Il n’en demeure pas moins que l’idée européenne, presque aussi vieille que l’Europe elle-même, occupait partout de nombreux esprits, avec des variantes selon les sensibilités de chacun. En France, cette idée revêtait un caractère plus abstrait, car la France est la plus vieille nation d’Europe. En Allemagne et en Europe centrale, elle était indissociable de la question ethnique. Et depuis toujours pour ainsi dire. Celle-ci se trouvait déjà au cœur de l’équilibre recherché en 1815 par Metternich et que le traité de Versailles avait purement et simplement ruiné sans lui substituer quoi que ce soit de meilleur. Alors il est évident qu’en 40-45 on se trouvait de nouveau à la croisée des chemins !
Le règlement de la question européenne s’est donc dessiné à la fin de la guerre du fait des armes et d’un noyautage précoce et habile de la part des Anglo-Américains des mouvements de résistance à l’Allemagne nazie. Il suffit d’observer la naissance (dès 46 je crois) et les premiers développements de l’Union des fédéralistes européens qui tiendra le rôle qu’on sait au congrès de La Haye de 1948, pour comprendre. Et là, tout concorde avec ce que développe Thierry Meyssan. Mais il me paraît absurde, littéralement, de prétendre, comme le fait Asselineau, que ce règlement puisse être la reprise pure et simple d’un projet nazi. Comment imaginer deux secondes, que l’Europe divisée en deux, avec un rideau de fer qui traversait de part en part une Allemagne soumise et ruinée, pût avoir quoi que ce soit de commun avec une Europe où la « Grande Allemagne » aurait été le cœur (et sans doute la tête aussi) du continent ?
Qu’un certain nombre de membres de l’élite d’une Allemagne déchue et occupée se soient ralliés à ce projet européen guidé par les intérêts américains n’a absolument rien de surprenant. Ils n’ont fait que suivre, plus contraints encore, le sort de leurs homologues des autres pays de l’Europe occidentale. Quand on voit le nombre de scientifiques allemands débauchés par les Américains, d’as de la Luftwaffe qui se sont recyclés après la guerre en consultants pour l’industrie aéronautique américaine, de militaires de la Wehrmacht qui ont intégré les structures de commandement de l’Otan (l’exemple de Hans Speidel, qui était chef d’état-major du commandant en chef de la Wehrmacht en France, pendant la guerre, et qui deviendra de 1947 à 1963 commandant des forces Centre-Europe du SHAPE, est éloquent), eh bien, on comprend mieux. [3/3]