Egalité et Réconciliation
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Quand Arte dénonce le libéralisme

Mardi 23 septembre dernier, sur la chaîne publique Arte, la soirée « Thema », qui s’intitulait « Demain, vous paierez l’eau de pluie », s’intéressait aux conséquences des privatisations des services publics dans divers pays.

Malgré une heure tardive de diffusion (23h), on peut reconnaître à Arte le mérite d’avoir enfin -sentent-ils le vent tourner ?- diffusé deux documents dressant un bilan sans concession du désastre libéral.

Le premier, de 2006, « Liquidation totale », abordait à travers le parcourt de différents personnages, les résultats obtenus à l’aune de la « sacro-sainte loi du marché », par la privatisation des services publics, en Bolivie, en Afrique du Sud, en Angleterre et aux Philippines.

Le bilan est sans surprise : dégradation et augmentation du prix des services, voire même interruption de ces derniers.


On a pu voir comment, en Bolivie, l’Etat, sous la pression de la Banque Mondiale, a décidé en 1999 la privatisation du secteur public de l’eau, au profit d’une filiale de Bechtel, la multinationale étatsunienne. Dès la signature du contrat, le prix de l’eau a augmenté de 30 à 300 % selon les cas, obligeant les familles modestes à consacrer un quart de leur budget à l’eau. Les sources d’eau qui appartenaient de façon collective aux paysans, sont devenues propriété de sociétés privées. La loi stipulait même qu’il était interdit de récupérer l’eau de pluie, ce qui signifiait qu’indirectement l’eau de pluie était privatisée !

Après six mois de révolte de la population de Cochabamba et des émeutes sanglantes, l’entreprise Bechtel quitte précipitamment la ville et le gouvernement fait marche arrière sur la privatisation. La « guerre de l’eau » était gagnée !

En Afrique du sud la même année, le gouvernement sud-africain privatise Eskom, la société nationale d’électricité. Depuis, des dizaines de milliers de foyers se retrouvent sans courant, incapables de payer leurs factures devenues exorbitantes. Alors, la survie s’organise et le Comité de Crise de l’Electricité de Soweto (CCES), un mouvement de citoyens, lutte en toute illégalité pour redonner la lumière et le chauffage, en rebranchant gratuitement les habitants. Aujourd’hui, c’est le service de l’eau qui est touchée par les privations et désormais, après le manque d’électricité c’est le manque d’eau qui touche les plus modestes.

On apprend à la fin du film que le personnage principal de l’enquête, Bongani, 34 ans, un des représentants du CCES, qui était candidat aux élections municipales, est mort subitement, quatre mois après le tournage. Les causes de ce décès n’ont toujours pas été élucidées.

En Angleterre, dans les années 1980, Margaret Thatcher a commencé, en dépit de vives protestations, à privatiser d’abord les mines de charbon, puis des pans entiers du secteur public.

En 1997, British Rail a été privatisé, démantelé et vendu à 150 entreprises différentes. Depuis, les chemins de fer anglais qui étaient la meilleure compagnie ferroviaire d’Europe et qui faisaient la fierté de ses habitants, ne sont plus aujourd’hui qu’une usine à gaz très coûteuse pour les clients et aux services très aléatoires.

Après trois accidents graves, le gouvernement britannique a dû reprendre à sa charge l’entretien des rails. Mais les autres activités sont toujours gérées par des sociétés privées.

Les conditions de travail des cheminots se sont dégradées au point qu’ils ont perdu toute fierté de leur profession. « Quand je dis que je suis cheminot, j’en ai plutôt honte », témoigne Simon, un conducteur de train. Les retards et annulations de train sont devenus monnaie courante. « Aujourd’hui, il y a tellement de compagnies ferroviaires, que pour traverser le pays en train, c’est un vrai cauchemar logistique. »

Aux Philippines, ce sont les services de santé qui sont les plus touchés par les privatisations. Le gouvernement, sous la pression de la Banque mondiale, a restreint le budget de la santé au point que de plus en plus de personnes modestes ne peuvent plus se soigner. Les personnels hospitaliers formés par le pays, quittent en masse celui-ci pour rechercher une stabilité financière à l’étranger. Les plus riches peuvent profiter de soins performants dans des hôpitaux privés flambant neufs, pendant que la majorité de la population souffre par manque de soins.

On suit le parcours de Minda, une femme de Manille, qui désespérément cherche les moyens de faire soigner son fils malade des reins. On la voit obligée de choisir entre manger ou acheter des médicaments à son fils. Un hôpital lui refusera plusieurs fois une dialyse sous prétexte qu’elle ne peut pas payer. Un médecin enseignant du Quirinos Memorial Medical Centre, nous explique et nous montre, comment un patient dans un état très grave, sous intubation, respire au moyen d’un ballon-remplisseur, par faute de moyens financiers, alors qu’il devrait être placé sous assistance respiratoire automatisée. Ce sont des proches qui se relayent pour actionner le ballon 24h/24h. S’ils ne le font pas… le patient meurt !

Joseph E. Stilglitz, prix Nobel d’économie et ancien économiste en chef de la Banque mondiale, nous explique comment le FMI et la Banque Mondiale ont développé l’idéologie ultra-libérale et ont imposé leur théories aux pays émergents. A travers les fameux « ajustements structurels » qui, sous contreparties de prêts financiers, imposaient des restrictions de budgets dans des secteurs vitaux et la privatisation de pans entiers des services publics.

Le FMI n’ayant pas désiré s’exprimer à ce sujet, a fait parvenir à l’équipe qui réalisait ce documentaire, un incroyable film institutionnel. On y voit, un dessin animé, qui présente un plateau de journal télévisé de type « anglo-saxon », ou un journaliste nous présente la situation désastreuse d’un pays fictif « la Ruritanie ».

« Bonsoir, je suis Ian McFadden et vous regardez "Inside Money".

Ce soir nous nous penchons sur le cas de la Ruritanie.

Situé de l’autre côté du globe, la Ruritanie semble être un endroit idyllique. Mais ce charmant décor offre un contraste saisissant avec ce qui se trame dans la capitale. Le gouvernement dépense inutilement et emploie plus que nécessaire. Cela apporte des bénéfices sociaux essentiels, mais également de l’argent à ceux qui n’en ont pas besoin. (Qui ?)

La Ruritanie pourrait choisir de régresser en ne payant pas ses dettes aux étrangers. Mais ce n’est pas une solution à long terme. Si la Ruritanie ne fait rien, son moteur économique va finir par s’arrêter.

Bonne nouvelle : la Ruritanie a consulté le FMI et développé un plan de réformes. [...] Ce plan prévoit l’encouragement de la croissance, l’ouverture de l’économie au commerce extérieur et la suppression des barrières commerciales qui surprotège l’industrie locale et étouffe l’innovation et l’efficacité. Des entreprises publiques peuvent aussi être privatisées. Ce n’est pas facile, mais face à une telle situation, il faut serrer la ceinture.

[...] Grâce à tous ces efforts, l’économie ruritanienne devrait se redresser. La vie sera alors plus belle pour les Ruritaniens, [et leur pays sera] bientôt un membre fort de l’économie mondiale. Merci de nous avoir suivis et à bientôt. »


On se serait crus dans un mauvais film de série B, mais c’était bien réel !

Au cours du documentaire, on pouvait également voir s’exprimer Shanta Davarajan, un représentant de la Banque Mondiale. Originaire de l’Inde, le personnage à l’air de servir de caution à l’institution.

Avec des petits yeux extatiques derrières des lunettes rondes, il nous explique, après un petit rire gêné, que « La Banque mondiale aide à faire reculer la pauvreté… ». Puis il part dans une diatribe aux allures de grande messe, avec le sempiternel discours sur les bienfaits des réformes structurelles.


La soirée « Thema » se poursuivait avec la diffusion du film « Les limites de la mondialisation ».

Ce film montrait l’exemple de la Nouvelle Zélande ou la dérégulation et le désengagement de l’Etat dans les années 80, ont plongé le pays dans un tel désordre que le mouvement inverse s’est mis en route.

« En février 1998 toute la ville de Hockland est plongée dans le noir, pendant six semaines ; le moteur de la métropole économique est en panne. Pas de lumière, pas d’ordinateurs, rien… Le pouvoir politique décline toute responsabilité dans cette débâcle ».

Le parti travailliste, élu en 1999, lance une grande campagne pour redonner au gouvernement son rôle de centre du pouvoir dans le pays. Mercury Energy, la société qui gère l’électricité a est re-nationalisée.

Jim Anderson, le Ministre de l’agriculture, dresse le bilan d’une politique complètement folle directement inspirée du thatchérisme. Aujourd’hui, l’époque des licenciements de masse et des grandes manifestations est révolue. Beaucoup de citoyens néo-zélandais ont vu leur situation s’améliorer. Le taux de chômage a été pratiquement divisé par deux, passant de 7 % à moins de 4 %. Les droits des salariés et syndicalistes ont été renforcés.

Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec la logique économique du gouvernement français qui, une fois de plus, est en retard sur son époque.

Alors que tous les voyants de la logique libérale sont au rouge et que beaucoup de pays maintenant, avec le recul de nombreuses années d’expérience, en reviennent à une économie régulée par un Etat fort, nous nageons à contre-courant.

Ho ! bien sûr, Nicolas à Toulon, vient de rassurer le bon peuple. Avec son opportunisme habituel et un aplomb digne des plus grands illusionnistes, notre sauveur national est venu nous dire, « Le marché tout puissant, qui a toujours raison, c’est fini ! ».

Alors même que toute sa politique, depuis son accession au pouvoir, n’a fait qu’appliquer à la lettre le manuel du bon petit soldat libéral du FMI : privatisation d’EDF/GDF, mise en place de la privatisation de la Poste, dérégulation du développement des grandes surfaces et du marché commercial, désengagement de l’Etat dans les secteurs de la santé et de la justice, révision du code du travail…

Sans parler de la situation de la SNCF, dont, je le concède, le gouvernement sarkoziste n’est pas responsable, mais pour laquelle le démantèlement décidé à la fin des années 90, en deux entités : SNCF et RFF (Réseaux Ferrés de France), prépare le réseau à l’ouverture à la concurrence.

Alors oui, bien sûr, c’est vrai que la politique française ne fait qu’appliquer les directives de la commission de Bruxelles et que partout en Europe cette politique libérale est en œuvre.

Une seule question reste alors :

Qu’attendons nous pour quitter cette Europe de Bruxelles complètement déconnectée de la réalité économique et de l’intérêt des peuples ?

Une coupure de courant, peut-être...

Jean-Marie S. pour E&R