Egalité et Réconciliation
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Communiqué du collectif de défense des civils syriens victimes des agissements de Laurent Fabius

Réplique à la défense présentée par le ministre

Le 26 mars 2014, Hnein Thaalab, Talal Salim, Thabet Darwich, Amer Raddah, Mohammed Al Ibrahim, Joumana Al Kassem et Nawar Darwich, civils syriens victimes des agissements de monsieur Laurent Fabius, ont demandé à l’État français une réparation symbolique, pour les fautes personnelles commises par ce ministre à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.

Cette réparation leur ayant été refusée, ils ont présenté une requête devant le tribunal administratif de Paris.

Les requérants ont été destinataires d’un mémoire en défense par lequel le ministre des Affaires étrangères et du développement international présente des observations, auxquelles le Premier ministre a fait connaître qu’il s’associait.

Le tribunal a laissé jusqu’au 10 novembre aux requérants pour présenter une réplique, l’audience devant se tenir en décembre 2014 ou en janvier 2015.

Le mémoire en défense rédigé par monsieur le ministre des Affaires étrangères lance dans le désordre une bonne dizaine d’arguments.

Pour la clarté du débat, il ne sera pas inutile d’y mettre un peu d’ordre.

Le ministre présente pour l’État une défense en trois temps. Il commence par nier, puis il avoue mais rejette la responsabilité sur l’État, enfin, pour le cas où cela ne fonctionnerait pas, il termine en quittant le terrain du fond et en jouant sa dernière chance sur l’irrecevabilité.

 

A. – Sur le fond

a) Nier

Le ministre des Affaires étrangères commence par tout nier, successivement : d’abord la faute, puis le dommage, enfin le lien de causalité.

 

1. Nier la faute

Il commence par nier la faute.

Il ne peut pas nier les faits :
1° de la promesse d’intervention militaire de la France contre le régime syrien, lancée à Paris le 29 mai 2012 ;
2° des paroles prononcées en Turquie le 17 août 2012, selon lesquelles « Bachar Ael-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre » ;
3° des propos tenus le 14 décembre 2012, selon lesquels « le front al-Nosra fait du bon boulot » ;
4° de l’annonce, à Paris le 14 mars 2013, de ce que la France et la Grande-Bretagne allaient livrer des armes aux rebelles ;
5° de l’appel, à Paris, le 22 août 2013, à « une réaction de force » contre le régime syrien.

Alors il nie qu’il s’agisse là de fautes. Il le nie péremptoirement, et en vérité il est très bref sur ce point. S’empressant de tenter autre chose.

 

2. Nier le dommage

La négation de la faute étant peu crédible, le ministre s’empresse de nier le fait des crimes et des massacres. À l’en croire, depuis trois ans, il ne se passe rien de mal en Syrie. Des attentats ? Des massacres ? Le ministre n’y croit pas. Il demande des preuves !

Il ne croit pas madame Joumana Al Kassem lorsqu’elle dit qu’elle a reçu des menaces ; que le 19 juin 2012, à 3 heures du matin, un groupe d’une dizaine de terroristes, au milieu de tirs massifs, a envahi sa maison ; que son fils blessé a été transporté à l’hôpital, mais qu’à l’entrée de l’hôpital, les terroristes s’attaquaient à eux à nouveau en ouvrant le feu ; que son deuxième fils a été blessé ; que ses deux fils sont morts et qu’aux obsèques, il y eut de nouveau une fusillade. Le ministre n’y croit pas.

Il ne croit pas non plus monsieur Talal Salim lorsque ce dernier dit que le 4 août 2013, à 4 h 30 du matin, des bandes djihadistes ont envahi leur village de Lattaquié, mutilant et tuant ses parents et enlevant sa propre épouse et leurs quatre enfants. Le ministre ne croit pas que le 4 août 2013, dans la région de Lattaquié Nord, les villages d’Hanbouchieh, d’Inbata, de Ballouta, de Barmasa, de Baroudeh et d’al Kharrata aient été envahis par des bandes armées appartenant aux groupes criminels de « Jabhat al-Nosra » et de ladite « Armée syrienne libre » ; il nie que les villages ont été livrés aux flammes et à la destruction ; il nie que l’on a tué ou enlevé hommes, femmes, enfants et vieillards.

Il ne croit pas plus monsieur Hnein Thaalab, habitant de Maaloula, lorsque ce dernier dit que, le 5 septembre 2013 au matin, la ville et les villages avoisinants ont été attaqués de toutes parts par des bandes armées de Jabhat al-Nosra. Monsieur le ministre veut des preuves de ce que cette organisation, qui fait paraît-il « du bon boulot », aurait commis.

Il ne croit toujours pas que le 10 septembre 2013, à Maksar al Hisan, la mère, le frère, la belle-sœur et les deux neveux de Mohammed Al Ibrahim ont été réveillés en pleine nuit par de violents tirs d’armes à feu ; que le village subissait, ainsi que les villages voisins, l’attaque des hordes de Jabhat al-Nosra ; il ne croit pas qu’il y eut ce jour-là un massacre.

Il nie enfin que le 21 octobre 2013, vers 6 h 20 du matin, des bandes armées aient investi en nombre par le sud, l’est et l’ouest de la ville de Sadad, qui dépend de Homs (67 km au sud-est de Homs), au moyen d’explosifs et de tirs intensifs accompagnés du cri « Allahu akbar » ; il nie les séquestrations et les tortures.

Il nie tout. Il veut des preuves. Pour lui, « le préjudice subi n’est pas établi ». Il veut que l’on dénombre les victimes. Il veut des sources publiques qui relatent les différentes attaques.

Mais comme il sent que cette défense ne tiendra pas, subsidiairement, il admet. Il admet les massacres, les enlèvements, les tortures, les mutilations.

Mais il veut qu’on lui prouve que ce sont bien les « bandes de djihadistes salafistes », les « terroristes » de « al-Nosra » qui sont les auteurs de ces attaques. Il veut la preuve de l’identité des auteurs des attaques.

Cela rejoint son attitude depuis le début des événements en Syrie. Le chaos, les massacres, les gazs, « c’est Bachar ».

Ce comportement invraisemblable du ministre français des Affaires étrangères est précisément que ce que les requérants lui portent à faute. Il persévère et réitère jusque dans la rédaction de son mémoire en défense.

 

3. Nier le lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice

Finalement, le ministre admet. Il a commis des fautes. Ce sont bien les terroristes qui ont commis les massacres.

Mais il prétend qu’il n’y a pas de relation directe, aucun lien de causalité entre ce qu’il a fait, entre ses fautes et les massacres.

Monsieur le ministre ne voit pas le lien entre le fait de promettre l’intervention militaire de la France contre le régime syrien, lancée à Paris le 29 mai 2012, et les attaques dont madame Joumana Al Kassem a été la victime moins d’un mois après, le 19 juin 2012, de la part d’une dizaine de terroristes, ou encore les massacres commis par al-Nosra à peine plus de deux mois après, le 4 août 2013, à Lattaquié.

Il ne voit toujours pas de lien entre les paroles qu’il a prononcées en Turquie le 17 août 2012, donc précisément après ces derniers faits, selon lesquelles « Bachar el-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre », ses propos tenus le 14 décembre 2012, selon lesquels « le front al-Nosra fait du bon boulot », l’annonce, à Paris, le 14 mars 2013, de ce que la France et la Grande-Bretagne allaient livrer des armes aux rebelles, l’appel, à Paris, le 22 août 2013, à « une réaction de force » contre le régime syrien et les massacres commis par les « rebelles » à Maaloula le 5 septembre 2013, à Maksar al Hisan le 10 septembre 2013, et à Homs le 21 octobre 2013.

Il y aura débat. Et le Tribunal tranchera.

 

b) Avouer, mais tout rejeter sur l’État

N’ayant plus rien à nier et toutes ces dénégations ne tenant pas, le ministre, finalement, revendique tout, accepte tout, avoue tout. Il avoue ses fautes, il avoue les massacres, il avoue le lien entre ses fautes et les massacres.

Mais il dit : « Ce n’est pas moi, c’est l’État. » Et il découle de cette invocation de la ratio status que le juge administratif serait incompétent.

L’argument est à la fois logique et casuistique.

Logique. Majeure : le juge administratif ne peut connaître des actes de gouvernement. Mineure : les actes de Laurent Fabius sont des actes de gouvernement. Conclusion : le juge administratif ne peut connaître des actes de Laurent Fabius.

Promettre, en mai 2012, l’intervention militaire de la France contre le régime syrien, avant que madame Al Kassem ne soit la victime du terrorisme contre lequel lutte ce même régime, ou que des massacres soient commis par al-Nosra à Lattaquié constitue un « comportement à caractère diplomatique ».

Dire à la suite de cela, en août, que « Bachar el-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre », en décembre 2012, que « le front al-Nosra fait du bon boulot », annoncer en mars que la France va livrer des armes aux rebelles, et appeler en août 2013, à « une réaction de force » contre le régime syrien avant que des massacres soient commis par les « rebelles » à Maaloula, à Maksar al Hisan et à Homs constitue des « actes de nature diplomatique liés à la conduite des relations internationales ».

 

« Reflets de décisions de politique étrangère. »

Quant à la casuistique, sont cités des actes de guerre, entre autres l’engagement de troupes au Kosovo (CE 5 juillet 2000), l’autorisation donnée aux Américains du survol du territoire français pour bombarder l’Irak (CE 30 décembre 2003) ou la reprise par la France d’essais nucléaires (CE 30 décembre 2003).

Le ministre invoque même un autre de ses méfaits, l’interdiction récente de la tenue au consulat de Syrie des élections présidentielles syriennes (CE 23 mai 2014).

Reste que la France n’est pas en guerre avec la Syrie. Il n’y a pas eu de déclaration de guerre, ni de la France à la Syrie, ni de la Syrie à la France. Le gouvernement syrien, son président, son administration, son armée, sont des autorités légitimes.

Sont-ce des manières de conduire la politique étrangère d’un grand pays ? est-ce un comportement de nature diplomatique ? est-ce même une façon de mener une guerre que de lancer des promesses d’intervention militaire contre un régime qui lutte pied à pied pour protéger ses populations d’une agression terroriste internationale ? et que de dire du président légal et légitime de ce pays qu’il « ne mériterait pas d’être sur la Terre » ? Est-ce une conduite des relations internationales de la France, une diplomatie, que de dire d’une organisation terroriste qu’elle fait, en Syrie, « du bon boulot » ? De quelle guerre relève donc l’annonce de livraisons d’armes aux terroristes ? Et est-ce un acte diplomatique de tenter de fomenter une guerre mondiale en appelant à « une réaction de force » dès le lendemain d’une attaque chimique dont il est démontré aujourd’hui qu’il s’agissait d’une manœuvre des terroristes ?

Si ce sont là des actes de gouvernement, et si, par la voix de la juridiction administrative, cette ligne de défense (d’ailleurs curieusement avancée par l’auteur même des fautes personnelles) devait recevoir l’approbation de l’État, la France relèverait de la Cour internationale de justice.

Mais le tribunal ne suivra pas monsieur Fabius dans son argumentation. L’État français ne pourra pas être ainsi exonéré des fautes personnelles commises par son agent, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de ministre. L’État ne peut pas accepter que les actes de terrorisme commis par monsieur Fabius lui soient imputés à lui, fût-ce pour échapper à la juridiction administrative et éviter d’avoir à réparer symboliquement les dommages causés.

 

B. – Sur la recevabilité

Las, sentant bien que tout est perdu, forcé de reconnaître que la tentative d’invoquer l’acte de gouvernement échouera et que les fautes, les dommages et les liens des premières avec ceux-là sont indéniables, qu’il risque d’entendre une juridiction administrative dire qu’il a commis des fautes personnelles, le ministre se rabat sur de misérables arguties.

Il redouble dans la négation, demandant aux requérants de prouver leur lien de parenté avec les morts et les personnes enlevées (page 6 et 7 de son mémoire). Il demande des pièces. Des documents d’identité ? des livrets de famille ? des extraits des registres d’état civil ? dans un pays qu’il a contribué à mettre à feu et à sang, où même la production des pièces d’identité des requérants a été difficile et a exigé des déplacements à travers le pays qui ont mis leur vie en danger ? Le ministre nie tout lien de parenté entre les requérants et leurs morts et leurs disparus. Il estime que le préjudice n’est pas établi.

Et puis, finalement, il en est réduit à soulever que dans sa demande indemnitaire, l’un des requérants était dit « Monsieur » et non « Madame » ; argument indécent à l’heure de l’égalité des sexes. Le ministre voudrait que cette requête, au moins, soit déclarée irrecevable.

Et aussi celle-ci, où la lettre de demande préalable libellait le nom « Raadah », tandis que dans la requête, il s’agit de « Raddah ».

L’absence des prénoms dans la lettre préalable ne permet pas de savoir de qui il s’agit.

Erreurs matérielles qui tiennent au genre d’une adresse, à un « a » à la place d’un « d ».

Le tribunal appréciera.

 

Paris, le 3 novembre 2014

 

Le collectif : Bardèche – Chamy – Junod – Stennler – Viguier – Yon

Voir aussi, sur E&R :

En savoir plus sur les évolutions de la France en matières de défense et de politique étrangère, chez Kontre Kulture :

 






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