Egalité et Réconciliation
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Textes de sections du SU paru dans la Vérité 56 - 57

Il n’est pas habituel que La Vérité, revue théorique de la IV° Internationale, publie des textes de groupes affiliés ou sympathisants du Secrétariat unifié. Cependant, ces derniers mois, de tels groupes à travers le monde, en réaction à la politique du SU en Italie et au Brésil, ont été amenés à prendre position.

Partageant ou pas telle ou telle analyse développée dans ces textes, la rédaction de La Vérité a estimé nécessaire pour contribuer au débat de publier des extraits de trois d’entre eux (pour des raisons de place, nous ne pouvons les publier intégralement, mais nous les mettrons à la disposition de tous nos lecteurs qui le souhaiteraient).

Il s’agit d’extraits d’un texte de Socialist Democracy (section irlandaise du Secrétariat unifié) daté du 19 mars 2007, d’un texte du Comité central de l’OKDE (section grecque du Secrétariat unifié), daté du 9 mai 2007, et d’un article de Marc Vassiliev, daté du 6 juin 2007, publié sur le site internet du « Mouvement socialiste Vperiod » (Russie) et dans la revue publiée à Moscou, Levaja Politika.

Extraits d’un texte de Socialist Democracy (section irlandaise du Secrétariat unifié) daté du 19 mars 2007.

DECLARATION :

Scandale au sein de la IV° Internationale. Le Brésil arrive en Europe

Les politiques de ‘pluralisme’

Karl Liebknetch était un membre actif de la Deuxième Internationale, le mouvement socialiste de masse, qui domina la politique européenne avant la Première Guerre Mondiale. En 1912 Liebknecth fut élu au Reichstag en tant que membre de l’aile gauche du SPD. Il s’opposa à la participation de l’Allemagne à la Première Guerre Mondiale, mais vota les crédits de guerre en suivant la ligne du parti. Cependant le 2 Décembre 1914 il se trouva être le seul membre du Reichstag à voter contre la guerre, contrairement aux 110 autres membres de son propre parti. (…)

Au cours des deux dernières décennies la Quatrième Internationale a appuyé un nouveau genre de mouvement ouvrier International (…) Cette tragédie a frappé au Brésil, quand l’organisation de la Quatrième Internationale de ce pays appelée comme nous, Démocratie Socialiste (DS) chuta à droite. Après des décennies d’activités en tant qu’aile gauche du Parti des Travailleurs, conduit par le populiste Lula, la DS s’est retrouvée détentrice de ministères dans un gouvernement de coalition avec des représentants de la droite capitaliste avec un programme réactionnaire agréé entre Lula, la Banque Mondiale et le FMI.

Il s’en suivit une période de confusion au cours de laquelle la DS se trouva avec un pied dans la Quatrième Internationale, l’autre dans un gouvernement capitaliste. Des personnalités au sein de la DS, qui contestèrent cette ligne furent exclus et eurent du mal à obtenir un soutien international. Notre propre point de vue peut être trouvé sur :

http://www.socialistdemocracy.org/O...

La question Brésilienne a été « résolue » en ce sens, que la QI soutient désormais le nouveau courant oppositionnel. Cependant, il n’y a pas eu de rupture franche avec la DS, et plus important encore, aucune analyse de ce qui conduisit la DS à sa trahison, ni comment elle résultait nécessairement de la ligne politique suivie par la direction de la QI.

L’échec politique a eu des résultats prévisibles. Des éléments de la débâcle Brésilienne se sont encore produits – en Europe – en Italie.

La totalité de la direction du mouvement Italien s’est fixée pour but, la construction d’un mouvement supposé pluraliste, Rifondazione, en fait un mouvement, qui n’a pas rompu avec la politique réformiste du Stalinisme, en tant que parti de masse. La section Italienne de la QI, Bandiera Rossa, a travaillé à l’intérieur de Rifondazione avec le courant Sinistra Critica. (…)

Presque inévitablement la gauche se trouva dans un gouvernement de coalition dirigée par un social démocrate de droite, Romano Prodi. Plus inévitablement encore, Prodi, un politicien capitaliste ‘responsable’, mit en marche un programme contre lequel, il était censé s’opposer lors de son élection- une offensive néo-libérale au pays et une participation militaire à une offensive impérialiste en Afghanistan. Ceci fut soutenu par la direction du mouvement ’‘pluraliste’’ Rifondazione que la gauche avait mis des décennies à construire.

Il en résulta le chaos. En Août 2006 après une campagne internationale contre les plans de guerre du gouvernement Prodi, le leader de Sinistra Critica, Fanco Turigliatto s’associa aux autres ‘’opposants’’ à la guerre pour voter les plans de guerre dans un vote de confiance au gouvernement. Il déclara, que c’était un vote sans conséquence, dicté par le fait, que le gouvernement n’était pas encore installé.

La question refit surface en Février 2007, quand il lui fut demandé de voter à nouveau, des crédits de guerre dans un programme d’agression et d’austérité en 12 points lié à la réduction des pensions et à l’extension d’une base militaire US en Italie. Il s’abstint au moment du vote et proposa sa démission au sénat. La décision conduisit à la démission de Prodi, à la chute du gouvernement et à la décision de Rifondazione d’exclure Turigliatto.

Un appel international fut lancé pour défendre Turigliatto. Cet appel passa sous silence le fait, qu’il était difficilement acceptable de défendre l’abstention sur une question de principe, et la démission dans le but de ne pas avoir à faire face à d’autres questions de principes. Prodi décida de dissoudre le gouvernement, non pas parce qu’il était menacé par la gauche, mais plutôt parce que le fouillis de l’abstention et démission ne présentait pas de danger. Ils représentaient une opportunité de renforcer son autorité en forçant un soutien sans critique de Rifondazione et l’écrasement de la faible opposition parlementaire de gauche. Le gouvernement Prodi est désormais rétabli, plus fort qu’avant avec l’offensive néo-libérale en place au pays et l’agression impérialiste à l’étranger.

La campagne en faveur de Turigliatto s’effondra dans l’embarras à la suite de sa ’‘Lettre ouverte à ceux qui me soutiennent’’ publiée juste une semaine après son abstention, dans laquelle il annonçait sa décision de maintenir sa démission du sénat et celle que dans sa route vers la sortie, il voterait, une fois encore, la confiance au gouvernement Prodi. (…)

Une des merveilles de la tragédie grecque est l’inéluctabilité du destin. L’orbite de Rifondazione pouvait être prévue dès son origine. Ce n’est pas la première fois qu’il a soutenu un gouvernement, qui s’attaque à la classe ouvrière. Des milliers d’indices parsèment son évolution. Cette Rifondazione est la conséquence naturelle de la politique d’une Internationale, qui s’oppose au ‘’dogme’’ du programme Marxiste, réfute toute discussion sur le programme révolutionnaire comme sectaire, et encore maintient échec après échec cette méthode pour construire une quelconque alternative cohérente en faveur de la clase ouvrière. Le Brésil en a été la conséquence. L’Italie en a été la conséquence, et il y a d’autres Italie, d’autres Brésil dans les coulisses.

Ce qui est le plus instructif est l’absence de discussion, l’absence d’auto critique au sein de l’Internationale. Certaines sections du mouvement semblent être désormais dépourvues d’outils critiques pour mener une analyse des positions en cours, des corrections à appliquer et les leçons à apprendre.

C’est pour cette raison, que nous publions notre point de vue et invitons les membres et sections de la Quatrième Internationale à en faire autant et d’y ajouter leur commentaire.

Texte du Comité central de l’OKDE (section grecque du Secrétariat unifié), 9 mai 2007.

La Quatrième Internationale en danger de mort

1. Cela fait plusieurs années maintenant que la Quatrième Internationale [SU -USec] traverse une crise profonde qui s’aggrave et s’approfondit de jour en jour. Le 15ème Congrès Mondial (février 2003), avec le changement de statuts qui a été opéré alors, a été décisif et il a déterminé, dans une large mesure, la crise de la 4ème Internationale et son cours vers la désintégration. Aujourd’hui, la question est de savoir si elle existe en tant qu’entité (en tant que structure), sans même parler d’une organisation révolutionnaire, comme le voulaient ses fondateurs, et comme les dizaines de milliers de militants révolutionnaires qui se sont battus pour sa construction, dans des conditions très difficiles. Une œuvre qu’ils ont considérée – et c’est ainsi qu’il faut la considérer – comme identique à l’émancipation du prolétariat et à la victoire de la révolution socialiste.

2. Dans le passé, la 4ème Internationale a traversé un grand nombre de crises majeures. Cependant, on ne peut comparer aucune d’entre elles avec la crise actuelle, puisque la majorité de la direction a pour but – probablement consciemment – sa désintégration (ce qu’ils confessent, de plus en plus ouvertement) et son remplacement par une Nouvelle Internationale. Les problèmes auxquels la 4ème Internationale est confrontée aujourd’hui ne sont pas seulement organisationnels, ils sont profondément idéologiques et politiques. Depuis maintenant plusieurs années, peut-être depuis le milieu des années 1980 et particulièrement depuis 1989-90, il y a un abandon graduel et continu de tous les principes de base du marxisme révolutionnaire et des acquis historiques et programmatiques de la 4ème Internationale. Les changements de statuts de la 4ème Internationale sont le produit de cette trahison idéologique et politique et ils transforment le Parti Mondial de la Révolution Socialiste en une organisation “ pluraliste ” qui se bat pour le socialisme.

Le cours de cette mutation, que la 4ème Internationale est en train de suivre, est en totale contradiction avec les principes et les tâches du marxisme révolutionnaire, la crise profonde du système capitaliste mondial, la montée des luttes de classe et les changements qui se déroulent au sein du mouvement ouvrier, ainsi qu’avec la tâche de renverser le système capitaliste et de préparer la révolution socialiste. (…)

Un cours terni par la participation de sections de la 4ème Internationale

à des gouvernements bourgeois et impérialistes

12. La majorité de la direction de la 4ème Internationale semble avoir une orientation dirigée vers les forces anti-capitalistes - c’est aussi ce que disent plus ou moins les "décisions" du 15ème Congrès Mondial. Pourtant en fait, ce n’est pas le cas. Ce qui est mis en œuvre en réalité c’est la suppression de l’objectif stratégique de construction de nouvelles sections et de la 4ème Internationale elle-même, ainsi que le remplacement de cet objectif par la construction de partis "anticapitalistes" et d’une Nouvelle Internationale. Pire encore, la tactique d’une forme spéciale de front uni avec des organisations anticapitalistes - ce qui dans la conjoncture actuelle est un élément essentiel pour le développement du mouvement ouvrier et la construction de nos organisations - a été remplacée par la fusion avec ces organisations, ou même avec des courants petits-bourgeois radicaux, qui constituent la grande majorité des cas.

La suppression des principes du marxisme révolutionnaire et des acquis tactiques, stratégiques et programmatiques de la 4ème Internationale, ainsi que la mise en œuvre d’une politique de front populaire, aussi bien quant au contenu que dans la forme, ont amené des phénomènes sans précédent pour notre mouvement, comme dans les cas flagrants des sections brésilienne, italienne et portugaise (qui ne sont pas les seules). La participation de la section brésilienne dans le gouvernement bourgeois de Lula et de la section italienne dans le gouvernement impérialiste de Prodi (il y a une légère différenciation dans l’attitude de cette dernière, récemment) - c’est-à-dire dans des gouvernements qui votent pour des mesures réactionnaires contre les travailleurs, les pauvres, les masses des couches populaires , la jeunesse et le prolétariat mondial - tout comme la participation de la section portugaise à la formation réformiste de droite du Parti de la Gauche Européenne - après avoir quitté la Gauche Européenne Anticapitaliste et s’être désintégrée dans le Bloc de Gauche - constitue une trahison complète et une honte pour notre mouvement. Les articles critiques de certains camarades - se référant exclusivement au cas de la section brésilienne - sont superficiels, ne concernent pas l’essentiel de la stratégie, de la politique et de la pratique et ne réfutent pas la responsabilité accablante de la majorité de la direction de la 4ème Internationale. Le produit des idées "nouvelles" qui dominent dans la majorité de cette direction est l’affaiblissement d’un grand nombre de sections ; la désintégration des autres dans des courants petit-bourgeois et la suppression de la lutte ouverte et indépendante pour leur construction, la fermeture des journaux et des publications des sections de la 4ème Internationale et, en fin de compte, la disparition de sections chargées d’une grande tradition et d’histoire (par exemple en Grande Bretagne, en Amérique Latine, en Australie, etc.), souvent au profit d’autres courants qui apparaissent comme trotskystes.

Le danger atteint son point culminant

14. Les 1ère, 2ème et 3ème Internationales n’étaient pas seulement un réseau de solidarité du prolétariat mondial. Elles avaient entrepris la tâche gigantesque de fournir au prolétariat mondial une stratégie, un programme, une tactique et une direction révolutionnaire, qui seraient en mesure d’accomplir le renversement du système capitaliste / impérialiste et l’avènement du socialisme. C’est l’héritage que la 4ème Internationale a reçu, non comme le légataire d’une pièce de musée, mais avec l’aspiration d’accomplir cette tâche dans les circonstances actuelles. L’histoire a justifié en théorie cette aspiration et cet effort gigantesque. Trotsky a résumé le problème de notre époque en ces termes : "La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire". Prenant cela comme guide, il a consacré les dernières années de sa vie à tenter de surmonter la crise de la direction prolétarienne, de la seule manière avec laquelle cela pouvait se faire, en construisant la 4ème Internationale.

A présent, la crise de la civilisation est plus grande que jamais dans l’histoire de l’humanité - même sa survie est en jeu - du fait de la crise de la direction prolétarienne. La désintégration du stalinisme et la mutation de la social-démocratie - c’est-à-dire des deux tendances principales du mouvement ouvrier - ainsi que d’un grand nombre de courants centristes, a aggravé cette crise depuis l’époque de Trotsky et l’après-guerre et a rendu encore plus urgente la tâche de surmonter cette crise. C’est d’autant plus vrai, parce la crise de la direction prolétarienne a imprégné le noyau ancien du Parti Mondial de la Révolution Socialiste, la 4ème International, comme cela devient évident dans les cas flagrants du Brésil, de l’Italie et du Portugal, ainsi que dans la politique de front populaire et la désintégration des sections. Le phénomène de changements formidables qui se déroulent dans les courants centristes, tels que Refondation Communiste, les Sandinistes, etc., est également significatif.

15. La majorité de la direction de la 4ème Internationale a dévié gravement - pas seulement au travers des statuts - par rapport aux principes du marxisme révolutionnaire, au programme et aux traditions du mouvement. Le danger d’une désintégration totale est désormais évident et il ne peut pas être traité ni par l’adhésion temporaire des masses, ni par la dynamique d’une ou plusieurs organisations, ni par l’activité intense et la mobilisation, ni par des mesures statutaires et organisationnelles strictes. Ce danger ne peut être traité que par un retour aux principes du marxisme révolutionnaire, qui est désormais foulé aux pieds par la majorité de la direction de la 4ème Internationale.

Avant qu’il ne soit trop tard, il est nécessaire pour toutes les sections et tous les militants qui voient les dangers :

a) de coordonner leurs efforts et d’arrêter ce cours de dégénérescence et de désintégration ;

b) de commencer un travail d’élaboration de positions politiques et d’un plan de construction des sections de la 4ème Internationale ;

c) de commencer une grande campagne pour reprendre le débat autour de la crise de la 4ème Internationale et du mouvement trotskyste ;

d) de commencer immédiatement à agir pour constituer des sections dans les pays où le mouvement a eu traditionnellement des forces, ainsi que dans les pays clés émergent du système capitaliste ["rising key-countries of the capitalist system"].

C.C du OKDE, 9/5/2007

Article de Marc Vassiliev, daté du 6 juin 2007, publié sur le site internet du « Mouvement socialiste Vperiod » (Russie) et dans la revue publiée à Moscou Levaja Politika.

Rifondazione Comunista vote la guerre

Illusions perdues

Ainsi la majorité de ceux qui sympathisaient avec le Parti de la Refondation Communiste d’Italie (RC, « Rifondazione Comunista ») sont en état de choc et totalement désorientés. Ses députés et ses sénateurs membres de la coalition dirigeante « Union de centre gauche » ont définitivement voté pour le financement de l’opération militaire en Afghanistan avec participation du contingent armé italien et pour l’envoi de troupes italiennes au Liban, ainsi que pour le budget néolibéral préconisé par l’Union Européenne et qui prévoit la suppression de 50 000 emplois dans l’enseignement et la réduction du budget de la santé de presque 4 milliards d’euros. (…)

En avril 2006, la coalition composée du PDC et des partis de gauche, dont la RC, battit Silvio Berlusconi aux élections. Les tenants de la théorie du « moindre mal » pouvait triompher. Mais le triomphe était terni par le très léger avantage en faveur du « centre gauche » sur la « droite ». Sur un total de 47 millions d’électeurs, Prodi ne recueillit avec « ses camarades » que 25 000 voix de plus que Berlusconi. Cela créa une situation très fragile et très instable dans les deux chambres du parlement. Et, comme les particularités du système politique italien, notamment l’élection du président et du Premier ministre, supposent l’accord des deux chambres, il devint clair qu’on ne s’en sortirait pas sans tractations secrètes en coulisse avec l’opposition, sans promesses et sans gages. En fait, le compromis par lequel les partisans de Berlusconi passés dans l’opposition se laissèrent convaincre fut l’élection de l’octogénaire Giorgio Neapolitano comme président sur proposition de Romano Prodi. Même si en Italie la fonction de président est plus honorifique que réelle, c’est lui qui joue le rôle d’arbitre suprême en cas de crise gouvernementale. Avoir l’un des siens à ce poste n’est donc pas sans importance. Et les députés communistes se condamnaient ainsi à faire de la figuration dans l’arène politique.

Boris Kagarlitski fut l’un des premiers de la gauche russe à évoquer les événements tragiques qui se sont développés en Italie avec la participation de la RC http://www.vz.ru/columns/2007/2/26/... . Il fit remarquer sarcastiquement : « Une règle bien connue de la société bourgeoise est que si les communistes et les socialistes créent trop de problèmes, il suffit de leur donner quelques cabinets ministériels pour qu’ils se calment aussitôt. Il n’est même pas nécessaire de leur abandonner des postes importants. Il suffit habituellement de quelques postes dans les ministères de la culture, de l’enseignement et de la sécurité sociale. A eux de se justifier ensuite devant les retraités ruinés qui se demandent où sont passés leurs avantages. » La situation en Italie après la victoire de Prodi s’avéra d’ailleurs bien plus difficile pour les parlementaires communistes. Sous la pression conjointe de leurs alliés et de l’opposition, ils étaient tous condamnés, qu’ils le voulussent ou non, à mettre en œuvre l’un après l’autre les 12 points de Romano Prodi, aussi bien dans les affaires intérieures qu’en politique étrangère. Cela se manifesta au grand jour à la fin de l’année dernière, lors de la discussion au parlement du budget néolibéral et du financement du contingent militaire au Liban « sous la bannière de l’ONU ». Sinistra Critica, associée au « Secrétariat Unifié de la IVe Internationale », la seule des « tendances trotskistes » dans la RC qui ait des représentants au parlement, se retrouva dans une situation particulièrement inconfortable. Ses deux sénateurs votèrent « pour », le leader de la fraction S. Cannavo sortant de la chambre pour afficher sa non-participation.

Une crise gouvernementale éclata néanmoins le 21 février 2007. Lors d’un second vote au Sénat sur la politique étrangère, deux sénateurs de la RC, Franco Turigliatto, membre de Sinistra Critica, et Fernando Rossi, membre du PCI, s’abstinrent. Mais même cette solution, avec une majorité très faible des « centristes de gauche » au Sénat, s’avéra précaire. Les « abstentions » furent comptabilisées dans les « contre » et il n’y eut pas de consensus. Les événements se développèrent à une vitesse vertigineuse. Romano Prodi demande immédiatement la démission du président. Neapolitano (lui-même récemment propulsé par Prodi) refuse de démissionner en proposant de soumettre la candidature de Prodi aux deux chambres. Prodi accepte à condition de rester au poste de Premier ministre avec un vote de confiance sur sa politique. Commencent des consultations parlementaires intenses. Quelques jours avant le second vote, la direction de la RC exclut Franco Turigliatto du parti pour « déloyauté » bien que dans une déclaration publique à ses partisans il ait promis sa confiance au gouvernement Prodi. Le 28 février, Prodi obtient le soutien absolu au Sénat, confirmé ensuite par la chambre basse. Et le leader du PDC revient au poste de Premier ministre avec une approbation maintenant totale. Le 28 mars, le Sénat approuve le financement du contingent italien en Afghanistan. L’Afghanistan devient donc (avec le Liban et le secteur de Gaza) l’une des principales lignes de dépense prévues par le décret parlementaire sur la politique étrangère. (…)

Que s’est-il passé en réalité ? L’un des dirigeants du « Secrétariat unifié », Alain Krivine (dont les partisans en Italie sont tombés dans cette situation peu enviable) a déclaré : « Si nous votons contre le gouvernement Prodi, nous frayons la voie au retour de Berlusconi. Toute la presse et les médias se demandent si les trotskistes seront la cause du retour de Berlusconi. » Oui, malheureusement, on trouve en politique ce genre de situation « ou bien… ou bien… ». Une autre question est de savoir si cette situation doit prendre ses participants au dépourvu, ou bien si la politique comme « art du possible » suppose la prévision sociale et politique, ainsi que l’élaboration d’actions alternatives, sinon des années à l’avance, du moins quelques mois. Mais même dans cette situation apparemment sans issue, on peut poser une autre question rhétorique : que vaut-il mieux pour la gauche, perdre les élections devant la droite, ou rester au pouvoir et faire une politique de droite à la place de la droite ? (…)

La « Sinistra Critica a pris un autre chemin. Le sénateur dissident Franco Turigliatto, avant d’être exclu de la RC pour son abstention lors du vote au Sénat, a publié une lettre ouverte à ses partisans, largement diffusée par les canaux du « Secrétariat unifié ». Elle commençait par ces mots : « Chers amis et camarades ! J’attends en ce moment que le Sénat accepte ma lettre de démission, que je n’ai pas retirée et ne retirerai pas. En même temps, dans l’attente [de cette acceptation], je dois accorder un “gage de confiance” au gouvernement Prodi. Je dois expliquer les raisons qui m’incitent à accorder ce “gage de confiance”, que je peux définir comme des raisons “techniques” [! ?], mais je rejette en même temps tous les “12 points” de Prodi. Et j’expliquerai très clairement au Sénat qu’ils ne peuvent compter sur mon approbation de la mission en Afghanistan… » Après une série de phrases sur le fait que son acte n’était pas un « geste politique » ou un « désir de provoquer une crise gouvernementale », Turigliatto ajoutait : « Si le Sénat refuse ma démission, que ce soit pour tout le temps. Tant que je serai au Sénat, je voterai contre la guerre parce que le mot d’ordre “Non à la guerre !” et le lien avec le mouvement ouvrier constituent le moteur de mon action politique et ont toujours été “l’alfa et l’oméga” de la perspective de classe et anticapitaliste. » Comment a voté Turigliatto le 28 mars, nous n’avons pas pu l’éclaircir, mais c’est un fait que le Sénat a refusé sa démission. Au moment où j’écris cet article, le site web du Sénat de la République Italienne informe que le sénateur F. Turigliatto, passé après son exclusion de la RC dans une autre fraction du Sénat, est membre de quatre commissions sénatoriales, dont la commission pour la justice et la politique de l’Union Européenne. Un autre dirigeant de « Sinistra Critica », Salvatore Cannavo, après maintes « abstentions », a finalement voté le 28 mars contre le financement des mesures militaires en Afghanistan. Il faut cependant donner deux précisions. Premièrement, après le « vote de confiance » accordé par le parlement, Prodi disposait d’une telle majorité absolue qu’il était maintenant trop tard pour sauver l’honneur du révolutionnaire. Deuxièmement, Cannavo était député de la chambre basse où la coalition dirigeante avait la majorité absolue et la direction de la RC acceptait avec condescendance sa « dissidence » qui restait sans conséquences organisationnelles.

Dans ce contexte, on peut comprendre Alain Krivine, l’ami politique de Turigliatto et Cannavo, quand il s’exclame : « C’est une situation insupportable et heureusement que je ne suis pas en Italie. » On peut penser qu’un homme qui a l’expérience révolutionnaire de 68 comprend ce que signifie marier l’eau et le feu : conserver « les mains propres » et sa conscience révolutionnaire de marxiste, et en même temps la fidélité aux manœuvres des sommets du parti, dont la signification répond à une logique directement opposée. Mais, malgré tout, quand Krivine exprima cela en novembre 2006 à Moscou, au congrès du Mouvement socialiste « Vperiod », la situation en Italie n’avait pas atteint son point d’ébullition. Peut-être aurait-il fallu se rendre là-bas, essayer d’influencer les choses, modifier quelque-chose ? Comme s’il avait prévu la question, Alain Krivine précisa : « C’est une question complexe. En tout cas, la Quatrième Internationale n’a pas de centralisation. Nous discutons entre nous, mais nous prenons une position commune claire quand il y a danger de trahison. En ce qui concerne les choix tactiques, l’organisation du pays doit décider ce qu’elle a à faire, car elle connaît mieux les problèmes de ce pays. » Il est indubitable qu’il est plus facile de critiquer de l’extérieur que de le faire soi-même. Mais espérons que la discussion pour savoir où finissent les choix tactiques et où commence la trahison se mènera dans le « Secrétariat unifié » avec la participation des camarades italiens. Je me permettrai d’exprimer mon avis : le principe organisationnel autonomiste de décentralisation adopté dans la RC et largement repris par le « Secrétariat unifié » est bien bon pour les « forums sociaux » où la « discussion est tout et les décisions communes, rien ». Il est bon pour la construction de mouvements internationaux « insubmersibles » où chaque organisation du « réseau » est une « chose en soi », un microcosme à moitié perméable. Mais ce principe cesse de fonctionner dans une situation où il faut prendre des décisions politiques et il a constitué (du moins sous la forme où il existait dans la RC et fut adopté par Sinistra Critica) un frein évident à la discussion politique et a fait que les combinaisons ont pris le dessus sur les principes idéologiques. (…)

Personnellement, je ne ferai pas un geste pour poser une couronne de martyr sur la tête du sénateur communiste qui s’est d’abord abstenu lors du vote des crédits de guerre, puis a accordé « pour des raisons techniques » son vote de confiance au gouvernement qui propose ces crédits. Pour exposer cette idée dans le genre grotesque, à quoi ressembleraient les esclaves romains s’ils n’avaient pas pris pour sauveur Jésus crucifié, mais… Ponce Pilate qui s’en lavait les mains et que l’empereur Tibère, comme on le sait, a tout de même chassé du poste de procureur de Judée.

Les opposants nous diront peut-être : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. » Turigliatto, à la différence de Ponce Pilate, n’avait pas assez de pouvoir pour modifier le cours de l’histoire. Certes, mais nous répondrons : quel pouvoir avaient les cinq dissidents qui sont sortis en 1968 sur la Place Rouge pour protester contre l’envoi de troupes en Tchécoslovaquie ? Eux non plus n’ont pas modifié le cours de l’histoire, mais ils ont créé de nombreuses années à l’avance une image de combattants pour le mouvement dissident en URSS, même lorsque son contenu s’est fortement éloigné de ce qu’il était au début. Curieusement, en lisant dans Inprecor l’article sur l’assemblée de Sinistra Critica, avec tout mode majeur mesuré de la gauche, je me suis souvenu de la ballade de Galitch :

« Le temps consciencieux, immortel potier

Penché sur son tour chante la mitrailleuse.

Mais les tanks s’avancent sur la place Venceslas

Et notre train blindé est déjà devant Hradčany !

Mais la chanson s’enfle : « Convulsez-vous de brasiers ! »

Cendre et braise, où que tu pose le pas.

Se convulsent les nuits de brasiers à Ostrava,

Dans les forêts de Mordovie et la steppe kazakhe. »

… Apparemment parce que les navires de guerre du contingent italien avancent en direction de l’Afghanistan, pour le moment…