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La défense britannique en quête de nouveaux partenaires

Les deux principales puissances militaires de l’Europe, le Royaume-Uni et la France, vont-elles entrer dans une nouvelle ère de coopération ? La question est ouverte, à la veille du scrutin britannique du 6 mai.

Ces dernières semaines, l’Elysée a fait de ce rapprochement bilatéral en matière de défense un axe de communication. Des deux côtés de la Manche, on évoque "un bon moment". En février, le député conservateur Malcolm Rifkind, ancien secrétaire à la défense puis aux affaires étrangères entre 1992 et 1997, appelait même à "une nouvelle "Entente cordiale", cent ans après la première".

Ces propos relèvent encore de l’incantation. Certes, la réintégration de la France dans les structures de commandement de l’OTAN, décidée en 2007 par M. Sarkozy a rétabli une confiance. "L’OTAN reste la pierre angulaire de notre sécurité", rappelle le "Livre vert" de la défense britannique publié en février, document préparatoire à la nouvelle stratégie de défense du pays, qui sera finalisée après l’élection.

D’un autre côté, la relation spéciale entre Londres et Washington est un peu distendue depuis le retrait peu glorieux des troupes britanniques d’Irak. Conservateurs, travaillistes et libéraux-démocrates s’accordent sur l’intérêt de nouer d’autres partenariats. Enfin et surtout, la crise économique pourrait, espèrent les partisans de l’Europe de la défense à Paris, pousser les eurosceptiques britanniques à regarder davantage vers le continent pour s’associer. Les deux pays ne pèsent-ils pas 50 % des achats d’armements et 60 % de la recherche militaire européenne ?

La défense britannique (52 milliards d’euros de budget) s’attend à des révisions majeures. La revue stratégique du pays, qui fixera sa vision des menaces, ses alliances, et les moyens de sa sécurité, "sera réalisée dans le contexte financier le plus défavorable depuis des décennies", a prévenu le conservateur Liam Fox, secrétaire à la défense du "shadow cabinet". Les programmes d’équipement engagés ces dernières années sont déjà sous-financés à hauteur de 39 milliards d’euros. La perspective est une réduction de 15 % des crédits des armées d’ici à 2016, estime le Royal United Services Institute (RUSI).

Les coupes se traduiraient dans les six ans qui viennent par 30 000 personnels en moins (sur 168 000) et une diminution de 20 % des navires, aéronefs et unités au sol existants. Depuis plusieurs mois, les hauts responsables militaires font publiquement part de leurs inquiétudes. L’amiral Mark Stanhope, le "First Sea Lord", avertissait en novembre 2009 que la dissuasion britannique ne serait plus garantie si, comme l’envisageait Gordon Brown, le gouvernement ne renouvelait que trois de ses quatre sous-marins nucléaires Trident.

"Nous avons une vision similaire du monde, nos deux pays possèdent une industrie de défense significative et nous avons depuis un certain temps exploré les voies d’une coopération renforcée sur les marchés de défense", a plaidé la secrétaire britannique à la défense, Ann Taylor, à Paris le 29 mars. "Nous pouvons être de bons moteurs pour plus d’efficacité dans l’Union européenne (UE) et dans l’OTAN", a-t-elle assuré au Monde. Mais Mme Taylor est la seule à être venue à Paris défendre les mérites du partenariat avec la France. Et le volontarisme de l’équipe travailliste sortante semble peser peu face à l’administration de la défense.

A Paris, on est "ouvert à toute coopération". "On se dit qu’à nous deux on ferait marcher l’Europe de la défense, mais encore faudrait-il arriver à travailler ensemble", indique une source gouvernementale. Au ministère de la défense, le bilan dressé de la décennie écoulée est plus que mitigé. Les progrès ont été minces depuis qu’à Saint-Malo, en 1998, Jacques Chirac et Tony Blair ont appelé ensemble à doter l’UE d’une "capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles".

La Grande-Bretagne n’a, depuis, remis en cause ni le lien privilégié avec les Etats-Unis ni la prééminence de l’OTAN sur l’Europe de la défense. Elle n’a participé qu’à trois opérations européennes sur vingt et une : Althea en Bosnie, Eulex en Irak (formation de magistrats) et Atalante, contre la piraterie, dont elle a pris le commandement sans y mettre de moyens navals.

Au nom du pragmatisme, elle s’oppose à la création d’un centre de planification et de conduite des opérations de l’UE, souhaitée par la France, l’Allemagne ou la Pologne. Et menace de sortir de l’Agence européenne de défense, conçue pour mener des programmes d’armement communs.

La France a beau avoir été citée explicitement comme partenaire dans le "Livre vert", "il n’est en réalité pas possible de développer le bilatéral", assurent les spécialistes à Paris, "pour des raisons de calendrier (les programmes sont toujours décalés) et de procédures budgétaires". L’avenir serait plutôt à des projets bâtis à plusieurs Européens, auxquels se raccrocheraient les Britanniques.

Quant à une coopération en matière de dissuasion, évoquée dans le Guardian début avril, elle est jugée "fantasmagorique" par les responsables militaires français. La raison est évidente : la Grande-Bretagne a accepté depuis 1962 de soumettre l’emploi de sa force nucléaire à l’accord des Américains.

Des rapprochements ont cependant eu lieu récemment sur des dossiers techniques. A défaut de mener des opérations ensemble sur le terrain, les états-majors des deux pays s’estiment, et échangent. Côté britannique, on met en avant le bon fonctionnement du "groupe de travail de haut niveau" mis en place en 2007 entre les deux agences nationales d’armement.

Des projets communs sont en cours : sur les missiles, les drones, et les satellites de communication. Un accord a été signé en février pour mener des achats en commun dans le cadre des "urgences opérationnelles". En attendant que s’installe le prochain gouvernement à Londres, chacun met en avant ces cordiaux petits pas.