Les constructions intellectuelles développées dans la conférence de Laurent Guyénot reposent sur une critique soutenue de l’État moderne d’Israël et de l’usage supposé qu’il ferait de l’héritage biblique. Ce qui frappe, cependant, n’est pas tant le ton que l’angle choisi : toute une lecture eschatologique semble tenue à l’écart — celle qui fait de l’Antéchrist non pas une figure lointaine, mais un point d’aboutissement inéluctable du refus du Messie.
Or, depuis les prophètes jusqu’aux évangiles, les Écritures ne cessent de rappeler que la venue du Messie s’accompagnera d’un affrontement décisif. Non d’un conflit politique, mais d’un dévoilement spirituel : un véritable Messie, humble, donné, rejeté — et un faux, attendu, façonné à l’image des désirs humains. C’est ce second visage, séduisant et trompeur, que la Bible nomme sans détour : l’Antéchrist.
La tradition biblique, lue dans son ensemble, ne soutient ni l’idéalisation d’un peuple, ni la sacralisation d’un État. Elle suit une ligne continue : celle du dessein de Dieu pour racheter l’homme. Le Christ n’en est pas une étape : il en est le cœur. Loin d’être le prolongement d’une histoire nationale, il en est le dépassement, l’accomplissement. La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle.
Dans cette perspective, l’État moderne d’Israël — sans Temple, sans prêtrise, sans offrande agréée — ne peut pas être confondu avec l’Israël prophétique. Il conserve une mémoire, mais il a perdu l’axe. Et c’est précisément ce vide spirituel, cette attente d’un messie sans croix, qui ouvre la voie à l’imposture. Non une irruption du mal brut, mais sa forme la plus raffinée : un salut sans repentance, une promesse sans vérité, une paix sans fondement.
Les analyses de Guyénot, pour structurées qu’elles soient, restent prisonnières d’un horizon historique. Elles ne s’ouvrent pas au texte, à sa cohérence interne, ni à la lumière qu’il apporte. Le soupçon l’emporte sur l’écoute, et la reconstruction intellectuelle prend le pas sur la révélation. Le mal y est pensé comme désordre, mais non comme rupture d’alliance. Le salut y est espéré, mais sans que soit posée la question première : celle du péché.
Or, ce n’est pas dans les constructions que l’on trouve refuge, mais dans une parole qui traverse les siècles. Ce ne sont pas les grandes idées qui réconfortent quand tout chancelle, mais les images familières : le berger qui cherche sa brebis.
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