Voilà un cas de droit, de droit moral. Beaucoup de Français sont confrontés, devant leur habitation, à l’apparition d’une créature nouvelle, pure production (de masse) du néolibéralisme : le SDF, le sans domicile fixe, le clochard contemporain. Devant le problème qui surgit à sa porte, le Français moyen dispose en réalité d’un choix très limité de comportements.
Comme toujours devant une agression, en l’occurrence visuelle et morale, on oscille entre la lutte, la fuite ou l’inhibition (de l’action). C’est pourquoi on peut aborder ce problème sociologico-mathématiquement.
Les salauds, qui protègent leur conscience des agressions du monde sauvage, vont immédiatement appeler non pas le 15, pour signaler la souffrance d’un frère humain, mais le 17, la police, afin qu’elle dégage l’impudent des lieux, qu’il aille poser le problème de conscience ailleurs. Ainsi, le SDF va d’expulsion en expulsion.
Il y a deux espèces de salauds : le salaud passif, qui passe son chemin, regarde ailleurs et continue sa vie, et le salaud actif, plus rare, qui appelle les flics ou qui met un coup de pompe dans le mourant social pour lui signifier son mécontentement. On l’a vu faire, on peut le dire, ça existe. Cela nécessite un certain courage, mais ce faisant, le salaud actif évacue le problème de son esprit et de ses yeux en intervenant pour son seul confort moral. Pas pour l’Autre, évidemment.
Les humanistes, eux, vont être pris au piège. Dans la catégorie humaniste, on trouve l’humaniste passif et l’humaniste actif, celui qui produit de l’indignation et/ou de l’empathie et celui qui passe à l’action.
L’humaniste passif accepte l’idée de la souffrance de l’autre sous ses yeux, et en cela il pense avoir accompli une sorte de devoir moral envers Dieu, auquel il ne croit plus vraiment, sinon envers la société ou la justice des hommes, qui a remplacé Dieu. Il n’y a plus non-assistance à personne en danger puisqu’il a pensé à l’Autre, qu’il passe chaque jour devant lui avec un pincement au cœur, une sorte de partage de souffrance, peut-être un soulagement pour le mourant social, mais c’est pas prouvé. La pensée empathique est donc calquée sur le moment du croisement. Plus loin, elle s’efface. L’humaniste passif s’en sort donc par un système d’acceptation d’une petite souffrance morale qui vaut soutien distanciel au SDF.
L’humaniste actif, lui, va parler à l’Autre (qui vient d’une autre planète, la planète hors société), lui apporter réconfort, et tenter de trouver une solution, même provisoire, car en général, il y a peu de solutions. Cela dépend du nombre d’années passées dehors, qui comptent généralement triple dans une vie. On met autant de temps à se sortir de la rue qu’on met de temps à se nettoyer les poumons des années de clopes fumées. Les cas de rédemption sont rares, parce que le problème se situe non pas dans la rue, ou dans le travail, mais bien dans l’enfance.
@reelmediaofficiel P2-2 « 1/4 des SDF est passé par l’Aide sociale à l’enfance » Fondée en 2020, l’association "les ombres" vient en aide aux jeunes placés. Forte d’un réseau de plus de 800 bénévoles sur l’ensemble de la France, elle les aide à s’insérer sur le plan académique et professionnel.
Or, on ne peut pas soigner une enfance comme ça, avec quelques décimètres de phrases ou quelques grammes d’empathie. Le problème SDF n’est pas non plus politique puisque le politique l’a expulsé, le problème, donc le SDF, de sa sphère d’action. C’est un problème politique renvoyé dans la gueule du citoyen, qui n’y peut pas grand-chose. C’est donc un problème insoluble. On voit ainsi des gens mourir sur le trottoir, et on s’y fait, ce qui est une forme de solution. On ferme ses émotions et ça passe, pas crème, mais ça passe.
Pourtant, l’État loge des centaines de milliers de migrants. On pourrait se dire, le problème SDF pourrait être réglé facilement en mettant les SDF à la place des migrants dans les hôtels.
L’invasion migratoire ! pic.twitter.com/Seq0u6G33r
— catalpa (@HChalvignac) May 25, 2025
Migrants et SDF sont misérables, mais ne subissent pas le même sort : les uns sont globalement repêchables ; les autres, pratiquement, non. Le problème ne se situe pas au niveau social, mais bien personnel : le migrant rompt avec sa famille dans un but lucratif, tandis que le SDF quitte sa famille sans but, quand elle ne le met pas dehors.
C’est la rupture familiale qui fait le SDF, souvent suivie, ou précédée, par une rupture mentale. Cette fracture qui les jette sur le trottoir est un véritable handicap, et on ne peut pas soigner uniquement le symptôme. Inversement, le migrant en veut, que ce soit du boulot ou du fric, ne se fait pas dessus, n’est pas alcoolique. Il est utilisable par le libéralisme, pas le SDF. C’est la différence fondamentale. L’un est le charbon, l’autre le déchet du libéralisme.
Vous avez déjà vu un SDF faire des livraisons à vélo pour quatre euros la course ? Loin de nous l’idée de remplacer nos SDF par des migrants, puisque de toute façon ces deux catégories de population misérables s’ajoutent : ils ne sont pas du même quart-monde.