Egalité et Réconciliation
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Duel à Bruxelles entre un écrivain et un éditeur

Il existe plusieurs manières de régler un différend entre un auteur et un éditeur. Le duel n’est pas le pire quel que soit le choix des armes : revolver, épée, sabre, pistolet à eau, pistolet à bouchon, bouteille, crachat… Voilà une façon saine et décomplexée d’envisager les rapports au quotidien dans le milieu littéraire. Sinon il y a le procès, en Belgique aussi. Ses habitants sont connus de longue date pour pratiquer l’humour et l’autodérision en athlètes complets et non comme des arts partiaux. L’éditeur Luc Pire et l’auteur Thomas Gunzig avaient un petit problème à régler. Le premier ayant racheté “Espace nord”, département littéraire des éditions Labor en grandes difficultés, il s’est vu proposer par le second de lui abandonner les droits d’un de ses recueils de nouvelles Carbowaterstoemp que celui-ci souhaitait republier en France aux éditions du Diable Vauvert. En dépit de leur amitié, l’éditeur refusa car il n’avait pas racheté un fonds pour s’en défaire ainsi. Comme leur différend s’éternisait et que l’un et l’autre voulaient éviter de recourir aux tribunaux comme c’est le cas le plus souvent, ils décidèrent de se battre en duel. Un vrai duel littéraire comme autrefois ! et non une menace unilatérale telle que Georges Darien la formula dans une lettre adressée à son éditeur Pierre-Victor Stock au début du siècle :

“Si vous persistez dans votre refus de publier mon nouveau livre, je vous tuerai”, lettre que Stock renvoya en y inscrivant : ”A une telle lettre, on répond merde et c’est ce que je fais”.

Les Belges ne sont pas comme ça. Aussi, se souvenant que Luc Pire était ceinture rouge de Tae Kwondo, Thomas Gunzig, ceinture marron de karaté, lui proposa un combat à la loyale en trois reprises de deux minutes en public dans les travées de la Foire du livre qui se tient en ce moment à Bruxelles, sous l’oeil expert de leurs maîtres en arts martiaux. Enjeu du combat : les droits du livre. C’était donc hier en fin d’après-midi. Une atmosphère plutôt bon enfant et amicale sous le regard amusé des lecteurs. Les coups ont claqué dans le froissement sec des kimonos. Quoique les deux furent également essoufflés pour s’être pareillement donnés, le cadet l’emporta aux katas puis aux points à la deuxième reprise. Il faut dire que son mae-geri était assez préçis, et son mawashi-geri non moins efficace. Il a donc gagné la faculté de reprendre dans l’instant et gratuitement les droits de son livre pour le publier ailleurs. “J’ai fait cela pour rappeler aux écrivains qu’ils doivent impérativement défendre leurs droits et ne pas hésiter à s’en remettre aus sociétés de défense des auteurs chaque fois qu’ils se sentent lésés”, confiait-il. On peut le voir ainsi, tout en ayant à l’esprit le coup de pub que constitue cette exhibition, pour l’un comme pour l’autre.

Les éditeurs et les auteurs devraient y songer ; ce serait nettement plus rapide et moins coûteux que les actions en justice. Chacun affronterait l’autre dans sa spécialité : ainsi Olivier Orban se verrait-il défier au tennis, Antoine Gallimard à la course en voilier, Jean-Daniel Belfond et Laurent Laffont aux échecs, Denis Olivennes à la boxe anglaise, Gérard Guégan au karaté, Philippe Delerm au 1500 mètres, Angelo Rinaldi sur un tatami de judo, Christophe Donner aux courses de chevaux, Eric Fotorino en vélo... N’empêche qu’hier soir après le combat, à l’autre bout de la foire, j’ai rencontré un auteur particulièrement soulagé, Alain Berenboom. Dans le civil, quand il n’écrit pas, il est avocat spécialiste du droit d’auteur. Parmi ses clients, il compte Luc Pire et Thomas Gunzig. S’ils n’en étaient pas venus aux mains et aux pieds, il aurait été obligé de les envoyer tous les deux se faire voir chez un concurrent...

Pierre Assouline

Source : http://passouline.blog.lemonde.fr