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AFRIQUE - Pourquoi Ndjamena se retourne t-il contre la France ?

Des manifestations "anti-françaises" ont lieu à Ndjamena, la presse s’insurge (voir l’article de Notre Temps sur Courrier International), le député tchadien, Ngarlejy YORONGAR, pousse la polémique jusqu’à accuser le frère cadet de Sarkozy d’être lié à l’arche de Zoé, et le Soudan (qui possède nombre d’accointances au Tchad) accuse Paris d’avoir accordé des visas pour "exfiltrer" les 103 enfants du Tchad. Colette Breakman, correspondante du Soir (Belgique), s’interroge sur le jeu que joue un Etat tchadien très lié à la France (présence militaire, présence de Bouygues, Bolloré, etc.).


Sur Le carnet de Colette Braeckman

Les Français visés à Ndjamena

« A bas Sarkozy », « la traite négrière c’est fini » « le Tchad est indépendant depuis 1960 »… Ponctuée par des jets de pierre, des insultes à l’adresse des Occidentaux en général et de la France en particulier, une violente manifestation anti française a eu lieu à N’Djamena, où le juge d’instruction chargé de l’affaire de l’Arche de Zoë a décidé de ne pas remettre en liberté provisoire les six Français toujours détenus. Il s’agît là d’un double camouflet infligé au président Sarkozy, qui, ramenant les trois journalistes engagés dans l’aventure, avait proclamé, non sans imprudence, qu’il « irait chercher les autres, quoiqu’ils aient fait. »

En effet, non seulement le juge tchadien a tenu à manifester son indépendance, mais l’opinion, surchauffée, s’en prend désormais aux Français et aux Occidentaux sans distinction. Les organisations humanitaires présentes dans les camps de déplacés du Tchad et du Darfour craignent de faire les frais de cette campagne anti-occidentale qui est sinon téléguidée, en tous cas autorisée par les autorités locales, qui voient d’un mauvais œil le prochain déploiement sur la frontière tchadienne d’une force européenne composée de 300 hommes, avec une majorité de Français. L’Eufor, qui devrait entamer son déploiement début décembre, aura pour mission de sécuriser les camps de réfugiés soudanais, mais, par la force des choses, elle surveillera aussi les divers mouvements rebelles qui se croisent sur la très poreuse frontière entre le Tchad et le Soudan. Dotée d’un volet police et droits de l’homme, l’Eufor risque d’être témoin des nombreuses exactions qui se produisent dans les camps de réfugiés, comme les enrôlements forcés ou le recrutement d’enfants soldats…

Depuis sa prise de pouvoir, le président tchadien Idriss Deby Itno est tiraillé entre ses solidarités régionales et les soutiens dont il a longtemps bénéficié en France : appartenant à l’ethnie des Zagawas, des éleveurs guerriers qui nomadisent aux confins du Tchad et du Darfour, c’est avec l’aide des services français mais en opérant depuis le territoire soudanais qu’1990, il avait renversé son prédécesseur et ancien compagnon d’armes Hissène Habré, qui avait, lui, été longtemps soutenu par la CIA.

Depuis lors, Deby a réussi à asseoir son pouvoir et à s’affranchir de ses parrains français : le Mouvement patriotique du Salut, faction militaire devenue parti politique, domine la scène tchadienne et le président, élu pour un premier mandat en 1996, pour un second en 2001 s’est représenté en 2006 malgré la fronde des députés qui s’opposaient au principe du troisième mandat.

En février 2006, c’est de justesse qu’avec l’aide de l’armée française, Idriss Deby a repoussé des groupes rebelles qui avaient failli s’emparer de N’Djamena et qui venaient du Soudan, comme lui-même seize ans plus tôt. Mais par la suite, les rapports entre la France et ce président soudain fragilisé se sont compliqués : le chef des rebelles, le capitaine Mahamat Nour, qui dirige le Front uni pour le changement, réside en France, ce qui alimente certains soupçons, tandis que Déby, déçu par les Occidentaux, a eu le loisir de diversifier ses alliances et d’accroître ses ressources.

En effet, la découverte d’importantes réserves de pétrole a modifié la donne économique et politique, tendu les relations avec les Occidentaux et donné au président une plus large marge de manœuvre. Dans un premier temps, le pétrole tchadien (deux milliards de barils de réserve) était exploité par des sociétés américaines et canadiennes, tandis que la Banque Mondiale avait convaincu le président de mettre en réserve une partie des royalties afin d’alimenter « un fonds pour les générations futures ».

Au moment de l’attaque des rebelles, Deby, qui avait besoin d’argent frais pour acheter des armes et défendre son régime menacé, modifia l’affectation des revenus pétroliers, se brouilla avec ses partenaires occidentaux et accepta que la Chine rachète les droits de prospection de plusieurs sociétés canadiennes. A terme, non contents d’utiliser l’oléoduc débouchant sur la côte camerounaise, le Chinois envisagent d’en construire un autre, qui sera relié aux champs pétroliers du Soudan qu’ils exploitent déjà, et qui passera par le Darfour. Dans la foulée, le président Deby s’est également rapproché du Libyen Mouammar al-Kadhafi, très hostile au déploiement d’une force européenne dans son arrière cour tchadienne…

La dénonciation de l’équipée de l’Arche de Zoë n’a pas seulement permis au président Deby de faire monter les enchères par rapport aux Occidentaux et de satisfaire ses nouveaux amis chinois et libyens, elle est aussi utilisée pour mobiliser l’opinion tchadienne autour d’un régime que les abus de pouvoir avaient discrédité…

Colette Braeckman

Source : http://www.betapolitique.fr