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Dossier spécial E&R – Le pape et l’empereur : les origines médiévales de la faillite européenne

Laurent Guyénot

La Rédaction d’E&R vous propose de découvrir la première partie d’un dossier spécial intitulé Le pape et l’empereur : les origines médiévales de la faillite européenne rédigé en exclusivité par Laurent Guyénot.

La seconde partie est accessible aux contributeurs au financement associatif de la Rédaction d’E&R à partir de 2 euros/mois.

 

Sommaire du dossier

Partie 1 :

- Introduction
- Les Carolingiens et la donation de Constantin
- La dynastie ottonienne et les débuts prometteurs de l’Empire

 

Partie 2 :

- Les Saliens et la querelle des Investitures
- Les ambitions impériales de la papauté
- L’éclat des Hohenstaufen
- Épilogue

 


 

Le pape et l’empereur : les origines médiévales de la faillite européenne

 

La brillante civilisation européenne du Moyen Âge n’a jamais atteint son unité politique. C’est pourquoi son histoire est un état de guerre quasi permanent entre ses différents États, culminant dans son autodestruction au XXe siècle, par ce qu’Ernst Nolte appela la « guerre civile européenne ». La cause principale de cette faillite structurelle fut la lutte entre les papes et les empereurs durant le Moyen Âge classique (XIe-XIIIe siècles). Ce long article raconte les grandes étapes de cette histoire, pour en dégager une nouvelle perspective sur l’identité et le destin de l’Europe.

 

Introduction

L’Europe fut une civilisation. On qualifie parfois cette civilisation européenne de germano-romane. Mais de Charlemagne jusqu’à, disons, le XVIe siècle, la civilisation européenne, c’était surtout « la chrétienté ». Le christianisme européen avait pour capitale Rome, et pour langue le latin. Mais cette unité n’était, en principe, que religieuse. Rome était le siège de la papauté, et le latin la langue de l’Église, connue seulement d’une infime minorité. L’Europe avait donc une unité religieuse, mais elle n’avait pas d’unité politique.

Contrairement à toutes les autres civilisations, l’Europe n’est jamais parvenue à la maturité d’un corps politique structuré. Autrement dit, l’Europe n’a jamais été un empire, sous quelque forme que ce soit. Après la tentative avortée de l’Empire carolingien, trop bref et trop obscure pour qu’on puise bien distinguer la réalité de la légende, l’Europe s’est progressivement cristallisée en une mosaïque d’États indépendants.

D’ailleurs, ce qu’on appellera l’État-nation est une invention européenne, dont les contours commencent à se dessiner au XIIIe siècle. Avant le Moyen Âge, il n’y avait que deux sortes d’États : les cités-États, et les empires. « Soit la cité-État devenait le noyau d’un empire (comme Rome), soit elle restait petite, faible militairement, et tôt ou tard la victime d’une conquête. » [1]

En plus du christianisme, les principautés d’Europe étaient réunies, durant tout le Moyen Âge, par les liens familiaux de leurs souverains, qui résultaient d’une diplomatie fondée sur les alliances matrimoniales. Mais cette communauté de foi et de sang n’empêchait pas les États d’être des entités politiques séparées, jalouses de leur souveraineté et toujours désireuses d’étendre leurs frontières.

 

 

En l’absence d’une autorité impériale supérieure, cette rivalité engendra un état de guerre quasi permanent. L’Europe est un champ de bataille toujours fumant. Si l’on pense à l’Europe comme une civilisation, alors il faut voir ses guerres comme des guerres civiles. C’est ainsi, d’ailleurs, que l’historien allemand Ernst Nolte analyse encore les deux conflits européens du XXe siècle [2]. Ni la religion commune, ni les liens familiaux n’ont empêché la civilisation européenne de se déchirer avec une haine et une violence inouïes. Rappelons qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, le roi George V, le kaiser Guillaume II et le tsar Nicolas II étaient cousins germains et tous chrétiens.

L’objectif affiché de la « construction européenne » à partir des années 1950 a été de rendre ces guerres européennes impossibles ou tout au moins improbables. Mais ce projet fait figure d’anachronisme, puisqu’il démarre à une époque où la civilisation européenne est, pour ainsi dire, morte. Elle s’est, en fait, livrée corps et âme à la nouvelle puissance impériale des États-Unis. Comble d’ironie, l’anglais est devenue de facto sa langue internationale, alors que l’Angleterre n’a jamais été pleinement intégrée à l’Europe et n’en fait plus partie aujourd’hui. En réalité, l’anglais manifeste l’hégémonie culturelle des États-Unis, soit un Empire étranger – bien que de souche européenne.

L’Union européenne n’est soutenue par aucune « conscience de civilisation » – au sens où l’on parle d’une « conscience de classe ». Bien des gens se sentent encore habités par leur nation, car comme disait Ernest Renan, « une nation est une âme, un principe spirituel » [3]. Mais personne n’est habité par l’Europe, car l’Europe n’est pas perçue comme un être organique doté d’une « individualité » et d’un destin propre.

Faute de l’apprendre à l’école, les Européens ne connaissent même pas leur histoire. Et ce n’est pas nouveau. Il n’y a jamais eu de grand récit européen pour faire communier dans une même fierté tous ces peuples vivant à l’étroit dans la même péninsule. Chaque pays a son petit « roman national », ignoré ou contredit par les romans nationaux de ses voisins. Le Français moyen ignore presque tout de l’histoire de l’Allemagne, car on lui a enseigné l’histoire de France, un peu l’histoire du monde, mais jamais l’histoire de l’Europe.

Il y a certes quelques mythes partagés. Charlemagne par exemple. Mais les querelles de chapelle qu’il suscite illustrent précisément la difficulté : comme si Charlemagne devait être soit français, soit allemand. L’autre mythe européen est celui des croisades. Mais celles-ci illustrent tout aussi précisément l’incapacité des Européens du Moyen Âge à s’unir sur un projet de construction européenne. Par les croisades, les papes ont envoyé les Européens se battre pour une ville du Moyen-Orient, que se disputaient déjà deux autres civilisations (la byzantine et l’arabo-musulmane), leur enjoignant de mourir pour Jérusalem comme si leur propre civilisation en dépendait. On peut difficilement imaginer un projet plus anti-Européen. Ces expéditions n’ont d’ailleurs fait qu’exporter au Moyen-Orient les rivalités nationales. Les croisades, il est vrai, font un beau récit, mais c’est surtout un grand mensonge, puisque leur seul résultat durable fut la destruction de la chrétienté orientale et la réunification du monde musulman, bientôt organisé en un nouvel Empire ottoman qui allait rogner une partie de l’Europe.

Passé le Moyen Âge, il n’existe d’autre « roman européen » que des récits affligeants de guerres fratricides. Au fond, l’idée de « civilisation européenne » se confond, dans les esprits, avec le Moyen Âge.

 

 

Et c’est logique. L’Europe a été une civilisation brillante durant le Moyen Âge classique (XIe-XIIIe siècles). Mais parce que cette civilisation médiévale ne s’est pas unifiée politiquement, elle s’est fragmentée en plusieurs micro-civilisations, qui chacune allait mener son propre jeu impérial. Nous avons donc eu, au XIXe siècle, un empire français, puis un empire britannique et un empire allemand. Mais ce furent des empires coloniaux. Ayant échoué à créer un empire chez eux, les Européens ont exporté leurs rivalités dans des conquêtes de prédations. Et finalement, ils ont engendré la civilisation et l’Empire américains, une engeance monstrueuse née dans le génocide et l’esclavage qui, telle le monstre de Frankenstein, allait revenir détruire son progéniteur.

D’où l’hypothèse énoncée par l’historien Caspar Hirschi que l’histoire européenne est caractérisée par une rivalité entre des centres de pouvoirs luttant pour la suprématie impériale sans jamais pouvoir l’atteindre.

« Une culture politique impériale, dictée par l’idéal d’un pouvoir universel unique hérité de l’Antiquité romaine, coexiste au sein d’une structure territoriale morcelée, où chacune des grandes puissances est de force similaire (l’Empire, la papauté, la France, l’Angleterre, et plus tard l’Aragon). Dans la chrétienté romaine, cela a conduit à une compétition intense et sans fin pour la suprématie ; tous les grands royaumes visaient la domination universelle, mais s’empêchaient mutuellement d’y parvenir. » [4]

Les nations seraient le résultat accidentel et anachronique de cet échec, et le nationalisme ne serait, au fond, qu’« un discours politique construit par des empires potentiels en échec chronique, contraints de se livrer bataille pour se tenir à distance » [5].

Hirschi n’identifie pas le mécanisme qui a empêché une puissance de l’emporter dans cette compétition. Posons donc la question : que s’est-il passé ? Ou plutôt, que ne s’est-il pas passé ? Car enfin, partout ailleurs, lorsque des États atteignent un certain stade de développement, ils s’animent d’une énergie expansionniste, une « volonté de puissance », et la compétition finit toujours par la victoire d’une puissance sur les autres et la soumission volontaire ou forcée de ces dernières, qui adoptent les dieux, la culture, la langue, la capitale et la monnaie de la puissance victorieuse. Les facteurs qui décident quelle cité ou quelle ethnie va remporter l’empire sont multiples. La géographie impose ses contraintes, et la vitalité des peuples – ce que Lev Goumilev appelle passionarnost, la « passionarité » – joue son rôle. Il reste une part d’imprévisible : pourquoi Rome plutôt que Carthage ? On peut en débattre, mais le fait est que l’une des deux devait nécessairement l’emporter et que l’espace méditerranéen devait être unifié politiquement.

Seule la chrétienté européenne est restée une civilisation sans État, un peu comme un corps sans tête.

Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas été un empire ? Ce n’est pas par manque de volonté, et Hirschi a raison sur ce point : l’Europe a désiré ardemment être un empire, mais elle n’y est pas parvenu. Les peuples aspiraient à cet idéal, synonyme à leurs yeux d’unité, de paix et de prospérité. Il faut éviter de comprendre cette notion d’Empire de manière anachronique. Comme l’explique Ernst Kantorowicz dans sa magistrale biographie de Frédéric II de Hohenstaufen :

« L’Empire universel du Moyen Âge ne supposait pas un assujettissement des peuples à la domination d’un seul d’entre eux, mais signifiait plutôt que la communauté des rois et princes de tous les peuples et pays de la chrétienté était soumise à un empereur romain unique n’appartenant à aucune nation et à toutes et qui, étant extérieur à toutes les nations, devait trôner dans la ville éternelle et unique. » [6]

Même lorsque, après la chute des Hohenstaufen, cet idéal semblait définitivement perdu (détail à la fin de cet article), il continua de faire rêver l’Europe. Le plus grand génie européen de son temps, Dante Alighieri, plaidait en sa faveur dans La Monarchie (c. 1310) :

« Le genre humain se rend le plus parfaitement semblable à Dieu quand il est le plus parfaitement un. En effet la vraie raison de l’unité est en Dieu seul. Or, le genre humain est le plus parfaitement un quand tout entier il s’unifie en un seul : cela ne peut exister qu’au cas où il est soumis dans sa totalité à un seul prince, c’est l’évidence même. » (I, VIII, 1-4)

Il manque donc à la thèse de Caspar Hirschi une explication du facteur inhibiteur qui a empêché l’unification de l’Europe. Mais il y a surtout une erreur dans sa perception de la dynamique européenne. La compétition pour l’empire n’a pas été, comme il l’écrit, entre « l’Empire [romain germanique], la papauté, la France, l’Angleterre, et plus tard l’Aragon ». Jusqu’au milieu du XIe siècle, seul l’Empire romain germanique revendiquait la souveraineté impériale. C’est alors qu’émerge un autre pouvoir indépendant qui lui conteste cette souveraineté : la papauté. Pendant près de trois siècles, la compétition entre l’empereur et le pape domine toute la politique européenne. L’Europe entière fut entraînée dans cette lutte, des chancelleries aux champs de bataille. Aucun autre facteur n’est comparable en intensité et en importance.

Bien que la papauté semblait avoir gagné la partie à la fin du XIIIe siècle, elle fut finalement battue par le roi de France, qui entre-temps avait profité de cette lutte pour former le premier État européen centralisé. En définitive, au début du XIVe siècle, ni l’empereur ni le pape ne sont plus en mesure de régner sur l’Europe. Ce n’est qu’après ce double échec que la France, puis l’Angleterre et enfin l’Espagne, se mettent à manifester des velléités impériales et entrent dans une compétition qui ne peut désormais plus être gagnée, et qui va laisser l’Europe désunie à jamais.

Par conséquent, on peut dire que c’est la papauté qui, en coupant les ailes de l’Empire et le réduisant au rang d’une nation parmi d’autres, a fondé cet équilibre instable qu’est devenue l’Europe. Telle est la thèse que je vais développer. La politique impériale des papes à partir du XIe siècle est la raison pour laquelle l’Europe n’est pas devenue un empire – au sens médiéval d’un « royaume de royaumes », comme l’était Byzance – et n’a donc pas bâti les fondations de sa future unité politique. Les papes issus de la réforme grégorienne ont, de manière délibérée et persistante, empêché l’expansion de cet empire germanique, que l’Europe entière désignait comme l’ « Empire romain » et qui était alors, pour des raisons géographiques aussi bien qu’historiques, la seule puissance capable d’unifier politiquement l’Europe.

Ce faisant, la papauté a eu pour stratégie de consolider les autres États émergents, tout en empêchant l’un quelconque d’entre eux de l’emporter à son tour. Par exemple, à la fin du XIIe siècle, la papauté, inquiète de la puissance des Plantagenêts, va soutenir le roi de France Philippe Auguste contre Jean sans Terre ; mais, aussitôt après la défaite de ce dernier à Bouvine, il prend son parti contre Philippe Auguste, en interdisant à celui-ci de débarquer en Angleterre [7].

Cette « politique d’équilibre » des papes était un moyen et non un but. L’objectif ultime des papes n’était pas de créer une « Europe des nations », mais l’Empire du Vatican. Ce projet fut conçu par un groupe de moines juristes dont la première figure centrale fut le clunisien Hildebrand. Le cardinal Pierre Damien, qui l’a bien connu, l’appela un jour « saint Satan ». Devenu pape sous le nom de Grégoire VII en 1073, Hildebrand énonça les grandes lignes de son programme dans les 27 propositions de son fameux Dictatus papæ, où l’on peut lire par exemple : « Seul le pontife romain est dit à juste titre universel. […] Lui seul peut user des insignes impériaux. […] Le pape est le seul dont tous les princes doivent baiser les pieds. […] Il lui est permis de déposer les empereurs. » L’objectif n’a pas changé pendant plus de deux siècles. Cent trente ans après Grégoire VII, Innocent III déclarait siéger au dessus des rois parce que « Le Seigneur a donné à Pierre non seulement le règne de l’Église universelle, mais aussi le règne du monde entier ». Le jour même de sa consécration en 1198, il déclarait :

« Je siège au-dessus des rois et mon trône est celui de la gloire de Dieu ; et c’est à moi en effet qu’il est dit, selon le prophète : "je t’ai constitué au-dessus des nations et des royaumes pour que tu déracines et détruises, anéantisses et renverses, construises et plantes" (Jé 1,10) ; c’est à moi aussi qu’il est dit selon l’Apôtre : "Je te donnerai les clefs du royaume des cieux et tout ce que tu lieras sur la terre sera aussi lié au ciel", etc. (Matt 16,19). » [8]

C’est une grossière erreur de considérer ces paroles comme métaphoriques. Les moyens mis en œuvre pour les concrétiser démontrent qu’elles doivent se comprendre à la lettre. Ces moyens incluaient l’excommunication et la déposition des souverains qui refusaient la suprématie du pape. Le bilan d’Innocent III inclut l’excommunication d’un empereur, de sept rois et d’innombrables seigneurs [9]. « Son ambition, écrit Thomas Tout dans The Empire and the Papacy, était de briser les limites traditionnelles qui séparaient l’Église de l’État et de lier le plus grand nombre possible de rois d’Europe à la papauté par des liens de vassalité politique. » [10] Innocent III apparaissait à beaucoup de ses contemporains comme le verus imperator.

Contrairement à l’empire des rois allemands, le projet impérial du Vatican ne pouvait pas réussir, car il ne reposait sur aucune légitimité historique, juridique ou évangélique. Sa seule justification, nous le verrons, était un faux fabriqué dans les chancelleries du pape : la donation de Constantin.

Le premier coup d’arrêt fut une célèbre gifle infligée en 1303 à Boniface VII, celui qui avait proclamé, tout simplement : Ego sum Caesar, ego imperator. Philippe le Bel le fit juger pour hérésie, sodomie et sorcellerie, et secoua le joug. La Bohême se révolta au siècle suivant (révolte des Hussites). Puis ce furent les princes allemands qui répondirent à l’appel de Luther (À la noblesse chrétienne de la nation allemande, 1520).

 

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Jean Huss et son disciple Jérôme de Prague, brûlés vifs par l’Église romaine, sanctifiés par l’Église orthodoxe

 

L’empire pontifical ne pouvait pas réussir, mais son accomplissement durable est d’avoir fait obstacle au seul empire qui pouvait réussir.

Mais faut-il parler de « faillite » ? On peut, après tout, voir au contraire dans l’ordre européen des nations une grande réussite. Il faut donc distinguer deux questions. La première est : l’unité politique de l’Europe était-elle possible, voire inévitable sans l’interférence de la papauté ? Cette question peut être résolue par une étude historique objective. C’est ce que nous allons faire. La seconde question est subjective : l’unité impériale de l’Europe était-elle souhaitable ? Tout dépend alors du point de vue adopté. Le nationaliste répondra tout naturellement qu’il est heureux que l’Europe n’ait pas été un empire, car alors les nations n’auraient pas existé – ou très peu. Thomas Tout peut donc écrire : « Le conflit de la papauté et de l’empire [...] a rendu possible la croissance des grands États nationaux du XIIIe siècle, d’où devait venir le salut ultime de l’Europe. » [11]

Mais de quel salut parle-t-on ? Celui d’une Europe mise à feu et à sang pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453), puis les guerres d’Italie (1494-1559), puis la guerre de Trente Ans (1618-1648) ? Disons ici un mot des deux dernières. Les guerres d’Italie entre François Ier et Charles Quint étaient le prolongement des conflits médiévaux entre les empereurs et les papes pour le contrôle de l’Italie du sud (Royaume de Sicile ou de Naples) et de l’Italie du nord (royaume lombard ou royaume d’Italie). Elles mirent toute l’Italie à feu et à sang et culminèrent dans le sac de Rome par les mercenaires de Charles Quint en 1527. La ville éternelle fut livrée au pillage pendant près d’une année. La visitant un demi-siècle plus tard, en 1581, Michel de Montaigne témoigna :

« Ceux qui disaient qu’on y voyait au moins les ruines de Rome en disaient trop ; car les ruines d’une si épouvantable machine rapporteraient plus d’honneur et de révérence à sa mémoire ; ce n’était rien que son sépulcre. » [12]

Ce sépulcre de Rome était aussi celui de l’idéal médiéval de l’empire. Car tous les « empereurs romains » médiévaux, d’Otton Ier à Frédéric II, s’étaient fixé comme objectif de redonner à Rome son rôle de capitale de l’empire. Mais ils s’étaient toujours heurté à la résistance farouche des papes, qui invoquaient la fausse donation de Constantin pour interdire à l’empereur d’y résider.

La guerre de Trente Ans fut elle aussi une répercussion lointaine de la lutte des papes contre l’empire des rois allemands, luttes au cours desquelles la France fut souvent l’alliée de la papauté. Cette guerre, qui dépeupla l’Allemagne aux deux tiers, fut en grande partie orchestrée par le cardinal Richelieu qui, en opposition avec la Reine mère qui dut s’exiler, s’allia aux protestants (luthériens comme calvinistes) pour ruiner les Habsbourg catholiques, qui régnaient aussi sur l’Espagne. Cela, écrit Richelieu dans ses Mémoires, était

« pour le bien de l’Église et la chrétienté, parce que la monarchie universelle, à laquelle aspire le roi d’Espagne, est très préjudiciable à la chrétienté, à l’Église et au pape, la raison nous montrant qu’il faut pour le bien de l’Église qu’il y ait balance entre les princes temporels, en sorte que dans leur égalité, l’Église puisse subsister et se maintenir en ses fonctions et en sa splendeur. » [13]

 

En réalité, la guerre de Trente Ans accoucha d’une Europe qui n’avait plus rien de chrétien. « En l’espace de trois décennies, écrit Arnaud Blin, l’univers géopolitique européen est complètement transformé. L’idée médiévale d’une Europe chrétienne unifiée fait place à un échiquier politique que gouverne un nouveau mécanisme de relations internationales fondé sur les rapports de forces, l’équilibre des puissances et l’amoralisme de la realpolitik. » [14] La paix de Westphalie, dont la règle est « qu’aucun État ne doit devenir assez puissant pour que tous les autres États ne puissent ensemble s’opposer à lui » [15], enterra toute possibilité pour le Saint-Empire romain germanique de régner sur l’Europe.

Le « système westphalien » apporta-t-il enfin la paix à l’Europe ? Bien au contraire. Ce qu’il a inauguré, Montesquieu l’a décrit dans De l’esprit des lois, un siècle plus tard (1748) :

« Une maladie nouvelle s’est répandue en Europe : elle a saisi nos princes et leur fait entretenir un nombre désordonné de troupes. Elle a ses redoublements et elle devient nécessairement contagieuse car sitôt qu’un État augmente ce qu’il appelle ses troupes, les autres soudain augmentent les leurs, de façon qu’on ne gagne rien par là que la ruine commune. Chaque monarque tient sur pied toutes les armées qu’il pourrait avoir si ses peuples étaient en danger d’être exterminés ; et on nomme paix cet état d’effort de tous contre tous. » [16]

Pour payer ces armées, il faut toujours plus d’impôts et toujours plus de dette. On sait à QUI tout cela a profité, durant les guerres napoléoniennes et celles qui se sont succédée sans interruption depuis. Pour rester désunie, l’Europe s’est vendue aux banques.

En supposant que les nations européennes puissent un jour se libérer du parasitisme financier, pourront-elles vivre en paix tout en étant souveraines ? Non, pour une raison bien simple : le monde est maintenant constitué d’empires, et aucune nation ne peut rivaliser avec les empires. Sans unité politique, l’Europe sera toujours le jouet d’un empire étranger ou d’un autre. Aujourd’hui, elle est inféodée à l’empire américain par l’OTAN. Bruxelles est une succursale de Washington.

Pour se libérer de cette domination, l’Europe n’a, dans l’état actuel des choses, pas d’autre alternative que de s’allier à la puissance impériale russe – car la fédération de Russie est bien un empire, et une civilisation. Les européistes de la mouvance Nouvelle Droite qui disent que l’Europe doit craindre autant la Russie que les États-Unis sont des idéalistes encore plus inconséquents et dangereux que les nationalistes. Le réaliste ne voit pas d’alternative entre l’Amérique et la Russie, car il n’y en a pas. Le réaliste ne renonce pas à l’Europe, mais il fait le pari que l’amitié avec la Russie, et l’adhésion à son projet de multipolarité, sera beaucoup plus favorable au développement de l’Europe que la domination américaine.

Enfin, le réaliste admet que l’Allemagne, et non la France, reste le moteur et le leader naturel de l’Europe. Il ne s’agit pas seulement d’économie. La civilisation européenne, dit-on, est romano-germanique ou germano-romane, mais ce qu’elle a produit de plus élevé et de plus profond est allemand. L’Europe ne pourra renaître en tant que civilisation que si l’Allemagne trouve la force de résister au racket de Washington et s’allie durablement à la Russie, cette alliance dont Bismarck avait fait la pierre angulaire de sa politique étrangère. C’est d’ailleurs de l’Allemagne que la Russie est la plus proche culturellement.

Ces considérations préliminaires étant posées, il me reste à démontrer la thèse énoncée, à savoir que le principal responsable de la désunion européenne fut la papauté durant le Moyen Âge classique, qui recouvre ce qu’on nomme la réforme grégorienne. Ce sera l’objet de ce long article. J’y retracerai les grandes étapes de cette lutte épique et tragique entre les papes et les empereurs, dont les plaies ne furent jamais refermées.

La papauté sera considérée uniquement comme pouvoir politique, ce qu’elle fut incontestablement. Il ne sera aucunement question du christianisme en tant que système de croyance, ni même en tant que pratique religieuse. La papauté et la religion du Christ sont deux choses distinctes – certains diront antinomiques. Et d’ailleurs, jusqu’à Grégoire VII, « la papauté avait été quasi absente de la vie des chrétiens extérieurs à Rome » [17].

 

Les Carolingiens et la donation de Constantin

Commençons par le commencement. Comment est née la civilisation médiévale européenne ? On admet généralement qu’elle est apparue sur les ruines de l’Empire romain d’Occident, dont la chute est attribuée aux invasions barbares et datée en 476, soit trois siècles avant Charlemagne. Mais l’historien belge Henri Pirenne a remis en question cette idée reçue dans Mahomet et Charlemagne, paru en 1937, et sa thèse tient toujours, à quelques nuances près.

En réalité, explique Pirenne, les invasions barbares n’ont pas détruit l’Empire romain d’Occident, parce qu’aucun des peuples « barbares » qui se sont installés sur les territoires de l’Empire n’a jamais cherché à le détruire. « Rien n’animait les Germains contre l’Empire, ni motifs religieux, ni haine de race, ni moins encore de considérations politiques. Au lieu de le haïr, ils l’admiraient. Tout ce qu’ils voulaient, c’était s’y établir et en jouir. Et leurs rois aspiraient aux dignités romaines. » [18] Ces peuples germains – Ostrogoths, Wisigoths, Burgondes et Francs – ont abandonné tout ce qui faisait leur germanité pour se romaniser entièrement. Ils se considèrent comme sujets de l’empereur – qui réside désormais à Constantinople –, frappent monnaie en son nom, et se convertissent à sa religion. « Personne ne peut douter que le Basileus qui règne à Constantinople n’étende encore son autorité théorique à tout l’ensemble. Il ne gouverne plus, mais il règne encore et c’est vers lui que se tournent tous les yeux. » [19] ; « Théodoric gouverne en son nom. [...] Clovis se fait gloire de recevoir le titre de consul. » [20] « En somme, l’Empire est resté, malgré ses pertes, la seule puissance mondiale, comme Constantinople est la plus grande ville civilisée. Sa politique s’étend à tous les peuples. Elle domine absolument celle des États germaniques. Il n’y a, jusqu’au VIIIe siècle, d’autre élément positif dans l’histoire que l’influence de l’Empire. » [21] Les évêques de Rome eux-mêmes, jusqu’au milieu du VIIIe siècle, sont encore nommés ou confirmés par Constantinople (on parle de la « papauté byzantine »).

Pirenne souligne que le caractère le plus essentiel de l’Empire romain est son caractère méditerranéen. C’est par la Méditerranée que les richesses de l’Orient atteignent l’Occident. C’est pourquoi tous les rois barbares ont eu pour objectif de se frayer un chemin jusqu’à elle. Les Francs, par exemple, ne pensent qu’à « s’installer solidement sur la Méditerranée. Dès leur installation en Gaule, les Mérovingiens avaient cherché à atteindre la Provence. Théodoric les en avait écartés. Ils s’étaient retournés alors vers l’Espagne, et avaient engagé la lutte contre les Wisigoths. » [22]

 

 

Le gouvernement de l’Empire est certes défaillant en Occident au-delà du Ve siècle, mais la civilisation romaine, dans ses aspects culturels aussi bien que matériels, domine tout le Bassin méditerranéen jusqu’au milieu du VIIe siècle.

Le vrai bouleversement n’est pas venu des invasions barbares du Ve siècle, selon Pirenne, mais des invasions arabo-musulmanes du VIIe siècle. Car contrairement aux Barbares germaniques, les Arabes avaient le projet de remplacer la civilisation et l’empire romano-chrétien par une nouvelle civilisation et un nouvel empire. Par conséquent, leur conquête de la Syrie puis de l’Afrique du Nord a détruit l’unité du monde méditerranéen. La mer « au milieu des terre » (étymologie de « méditerranée ») est devenue une mer à moitié musulmane, sillonnée par les pirates arabes. Ainsi, la navigation entre l’Europe et l’Orient cesse dès les environs de 650. « Au début du VIIIe siècle, sa disparition est complète. Plus de trafic méditerranéen, sauf sur les côtes byzantines. » [23] L’activité portuaire en Occident s’éteint. L’Europe se referme sur elle-même. Les caisses des rois mérovingiens se vident, et avec elles leur autorité.

Le nord de l’Europe centrale – l’Austrasie, la Saxe et la Frise – est moins affecté, parce que son économie est basée sur l’exploitation des grands domaines agricoles, et peu dépendante du commerce méditerranéen. C’est ce qui explique l’ascendant des Francs d’Austrasie, d’où sortiront les Carolingiens. La dynastie de Pépin le Bref va même profiter d’une intensification du commerce maritime et fluvial dans le Nord, qui compense en partie le déclin du commerce méditerranéen. « Il est certain que, dans la première moitié du IXe siècle, l’extrême nord de l’Empire, c’est-à-dire les futurs Pays-Bas, a été animé d’une navigation fort active qui contraste vivement avec l’atonie du reste de l’Empire. » [24] C’est pourquoi le centre de gravité politique de l’Occident se déplace vers le nord. « C’est en lui que réside la puissance temporelle depuis que l’islam a ruiné la Gaule méridionale. » [25]

C’est donc vers lui que se tourne Rome, où persiste l’institution de la papauté, plus ou moins confondue avec le pouvoir politique et administratif dans le centre de l’Italie.

Les papes ne sont pas les seuls à courtiser Pépin le Bref puis son fils Charles. Constantinople cherche également une alliance avec les Carolingiens. En 781, un mariage est arrangé entre le fils de l’impératrice Irène, Constantin, et la fille de Charles, Rotrude. Mais l’engagement est rompu pour cause de querelle religieuse. Le sacre de Charlemagne à Saint-Pierre de Rome au jour de Noël de l’an 800 consacre la rupture de l’Occident et de l’Orient.

La cérémonie du sacre manifeste la complémentarité entre le pape et l’empereur : le premier couronne le second, le fait acclamer par le peuple de Rome, et se prosterne devant lui. Cela est conforme au protocole byzantin, à un détail près, dont on verra plus loin l’importance : le Basileus ne tenait pas son titre du patriarche de Constantinople [26]. « À Byzance le couronnement impérial ne fut jamais qu’une cérémonie accessoire. Quand le souverain était élu par le Sénat ou l’armée (qu’il s’agît d’une acceptation tacite ou expresse, d’une intronisation légitime ou usurpée), il entrait immédiatement en possession de tous ses pouvoirs. La liturgie du couronnement, qui avait lieu parfois un an après, n’y ajoutait rien. » [27]

Autre innovation majeure par rapport au modèle byzantin : l’accord entre Charlemagne et le pape Sylvestre Ier comportait la confirmation par le premier d’une donation faite par son père Pépin le Bref, de la ville de Rome et ses environs au pape Étienne II. La « donation de Pépin » elle-même utilise comme base juridique la « donation de Constantin », probablement la contrefaçon la plus audacieuse de toute l’histoire humaine (composée dans les années 750-760), et certainement celle qui a les plus grandes conséquences.

Tout d’abord, la donation de Constantin est le fondement de la prétention du pape à régner sur l’empereur, car elle montre Constantin le Grand donnant à « Sylvestre le pontife universel et à tous ses successeurs jusqu’à la fin du monde » tous les insignes impériaux, à commencer par « notre palais impérial de Latran », mais aussi le pallium, le sceptre, le diadème, la tiare, le manteau de pourpre, la tunique écarlate, « et toute la pompe de la grandeur impériale et la gloire de notre puissance ».

Sur cette base, les papes allaient prétendre avoir reçu, de la part du premier empereur chrétien en personne, toute l’étendue de l’autorité impériale, et le droit de la conférer à l’empereur de leur choix ou de la lui retirer.

Mais pourquoi s’arrêter là, se dit le faussaire ? Il nous montre Constantin, désormais en sous-vêtements, céder au pape

« tant notre palais que la ville de Rome et toutes les provinces, localités et cités de l’Italie ou des régions occidentales au très saint pontife et universel pape Sylvestre ; et par notre pragmatique sanction, nous avons décrété qu’elles seraient contrôlées par lui et par ses successeurs et qu’elles resteraient sous la loi de la sainte Église romaine. »

Et ce serait par déférence pour le pape et pour lui laisser le plein gouvernement de l’Occident que Constantin aurait décidé de s’installer à Byzance. Sur cette base, les papes interdiront aux empereurs allemands de résider à Rome.

 

 

Comme je l’ai dit, c’est sur la donation de Constantin que s’appuie la donation de Pépin confirmée par Charlemagne. À vrai dire, des doutes planent sur l’authenticité de cette « donation de Pépin », car aucun acte n’en a été conservé [28]. Ce qui est à peu près certain, c’est que les États pontificaux furent acquis au plus tard à la fin du Xe siècle par le Privilegium Ottonianum, signé par Otton le Grand, dont l’original se trouve dans les archives du Vatican. Ce document, qui se réfère encore à la donation de Constantin (et qui est peut-être aussi un faux), accorde au pape une longue liste de domaines, parmi lesquels « la cité de Rome avec son duché », « l’exarchat de Ravenne tout entier », ainsi que la Vénétie, l’île de Corse, l’île de Sicile (alors occupée par les Sarrasins). Même si l’on excepte ces deux îles, dont l’inféodation au Saint-Siège ne fut pas immédiate, les États pontificaux font de la papauté une principauté territoriale équivalente à un duché, bénéficiant de surcroît d’une protection spéciale de l’empereur. Au XIIIe siècle, ce Patrimonium Petri sera doublé par l’acquisition du duché de Spolète sur la côte adriatique.

De plus, les terres du Saint-Siège coupent la Péninsule italienne en deux. Il suffit de regarder la carte de l’Italie pour comprendre que, dès lors qu’elle s’est appropriée ce petit royaume, la papauté sera obsédée par la crainte de le voir pris en tenaille. Son action politique aura donc pour priorité constante d’empêcher qu’un même souverain règne sur l’Italie du Sud et sur l’Italie du Nord. Par conséquent, avant même de nous demander pourquoi l’Europe n’a pas réalisé son unité politique, nous savons pourquoi l’Italie, qui fut le cœur même de l’Empire romain et demeura durant tout le Moyen Âge la région la plus riche de l’Europe, n’a jamais réalisé sa propre unité politique : l’unité de l’Italie ne pouvait se faire que par la disparition des États pontificaux, ce qui arrivera en 1859.

Considérant que tous les privilèges que s’arrogeront les papes reposent sur la donation de Constantin, il n’est pas exagéré de dire que l’histoire européenne a été, dans une très large mesure, déterminée par cette contrefaçon fabriquée dans un scriptorium de la papauté. Pas étonnant que le prêtre italien Arnaud de Brescia (1090-1155) y ait vu la main de l’Antéchrist – et ait payé de sa vie ce blasphème. Un de ses partisans nommé Wetzel écrira à l’empereur Frédéric Barberousse : « Ce mensonge et cette légende hérétique, dans laquelle on rapporte que Constantin a concédé les droits impériaux à Sylvestre, sont à ce point connus comme tels de la ville [de Rome] que même les mercenaires et les mégères ferment la bouche là-dessus aux gens les plus savants. » [29] D’autres contestations avaient certainement déjà été émises, notamment sous les empereurs Otton, mais furent étouffées par l’extraordinaire pouvoir de propagande de la papauté. Du VIIe au XVe siècle, la géopolitique européenne était tout entière conditionnée par ce gigantesque mensonge.

L’empire carolingien n’a duré qu’une quarantaine d’année, puisque qu’il est partagé une première fois entre les petits-fils de Charlemagne (traité de Verdun, 843), et une seconde fois à la génération suivante (division de Prüm, 855). On est donc en droit de se demander quelle réalité effective il recouvre – un empire de quarante ans est-il seulement concevable ? –, et quel crédit il faut accorder à ses découpages successifs dénués de logique, telles qu’ils nous sont présentés dans les manuels scolaires.

 

 

Ne nous attardons donc pas davantage sur les Carolingiens, et tournons-nous vers les Ottoniens, véritables fondateurs de l’Empire romain germanique, dont l’historiographie repose sur des sources plus solides.

 

La dynastie ottonienne et les débuts prometteurs de l’Empire

Otton le Grand est le fils d’Henri l’Oiseleur, duc de Saxe, qui en 911 fut élu roi par une coalition de princes voulant unir leur cinq duchés (Lorraine, Saxe, Franconie, Souabe, Bavière) pour faire face aux attaques des Danois, des Slaves et des Hongrois. Les noms de « Germain » et « Allemand » ayant peu cours à l’époque, on désigna ce roi de Germanie « roi des Romains », ce qui témoigne déjà d’une identification forte à la civilisation romaine, identifiée à la chrétienté.

Otton Ier est à son tour élu roi des Romains en 936. Il ajoute à son titre celui de roi d’Italie par son mariage avec la veuve du précédent roi, suivi d’une guerre de conquête (le royaume d’Italie était l’héritier du royaume lombard conquis par Charlemagne). En réunissant Italie et Germanie, il prend le contrôle des principales voies de commerce entre l’Europe du Nord et la Méditerranée.

Vainqueur des Hongrois en 955, il est perçu comme le sauveur de la chrétienté. En 962, il est couronné à Rome « empereur des Romains » par le pape Jean XII, reconnaissant de sa protection. C’est donc la sauvegarde des frontières orientales de la chrétienté, d’une part, et l’unité de l’Allemagne et de l’Italie, d’autre part, qui constituent le point de départ de l’Empire. Mais l’union effective de l’Allemagne et de l’Italie sera rendue difficile par leurs traditions politiques divergentes, l’Allemagne étant une confédération de duchés tandis que l’Italie est principalement constituée d’États-cités, parfois associées en ligues. De surcroît, la barrière géographique des Alpes que doivent sans cesse traverser les empereurs germaniques, rend leur contrôle de l’Italie difficile : ils auront les plus grandes difficultés à s’assurer la fidélité des riches villes italiennes (celles de Lombardie en particulier), dont les tendances séparatistes seront exploitées par la papauté.

Le fils d’Otton 1er, Otton II, et son petit-fils, Otton III, seront à leur tour élus rois des Romains puis sacrés empereurs, respectivement en 973 et en 996. Les Ottoniens instaurent ainsi la tradition selon laquelle les « grands » du royaume élisent leur roi, qui devient le candidat au titre d’empereur en attendant d’être sacré par le pape. En général, le roi régnant obtient, de son vivant, l’accord des « grands » pour l’élection de son fils, mais la royauté germanique reste en principe élective.

 

 

Tout en revendiquant l’héritage de Charlemagne, dont ils contribuent à façonner la légende, les Ottoniens reconnaissent et courtisent les empereurs byzantins de la dynastie des Macédoniens, et cherchent une alliance avec eux leur permettant d’étendre leur règne sur l’Italie du Sud, qui est officiellement byzantine mais menacée par les Sarrasins qui contrôlent déjà la Sicile. Otton Ier négocie le mariage de son fils Otton II avec la princesse Théophano, nièce de l’empereur byzantin Jean Tzimiscès. Otton III, le fils né de cette alliance grandit sous l’influence de sa mère et de ses conseillers byzantins.

Il obtiendra lui-même la main d’une nièce de l’empereur Basile II. Le Basileus n’ayant pas d’héritier mâle, cette alliance ouvrait la voie à une réunification des deux moitiés de l’Empire romain. Mais lorsque la princesse byzantine débarque à Bari en 1002, c’est pour apprendre qu’Otto III est mort. Il n’avait que 21 ans.

Les Ottoniens modèlent leur politique impériale sur le concept byzantin d’Oikoumene. C’est ainsi qu’ils favorisent l’émergence de royaumes chrétiens autonomes sous tutelle impériale, l’empereur devenant en quelque sorte le parrain des rois qu’il autorise à porter la couronne.

À l’Est, les Ottoniens entreprennent la christianisation des Slaves au-delà de l’Oder (Pologne et Bohême) et des Hongrois. La Bohème finira par faire partie intégrante de l’Empire, en gardant le statut de duché. Le royaume de Pologne s’éloignera de l’Empire mais restera amarrée à l’Église catholique latine. En Hongrie, sous Otton II, le roi Géza fait baptiser son fils sous le nom d’Étienne, et Otton III lui accorde la couronne royale au jour de Noël de l’an mil.

À l’Ouest, les Ottoniens prennent très tôt le contrôle de la Lotharingie (la future Lorraine, incluant l’Alsace). Otton Ier confie ce duché à son frère cadet Brunon, également archevêque de Cologne. Ainsi la Lorraine « demeura, envers et contre tout, dans l’obédience des Ottoniens et de leurs successeurs » [30]. Otton Ier marie sa sœur Hedwige au duc des Francs Hugues le Grand. À la mort de ce dernier en 954, son fils Hugues Capet est placé sous la tutelle de Brunon de Cologne. Hugues Capet est couronné roi des Francs en 987 par l’archevêque Adalbéron de Reims, également membre de la famille ottonienne, associé à Gerbert d’Aurillac, précepteur et ami d’Otton III, et futur pape Sylvestre II [31]. Ainsi, la royauté capétienne naît à l’ombre de l’Empire, avec vocation de faire partie de ce que l’on nomme à l’époque « l’ordre ottonien ».

On voit donc que, par leur politique européenne aussi bien que par leur proximité avec Constantinople, les Ottoniens se conçoivent comme les dépositaires de l’idée d’empire universel, en partenariat avec les empereurs byzantins. Otton III, en particulier, « rêvait de reconstituer l’ancien Empire romain sous la forme d’une structure supranationale regroupant tous les peuples chrétiens de l’Occident latin » [32]. Il est représenté recevant l’hommage de l’Italia, la Gallia, la Germania et la Slavia.

 

 

« Otton III était devenu tout à la fois le souverain d’un empire associant les ethnies germaniques et les Italiens, de Milan à Rome, et le chef spirituel d’un ensemble d’États où voisinaient des Slaves et des Magyars. Dans les deux domaines, l’unité respectait la diversité. » [33] Son ambition était de mobiliser une grande armée contre les musulmans afin de réunifier l’Italie du Sud et la Sicile, en accord avec les Byzantins. Il aurait alors établi sa capitale à Rome, qui aurait incarné la renaissance de l’Empire romain d’Occident. Il meurt trop tôt, et ce sont les Normands qui parviendront à s’implanter durablement en Sicile et en Italie du Sud, dans ce qu’on nommera le Royaume de Sicile ou le Royaume de Naples.

Dans leur relation avec l’Église, les empereurs ottoniens cherchent à reproduire le système byzantin dans lequel l’Église est sous la protection du Basileus, et donc le patriarche sous sa tutelle. « Par le privilège ottonien (Privilegium Ottonianum), l’empereur, tout en confirmant les droits du pape sur les États pontificaux, rappela que ce dernier, une fois élu, devait prêter serment de fidélité à l’empereur, devenant en quelque sorte son vassal. » [34] En vertu du pouvoir conféré au pape, son titre fait l’objet de convoitise et d’intrigues politiques, et il arrive que plusieurs papes se disputent le titre, ou qu’un pape soit chassé de Rome par le clergé, le peuple, ou une famille puissante qui place l’un des siens sur le trône de saint Pierre. L’intervention de l’empereur est alors nécessaire, ce qui est compliqué par le fait qu’il réside le plus souvent en Allemagne. Ainsi, Otton Ier traverse les Alpes en 963 pour déposer le pape Jean XII et nommer à sa place Léon VIII. Il exige en outre des Romains un serment aux termes duquel « ils n’éliraient ni n’ordonneraient aucun pape en dehors du consentement du seigneur Otton ou de son fils » [35]. Otton III fait désigner comme pape son cousin Bruno (Grégoire V), qui le couronne empereur en 996. À la mort de celui-ci, il fait élire Gerbert d’Aurillac, qui, en prenant le nom de Silvestre II, désigne symboliquement Otton III comme un nouveau Constantin. Sous Otton III, l’association étroite entre le pape et l’empire est fermement établie. « À Rome, Sylvestre dépendait d’Otton presque autant qu’à Constantinople le patriarche du basileus. » [36]

Les évêques sont eux aussi étroitement associés au pouvoir impérial, tout particulièrement en Allemagne où ils constituent l’armature de l’administration royale. Les archevêques sont les chanceliers de l’empire. « Les titulaires des charges épiscopales étaient associés à l’administration du royaume et faisaient ainsi contrepoids aux ducs. Les évêques devaient au roi le servitium en nature ; ils devaient fournir des contingents militaires dont ils prenaient parfois personnellement le commandement. Ainsi, l’évêque devenait-il un vassal du souverain. [...] L’évêché tendait ainsi à devenir un fief, d’autant plus que, outre les pouvoirs spirituels, l’évêque disposait d’un temporel constitué de terres et de revenus divers. » [37] Il n’est donc pas rare que des évêques soient choisis parmi les membres de la famille royale. Un frère d’Otton Ier, Brunon, fut archevêque de Cologne, et un de ses fils bâtards, Guillaume, fut archevêque de Mayence.

Ce système est un peu différent du système byzantin, car à Constantinople existe une élite de hauts fonctionnaires lettrés laïques, ce qui ne sera pas le cas en Europe avant plusieurs siècles. Les Empereurs germaniques sont entièrement dépendants, pour leur administration, de ce réseaux d’archevêques et d’évêques dont ils se réservent la nomination. Mais comme nous allons le voir, un intense conflit va naître entre la papauté et l’empereur sous la dynastie qui succède aux Ottoniens.

En conclusion, les Otton ont jeté les bases d’une structure impériale durable qui a été respectée par la plupart des princes d’Europe. Bien qu’ils soient en concurrence avec l’Empire byzantin sur certaines questions territoriales, ils estimaient avoir restauré l’unité bipartite de l’Empire romain, synonyme de chrétienté. Avant la mort prématurée d’Otton III, il était question d’unir les forces des deux empires contre les Sarrasins occupant le sud de l’Italie et la Sicile. Otton III aurait alors fait de Rome sa capitale.

Conformément au modèle byzantin, les Ottoniens sont les protecteurs de l’Église – encore comprise comme la communauté des chrétiens – et donc de l’institution de la papauté. Cependant, la donation de Constantin est le ver dans le fruit. La prétention du pape à la propriété exclusive de Rome et d’une vaste principauté va faire de lui un rival de l’empereur. La tête religieuse de cette structure bicéphale va bientôt commencer à mordre la tête temporelle.

Laurent Guyénot

 

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Partie 2 :

- Les Saliens et la querelle des Investitures
- Les ambitions impériales de la papauté
- L’éclat des Hohenstaufen
- Épilogue

 

Notes

[1] Joseph Reese Strayer, On the Medieval Origins of the Modern State, Princeton UP, 1973, p. 11.

[2] Ernst Nolte, La Guerre civile européenne. National-socialisme et bolchevisme (1917-1945), Perrin, 2011.

[3] Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, 1882.

[4] Caspar Hirschi, The Origins of Nationalism : An Alternative History from Ancient Rome to Early Modern Germany, Cambridge UP, 2012, p. 14.

[5] Ibid., p. 2.

[6] Ernst Kantorowicz, L’Empereur Frédéric II, Gallimard, 1987, Quarto-Gallimard, 2000, p. 364.

[7] Jacques Benoist-Méchin, Frédéric de Hohenstaufen ou le rêve excommunié (1194-1250), Perrin, 1980, 2008, p. 152.

[8] Julien Théry-Astruc, « Introduction », dans « Innocent III et le Midi », Cahiers de Fanjeaux 500, 2015, p. 11-35.

[9] R. I. Moore, The War on Heresy. Faith and Power in Medieval Europe, Londres, 2012, p. 229.

[10] T. F. Tout, The Empire and the Papacy (918-1273), fourth edition, Rivingtons, Londres, 1903, p. 325.

[11] Tout, The Empire and the Papacy, op. cit., p. 6 et 2.

[12] Michel de Montaigne, Journal de Voyage, Gallimard, 1983, cité ici : www.babelio.com/livres/Monta...

[13] Cité dans Arnaud Blin, 1648, La Paix de Westphalie, ou la naissance de l’Europe politique moderne, Éditions Complexe, 2006, p. 70-71.

[14] Blin, 1648, La Paix de Westphalie, op. cit., p. 5-6.

[15] Ibid., p. 21.

[16] Livre XIII, chapitre XVII, cité dans Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir. Histoire de sa croissance (1972), Hachette/Pluriel, 1998, p. 28.

[17] Jacques Van Wijendaele, Propagande et polémique au Moyen Âge : La Querelle des Investitures (1073-1122), Bréal, 2008, p. 111.

[18] Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne, 1937, Texto Tallandier, 2021, p. 23.

[19] Ibid., p. 61.

[20] Ibid., p. 34.

[21] Ibid., p. 71-72.

[22] Ibid., p. 186.

[23] Ibid., p. 162.

[24] Ibid., p. 236-237.

[25] Ibid., p. 222.

[26] Francis Rapp, Le Saint Empire romain germanique, d’Otton le Grand à Charles Quint, Seuil, 2003, p. 30.

[27] Henri-Xavier Arquillière, L’Augustinisme politique, essai sur la formation des théories politiques au Moyen Âge (première édition 1934, seconde édition 1951), J. Vrin, 1972, p. 5112-113.

[28] Le Fragmentum Fantuzzanum (publié en 1805 par Fantuzzi dans ses Monumenti Ravennati, d’où le nom sous lequel il est traditionnellement désigné), notice relatant la promesse faite par Pépin le Bref au pape Étienne II de restituer à celui-ci les terres enlevées à l’Église romaine, n’est conservé que par un manuscrit de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle.

[29] Marcel Pacaut, La Théocratie. L’Église et le pouvoir au Moyen Âge, Aubier, 1957, p. 117.

[30] Rapp, Le Saint-Empire romain germanique, op. cit., p. 95.

[31] T. F. Tout, The Empire and the Papacy (918-1273), fourth edition, Rivingtons, Londres, 1903, p. 74.

[32] Henry Bogdan, Histoire de l’Allemagne, Perrin, 1999, Tempus Perrin, 2003, p. 74.

[33] Rapp, Le Saint Empire romain germanique, op. cit., p. 71.

[34] Henry Bogdan, Histoire de l’Allemagne, Perrin, 1999, Tempus Perrin, 2003, p. 71.

[35] Rapp, Le Saint Empire romain germanique, op. cit., p. 56.

[36] Ibid., p. 69.

[37] Bogdan, Histoire de l’Allemagne, op. cit., p. 66.

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  • Dante était certes favorable à une monarchie unitaire mais certainement pas à l’Empire des nations teutoniques ! Et ce qu’on nomme "Invasion barbare" fut il est vrai en réalité plutôt une migration, mais une migration violente : Rome exerçait bien sur les Germains une sorte de fascination, ce qui n’exclut pas de leur part un réel ressentiment historique. Le nier pour les besoins de l’argumention est absurde. Enfin, article étrange pour un mouvement qui se réclame de Maurras et Bainville.

     

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    • Faut sortir de l’esprit étroit et voir la réalité ! Même si ça remet en cause tes certitudes maintes fois contredites par l’Histoire ! Les germains ont fait l’Europe à commencer par la France (Franckreich = royaume des Francs) !

       
    • Pardon, j’oubliais que le Saint-Empire fait beaucoup fantasmer les identitaires historiens du dimanche en ce moment. Mais l’histoire n’est pas un jeu de rôle Jean-Papacito. Un peuple germanique a bien donné son nom à ce pays. Merci de nous l’apprendre. Royaume des Francs, Frankenreich et non Frankreich. Mais ni l’invasion romaine, ni les invasions barbares n’ont changé les limites de la terre où l’on se sentait Gaulois. Peu importe le nom. Sors de tes phobies étroites qui te font idéaliser un empire étranger et perdre de vue le danger qu’il représente.

       
    • #3163854

      L’empereur qu’idéalisait Dante, comme tous les Gibelins, était Frédérick II Hohenstaufen, qui avait porté l’idéal impérial au plus haut. Frédérick II incarnait la vocation internationale, et non "teutonique", de l’empire : né d’un père allemand (Souabe) et d’une mère normande, il avait grandi dans le Royaume de Sicile (où il passa le plus clair de sa vie) et parlait 5 ou 6 langues. L’idée que le Saint Empire Romain était une ambition nationaliste allemande est un cliché typique de l’historiographie française. Sur les Hohenstaufen, lire la deuxième partie de l’article.

       
    • @Guelfe21. Tu as raison de te sentir gaulois, les gaulois sont des celtes, peuple germanique issu de l’actuelle Autriche, à l’origine de la civilisation de Hallstatt entre 1200 et 450 avant JC !

       
    • @Guelfe21. "Les limites de la terre où on se sentait gaulois ". Dans le village d’Astérix peut-être ! Sinon ils se sentaient tellement gaulois qu’ils sont devenus gallo-romains puis plus tard colonisés par les Francs ! Un alsacien-lorrain n’a rien de gaulois ! Quant aux gaulois ce sont des celtes à l’origine (peuple germanique) !

       
    • Pour information, Dante était un Guelfe et l’Alsace actuelle habitée par les Séquanes, peuple gaulois.

       
    • "On considère souvent que Dante, qui vit pleinement ces événements, puisqu’il fait partie de diverses assemblées politiques florentines, est guelfe blanc. En effet, il est exilé le 27 janvier 1302, à la suite d’un voyage officiel à Rome pour y rencontrer Boniface VIII ; il y est emprisonné puis s’en évade. Mais si les vicissitudes politiques de son temps et de ses relations l’obligent à s’allier à plusieurs partis, il est clair que d’un point de vue doctrinal, Dante est gibelin, comme le prouve son traité De Monarchia, qui plaide très clairement en faveur d’un empereur, unique souverain, régnant depuis Rome, avec la bénédiction du pape. Il mit d’ailleurs ses espoirs de rénovation impériale en la personne de l’empereur romain Henri VII, qui mourut trop tôt pour accomplir ce que Dante attendait de lui."
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Guelf...

       
    • Quelle incroyable révélation ! Merci wikipedia !

       
    • Il semble que l ’ "Histoire historique " ( dixit Balzac) devienne encore plus floue et difficile à connaître que l’Avenir , à mesure que le temps passe. Normal, vu l’accumulation de versions différentes selon les écoles idéologiques , clochers, romans nationaux, etc...qui se contredisent. C’est ce qui fait l’intérêt de cette discipline : elle est basée sur le principe du révisionnisme permanent, et comme l’histoire est un enjeu politique majeur...
      Le débat est donc infini et, à la lecture des commentaires, il n’apaise pas les moeurs.

       
  • Merci pour cet article, savez vous si le Saint Empire germanique est lié à des légendes concernant l’Elbe

     

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  • Aucune intelligence artificielle ne pourrait produire une telle analyse ! Par contre, la connerie naturelle se permet des critiques !

     

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  • ENFIN on va à la racine des phénomènes géopolitiques en l’occurrence européens.
    c’est brillant et convaincant !
    félicitations à l’auteur !
    merci à la rédaction

     

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  • #3164770

    Article intéressant et comme d’habitude c’est sur E&R que ça se passe, merci.
    C’est l’occasion je pense, comme le rappelle Pierre Hillard et d’autres commentateurs ici, de dire que notre spécificité se trouve dans le baptême de Clovis et à la triple donation de Saint Jeanne D’Arc.
    Alors si le génie français existe, il se trouve probablement dans la foi permise par les préceptes de Jésus (un Sémite), Christ Roi , fils de Dieu incarné en chacun de nous, et qui a su réunir Francs, Celtes, Burgondes, Wisigoths, et bien d’autres encore ici et ailleurs
    Ce génie n’est alors pas plus grec que français ou germanique, mais bien au-dessus, transcendant la pensée ultime, de Socrate à Kant en passant par Rousseau.
    Par le concept universel, qui bien avant Mahomet et l’Islam, unissait déjà bien des peuples dans une voie de syncrétisme "pré-chétien".
    Je dis souvent, par amusement et déformation professionnelle, l’"audit qualité" qu’a traversé l’Histoire à travers le récit de la vie de Jésus n’a toujours pas été entendu de tous.
    Il mérite d’être enseigné, c’est une norme si l’on peut dire.

     

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  • Pas d’accord !

    Pendant 1200 ans, entre la chute de l’Empire romain d’Occident (476) et les Traités de Westphalie (1648), l’Europe est composée de plusieurs centaines d’états indépendants (principautés, duchés, comtés, républiques, villes franches, etc). C’est cette désunion politique qui est responsable de la richesse matérielle et de la liberté politique de l’Occident. Ces états étaient en concurrence permanente pour attirer des artistes, des philosophes, des scientifiques, etc. A l’inverse, les empires chinois, indien ou ottoman étaient unis politiquement et ces empereurs tout puissants gardaient leurs sujets sous contrôle : nul besoin de laisser qui que ce soit s’enrichir ou s’émanciper, ce ne pouvait être qu’une menace pour l’empereur. La paix règne toujours dans les empires (pax romana, soumission à l’islam, pax americana aujourd’hui jusqu’au fameux slogan « l’Europe c’est la paix »).

    La richesse matérielle et la liberté politique de l’Occident sont bien dues à sa désunion politique. Le prix à payer pour la désunion politique est un état de guerre permanent entre ces centaines d’états libres. Mais ces guerres ne se faisaient pas « avec « une haine et une violence inouïes », elles n’étaient souvent que « la continuation de la politique » (Clausewitz), des disputes entre souverains liés par le sang. Et même si certaines guerres en Europe ont été meurtrières, ces souffrances ont été bien moindres que celles causées par les empereurs orientaux : en Chine des dizaines de millions de morts pour creuser des canaux ou construire la Grande muraille, dans l’Empire ottoman l’esclavage généralisé, des milliers d’eunuques, les janissaires ou les mamelouks, pratiques cruelles où des enfants slaves (étymologie d’ « esclave ») étaient capturés pour servir les Ottomans.

    Heureusement qu’il n’y a jamais eu d’empire européen et j’espère qu’il n’y en aura jamais. L’Empire romain et l’Empire de Charlemagne n’ont pas été de grands moments de l’histoire européenne, ils ont été plutôt des moments où les empereurs avaient vaincu toute opposition, avaient écrasé tout esprit de liberté, avaient découragé tout esprit d’invention. Byzance a gardé sa forme impériale et l’Europe de l’est ne s’est jamais développée. L’Europe de l’ouest a été un creuset ou se sont affrontés l’Eglise chrétienne et la noblesse d’épée. De ce creuset brûlant ont surgit des valeurs, des techniques et des arts, bref une civilisation.

     

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    • Merci, vous avez bien résumé la thèse contraire, ou plutôt complémentaire, car je n’ai pas nié que la division a été créative ; je n’en ai simplement pas parlé. C’est la thèse de Walter Scheidel dans Escape from Rome : The Failure of Empire and the Road to Prosperity (Princeton UP, 2019) : le polycentrisme, ou la « fragmentation compétitive du pouvoir », fut « la condition préalable la plus importante pour la croissance économique moderne, l’industrialisation et la domination occidentale mondiale bien plus tard."
      C’est sans doute vrai, et cette perspective mérite d’être également argumentée. Cependant, je ne crois pas que cela affaiblit ma thèse, qui est double :
      1) c’est la papauté qui, en voulant unifier l’Europe occidental (et orientale) sous son autorité, a en réalité causé sa division structurelle ;
      2) cette division nous a été finalement fatale : nostalgie mise à part, nous n’existons plus aujourd’hui sur la scène mondiale.
      En tout cas, c’est ce débat qui serait intéressant. J’aimerais bien lire un article répondant au mien sur cette ligne.

       
  • Notre problème en France est peut-être plus vieux que ça. Une version d’Alesia indique que César n’a dû sa victoire qu’à la défection de grandes tribus qu’il aurait achetées.
    La France dirigée par des traîtres dont la nature est de se soumettre à l’empire du moment, ça ressemble bien à ce que nous voyons.

     

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  • #3173528

    Le seul Empire du moyen age d Europe fut l Empire Portugais et Espagnol alors que le reste de l Europe tombait en des conflits inutiles. Les portugais firent les premiers pas d un reseau de bases mondiales suivirent les espagnols.

     

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  • Je suis étonné de trouver ici autant de préjugés.

    Pour ce qui est de l’hygiène, je ferais remarquer que jusqu’à ce que ces établissements soient fermés vers la fin du moyen-age, par l’église qui les trouvait amoraux, le pays regorgeait d’établissements de bains et d’étuves (bains de vapeur), et ils étaient très populaires sur tout le territoire. Désolé pour ceux qui trouvent un quelconque intérêt historique aux visiteurs : le franco-gaulois était propre et ça faisait déjà belle lurette qu’il n’utilisait plus les cendres de la cheminée pour se laver. Le marché des onguents était également très florissant en Gaule.

    Voir évoquer le sacre de Charlemagne à Saint-Pierre de Rome au jour de Noël de l’an 800, quand cette basilique ne sera bâtie que 8 siècles plus tard est également très exotique !

     

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  • Très beau travail, merci à Laurent Guyénot et à E&R.

     

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