La littérature d’un peuple est le reflet de sa puissance et de ses aspirations. La France produisit des moralistes sous Louis XIV, c’est-à-dire des écrivains qui eurent la prétention d’énoncer des vérités intemporelles, encore considérées comme référence dans le monde « occidental » quatre cents ans plus tard. La Fontaine et ses fables par exemple est indépassable.
Après l’immense XIXe siècle, la littérature française changea de paradigme suite à la victoire des Alliés le 8 mai 1945. Tous les écrivains dénommés ensuite fascistes furent peu à peu mis au ban, en n’étant tout simplement plus édités ou mis au programme du collège ou de l’agrégation. Qui aujourd’hui a lu Maurras, la figure majeure des intellectuels de 1900 à 1950 ? Ou Cousteau, Drieu, Brasillach [Sapaudia, NDLR] ? Un Nuremberg ou la terre promise s’organisa dans la littérature.
On inventa Jean-Paul Sartre, qui n’était qu’un écrivain parmi d’autres, souffrant de son physique disgracieux, comme figure tutélaire de la pensée française, donc mondiale encore à l’époque.
Pour ce faire, il dut publier en 1947 l’inattendu Réflexions sur la question juive, écrit quasi kabbaliste où, en 200 pages, Sartre explique que l’antisémitisme est une maladie qui n’existe que dans la tête du non-juif parce que le juif a été circoncis, et qu’en abolissant cet acte, l’antisémitisme disparaîtrait, sans savoir qu’il dit en avance les mêmes propos que le Dr Roger Dommergue, qui, lui, considérait ce traumatisme du huitième jour comme source de tous les maux du peuple juif, faisant disparaître toute émotion à celui qui en était victime. Attention, c’est du niveau PSG en finale de la Champions League ; comme disent les jeunes, vous êtes pas prêts.
Le propos de Sartre, qui reste un brillant écrivain, n’est plus politique, ne propose plus un système de pensée et d’analyse globale de la société comme Balzac, Flaubert ou Céline, mais disserte sur l’absurdité de la destinée humaine, en dansant et couchant dans les cafés de Saint-Germain. Ainsi dans Le Mur, merveilleuse et courte nouvelle, le héros sacrifie ses amis et se libère en donnant leur cache, en pensant égarer les enquêteurs. Moralité, on est responsable de ses actes.
Le nouveau moralisme du siècle sera la vie est absurde, on est responsable toujours, sans jamais aborder les questions sociales, économiques, raciales, historiques… On est proche de la masturbation et de la passivité féminines. On poussa même le vice à l’opposer à Camus, écrivain du même ordre qui mais décida dans ses œuvres que si la vie était absurde, il fallait tenter d’agir et non pas de s’y résigner, comme le propose Sartre. Du wokisme bien avant l’heure. Ne plus se poser aucune question sérieuse, mais se regarder le nombril, et profiter de la vie, économiquement et sexuellement pour la paire Sartre-Camus. Il théorisa cela dans ce livre de référence, Qu’est-ce-que la littérature ? (1948), que tout étudiant se doit de connaître depuis soixante ans. En résumé, l’artiste doit se soucier de l’art, pas de message politique.
Quatre-vingts ans après la Libération de la France et de la littérature, les petits enfants de Sartre, et de Proust surtout, débattent sur YouTube. Philippe Vilain parle maintenant de ses écrits chez le petit vieux respectable Frédéric Beigbeder.
Vilain a connu la célébrité car il fut l’amant d’Annie Ernaux – ce dont tout le monde se fiche –, fille symbolique de Sartre et de Beauvoir. Une demi-bourgeoise de province promue grande écrivaine, car femme, racontant ses malheurs imaginaires et ses envies de « venger sa race » de pauvre, alors qu’elle vient d’un milieu bourgeois, qu’elle passa le CAPES, très rémunérateur à son époque, et surtout la célébrité venue, sa sexualité, souvent le seul sujet sur lequel écrivent les femmes. Lire le chef-d’œuvre ultime du genre, Le Ravissement de Lol. V. Stein, de Duras, souvent au programme de l’agrégation, on aimerait savoir par qui, et pourquoi ? Là est la vraie question, qui décide des programmes du collège, et de ceux de l’agrégation de lettres modernes ? Plus grand-chose de littéraire, mais de la propagande depuis la maternelle.
Si Ernaux est la fille de de Beauvoir, Vilain pourrait être le petit-fils de Sartre, un nouveau Rastignac qui ne séduit plus de belles et grandes bourgeoises, mais qui s’accouple avec une féministe de vingt-huit ans de plus, pour sortir de la misère en étant ainsi publié, en racontant des livres sur rien – comme Flaubert le prône finalement : « Ce qui me semble le plus beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style » –, c’est-à-dire sur sa relation avec Annie. Flaubert mentait, en plus du style il a parfaitement décrit la modernité, son analyse de la modernité, finissant par le suicide de Bovary en 1857 – qui n’ayant plus le lavoir pour occuper ses journées devint complètement conne –, et préfigure le suicide de le l’homme blanc. Le fond et la forme ne font qu’un.
Philippe Vilain, que je rencontrais souvent à l’époque en Sorbonne – cherchant contact avec des étudiantes –, qui malheureusement ne picolait pas pour cause de traumatisme alcoolique paternel, reste un honnête homme. Il me disait souvent : « Tu sais, moi j’écris pour cinq ou six mille femmes du Ve et du VIe arrondissements ». Conscient de tout cela, il loue encore, dans cette vidéo, Sartre et Beauvoir, pour avoir obtenu, on ne sait comment, le poste enviable de professeur de littérature à l’université de Naples, pour parler de rien, d’un concept qu’il a forgé, celui d’autofiction, un truc entre le roman et la réalité, jamais trop compris le concept, mais qui ne doit parler de rien. Pas d’enfant évidemment, car on ne procrée pas, donc on se demande ad vitam – Ernaux a 85 ans –, ce qu’était cette relation dont tout le monde se fout.
Avec une telle littérature de combat, on repense aux mots toujours définitifs de Céline – qui a écrit le plus grand roman pornographique de l’histoire, antithèse de l’œuvre d’Ernaux-Vilain où l’on brode sur une relation amoureuse, Londres –, sur le fait que les Gaulois ont laissé vingt mots à notre langue, les nouveaux envahisseurs laisseront peut-être le mot merde, on sera bien content encore. Le XXe siècle littéraire fut à partir de 1932 un combat entre le futile brillant incarné par Proust, sa description de l’homosexualité et du pouvoir juif encore réfréné – voir l’explication de Bardèche sur Du côté de Guermantes, par opposition à Du côté de chez Swann – et la recherche de la totalité, Le Voyage de Céline.
Quatre-vingts ans après la guerre, la littérature de Proust a gagné. Hors Céline, on ne lit plus que de la littérature sexuelle. De femmes : Despentes et Baise-moi ; de la pédophilie ou éphébophilie avec Matzneff – qui écrit bien néanmoins ; et de la gérontophilie avec Philippe Vilain.
La France est passée de La Fontaine à Céline, de la bataille de Rocroi le 19 mai 1643, le début de sa domination, au 8 mai 1945, la fin des haricots ; d’une source inépuisable d’écrits, pour finir en Sartre et en Vilain – prochain Nobel de littérature après Sartre et Ernaux ? On est proches de la disparition, la littérature française participe à l’Agenda 2030. Houellebecq et Soral ne font d’ailleurs qu’acter de cette réalité, de cette avancée vers le rien. Si, comme on se demandait au début, la littérature d’un peuple est le reflet de sa puissance et de ses aspirations.