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Au Bouthan, l’immigration est incompatible avec le « Bonheur national brut »

Par Christian Bouchet

Enchâssé entre la Chine et l’Inde, de la taille de la Suisse mais dix fois moins peuplé, le royaume bouddhiste du Bhoutan est sans doute l’une des nations les plus surprenantes du monde. Longtemps dirigé par un monarque démocrate, qui imagina, il y a trente ans, le concept du “Bonheur national brut” et qui fit de la préservation de l’environnement une priorité nationale, ce pays a trois bêtes noires : l’immigration, le tourisme et la liberté religieuse.

Tardivement rattaché à l’orbite britannique – le royaume ne signa un traité de protectorat avec la Grande-Bretagne qu’en 1907 – et totalement indépendant depuis 1949, le Bhoutan n’entre réellement dans l’histoire contemporaine qu’en 1972, avec l’accession au trône de Jigme Singye Wangchuck. Seulement âgé de 17 ans, le monarque engage alors son pays sur la voie du monde moderne. Cependant, il constate rapidement que l’exposition du Bhoutan aux idéologies politiques et aux valeurs démocratiques typiques des sociétés actuelles est source de dissensions. Il décide donc de pratiquer une politique de modernisation qualifiée de “voie de développement mesuré” et de relever le défi de la modernité en sauvegardant les valeurs et l’héritage culturel de son peuple.

En 1974, Jigme Singye Wangchuck imagine ainsi le concept du Bonheur national brut, un bonheur collectif qui repose sur quatre “piliers” : la préservation de la culture, celle de l’environnement, le développement durable et la bonne gouvernance.Mais le jeune roi prend vite conscience que la réalisation de ce Bonheur national brut n’est possible que dans une société ethniquement et culturellement homogène. Or le Bhoutan, peu peuplé, est une terre d’émigration pour nombre de Népalais hindouistes.

Le monarque va donc prendre un certain nombre de décrets. Le premier, intitulé “Une nation, un peuple”, décide que la nationalité s’acquiert selon le droit du sang. Il est édicté avec un effet rétroactif et a comme conséquence immédiate que 800 000 habitants du Bouthan (sur une population de 1,4 million) sont privés du jour au lendemain de leur citoyenneté. Mais ce n’est pas tout, d’autres décrets réduisent d’une manière très stricte la possibilité des touristes d’entrer dans le pays, imposent un strict dress-code (en public, seul le port de la tenue traditionnelle bhoutanaise est autorisé), interdisent la pratique d’une autre religion que le bouddhisme, ordonnent la fermeture des temples hindouistes et des missions, et décident que seule la langue dzonkha sera enseignée dans les écoles et pratiquée dans les administrations.

Il va sans dire que les émigrés Népalais, qui représentaient alors de 60 à 70 % de la population acceptèrent avec difficultés ces mesures et entreprirent de résister. L’armée fut chargée de ramener le calme, ce qu’elle fit sans état d’âme et nombre d’immigrés préférèrent alors rentrer au pays.

L’impossibilité d’échapper au monde

Ces problèmes réglés, le roi interdit totalement le commerce du tabac au Bhoutan, instaura des systèmes éducatif et de santé gratuits et mis en place une administration d’une qualité impressionnante au sein de laquelle la corruption n’existe pas, chose rarissime sous ces latitudes.

De plus, Jigme Singye Wangchuck, décida au tournant du millénaire que son pays était mûr pour la démocratie. Il rédigea lui-même la constitution remplaçant la monarchie autocratique par une monarchie parlementaire, la fit adopter et, en décembre 2006, abdiqua en faveur de son jeune fils, Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, le chargeant de continuer son œuvre. C’est ce dernier qui organisa les premières législatives du Bhoutan en mars 2008, lors desquelles les électeurs plébiscitèrent le Parti vertueux, monarchiste, qui obtint 45 des 47

sièges à pourvoir. La presse internationale relata avec surprise que l’opinion publique ne voyait pas l’utilité de ces élections. “Tout marche si bien : pourquoi changer les choses ?” s’étonnaient les Bhoutanais interrogés par les journalistes.Tout va-t-il donc pour le mieux au Bhoutan ? Incontestablement. Du moins en apparence. Cela étant, chacun sait que le sel ronge toujours l’acier. De ce fait, le monde moderne mine, inexorablement, ce qui fait la spécificité du pays.

Ce n’est pas tant la création, ces dernières années, de groupes subversifs et anti-monarchistes comme le Parti communiste bhoutanais, l’Union des étudiants révolutionnaires bhoutanais ou le Parti du peuple bhoutanais, qui posent de réels problèmes. Les sources du danger sont plus perverses. La télévision, introduite en 1999, influe sur les mentalités et dresse les jeunes générations contre les anciennes. Pire, le grand vecteur du changement est le téléphone cellulaire, introduit en 2003. Les jeunes passent maintenant des heures à y jouer à des jeux vidéo ou à y surfer sur Internet, découvrant d’autres manières de vivre et de penser, au grand désespoir de leurs aînés. Le Bonheur national brut survivra-t-il à ces fléaux ? Certains Bhoutanais en doutent, et nombre d’entre eux souhaitent que l’actuel monarque fasse comme son père preuve de sévérité et qu’il soit à l’initiative de nouveaux décrets qui fermeraient le pays aux plus inutiles des inventions technologiques.

Christian Bouchet, pour la revue FLASH

 
 






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