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Entretien avec Camille Mordelynch : “Philosopher, c’est désobéir”

Diplômée de philosophie et professeur de culture religieuse, Camille Mordelynch nous transmet sa passion pour cette sagesse rebelle.

***

Comment la philosophie est entrée dans ta vie ?

D’une manière fracassante puisqu’elle a tout changé ! Comme nous tous je crois, j’étais plus jeune traversée par un grand nombre de questions existentielles (Qu’est ce que Dieu ? Avons-nous une âme ? Pourquoi la mort ?). Quand j’ai rencontré la philosophie en classe de terminale, concomitamment aux débuts de ma formation politique, j’ai réalisé que cette discipline nous donnait les clés non pas tant pour y répondre définitivement (même si elle apporte des éléments de réponse), mais pour y réfléchir efficacement, avec plus de pertinence et de justesse. La philosophie ne reste jamais en surface, elle ne s’assoit jamais dans une certitude (autrement elle cesserait d’être !), mais elle pousse le raisonnement le plus loin possible en affinant la réflexion, en décelant les failles argumentative des discours, en mettant en exergue les nuances dans les concepts.

Des premières lectures bien aventureuses, comme celles Descartes et Nietzsche pour lesquelles je n’étais pas du tout équipée, m’ont néanmoins fait percevoir ce qui ressemblait à un continent fascinant, peuplé de pensées alambiquées, de fulgurances à décrypter, ressuscitant une curiosité intellectuelle qui eut soudainement des envies de conquête. La philosophie ravive la soif de savoir et de vérité ; et sa richesse est infinie. Par chance, n’ayant pas d’objet particulier, elle traite de tout : de l’art, aux sciences, en passant par la métaphysique, la morale… Elle est un véhicule tout terrain !

Que peut-elle nous apporter dans notre existence ?

Honnêtement, rien de moins que notre survie. L’être humain est peut-être le seul être vivant à avoir une conscience aigüe de sa condition : nous savons que nous allons mourir un jour, et qu’entre la naissance et la mort, nous serons malmenés par les affres de l’existence (deuils, drames, maladies…). Face à cela, nous avançons désarmés, pétris d’interrogations et d’angoisse : la philosophie est un des secours proposés à l’âme. Elle a, dans son histoire, énoncé des préceptes simples d’évitement de la souffrance : certaines écoles philosophiques comme l’épicurisme œuvraient pour la poursuite d’un bonheur modeste, résidant dans la satisfaction de plaisirs naturels, quand le stoïcisme lui encourageait à accepter le destin de chacun, et à le vivre du mieux possible, sans aller à l’encontre d’évènements indépendants de notre volonté.

Mais il faut signaler que même quand la philosophie se présente comme un remède amer et dur, c’est-à-dire même lorsqu’elle nous dit, au travers de certains auteurs comme Nietzsche, Schopenhauer, ou encore Pascal, que la vie est un non-sens qui oscille entre souffrance, fuite de nous-même, absence de consolation, elle pose encore des mots sur nos maux. La philosophie dit la vérité de notre condition, sans faux semblant, sans promesse d’éternité glorieuse, et c’est parfois un pessimisme salvateur.

De quels penseurs te sens-tu proche ?

Je tiens à dire que je suis fascinée par les prouesses de l’esprit, et que la philosophie a toujours été pour moi une épreuve bénéfique d’humilité : on se heurte aux limites de notre propre intelligence quand, confrontés à la pensée d’éminents auteurs, on se sent dérisoirement petits, à l’ombre de géants qu’on ne pourra comprendre qu’au prix d’un effort intellectuel laborieux, et de longue durée (des années !). Je rends donc hommage à ces penseurs illustres qui m’ont tous inspirée, qu’ils soient ou non conformes à ma sensibilité. Et bien qu’il soit difficile d’en choisir tant ils ont à nous apprendre, je dirais que j’ai avant tout été fascinée par la philosophie antique, dont on ne se sépare jamais complètement puisque toute la philosophie occidentale en est héritière.

Parmi elle, Platon, par la beauté de sa pensée, m’a toujours beaucoup émue ; Aristote son élève, m’a éblouie par sa capacité à relever les failles de son maitre ; les écoles du stoïcisme et de l’épicurisme m’ont séduite par leur philosophie appliquée. Puis ensuite Pascal, pour son âpre lucidité sur la nature humaine ; Rousseau bien sûr, d’une sensibilité incomprise de son temps, mais qui m’apparait proche de la mienne ; Marx, pilier indispensable du combat politique ; Bergson pour sa poésie ; Simone Weil pour son feu intérieur…

Sagesse et rébellion font-elles toujours bon ménage dans un engagement militant ?

Il faut partir du principe que la philosophie commence par un penchant pour la contestation. C’est tout ce que le dialogue socratique, à qui on attribue, bien qu’abusivement, la paternité de la philosophie, montre : Socrate conteste les réponses de ses interlocuteurs orgueilleux à ses questions (Qu’est-ce que la justice ? Ou encore qu’est-ce que la beauté ? rapportés dans les écrits platoniciens), non sans ironie, et soutient quant à lui, ne rien savoir. Son objectif est de démasquer toute rhétorique fallacieuse, de déconstruire les opinions courantes, la doxa, en proposant ce qui deviendra l’outil par excellence de la philosophie : l’exercice du logos, c’est-à-dire la raison critique.

Socrate révèle donc que la pratique philosophique revient à contester les discours d’autorités extérieures en les soumettant à un examen critique, en les passant au crible de la raison, sans jamais s’asseoir nous-mêmes dans nos propres certitudes. Finalement donc, philosopher, c’est désobéir, ne pas subir : c’est ainsi je crois qu’il faut interpréter la célèbre allégorie de la caverne de Platon. Il faut sortir de la masse, refuser de laisser le mensonge ambiant endormir sa conscience et oser le remettre en question pour s’émanciper de sa condition de prisonnier et fuir hors de la caverne. La philosophie est cela l’école de la liberté : elle nous invite à être libre, libre de penser par soi-même, et libéré des spectacles d’ombres illusoires et mensongers qui piègent nos esprits. C’est toute l’histoire de l’engagement militant contre cette société de prédation et de non-sens, inauthentique, superficielle, trompeuse… La philosophie ne nous encourage pas à autre chose qu’à la combattre.

Camille en réaction, sur E&R

 






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14 Commentaires

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  • #3270434

    “Philosopher, c’est désobéir”, oui et avec sagesse, et si le corp suit la conscience même en y allant par étapes il y a des limites difficilement surmontables : la question de vivre (et non survivre) totalement sans argent ou en dehors du système (qui se retourne systématiquement contre nous) se pose naturellement.

     

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  • #3270448

    Merci pour cette invitation à élever notre âme, si précieuse. Plus lucide et plus fort est celui qui s’écarte, par sa pleine conscience et son libre-arbitre, du chemin balisé. Mes respects.

     

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  • #3270652

    Développer et enrichir sa pensée fait vivre de véritables plaisirs, comme assouvir sa curiosité, partir à la conquête de territoires, de liberté et d autonomie. Lire et comprendre prennent du temps,necessaire aux assimilations.
    Suspendu et ayant tourné la page sur mon ancien métier, je découvre avec ce témoignage agréable de clarté que je suis malgré moi philosophe :)

     

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  • #3270657

    libre de penser par soi-même




    Ça c’est original, car c’est vrai que la Philosophie éloigne des opinions courantes... après il faut désobéir, ce qui n’est peut-être pas donné à tout le monde, en trouvant les penseurs émouvants et séduisants qui sont conformes à ma sensibilité, ce qui n’est pas impossible car elle traite de tout, sa richesse étant infinie et elle permet de mettre des mots sur nos maux.

     

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  • #3270680

    Désobéir ,c’est juste dire " non " puis exister en conséquence. C"est pas la philosophie...Quant à une philosophie qui " illuminerait " l’existence, voir Schopenhauer, Nietzsche, Cioran et la très célèbre Joie de Spinoza...Aimer philosopher, c’est aimer tomber dans un labyrinthe dont on ne sort jamais et ça évite d’agir.

     

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    • #3271131
      Le Octobre 2023 à 01:33 par La Vie se passe de philosophie !
      Entretien avec Camille Mordelynch : “Philosopher, c’est désobéir”

      Exact. C’est pour cette raison que Nietzsche avait sous-titré son Zarathustra :

      - « Un livre pour tous et pour personne »

      Il fallait comprendre que malgré la limpidité et la légèreté vertigineuse et attachante de son œuvre, Nietzsche voulaient être lu et oublié, ainsi dire, surpassé.

      Combien de ses lecteurs ont-ils (ou elles..) compris la profondeur de ses écrits ? Vu l’inconsistante et le manque de logique de ceux qui se revendiquent de Nietzsche, une petite minorité...

      Le 20ème siècle, c’était soi la poésie libératrice de Nietzsche, soit la dialectique embrigadante de Marx. L’un libère par la légèreté, l’autre enferme dans la matière et l’abstraction.

      Nietzsche est sans aucun doute celui qui plaça un point d’orgue final sur la philosophie, réconciliant à la fois l’instinct et la logique.

      Les femmes ne peuvent s’inspirer de la philosophie car cela les forcerait à lutter contre leur propre nature. Tout comme en politique, en art, en en science, les femmes imitent, reproduisent et finissent irrémédiablement aux hommes les plus offrants.

       
  • #3270782
    Le 30 octobre 2023 à 10:56 par Un ploemeurois
    Entretien avec Camille Mordelynch : “Philosopher, c’est désobéir”

    " ...Comme nous tous je crois, j’étais plus jeune traversée par un grand nombre de questions existentielles ...".

    Désolé de dire sur ER que cette phrase est malheureusement un signe fort de l’état de déchristianisation actuel.

    J’invite Mme Mordelynch à aller dans des cimetières, lire des avis d’obsèques, être présente à des enterrements, ... Cela évite de vouloir refaire le monde en permanence.

     

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    • #3271458

      Aller dans les cimetières est la plus efficace des philosophies. Et contrairement à ce que pensent beaucoup, cela n’a rien de morbide, cela nous permet de reprendre conscience de nos destinées. Hubert Reeves le préconisait d’ailleurs....

       
  • #3271248

    Quand on piétine la vérité on erige des lois.
    Pour neutraliser , neantiser, zombifier, violer, les divergeants de l hérésie banquaire.
    Soit un bon esclave soumis aux pires pitres ou tu n es rien. Ce rien me convient mieux que ce faux role de cultivateur du vice sur les autres.justice police politik tous en mode collabo pour faire la peau aux plus faibles. Y a pas de gloriole à en tirer la médiocrité esclavagiste bankaire est leur seul credo. Et ca se pretendant plus aptent que les parents à educquer leurs enfants.
    Faire le beau dans leur immonde infesté par la laideur et le vice de leur esprit perverti, tres peu pour les justes aucune reconnaissance à donner ou à recevoir,de ceux là.
    Un bon capitaliste n est il pas un capitaliste mort ? un peu comme ces banksteres sans limites dans le mepris du vivant et du mort. Changeant tous ce qu ils touchent en produits improprent à s harmoniser dans la nature au mieux. En lutte à mort contre notre nature dans la majorité des cas.

     

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  • #3271417

    “Philosopher, c’est désobéir”
    On peut voir les choses comme ça, cependant je dirais que philosopher, c’est avant tout réinterpréter le monde.

     

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  • #3271421

    Il n’y a pas de pensée libre : toute pensée est une vague à la surface de l’esprit et toute vague de l’esprit est par définition asservie à la source vibratoire qui l’agite. La libération en cette affaire consiste à se diriger de toutes ses forces en direction non pas d’une pensée prétendument indépendante ou désobéissante (il n’y a jamais rien de plus semblable à un uniforme militaire que la militance d’un mouvement de libération) mais d’un esprit libre de toute pensée, réduit comme son nom l’indique à une respiration, non plus à une idéation.

    Historiquement parlant la philosophie grecque qu’on dit qui naquit à Athènes mais prit de l’ampleur surtout à Alexandrie n’a pas été un mouvement d’émancipation mais bien au contraire d’endoctrinement à l’envi à toute sorte de sectes plus totalitaires les unes que les autres, et qui avaient toutes en commun cependant de renoncer préalablement à toute libération des travailleurs ordinaires dont la seule fonction était d’assurer la subsistance et le confort des penseurs professionnels : Alexandrie fut à cet effet le point de jonction historique entre un certain judaïsme considérant le non-juif comme une créature créée exclusivement pour servir le juif et la mentalité philosophique grecque considérant le travailleur et le producteur (même de vers) comme créés pour servir le philosophe. Toutes étaient autant de facettes d’un seul et même gnosticisme universaliste et ultra-élitiste.

    Tous les courants de pensée philosophique, nés contestataires comme autant de ruisseaux issus du flancs des rochers montagneux qu’ils érodent et fendent, finissent par se regrouper en rivières et en fleuves destinés à se jeter dans un seul et même océan, celui du mondialisme thalassocratique.

    En fait l’ambition première d’Athènes fut d’être à la tête d’un empire thalasscratique aussi universel que possible même si cette cité n’en dirigea jamais qu’un modèle réduit s’étendant surtout sur les pourtours de la mer Égée et les côtes de l’Italie du Sud, et qui n’engloba la Méditerranée et les Golfes de l’océan Indien que sous des pouvoirs autres que le sien (Macédonien, puis Romain surtout) pour lesquels elle ambitionna de jouer le rôle beaucoup moins responsabilisant et plus confortable d’éducatrice officielle universelle payé par l’empire auquel elle se loua. Autrement dit, un rôle de prostituée intellectuelle suprême.

     

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    • #3271668
      Le Novembre 2023 à 01:36 par De l’arnaque philosophique à la vérité-vraie en boîte...
      Entretien avec Camille Mordelynch : “Philosopher, c’est désobéir”

      Il n’y a pas de pensée libre : toute pensée est une vague à la surface de l’esprit et toute vague de l’esprit est par définition asservie à la source vibratoire qui l’agite.



      La même logique s’applique au concept du "discours objectif". Du moment un message est généré, il-y-a présence d’un sujet. Tout ce qui est intelligible est par définition subjectif.

      L’erreur fondamental des héritiers de la philosophie (nos fameux libres penseurs) réside dans la croyance de la neutralité de leurs développement abstractifs.

      Que voulez-vous... L’exercise est si facile, trop facile pour ne pas en user à tours de bras... Soyons clairs, cette erreur logique (erreur de raisonnement, donc de language) est devenue part entière de la civilisation moderne...
      De cette erreur découlent le monde dystopique contemporain, ou le bon sens et la logique des plus élémentaires sont éradiqués du discours officiel ; Histoire, politique, sciences, tous est corrompus par l’illusion abstractive.

      Le plus haut degré de confusion abstractive (comprendre, se voulant fondamentalement objectif, donc "Vrai") est la fameuse ritournelle adressée au Professeur Faurisson par le "Ministère de la Vérité" :

      - Il ne faut pas se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu’il a eu lieu.

      Comprendre, l’emploi de la logique "objective" pour faire taire le sujet "technique" du problème.

       
    • #3271739

      un esprit libre de toute pensée



      Oui mais tu vas pas assez loin : il ne faut pas d’esprit du tout parce que l’esprit c’est la pensée. Il faut que des sensations et encore pas nécessairement. Qui est plus libre qu’une moule sur son rocher ou dans sa culotte qui ne sait rien du monde qui est s’étend autour d’elle ? Et l’ouvrier attelé à son poste dans la chaîne de production, qui n’est pas angoissé ? La source du mal, c’est la mobilité : les jambes, les nageoires et les ailes. Tout ce qui veut aller voir ailleurs s’il y est alors que c’est pas mieux qu’ici. C’est comme toi, tu dis qu’il ne faut pas penser, mais t’écris des trucs, pourquoi tu te contentes pas de « respirer » comme tu le promulgues avec autorité ? T’as pas pu t’empêcher de penser des trucs. Et tu pourras pas t’empêcher d’aller t’acheter des pâtes... parce que t’as des jambes qui croient que tu seras mieux à Carrefour que chez toi. A chaque fois tu fais des trucs que t’as pas choisi en réalité. C’est pour ça qu’il faut se rebeller, et tant pis si ça fait crise d’adolescence et révolution colorée... Il faut désobéir parce qu’être libre c’est faire ce qu’on veut : t’as pas lu ce qu’elle a dit Camille ? Arrête de donc de penser des trucs et de croire tes jambes qui veulent te conduire où t’as pas choisi d’aller.

       
  • #3274958

    Très bonne interview de Mme Mordelynch. Je lui suggère de faire une discussion avec Robin Charles.

     

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