Marion Sigaut – La naissance de la République (5/8)
12 février 2019 16:31, par martin dupontComprendre la Révolution de 1789 (2)
Ainsi, dans la première hypothèse, les trois ordres doivent se réunir dans trois chambres séparées où elles produiront trois discours distincts. Mis en compétition sous l’arbitrage du Roi, ces trois discours devront conduire à une seule conclusion à ratifier en séance plénière.
Dans la seconde hypothèse, tous les députés doivent se réunir dans une seule salle où ils produiront un seul discours qui se trouvera nécessairement en compétition avec l’opinion du Roi.
De sa position d’arbitrage, le Roi tombera alors dans celle du veto.
Ces deux modes de scrutin sont deux langages diamétralement opposés, deux manières contraires de sentir, de déduire et de décider : le langage des ordres et le langage du calcul. Et ils produisent, à eux seuls -nous le savons maintenant- deux mondes dont les valeurs de référence s’excluent totalement : celui de l’Ancien Régime, qui tient sa source du verbe, et celui de la Révolution, qui tient sa source du nombre.
Il est capital de bien comprendre comment on peut faire produire à un même ensemble d’hommes autant de votes -de langages- différents qu’on leur impose de modes de scrutins différents. Tout comme, avec les mêmes pierres, on peut faire n’importe quelle forme de bâtiment.
En soi, ce ne sont pas les hommes qui votent, mais le mode de scrutin, dans le même rapport que ce ne sont pas les pierres qui font le bâtiment, mais l’architecte.
Au début de la Révolution, un incident exceptionnel a justement permis de montrer clairement comment la même assemblée peut produire deux votes opposés suivant qu’elle vote en masse ou par petits groupes.
Quand la question des droits de l’homme fut mise en délibération dans les trente bureaux qui divisaient l’Assemblée, vingt-huit la rejetèrent.
C’est à ce moment que le député-avocat Bouche proposa que la discussion fut faite par l’Assemblée réunie.
Et cette même question qui avait été repoussée séparément, fut acceptée en masse. « Elle fut alors adoptée d’après les cris et les menaces des tribunes. » (Marquis de Bouille).
Mais qui s’étonnera que l’attitude de l’homme soit différente dans l’intimité d’un groupe où il compte, et dans une vaste assemblée menaçante où il ne compte pas ?