Par définition, toutes les opinions sont respectables, voire acceptables, même celles qui sont inacceptables, hors-la-loi ou fausses, tout simplement parce qu’elles existent et qu’on n’y peut rien. La tolérance est forcée, et ceux qui sont contre sont hors-jeu. Par ailleurs, chacun pense non pas ce qu’il veut, mais ce qu’il peut. Cela introduit deux facteurs déterminants : celui de la qualité et celui de l’honnêteté.
En l’occurrence, nous avons analysé le dernier édito de Riss, le grand gagnant de l’attentat du 7 janvier 2015, puisque ce dessinateur triste est devenu le chef du Charlie 2.0, qui a vite retrouvé son véritable niveau de lectorat : confidentiel.
Mais ce n’est pas une raison pour négliger sa voix, puisqu’elle fait partie du concert des opinions. On va très vite comprendre que le langage sert à tout. Il est question, dans cette édition du 4 juin 2025 de la Russie et de Gaza. Analyse par tranches.
On ne connaît pas encore l’identité des responsables des dégradations commises ce week-end contre le Mémorial de la Shoah et trois synagogues parisiennes, généreusement aspergés de peinture verte. Peut-être une action commanditée par les Russes, comme celle qui avait vu des étoiles de David taguées sur les murs de Paris il y a un an et demi. La peinture verte serait, selon certains observateurs, la marque de l’islam, et on peut se demander si ce n’est pas une nouvelle provocation visant à crisper davantage la société française, en dressant les communautés les unes contre les autres.
On a une autre piste pour cette provocation dont personne ou presque n’a parlé, et qui n’a pas été reprise comme d’habitude, tant elle sentait le fabriqué : depuis que les Israéliens sont entrés dans la phase active du génocide, les actes dits antisémites ont augmenté en France (1 570 en 2024, chiffre de l’Intérieur du CRIF). Rappelons qu’une remarque antisémite est aujourd’hui considérée comme un acte antisémite, et traitée comme tel. Maintenant, l’antisionisme est en passe de devenir un délit.

Soyons mathématiques, c’est-à-dire précis, donc honnêtes : il y a pas mal de gens en colère en France contre les exactions israéliennes, et cela explique une partie des actes antisémites. Il y a aussi une fraction non négligeable de provocations internes à la communauté juive (les cas abondent), qui cherche à survictimiser la partie israélienne, afin d’atténuer le sentiment d’empathie pour les Palestiniens. Entre ces deux sources, personne ne connaît l’alliage exact.
Mais sachant que toutes les rues sont filmées sous tous les angles aujourd’hui dans nos villes (personne ne va taguer « Heil Hitler » ou « mort aux juifs » sur un mélèze à 2 498 m en Haute-Savoie), il paraît peu probable qu’un militant LFI prenne ce risque, et encore moins au RN, acquis à la cause génocidaire, du moins ses dirigeants.
On peut donc avancer sans trop de marge d’erreur que la plupart des tags antisémites sont des provocations relayées médiatiquement pour servir la cause israélienne. Car en face, un militant propalestinien ne taguera pas « Mort à Israël », mais « Palestine vaincra », ou « Palestine libre ». C’est tout à fait différent, psychologiquement parlant.
Riss reprend l’élément de langage de toute la presse mainstream sur la Russie qui chercherait à déstabiliser la France, à fracturer ses communautés, alors que cette opération est effectuée et dirigée de main de maître par les forces occultes depuis quarante ans. Passons au deuxième paragraphe.
Au moment où on nous explique que ce qui se passe à Gaza est un génocide, on barbouille de vert le Mémorial de la Shoah. Étrange situation où, avec un peu de peinture, on cherche à faire disparaître un génocide pour le remplacer par un autre, comme un vieux panneau publicitaire démonté au profit d’un plus récent. Pour certains peut-être, la Shoah, qui fut en haut de l’affiche pendant quatre-vingts ans, doit céder la place à d’autres massacres, plus modernes, plus jeunes, plus tendance. La Shoah est le génocide des boomers et des vieux cons. Gaza est le génocide des jeunes, des milléniaux, de la génération Z ou alpha. Ou comment se forger une identité politique en dénigrant celle de la génération précédente. Si c’est le cas, nous passons d’une concurrence mémorielle à un effacement mémoriel.
Riss tombe dans le piège israéliste de la primauté victimaire shoatique. Le génocide de Gaza n’efface pas le génocide des juifs entre 41 et 44, mais il s’ajoute, et perturbe le narratif israéliste en la matière : l’image du peuple éternellement victime (des chrétiens ou des musulmans) se brouille, et se renverse. Il n’y a pas concurrence victimaire, il y a un peuple qui, persécuté hier, devient persécuteur aujourd’hui.
Dire le contraire ou chipoter sur ce fait indiscutable sont deux formes de malhonnêteté intellectuelle. Dans le troisième paragraphe, Riss chipote sur la définition du génocide. Ceux qui chipotent sur le génocide des juifs sont traités en criminels, mais Riss chipote sur le génocide des Palestiniens, parce que c’est autorisé. Il ose même qualifier les Russes de génocidaires en Ukraine, en reprenant la fake news des 20 000 enfants ukrainiens kidnappés. Alors que si les Russes avaient voulu écraser les villes ukrainiennes sous les bombes, comme les Israéliens le font dans la bande de Gaza...
Certains lecteurs ont été offusqués de lire que je ne partageais pas l’opinion qui qualifie de « génocide » la répression en cours à Gaza. Cela n’a pas diminué mon profond malaise à entendre ce mot évoqué de la sorte. Le site d’Amnesty International donne une définition de ce crime ainsi qu’une liste de ceux répertoriés à ce jour. Et selon ce site, Gaza en ferait partie. Par contre, Amnesty n’y a pas inclus les crimes commis par les Russes en Ukraine. Côté ukrainien, l’ONU estime à 43 000 les victimes civiles et à 12 900 les morts civils depuis le début de ce conflit, chiffres aussi difficiles à évaluer que ceux donnés par le Hamas pour Gaza, puisque des zones sous contrôle russe contiendraient des charniers d’adultes et d’enfants inaccessibles aux enquêteurs internationaux. Le site d’Amnesty explique que le « transfert forcé d’enfants d’un groupe à un autre groupe » suffit à qualifier un génocide s’il est commis « dans l’intention de détruire totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Ensuite, Riss part complètement en vrille, essayant de russifier les Israéliens, ce qui condamne indirectement les Israéliens, Riss ayant pris le parti des Ukrainiens, ce qui est son droit. Il est alors sur le mode : oui mais eux aussi ils tuent ! Quand on dérape sur une information, il est très difficile de retrouver son équilibre tout du long de la démonstration. C’est de plus en plus bancal.
Les Russes ont beau avoir kidnappé plus de 20 000 enfants ukrainiens et les avoir contraints à abandonner leur culture d’origine et à adopter la culture russe, cela ne semble pas constituer un fait suffisant aux yeux de la célèbre ONG pour qualifier cela de génocide. Si Israël avait kidnappé des enfants palestiniens pour les convertir de force au judaïsme, les réactions ne se seraient pas fait attendre. La Russie applique en Ukraine une politique très voisine de celle d’Israël dans la bande de Gaza, qui consiste à bombarder des civils pour les tuer et les faire fuir, et ainsi récupérer des régions entières dans le but d’effacer la culture ukrainienne et de la remplacer par la culture russe. Malgré tant de preuves à charge, Poutine bénéficie d’une bienveillance étonnante, pour ne pas dire suspecte. On peut brandir à bout de bras des textes de lois et des traités internationaux comme s’il s’agissait des dix commandements, chacun tripatouille le droit en fonction de ses objectifs politiques et de sa morale. Le droit, qui devrait en principe fédérer la collectivité autour d’un consensus, est de moins en moins un langage commun à tous et de plus en plus un dialecte parlé par la tribu à laquelle vous appartenez et qui ignore celui des autres tribus. Un droit à la carte, par ethnie, par genre, par génération.
Pour clore ce gloubi-boulga indigeste, Risstanyahou effectue une pirouette à la Charlie, qui montre bien le niveau de rigueur de l’ensemble.
Bon, je sais, tout ça n’est pas très gai. Promis, la semaine prochaine, je vous parlerai d’autre chose, d’un truc qui rassemble tout le monde : le foot, par exemple.
L’accroche de Charlie aujourd’hui, c’est « journal satirique, laïque et joyeux. » On dira plutôt propagandiste, sioniste et triste.