Ah... Créon. Celui de Sophocle ou celui d’Anouilh ?
Il a une guerre civile sur les bras, Créon. Créon hérite de la démesure de deux frères. En vieillissant on se prend à comprendre Créon et à claquer des coups de badine sur le nez des Antigone. Le vieil oncle ne va pas pousser du groin dans les corps pourris des morts. Le grand-père est où il est ; il y est arrivé on ne sait trop comment et peu importe finalement aux vivants. Tous vont par un chemin ou un autre là où il est allé. Le grand-père du grand-père est de toute façon déjà englouti par le gouffre de l’oubli. Même s’il avait payé une concession « à perpétuité » en caressant l’espoir prétentieux qu’un petit petit petit fils éventuel se souvienne.
Dans mes 20 printemps déjà je prisais Créon. Les zélateurs du devoir de la mémoire des mémoires, déjà, me brisaient les patiences. Créon s’assoit sur le trône, immobile. On croit qu’il ne fait rien. Qu’il se repose et commande. Qu’il jouit en vautour du pouvoir enfin échu en sa main. Mais Créon, comme un ouvrier au seuil de sa journée, traîne le réel après lui. Les foules hystériques et les appétits chaotiques à contenir. C’est moins glamour que les révoltes adolescentes. On aime bien lancer des glaviots sur Créon.
Cependant c’est par les vertus de Créon que le monde des hommes continue de marcher. Car grâce à lui, le mort ne saisit pas le vif.