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Il est temps de mettre sur la touche Abbas et son Autorité

Ce moment était attendu par beaucoup depuis longtemps. Le 2 janvier, Riyad Mansour, représentant de la Palestine aux Nations Unies, a officiellement demandé l’adhésion à la Cour pénale internationale (CPI).

« Nous voulons la justice pour toutes les victimes assassinées par Israël, la puissance occupante » a-t-il déclaré.

Il n’y avait aucune raison pour que l’adhésion de la Palestine au Statut de Rome (qui régit la CPI) ait tout d’abord été retardée, et que justice n’ait pas été rendue pour les milliers de victimes dans Gaza et un grand nombre en Cisjordanie et à Jérusalem, alors que cette adhésion aurait pu être faite beaucoup plus tôt.

En fait, en 2012, le statut de la Palestine à l’ONU avait été rehaussé, passant du statut de simple observateur à celui « d’État observateur ». Ce changement avait une valeur surtout symbolique et il s’agissait en réalité d’une tentative pour redonner vie à la solution à deux-États, morte depuis longtemps. Mais ce changement avait au moins un avantage pratique : la possibilité d’intégrer la CPI. Enfin, Israël pourrait avoir à rendre des comptes sur ses crimes de guerre. Enfin, une mesure de justice paraissait possible.

Changement de stratégie ?

Pourtant, depuis deux ans, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas a traîné les pieds. Non seulement Abbas a hésité et a poursuivi la même comédie éculée du « processus de paix », mais il semblait aussi soucieux de faire en sorte que l’unité palestinienne, même réalisée au niveau politique, reste inutile et sans effet.

Mais ne vaut-il pas mieux tard que jamais ?

L’Agence France Presse a présenté la décision d’Abbas comme un « changement de stratégie .. éloigné du processus de négociation parrainé par les États-Unis. » En effet, les États-Unis ont paru irrités par ce passage à un nouveau statut, le traitant de « contre-productif ». Il faudrait de l’imagination pour identifier quelle alternative serait « productive » étant donné que l’attitude biaisée et déséquilibrée des États-Unis et leur soutien inconditionnel à Israël ont encouragé le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahu à commettre les plus repoussants des crimes de guerre.

Pourtant, tout cela n’est pas vraiment à propos du meurtre de près de 2 300 Palestiniens, en majorité des civils, durant la guerre israélienne de 51 jours contre Gaza l’été dernier. Il n’est pas non plus question des 400 enfants assassinés. Ou même du siège appliqué sur le petit territoire, de l’occupation et des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem.

Certes, Abbas aurait eu de nombreuses occasions de s’opposer à Israël dans le passé, de cimenter l’unité des Palestiniens, d’utiliser ses bons rapports avec l’Égypte pour au moins alléger le siège de Gaza, d’élaborer une stratégie centrée sur la libération nationale (et non pas le state-building d’un État qui n’existe pas), de mettre fin au vol des ressources palestiniennes par l’Autorité palestinienne elle-même, d’établir un système obligeant à rendre des comptes, etc... Au lieu de cela, il a persisté à donner du crédit à Washington, jouant le jeu attentiste du secrétaire d’État John Kerry, implorant Netanyahu de changer ses manières et de geler la construction de colonies, ce qui ne s’est jamais produit.

Une analyse conventionnelle suggère que l’initiative d’Abbas vis-à-vis de la CPI estt le résultat direct de l’échec attendu d’une résolution soumise au vote du Conseil de sécurité des Nations Unies quelques jours plus tôt. On s’attendait à ce que les États-Unis, principal gardien des intérêts d’Israël, s’oppose à la résolution, laquelle aurait imposé une date limite à Israël pour mettre fin à son occupation des territoires palestiniens. Les États-Unis ont voté contre, et seuls huit États membres ont voté l’approbation. Le lendemain, Abbas signait la demande d’adhésion à la CPI, parmi d’autres institutions [des Nations Unies]. Le jour qui a suivi, la demande a été officiellement présentée.

Mais il n’était pas question d’un « changement de stratégie. »

L’ambiguïté cultivée par Abbas

La stratégie politique actuelle de l’Autorité palestinienne reflète les qualités uniques d’Abbas lui-même, de ses capacités impressionnantes pour trouver le bon équilibre politique afin d’assurer sa survie à la barre.

Si la survie politique d’Abbas dépend essentiellement du bon-vouloir des États-Unis et du consentement israélien, on peut difficilement imaginer un scénario où Netanyahu et ses chefs de guerre seraient traduits comme criminels de guerre devant la CPI.

On ne peut croire qu’Abbas ait finalement décidé de rompre avec le rôle très encadré de membre actif du club des « modérés » arabes, sous la houlette des États-Unis.

Pour cela, il aurait fallu qu’Abbas soit prêt à prendre tous les risques pour le bien de son peuple, ce qui serait un changement radical pour le « modéré » et corrompu dirigeant arabe « pragmatique ».

Mais alors, que cherche Abbas ?

Depuis la fin des années 1970, Abbas a commencé sa quête pour une paix insaisissable avec Israël, ce qui l’a finalement conduit à la signature des accords d’Oslo en septembre 1993. C’est Abbas lui-même qui a signé les accords au nom de l’Organisation de Libération de la Palestine [OLP].

Ces accords ont été une catastrophe pour les Palestiniens. Aucun des délais fixés - dont l’accord sur le statut final fixé en mai 1999 - n’ont été respectés, et ils ont introduit une étrange culture de « révolutionnaires-devenus-millionnaires », opérant dans les limites des territoires palestiniens militairement occupés.

Année après année, l’Autorité palestinienne corrompue a maintenu ses privilèges tandis qu’Israël renforçait son occupation. On a vu apparaître un troc à grande échelle qui semblait satisfaire les intérêts d’Israël, les quelques Palestiniens privilégiés sélectionnés et bien sûr, les États-Unis eux-mêmes, qui avec leurs alliés financent l’ensemble du système.

Dix ans de tragédie

Le défunt dirigeant Yasser Arafat n’était clairement pas adapté pour le travail qu’on attendait de lui. Flexible parfois comme il pouvait l’être, il y avait pour lui des frontières politiques qu’il ne pouvait pas franchir. En 2003, Abbas, le « modéré  » a été imposé comme Premier ministre à Arafat par Israël et les États-Uni, un poste qui a été inventé dans le seul but de réduire l’influence d’Arafat. Après une brève lutte de pouvoir, Abbas a démissionné. Peu de temps après, Arafat est décédé, très probablement empoisonné, et Abbas est revenu au pouvoir, cette fois de façon incontestée.

Le mandat de M. Abbas, qui date du 15 janvier 2004, aurait dû se terminer au début de 2009. Mais il a décidé de le prolonger d’une autre année, puis d’une autre, et il a depuis régné sur une nation fragmentée, occupée, avec l’aide d’Israël, sans une once de légitimité, sauf celle que ses partisans lui décernent.

Cela fait une décennie une décennie qu’Abbas s’est imposé aux Palestiniens. Ce furent des années de tragédie, d’échec politique, de crise économique, de désunion, et d’une corruption sans précédent.

Oui, le vieux dirigeant aujourd’hui âgé de 80 ans a assuré sa survie, en partie parce que Israël a estimé qu’il était le plus souple de tous les Palestiniens (il n’a pas interrompu la coordination répressive avec Israël, même après qu’il ait condamné comme génocidaire la guerre israélienne à Gaza). Les Américains tenaient trop à ce qu’il reste à son poste, car ils ne lui ont pas encore trouvé un remplaçant, accordant comme lui la priorité aux intérêts des États-Unis et d’Israël avant ceux de son propre peuple.

Mais il a aussi survécu parce qu’il a utilisé des milliards de dollars canalisés par des donateurs internationaux pour construire un système clientéliste, contribuant à la création d’une classe de nouveaux riches palestiniens dont la richesse se construit grâce à l’occupation, et non pas malgré elle. Alors que les nouveaux riches baignent dans leur richesse imméritée, le sort de millions de Palestiniens reste dépendant d’un argent qui n’est pas le résultat d’une économie productive, mais de donations internationales.

Alors qu’Israël s’est vu dispensé d’avoir à s’occuper de la survie des Palestiniens sous occupation, comme cela serait normalement imposé par les accords de Genève et d’autres conventions, il a pu consacrer tous ses moyens à l’extension de ses colonies.

D’une certaine manière tout a parfaitement fonctionné pour toutes les parties concernées... Sauf pour le peuple palestinien.

La recherche d’une « victoire »

On peut dire qu’Abbas n’a jamais vraiment été un dirigeant pour son peuple, la priorité nationale palestinienne n’ayant jamais été la motivation principale de son action. Au mieux, il a été un profiteur dont la stratégie est fondée sur la recherche d’équilibres politiques, voulant servir ceux qui ont le plus de pouvoir et d’influence.

Après l’expiration de la date limite du 29 avril 2014 fixée par Kerry pour parvenir à un accord sur le statut final, et une autre guerre israélienne de large envergure sur Gaza et qui a débouché aussi sur une colère massive en Cisjordanie - elle-même sur le point de se soulever - le fardeau d’Abbas devenait trop lourd à porter.

Pour créer un écran de fumée et empêcher la résistance de Gaza de prétendre à une victoire, il a commencé vouloir sa propre « victoire », pour laquelle il serait célébré à Ramallah au milieu des fanfares et des ovations de ses partisans. À chaque victoire symbolique de ce genre, les Palestiniens ont été submergés de nouveaux slogans sur le prétendu héroïsme d’Abbas, ses porte-parole parcourant le monde pour tenter désespérément de redonner de l’importance à Abbas et à l’AP.

Avec beaucoup de retard et après de multiples marchandages, Abbas a été forcé par les circonstances de recourir à la CPI, non pas pour faire condamner d’Israël pour ses crimes, mais pour regagner une influence politique et envoyer un message à Israël, aux États-Unis et à d’autres, disant qu’il faut toujours compter avec lui.

L’accès à la CPI a peu à voir avec les crimes de guerre commis à Gaza, mais beaucoup plus avec le rôle de plus en plus insignifiant joué par Abbas vis-à-vis de ses alliés, mais aussi vis-à-vis des Palestiniens.

Le problème avec Abbas, cependant, dépasse Abbas lui-même. Le mal réside dans la culture de classe qui a soutenu la corruption et en a bénéficié depuis plus de 20 ans.

Même lorsque le président Abbas sera mis de côté, en raison de son âge avancé ou pour toute autre raison, le malaise persistera, jusqu’à ce que les Palestiniens contestent la culture même qu’Abbas a minutieusement construite avec l’argent des États-Unis et le bon-vouloir israélien.

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