Egalité et Réconciliation
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Guerre symbolique : des agents pour saper le concept d’indépendance nationale

Le sociologue Alain Soral a récemment déclaré, lors d’un entretien filmé (1), qu’il s’étonnait de la survivance d’une institution séculaire : le défilé militaire sur les Champs-Élysées, le jour de la fête nationale française. Qu’il entrevoyait le jour, sans doute pas si lointain, où surgirait une offensive de bien-pensants souhaitant supprimer un pareil anachronisme, un tel symbole de violence, sans parler des deniers ainsi gaspillés par cette arrogante démonstration de force militaire. Qu’il imaginait la montée au créneau d’humanistes avisés souhaitant redonner du sens à cette manifestation en la transformant en parangon de la grande fête mondiale, à l’image de la Gay Pride, des « nuits blanches » et autres incarnations de ce mode de vie et d’interprétation du réel que Philippe Murray avait identifié avec sa figure de l’homo festivus.

Supprimer le défilé militaire du 14 juillet, un projet qui trouve déjà ses militants

Lorsqu’il imaginait cet avenir, Soral pensait sans doute faire œuvre de prospective. Ironie, le réel l’avait déjà précédé, témoignant de la justesse de son analyse. Ce projet a en effet déjà trouvé ses militants. Qu’on en juge. Dans l’édition du 13 et 14 juillet 2010 du quotidien La Croix, on peut découvrir, sous la plume d’Etienne Godinot, membre de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits1 et du comité d’orientation de la revue Alternatives non-violentes, une tribune intitulée : « Quelle fête nationale, et quelle marseillaise ? »

Dans ce texte, Godinot milite ouvertement pour la suppression du défilé militaire et pour le remplacement des paroles de la marseillaise. Notre hymne national : un paroxysme de non conformité avec la doxa humaniste, le rappel des heures les plus noires de l’histoire humaine, son appel au « sang impur » afin qu’il « abreuve nos sillons ». Godinot imagine un reformatage des paroles dans le sens d’un appel à une humanité unie qui transcenderait les vieilles haines tenaces et les frontières obsolètes.

Point important à noter, ces frontières obsolètes. Le tout est un bel essai, consensuel, lissé, propret, de ce qu’un parolier sous acide aurait pu tenter de glisser aux « Enfoirés » (oui, ceux de Coluche, le vivier et l’élite de notre chanson française engagée), invités à un futur « Sommet de la Terre » où à la version 2015 du Grenelle de l’environnement mental. De la soupe version pensée unique 2.0, humaniste et New Age. Mais passons sur sa version personnelle, qu’il livre à titre d’exemple. Godinot imagine à terme un concours ou un comité des sages, de poètes, d’intellectuels et d’hommes politiques chargés de pondre la copie donnant la nouvelle orientation symbolique à notre conscience nationale.

Pour le défilé, Godinot voit grand. « Pour la fête nationale, plutôt que des défilés militaires, y compris internationaux, demandons à nos élus d’imaginer des manifestations culturelles, y compris internationales. Par exemple, la présentation d’œuvres artistiques retenues à l’issue d’un appel à projets sur le thème de la paix et du développement durable. »

Le projet donne froid dans le dos. Quel jury, pour quels artistes, pour quelles œuvres venant fertiliser les consciences du peuple arpentant le pavé festif ? En somme et en clair, pour quelle œuvre de propagande ?

Vulgate écologique et humanitaire : les atours d’un mondialisme affiché

En réalité, ce qui vient circonscrire cet article, ce sont les mots qui le scandent, inlassablement, dessinant en toile de fond des ilots sémantiques qui doublent la première lecture de ce qui apparaît presque, par son accumulation de clichés teintés d’un authentique irénisme humaniste, comme une caricature.

Des mots reviennent. Ils reviennent sous plusieurs formes, tout au long de l’article et pas seulement dans la citation ici rapportée. Ils esquissent cette ligne de force qui tente d’orienter les consciences vers un projet. En filigrane, cette tribune ne milite pas uniquement pour la fraternité humaine et pour un joli remake du château version Poètes Academy avec en prime (lire praïme) la livraison de notre nouvel hymne.

« y compris internationaux », « manifestations culturelles, y compris internationales. » Mondial, global, international, planétaire. Le projet dessiné entre les lignes est celui d’une société planétaire où les nations sont reléguées dans l’oubli au profit d’un empire global, celui de la bien-pensance humaniste totalitaire et de la consommation comme projet d’éthique commune. Celui où les concepts d’indépendance nationale et d’héritage culturel sont remplacés par le grand métissage imposé comme mode de vie normatif et non plus comme aventure individuelle, celui où la grande aventure spirituelle est de pouvoir consommer de la même manière en tout point du globe. Communion consommation. Plus de frontières. Fini. Plus d’entraves à la circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.

Cette vulgate humaniste et écologique, bien dans l’air du temps, en prise avec toutes les crises actuelles, n’est que la dorure marketing d’un projet sous-jacent, et Godinot en est un agent.

Est-il conscient des lendemains qu’il prône, au-delà du verbiage gentillet pour néo-bobo en mal d’engagement ? Impossible de l’affirmer de manière catégorique. Ce qui est sûr, pour qui s’intéresse un peu à sa biographie et aux fréquentations de l’homme, c’est que ce catholique un temps proche des mouvements charismatiques (il a cessé de croire à la divinité de Jésus depuis 1998, selon sa biographie officielle sur le site de l’INRC, ce qui en fait, de facto, un hérétique) écrit dans La Croix (l’un des quotidiens français qui véhicule aujourd’hui le plus la nouvelle orthodoxie mondialiste en pleine phase d’écriture de son logiciel d’implantation neural, lire : préparation des esprits) et conserve au sein de son réseau des organisations ouvertement mondialistes, comme la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme (3).

Cette dernière œuvre, entre autres, pour « l’appui à l’émergence d’une communauté mondiale », pour « la révolution de la gouvernance » et pour « la recherche d’une éthique universelle de la responsabilité. » Catholique plus vraiment catholique donc, mais militant d’une éthique universelle, à l’image du remuant Hans Küng et de son projet d’éthique planétaire, en attendant la véritable arlésienne, celle d’une union des religions venant fertiliser la morale de cet empire planétaire du bien totalitaire.

La guerre de l’empire contre les nations : une entreprise de sape culturelle

Edward Bernays, le théoricien au principe de la propagande (4), l’inventeur du « conseil en relations publiques », le géniteur du marketing mental invisible, repris ensuite par Joseph Gobbels puis par Hollywood, avait eu en son temps une intuition géniale destinée à changer la face de la propagande. Au lieu de changer le packaging, l’emballage, il s’agissait de changer la perception même des consommateurs sur un produit. Il fallait agir, non plus sur le produit, mais sur le terrain. En clair, sur les cerveaux, les opinions, les perceptions de la réalité, les croyances.

La guerre est donc devenue avant tout culturelle. Même séries policières made in US, mêmes blockbusters made in Hollywood. Police scientifique, nouvelles technologies, analyses ADN, fichage, réseaux, hacking, terrorisme, l’espace mental est modelé par de nouveaux paradigmes culturels. Le monde des idées, de la pensée, tout autant que celui du marketing et de ses slogans, n’y échappe pas. Dans cette entreprise définitive d’ingénierie sociale, le projet mondialiste est décliné par touches et suggéré par ces agents, écrivant la narration du storytelling en cours, celui de la société planétaire d’un monde qui change et de changeons l’énergie ensemble. Nous vous devons bien plus que la frontière. Godinot, agent ou réceptacle et transmetteur d’une narration attendant sa sortie, forcément planétaire ? Le résultat est le même. La guerre symbolique a lieu partout. Elle s’efforce, et cet article dans La Croix en est l’illustration même, de décrier chaque jour un peu plus les notions de souveraineté et d’indépendance nationale.

L’empire sait, et il a raison, que la résistance à son ordre du monde peut reposer sur cette recherche d’indépendance. Voilà pourquoi il la combat avec toute son énergie pour la reléguer dans l’oubli. Violence contre non-violence ? Leurre. Le combat apparent cache la véritable alternative. Indépendance contre empire planétaire ? Relisons nos anciens. Les penseurs. Les vrais. Qui cherche à éroder la souveraineté nationale s’attaque souvent de conserve à un autre plan : la souveraineté individuelle.

Risquer une autre narration

Pour œuvrer à « l’émergence d’une conscience planétaire » appelant de ses vœux une gouvernance mondiale, parole désormais assumée pleinement par ses designers, des officines plus « discrètes » travaillent, elles aussi, à façonner, à usiner les concepts et les consciences pour préparer ce projet. Think-thanks et agitateurs d’idées, cercles de réflexions, groupes de recherche, agences de communication, publicitaires, les agents de ce projet mondialiste travaillent de manière métalocale à saper ce qui résiste encore, dans les cerveaux de tant de nos contemporains, à la lobotomie complète. La dernière once de sympathie, d’enthousiasme, de ferveur, pour l’idée même d’indépendance. De Souveraineté. De patriotisme. Indépendance ? Has-been. Interdépendance. Nous sommes après le choc, voyons. La prise de conscience. Nous sommes passés au monde version 2.0... Reste, comme toujours, quelques irréductibles. Qui tentent d’inventer une autre narration. Afin de tout risquer pour éviter que le résultat, sur l’ensemble du réel, soit aussi fade et indigeste que la version de la marseillaise qu’on tente de nous faire avaler.

(1) Entretien avec Franck Abed, partie 1, vidéo disponible sur le site de son association : http://www.egaliteetreconciliation....

(2) www.inrc.org

(3) www.fph.ch

(4) Bernays Edward, Propaganda, Horace Liveright, 1928. Traduit en français sous le titre Propaganda, Comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, 2007.