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La démocratie est-elle morte avec l’assassinat de JFK ? – Entretien avec Laurent Guyénot

Laurent Guyénot nous a proposé déjà plusieurs articles dont certains sont déjà en lien avec la famille Kennedy et d’autres en lien avec le site Unz Review dont il est un des auteurs les plus populaire. Ron Unz est aussi bien connu de nos lecteurs pour son implacable American Pravda.

Pour ceux qui suivent Laurent Guyénot sur notre site ou sur Unz Review, ce livre sera sans doute le moyen de consolider leurs connaissances en une seule lecture. Pour les autres, c’est un voyage qui vous attend, dans l’Amérique des années d’après guerre jusqu’à la présidence Johnson et la guerre du Vietnam.

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Kennedy n’est pas que le nom de John Fitzgerald, JFK, mais aussi celui de son frère, de son fils, de son père, de sa femme ou encore jusqu’à nous de son neveu. C’est cette histoire que ce livre raconte et vous aurez l’occasion de prolonger cette lecture avec nos traductions récentes sur le rôle de Roosevelt dans l’entrée en guerre des USA après Pearl Harbour.

L’auteur a organisé son livre en chapitres, chacun concernant un des acteurs clés du plus célèbre des assassinats, ce jour fatal du 22 novembre 1963 à Dallas. Il y a les politiciens comme Johnson ou Ben Gourion, les agents comme Angleton pour la CIA, les auteurs directs comme Ruby et Oswald et la famille bien sur.

Sur le modèle du 11 Septembre, à chaque étape ou chaque affaire, on trouve ces personnages interlopes qui semble se trouver là pour que les choses se passent « bien ». Comment croire à de simples coïncidences quand elles sont répétées encore et encore ?

La famille Kennedy aura traversée peut-être bien malgré elle la montée en puissance de l’Empire américain et aura représentée l’exemple le plus charismatique des nombreuses tentatives de garder le contrôle de cet hégémon dans des limites raisonnables.

Ce livre après bien d’autres démontre que l’on peut lire l’histoire précise post-WWII en source quasi ouverte et que les acteurs étatiques ou para-étatiques en sont conscients à divers degrés et n’en pensent certainement pas moins. À quel moment tous ces dossiers vont-ils resurgir menaçant de balayer l’édifice médiatique patiemment construit pour enterrer les crimes de l’Empire ?

 

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Le Saker Francophone : Pourquoi le nom de Kennedy fascine-t-il encore ?

Laurent Guyénot : Plusieurs raisons se combinent. La première est bien sûr cette prétendue « malédiction » des Kennedy, avec surtout deux frères assassinés dans des circonstances mystérieuses, mais aussi d’autres « accidents » mystérieux. Mais au delà de ça, il y a l’aura du clan Kennedy, unique dans l’histoire des États-Unis, au point qu’on les voit comme une sorte de famille royale. Cette dimension dynastique a été beaucoup évoquée par la presse en 1999 à la mort du fils de John, que les Américains avaient vu grandir à la Maison-Blanche et qu’ils ont toujours perçu, après 1963, comme une sorte de Prince Hamlet, héritier légitime du trône de son père assassiné. Q-Anon a exploité ce filon en répandant la rumeur que JFK Jr n’était pas mort, ce qui prouve bien qu’il y a dans l’histoire des Kennedy une dimension mythique inscrite très profondément dans l’imaginaire américain. En dépit du discours dominant qui veut réduire l’assassinat du président Kennedy à un fait divers, les Américains ressentent, de façon confuse, que cet événement a transformé leur pays en profondeur.

En quoi la démocratie est-elle un mythe ? Et est-elle bien morte avec l’assassinat de JFK ?

On ne peut pas simplement nier que les États-Unis furent une démocratie, avec même certains mérites particuliers qu’a bien analysés Alexis de Tocqueville. Mais, comme celui-ci l’avait prédit, cette démocratie américaine s’est pervertie. Aujourd’hui, on peut dire, avec l’ancien président Jimmy Carter, que les USA sont gouvernés par « une oligarchie de corruption illimitée ». Brzezinski a bien décrit le conflit qui s’est installé entre le système démocratique et la politique impériale des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. Avec le National Security Act de Truman est né ce qu’on appelle l’État profond, le gouvernement impérial qui échappe totalement au contrôle des électeurs. Néanmoins, la démocratie américaine n’était pas encore totalement dévoyée sous JFK, qui fut l’initiateur d’une éphémère politique étrangère résolument anti-impérialiste aussi bien en Amérique latine qu’en Asie du Sud-Est et en Afrique.

On oppose souvent sionisme et judaïsme. Quel est votre point de vue ?

Le sionisme est un terme assez facile à définir, tandis que le judaïsme admet de nombreuses définitions possibles ; il est donc impossible d’émettre une affirmation définitive sur leurs relations. Il y a autant de relations entre les deux qu’il y a de juifs et de sionistes. Ce qui me paraît utile, et que j’ai fait dans mon livre Du Yahvisme au Sionisme, c’est montrer que la source commune des deux est le Tanakh (l’Ancien Testament des chrétiens). C’est la matrice du judaïsme (le Talmud n’est qu’une série de commentaires du Tanakh) et c’est aussi, pour les sionistes d’après Theodor Herzl – et certainement pour le père fondateur d’Israël, David Ben Gourion – la matrice du roman national avec lequel le sioniste prétend renouer. Les sionistes lisent dans le Tanakh le destin impérial de leur peuple et leur droit inaliénable de détruire par tous les moyens les nations qui leur sont hostiles. Leur stratégie de manipulation de l’Empire pour arriver à leur fin trouve aussi son modèle dans la Bible, avec l’histoire d’Esdras et Néhémie, que la Bible de Jérusalem qualifie à juste titre de « proto-sionistes ».

Ce qui ressort de la lecture votre livre, c’est un argumentaire à charge contre le mouvement sioniste et plus récemment les néoconservateurs. N’y a-t-il vraiment aucun autre acteur à ce drame ?

Si l’on parle du drame qui se joue depuis les années 1940 (et même depuis 1917) au Moyen-Orient, alors incontestablement les sionistes et les crypto-sionistes qui se font appeler « néoconservateurs » sont les acteurs principaux de ce drame. Le facteur le plus déterminant sur le plan géopolitique mondial est le contrôle étroit exercé par Israël sur le Congrès américain et sur la Maison-Blanche, par la corruption et le chantage. Ce contrôle, auquel la présidence de Lyndon Johnson a beaucoup contribué, explique en grande partie la politique étrangère américaine actuelle, qui peut paraître totalement irrationnelle et suicidaire si l’on ignore ce facteur. Nombreux sont les politologues américains qui souscrivent à cette analyse, depuis le livre retentissant de John Mearsheimer et Stephen Walt, Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine (2007). Malheureusement, il y a encore beaucoup de confusion en France sur les néoconservateurs. On ne peut rien comprendre aux États-Unis si l’on ne distingue pas le courant impérialiste traditionnel (représenté par le Council on Foreign Relations) traditionnellement pro-Saoud, et le courant néoconservateur, qui se pare des couleurs impérialistes traditionnelles, mais est en réalité entièrement dévoué à Israël.

Israël est-il un porte-avion fixe de la Navy où à l’inverse, l’instrument du pilotage des USA du moins de sa politique étrangère au Moyen-Orient ?

La première théorie a été martelée par Noam Chomsky et d’autres imposteurs de la gauche libérale (ceux que Gilad Atzmon nomme les « sionistes anti-sionistes »). Elle permet d’excuser Israël de tous ses crimes en les mettant sur le compte des USA. Si le projet Israël a pu être vendu aux Américains comme « bon pour l’Amérique impériale » à un certain moment, il y a bien longtemps qu’Israël est un boulet pour l’Amérique, qui est aujourd’hui ruinée moralement par son soutien pour l’entité sioniste, dont elle ne peut plus aujourd’hui se détacher. Comme l’a dit dans les années 70 le sénateur William Fulbright, qui sous les Kennedy avait tenté de limiter le pouvoir de nuisance de l’AIPAC, le Congrès américain est sous occupation étrangère. Dans une très large mesure, la politique étrangère américaine est dirigée secrètement depuis Tel-Aviv.

Que se passerait-il si un président américain déchirait le voile et balançait tout pour purger la plaie purulente ? On parle aussi des attentats du 11 Septembre 2001.

Ce serait bien, mais c’est assez peu probable. Le système électoral américain fonctionne de telle manière qu’il faut être vendu pour être élu, à pratiquement tous les échelons. Même Trump, s’il a résisté au projet néoconservateur sur certains enjeux stratégiques, s’est plié en quatre pour satisfaire Israël sur d’autres dossiers majeurs, comme la reconnaissance de Jérusalem comme capitale.

Que pensez vous de la candidature du fils de Bobby qui postule à la prochaine élection au poste de président ?

RFK Jr. fait honneur à la famille Kennedy, à son père et à son oncle – quoi qu’en disent certains membres de sa familles. Son combat contre la mafia de l’industrie pharmaceutique est héroïque, et j’ai été le premier à faire paraître une recension détaillée de son livre sur Anthony Fauci (« Fauci et la Grande arnaque du Sida » sur Égalité & Réconciliation). Il est également très engagé pour la révision des enquêtes sur les assassinats de son oncle et de son père, même si, pour des raisons qu’on devine facilement, il n’explore pas toutes les pistes possibles. Sa candidature est donc une excellente chose pour les USA. On peut certes regretter qu’il ne s’allie pas à Trump, mais Kennedy est démocrate, et sa mission est de réveiller le camp démocrate. Si Trump obtient le ticket républicain et si, comme il est probable, Kennedy, échoue aux primaires démocrates, alors on peut souhaiter une certaine forme d’alliance entre les deux hommes.

Et de la capacité du couple Chine/Russie pour mettre à genou l’empire anglo-saxon au point de l’obliger à reconnaître ses crimes pour permettre aux Occidentaux de revenir dans le concert des nations ?

La géopolitique est un jeu complexe ou chacun joue pour gagner à moindre coût, et non pour humilier l’adversaire ou le pousser à agir de façon irrationnelle. La realpolitik n’est pas une quête de vérité. Je crois et j’espère que les mensonges et les crimes impunis de l’Empire américain seront un jour mis en pleine lumière. Et je crois qu’il y a, des côtés russe et chinois en particulier, une réelle volonté de faire émerger un monde multipolaire basé sur la confiance et l’intérêt commun plutôt que sur le machiavélisme débridé et les coups tordus. Mais je ne suis pas en mesure de deviner à quel moment ils choisiront d’inculper les États-Unis. Cela passera par des enquêtes internationales ; c’est en tout cas la volonté affichée de Poutine de travailler de cette manière.

Ne manquez pas la prochaine conférence de Laurent Guyénot

L’affaire Kennedy par Laurent Guyénot

 






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9 Commentaires

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  • #3243173
    Le 9 septembre 2023 à 14:33 par Anonyme
    Laurent Guyénot – Qui a maudit les Kennedy ?

    Le sionisme et le nazisme... deux faces d’une même médaille....

     

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  • #3243209
    Le 9 septembre 2023 à 15:26 par derf
    Laurent Guyénot – Qui a maudit les Kennedy ?

    N’oublions pas la première Kennedy morte étrangement le 13 mai 1948 dans le crash d’un avion en France dans le fameux ’Triangle de la Burle’, le ’Bermudes’ des Cévennes.

     

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  • #3243387

    Qui a maudit les Kennedy ?...la reponse est tout au debut dans la question...

     

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  • L’assassinat de JFK est à mettre sur le même plan que les bombes nucléaires sur Nagasaki et Hiroshima : regardez ce dont nous sommes capables, alors avis aux armateurs (grecs)...

     

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  • Donc, on peut mettre en cause l’ultra-puissante CIA (capable de faire assassiner un président) sans trop avoir de soucis... mais pas les pauvres innocents, boucs émissaires, victimes éternelles...

     

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  • #3243961

    Si JFK avait constitué un véritable ennui pour le projet sioniste, peu importe qu’il eût été assassiné ou non, c’est sa réputation et sa mémoire qui eût été assassinée en premier lieu : tous les médias non seulement de grand chemin mais aussi alternatifs et marginaux (la CIA les pilotait déjà tous à commencer par les plus à gauche ou oppositionnels) se seraient entendus pour brosser un tableau aussi repoussant que possible de JFK, ce qui aurait été extrêmement facile : le type se serait retrouvé avec une réputation plus triste que celle de Hoover ou de Huey Long.

    Nixon, pour son énervement par rapport aux juifs, a subi ce genre de "character assassination" : il a été assimilé par les gens de bien comme par les cheveux longs et par tous les preachers qui l’avaient d’abord soutenu à un gangster parfait et à un fasciste tendance mi-allemande mi-sicilienne alors qu’il était de son propre aveu le dernier chef politique "liberal" (partisan de mesures sociales généreuses pour le plus grand nombre) de l’histoire américaine même si c’était dans un registre culturellement conservateur et grincheux.

    Avec JFK il aurait été encore plus facile de procéder ainsi parce que dans la réalité il n’était même pas un "liberal" : en tant qu’héritier d’une famille très oligarchique (et impliquée à la fois dans le fascisme et dans le sionisme) il voulait déjà un peu comme Reagan mettre fin aux mesures égalitaristes du New Deal dont il jugeait qu’elles avaient fait leur temps. En vérité s’il n’avait pas subi un assassinat aussi glorieusement commenté par les médias, on se serait souvenu de lui comme d’une sorte d’Obama des catholiques irlandais et de sultan baiseur digne des 1001 nuits. En effet ce fut le premier POTUS à devoir son existence à la télévision et à lui obéir comme un acteur. N’oublions pas que JFK est devenu une référence d’imitation pour VGE, PE Trudeau, Vargas Llosa, JJSS et autres "socio-libéraux avancés".

    Il en de même pour MLK : c’est un type célèbre pour des déclarations universalistes généreuses en fait toutes écrites par d’autres et transmises à lui par téléprompteur (quand elles n’étaient pas plagiées) et qui sans assassinat bien synchronisé avec le monde du spectacle d’alors aurait vite fini avec une réputation de faux gourou genre Baghwan Sri Rajnesh. Il a beau passer pour celui qui souhaitait un monde où la question de couleur ne se poserait plus, il était en privé un raciste anti-blanc qui violait des putes blanches par vengeance de race.

     

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    • Il me semble que vous passez à côté de la dimension historique réelle de JFK, qui n’a pu hélas ! déployer sa pleine mesure mais a néanmoins donné naissance à un véritable mythe, ce qui - en soi - n’est pas rien. En ce sens, vous êtes victime de la propagande nauséabonde, qui est entretenue pour créer le brouillard autour de sa mort, afin de cacher l’essentiel.

      Je ne suis pas d’accord avec votre analyse : le tuer était bien l’unique façon de briser un homme d’Etat, qui eût été d’une stature historique.

      Pour Martin Luther King, je ne connais pas sa biographie, le détail que vous donnez est-il - là encore - à la hauteur du personnage ? L’avez-vous vérifié aux bonnes sources d’ailleurs ?

       
    • #3244476

      Vous oubliez il me semble plusieurs aspects, en particulier la menace urgente que constituait JFK dans le programme d’armement nucléaire d’Israel. Le facteur opportuniste a pu aussi jouer, JFK s’étant attiré les foudres, entre autres, de la CIA, et le vice président étant en embuscade, ce moyen radical pouvait être mis en oeuvre avec l’assurance de voir la "succession" couvrir les choses. JFK était également extrêmement populaire, et ses aventures sentimentales qui auraient pu couler bien des politiques dans l’amérique puritaine n’ont guère atteint la carrière politique de JFK, dont le charisme et la dimension dépassait de loin l’effet des petites peaux de bananes qui ont bien été tentées... C’est le genre de trucs qui peut faire tomber un Clinton, pas un Kennedy.
      Enfin, et même si ca n’a rien de rationnel, je ne peux m’empêcher de penser au fait que les Kennedy sont des catholiques.