La chute de Rome est-elle le résultat de l’abêtissement de sa population ?
21 juillet 2023 19:24, par MivilleJe ne suis pas d’accord avec la raison la plus alléguée pour la chute de Rome : la ville se serait trop livrée aux plaisirs de la chair et de l’art sensate, à la dolce vita, et aurait en conséquence perdu la virilité et la lucidité nécessaires à la préservation de son empire et de son existence même.
En réalité la civilisation latine, dès les premiers temps, quand les Étrusques étaient encore dominants, fut toujours, à en juger par les fresques et les objets, sensate, fellinienne, éprise de menus plaisirs en tout genre, tout comme de produits des arts d’agrément : les vertus militaires et civiques ne firent que se rajouter en sus et il ne faut jamais oublier qu’une des raisons majeures de l’expansion durable de l’empire, et de la nostalgie qu’il laissa une fois décomposé, fut d’apporter malgré tout et tout aux régions conquises des plaisirs qu’elles ne connaissaient pas, contrairement à Carthage qui imposait partout l’appât du gain comme seul moteur légitime de toute action un peu sur le mode anglo-américain.
Les moments de plus grande apogée de l’Empire en art militaire, en politique et en créativité artistique sont très précisément les mêmes que ceux des plus grandes débauches et frénésies épicuriennes. Les deux pôles lumineux et boueux vont de pair du temps de Plaute à celui de Marc-Aurèle, un peu selon le principe que le péché et la grâce surabondent en synchronie. On a observé la même synchronie lors de la Renaissance italienne : les traits de puissance, de créativité et de décadence vont de pair.
Au moment de la décadence politique finale et terminale qui s’installe pour de bon après la mort de Marc Aurèle il n’y a plus de dolce vita, il y a au contraire de plus en plus exclusivement des talents de type militaire mais exercés pour des raisons de plus en plus exclusivement mercenaires, mafieuses, non plus idéalistes, sur la toile de fond d’une morale qui condamne de plus en plus toute culture et tout menu plaisir comme un signe de faiblesse coupable dont profiter chez la victime.
Contrairement à ce qu’on peut penser c’est la religion païenne d’état qui se ressent en premier le plus de cette transformation qui ne se fait pas pour le mieux. En fait le triomphe assez atypique de la chrétienté est venu adoucir et différer le mouvement vers toujours plus de militarisation et d’écrasement de toute douceur de vivre : la principale religion concurrente qui devait monter était celle beaucoup plus brutaliste et "jihadiste" de Mithra, venue de Perse.