A partir de là, et dans sa perspective de long terme, il avait besoin de la France (l’Italie seule ne faisant pas le poids) pour boucler la Méditerranée, une fois expulsés définitivement les Britanniques de Gibraltar, de Suez et du Proche-Orient, sauvegarder ce secteur ainsi que servir de bouclier atlantique. Il en a fait très longuement état, lors d’un entretien privé à Berchtesgaden (11 mai 1941), à Darlan à qui il avait proposé (pour l’après-guerre) la création d’une marine européenne dont la France prendrait le commandement (il le disait à un amiral de France, ce qui fut perçu par ce dernier comme une simple habileté tactique).
Cependant il est un fait établi que tant que la question militaire n’était pas réglée, celle de l’organisation politique de l’Europe après la guerre l’était encore moins. Hitler la laissait volontairement en suspens pour se ménager le soutien, dans son effort de guerre, de ceux qu’il considérait comme les États piliers (hormis ses alliés, la France, surtout). Il faisait reposer cette pression tantôt sur l’idée qu’il croyait généreuse du "donnant-donnant", tantôt sur le rapport de forces frontal (et brutal). Or le gouvernement français était, en 1941, nettement demandeur de ces garanties politiques, pour alléger précisément la pression exercée sur la France, tout en restant attaché à la neutralité politique dans le conflit (exigence à laquelle Pétain ne voulait pas déroger). Cercle vicieux et incompréhension réciproque qui symbolisent assez bien l’écart entre d’un côté une vision où prime le politique et de l’autre un pragmatisme où le résultat dépend toujours d’un rapport de forces concret. C’est toute la différence, au fond, entre la France et l’Allemagne, qu’on observe encore aujourd’hui.
Tout cela pour dire que si en 1941 (année où tout objectivement pouvait laisser croire à une victoire de l’Allemagne), Hitler n’avait pas défini son projet politique pour l’Europe (qu’il faisait dépendre de l’issue de la guerre et de l’implication des uns et des autres), ce n’est pas après, quand le rapport de forces lui était moins favorable, que l’on peut deviner un tel projet. Tout le reste n’est donc que spéculation. [2/3]