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Le bilan des indépendances africaines selon Jonas Savimbi

INTERVIEW DE JONAS SAVIMBI

A. K. AGBOBLI : Si vous deviez dresser un bilan des indépendances africaines, quel serait-il ?

J. M. SAVIMBI : Hélas ! Une Afrique réellement indépendante et maîtresse de son destin est encore du domaine du rêve. Les indépendances ont été octroyées par les colonisateurs à leurs amis politiques dans les pays colonisés. Elles se sont faites aux dépens des nationalistes visionnaires qui, pour la plupart, ont été écartés du pouvoir, sinon physiquement liquidés. Ces indépendances taillées sur mesure ont surtout servi à préserver les vieux liens de vassalité et à renforcer l’intégration des anciennes possessions coloniales dans l’espace économique des anciennes métropoles ou à nouer des relations de sujétion avec de nouvelles puissances à visée impériale. Le réveil de l’Afrique était attendu avec crainte sur l’échiquier mondial. Il ne s’est pas produit. Les cinquante-trois Etats qui se partagent l’Afrique pèsent actuellement 680 millions d’habitants, soit près de 12 % de la population mondiale. Jeune et dynamique, cette population devrait être pour l’Afrique un facteur de puissance. Or, parce qu’elle est victime de l’analphabétisme, de la malnutrition, des épidémies, et surtout, aujourd’hui, du Sida, elle devient un handicap. Alors qu’ailleurs dans le monde, en Amérique, en Asie, en Europe et en Océanie, grâce à l’instruction, la population s’est révélée le premier capital, celui qui est à la source de la production des richesses, ce capital démographique se retrouve dispersé en Afrique dans des Etats qui représentent bien un pourcentage élevé de l’Organisation des Nations unies, mais pèsent d’un poids insignifiant dans le jeu politique planétaire. Politiquement sans influence, militairement inexistants, financièrement endettés, économiquement exsangues, les Etats africains ne sont que des pions entre les mains des grandes puissances. Leur point de vue, quand point de vue il y a, n’est guère pris en considération à l’occasion des délibérations du Conseil de sécurité, organe qui, dans la réalité, gère seul les crises internationales.

A. K. AGBOBLI : Peut-on vraiment dire, comme vous semblez le faire, que l’Afrique reste un continent dominé ?

J. M. SAVIMBI : Voyez la scène planétaire ! Le continent africain y occupe, certes, une position de première grandeur au cÏur même de l’Ancien monde et pas trop éloigné du Nouveau Monde. Mais nos Etats restent des coquilles vides, en particulier sur le plan militaire. Converties par angélisme à un pacifisme utopique, nos élites sont si peu conscientes des grands enjeux mondiaux et de leurs réalités, faites de menaces et de périls, qu’elles sont les premières à douter de l’importance des forces armées. Elles n’ont ni politique de défense ni doctrine militaire. La seule véritable puissance militaire qu’était l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid a été désarmée avant l’arrivée au pouvoir de la majorité noire, en 1994. Et cela, dès que les puissances européennes et les Etats-Unis, toutes idéologies confondues, ont compris que le gouvernement de l’Afrique du Sud allait échapper à la minorité blanche. Sa capacité militaire a été ramenée à un niveau à peine supérieur à celui de ses voisins. Sa puissance dans le domaine nucléaire et spatial a été, elle, tout simplement annihilée. Par ces mesures, les dominateurs de l’Afrique prennent des précautions pour empêcher l’émergence d’une puissance militaire africaine qui puisse se révéler, dans le futur, un obstacle au maintien de leur présence. Pire encore, par une de ces fautes monumentales qui ont toujours affaibli les peuples et les ont maintenus dans une dépendance prolongée, les dirigeants africains se sont liés les mains par des traités qui interdisent, en Afrique, toute politique de construction d’une défense moderne fondée sur les armements les plus sophistiqués.

A. K. AGBOBLI : Est-ce pour échapper à une dérive à la brésilienne que le peuple angolais a déclenché la lutte armée et que l’UNITA s’est constituée ?

J. M. SAVIMBI :
Exactement. Le risque existait que les colons portugais, soutenus par leur descendance mulâtre, s’auto-proclament indépendants pour maintenir leur domination, comme ils l’avaient fait en 1821 au Brésil. Mais comme il aurait été fort mal vu que des Portugais blancs s’affichent, comme au Brésil, à la tête d’un Etat indépendant dans une Afrique noire, ils ont poussé les Mulâtres en première ligne. Les élites mulâtres et les assimilés ont tout de suite mesuré les inconvénients d’une indépendance qui propulserait la majorité noire à la tête du pays. Mais le danger d’une indépendance accordée à une coalition perpétuant la domination coloniale et raciale sous une autre forme était trop grand pour que les nationalistes clairvoyants ne réagissent pas. L’UNITA a été créée pour contrer la collusion entre le MPLA et certains milieux dirigeants portugais qui, sous couvert de progressisme, étaient en fait hostiles à l’indépendance véritable de l’Angola et cherchaient à couper l’herbe sous le pieds des authentiques nationalistes africains.

A. K. AGBOBLI : D’où le "T" de "totale" dans le sigle UNITA ?

J. M. SAVIMBI : Indépendance totale, oui. Notre objectif va au-delà d’une indépendance factice. Les Espagnols et les Portugais sont passés maîtres dans la colonisation rampante et la ségrégation raciale subtile. Mais les Angolais, toutes ethnies et toutes races confondues, n’accepteront pas que leur combat pour l’indépendance soit confisqué. Il durera le temps qu’il faudra. Car il ne s’agit nullement, comme on tente de le faire croire, d’une simple rivalité entre factions.

A. K. AGBOBLI : Ne considérez-vous pas les Noirs comme les seuls Angolais authentiques ?

J. M. SAVIMBIE : Les gens qui racontent cela sont des menteurs. C’est faux. Je n’ai jamais dit cela. Pour l’UNITA, les Angolais, ce sont les Noirs, ce sont les Blancs, ce sont les Mulâtres. Ce sont tous ceux qui s’identifient à la souffrance de ce peuple, qui se mobilisent pour une indépendance véritable, qui aspirent à la paix. Mais pas la paix dans l’humiliation. Dire cela, c’est refuser de confondre les militants du MPLA avec ses dirigeants. Autant les milliers d’Angolais de toutes ethnies qui se sont retrouvés au MPLA croyant y servir la cause de la liberté, de l’indépendance et de la démocratie, sont profondément amoureux de leur pays, patriotes et non racistes, autant la direction de ce mouvement est tombée très tôt dans les mains d’une coterie composée d’anti-nationalistes sectaires et opportunistes, qui masquent derrière le "progressisme" et l’"internationalisme" la volonté de préserver leurs intérêts personnels au détriment du bien commun.

Echos de Angola

Source : http://www.echosdelangola.org