituer à la loi naturelle les lois humaines en contradiction avec cette dernière. De la créature l’homme est devenu créateur

      Francis Cousin fait remonter "la chute" au néolitique, phase de notre révolution au cours de laquelle se sont imposées les sociétés de l’avoir au détriment des communautés de l’être.
      Le problème n’est pas pour l’ homme d’utiliser son caractère rationnel pour mettre en place un système organisé, mais la finailté d’un tel prjojet (ou telle inclination).
      Organiser la coexistence des existences sans privilégier l’harmonie indispensable à l’épanouissement collectif et individuel relève d’un manque évident de sens politique au sens noble.

       
  • #1175120
    Le 2 mai 2015 à 00:50 par bobforrester
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    bonjour
    1 l économie est fondée sur la séparation du producteur d avec ses moyens de travail , sur le rapport travailleur /propriétaire des moyens de production : c est le fondement du rapport d exploitation . Le procès de production est en même temps procès d exploitation. le produit du travailleur appartient selon le contrat de travail ( en système capitaliste) au capitaliste contre un salaire . Notons que c est le travailleur qui fait l avance de son travail ! il est payé ensuite par la ventre d une partie seulement de ce qu il a produit.
    La concurrence entre capitalistes contraint chaque capitaliste à diminuer les prix des produits pour les vendre donc à accroitre la productivité du travail en introduisant des machines tjrs plus performantes ou / et en accroissant l exploitation par l augmentation de la durée du travail ( loi Macron) ou son intensité. Le travailleur entre en lutte pour résister à cette exploitation ( loi des 40h puis 35 ) et enrayer la diminution de la part de la richesse produite qui lui est concédée c est la plus value , enjeu de la lutte des classes syndicales. La lutte des classes politiques ayant pour objectif final la libération du travail salarié ( communisme ) et la suppression de l appropriation capitaliste de cette part non payée au salarié. La plus value comprenant salaire profit , profit , amortissement , assurances, investissements, etc.

    2 La "rareté" est organisée par la classe capitaliste pour maintenir les prix à haut niveau . Ce n est pas un phénomène spontané résultant de l activité économique . Au contraire c est l abondance de produits qui caractérise ce système. La surproduction cyclique en est la marque caractéristique. C est le cas aujourd’hui ce qui cause le ralentissement de l activité . 30% des voitures produites par exemple ne trouvent pas d acheteurs malgré la baisse des prix . La cause ? l insolvabilité des producteurs en raison de l insuffisance de leurs salaires et de la paupérisation relative -ou absolue cas présent .
    Il est vrai que l économie capitaliste transforme les producteurs de marchandises eux mêmes en marchandises ( réification) . Tout passant sur le marché y compris les rapports humains .et etc pour faire bref

     

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  • #1175218
    Le 2 mai 2015 à 09:00 par awrassi
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    "Contrairement à l’extrême gauche qui critique le capitalisme sans mettre en cause l’individualisme absolu et libertaire ..." Faux, le communisme est opposé à la propriété privée, à la drogue, à la prostitution, l’exploitation de l’homme par l’homme et mille autres vices et faux métiers que le capitalisme développe et utilise. Si vous voulez critiquer le capitalisme (le libéralisme), il suffit de lire Marx et Engels. Ils ont tout dit !

     

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  • #1175276
    Le 2 mai 2015 à 11:24 par Courtial
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    J’ai lu tous les livres de Houellebecque, à commencer par les géniales "Particules élémentaires" (1998) que j’ai du relire 6 ou 7 fois . Dans ses romans il décrit parfaitement le ratage presqu’inéluctable de toute vie à notre époque, sans jamais y pointer le rôle aussi néfaste que décisif de la Communauté, et s’il n’était décidément devenu très pro-Israélien il aurait certainement moins de succès, mais n’est pas Céline qui veut .

     

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  • #1175300

    Science économique libérale. En trois mots, toute l’imposture de l’économisme est dévoilée.
    - L’économie n’est pas une science.
    - L’économie (préserver, partager) signifie l’exact contraire du capitalisme (gaspiller, détruire).
    - Libéral veut dire l’exploitation sans limites de l’homme et de la matière, soit la sauvagerie à l’état pur.
    De plus pour définir le capitalisme, il est utile de le décrire sous ses différentes couches entremêlées les unes aux autres qui forment son blindage si difficile à percer :
    - La technologie, la science.
    - L’idéologie (progressisme, évolutionisme, matérialisme).
    - La communication (médias : radio, télé, ciné, presse, publicité et relations publiques).
    - La monnaie (système bancaire, usure, système financier).
    - Le juridisme (le droit sert uniquement les intérêts des pouvoirs en place).
    - La guerre : seule élément non spécifique au capitalisme mais bien pratique pour couvrir/servir les autres aspects.
    Ce n’est pas pour rien que tous ces éléments se mettent en place SIMULTANEMENT autour de 1789. Ils étaient en gestation avant et explosent une fois que les capitalistes prennent le pouvoir. Le monstrueux bébé est né.

     

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    • #1175522

      L’économie n’est pas une science




      Tout à fait d’accord. Et à partir du moment ou elle le devient, ça mène à la catastrophe car cette science profitera aux seuls personnes qui la maîtrisent afin d’en tirer le plus grand profit avant les autres. L’économie doit rester pragmatique, réelle, utile, locale et plus général quand il le faut. Je me rappelle d’un reportage ou un journaliste explorateur demandait à un chef d’une tribu d’indigène au fin fond d’une jungle : où était leurs stock de nourriture. Mais le chef de tribu n’arrivait absolument pas à répondre à la question car n’ayant pas la même conception de la vie, il rétorqua que sa tribu n’avait pas besoin de plus de nourriture qu’il n’en fallait à l’heure ou il parlait pour subvenir à leur besoin de la journée . Stocker de la nourriture n’existait pas dans son vocabulaire.En gros demain sera un autre jour...

       
  • #1175312
    Le 2 mai 2015 à 12:12 par Bananonyme
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    Peu étonnant à quel point la gauche Inter sait rendre hommage, à défaut de savoir écouter...
    Ils font de M. Maris une icône, c’est assez... cocasse.

    Il a vu juste pour l’Euro, normal qu’il rejoigne la vision Houellebecq-ienne. Tout se tient au final, c’est une critique cohérente.

     

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  • #1175791
    Le 3 mai 2015 à 01:28 par Jérôme2709
    Bernard Maris sur Michel Houellebecq : il avait tout compris

    La dernière phrase renvoie encore une fois aux pantalons à une jambe de Jacques Attali :
    « Nous devons lutter pour la mise en tutelle de l’économie et pour sa soumission à certains critères que j’oserai appeler éthiques. »
    Les vendeurs de pantalons à une jambe ne peuvent réussir leurs magouilles que sur le court terme. Un jour ou l’autre ils sont sanctionnés et finissent pas se retrouver à poil. C’est une question de survie pour ceux qu’ils ont escroqués.

     

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