Michael Madsen ne peut pas être mort, puisque la scène de découpage d’oreille de flic dans Reservoir Dogs est éternelle (on devrait la proposer pour la prochaine sonde Voyager). Il y a des scènes et des acteurs qui survivent à des films et à la mort.
Le fait que Madsen n’a jamais hérité que de seconds rôles ne l’a pas empêché d’être une figure marquante du cinéma. Dans Donnie Brasco, il est juste énorme de présence, de violence contenue. Ce film en soi est une violence contenue, un voyage au bord du précipice. Tout l’univers du groupe infiltré par Brasco est gros de menaces, qu’elles proviennent des flics, de la concurrence ou de l’intérieur même du groupe.
« You belong to me now. »
Dans ses films, on ne peut pas s’identifier à Madsen, avec ses accents psychopathes, entre sa vie dissolue et ses rôles macabres. À la limite, le mec ne jouait pas : il envoyait quelque chose au-delà du rôle, un message viscéral qui déformait la scène. Il ne pouvait donc pas avoir de premier rôle, la complexité de son être rendant difficile l’abaissement des défenses du public.
À l’inverse, Tom Cruise est une star pour grand public, avec des traits de caractère et de visage mainstream pour une identification de masse. On dirait presque le résultat d’un panel ou d’une IA pour trouver le personnage qui déplairait au moins de personnes possible. Les acteurs n’ont donc pas la même fonction.
Ce n’est pas pour rien que Madsen admirait Mitchum. On se rend compte que les acteurs qui clivent sont présents plus longtemps et plus profondément dans l’esprit du petit public (celui qui est avisé), le grand public consommateur mangeant ce qu’on lui donne. Par exemple, les sorciers sont même arrivés à lui faire croire que Patrick Bruel était un chanteur et un acteur. Soit ils sont très forts, soit le grand public est très crédule.
La différence entre un Madsen, qui a ramé toute sa vie, et la clique actuelle des acteurs, c’est que l’un a eu une vie, les autres étant des purs professionnels, qui n’ont fait que ça. Ils sont peut-être bons, mais il manque ce supplément d’âme apporté par le vécu, c’est-à-dire la souffrance. Face à la caméra, face au public, ça se voit, ça se sent. Delon avait fait l’Indo, Gabin la guerre, ça donne une certaine présence, non ?
« This is what great actors do, they have so much behind their eyes that you know that they have been trough a lot. »
Le cinéaste français [Olivier Assayas], qui cherchait un comédien avec une forte présence physique, capable d’incarner la séduction et le danger, souligne, dans une interview accordée à Allociné, le besoin qu’avait l’Américain pendant le tournage de « se mettre dans des états particuliers », de « lutter contre lui-même pour arriver à arracher de la vérité ». Au cœur d’une existence émaillée par des soucis d’alcool et d’argent, des recompositions familiales ainsi que de terribles drames, comme le suicide d’un de ses fils en 2022, c’est aussi par la photographie et la poésie que Michael Madsen, dont la bonhomie en interview tranchait avec son image à l’écran, n’a jamais eu de cesse d’exprimer sa voix, publiant plusieurs livres et recueils écrits dans une urgence qui ne l’avait jamais quitté. Jusqu’à ce jour de juillet. (Le Monde)