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Mélancolie française d’Eric Zemmour

Par Michel Drac

Eric Zemmour est journaliste. Donc il sait que pour vendre un livre, il faut surfer sur l’esprit du temps. Et il a remarqué comme tout le monde le succès récent de quelques ouvrages de vulgarisation historique, centrés sur la glorieuse histoire de France, entendre ici l’histoire d’une gloire passée. En bon marketeur, il s’est donc empressé de sortir un bouquin qu’il a intitulé « mélancolie française » – un titre qui dit, en réalité, l’état d’âme des lecteurs potentiels, plus que le contenu de l’ouvrage. Bien joué ! – Rien à redire, on ne peut pas reprocher à Zemmour d’être malin.

Ouvrons l’objet, et voyons ce qu’on y trouve. Ne nous attardons pas sur les nombreuses digressions qui parsèment l’ouvrage, et ne présentent pas d’intérêt si l’on ne veut en connaître que la ligne directrice. Allons au fait : il y a trois thèses principales, et c’est de toute évidence pour les énoncer que Zemmour a utilisé le véhicule de l’essai « historico-nostalgique ».

Thèse numéro un : la vocation de la France était d’être une nouvelle Rome. La France a raté cette vocation, à cause de son véritable ennemi, l’Angleterre. La mélancolie française vient de ce destin manqué. Les paradoxes ne manquent pas à la vie politique française, depuis les allers-retours absurdes de la gauche entre bellicisme et pacifisme, jusqu’aux à coups étranges de la droite nationaliste sous l’Occupation. Eh bien, pour Zemmour, tous ces paradoxes s’expliquent par une blessure psychologique inguérissable : être passé à deux doigts du triomphe – et l’avoir, pourtant, totalement manqué.

A l’origine du drame : Louis XIV et Louis XV. Quand Louis XIII meurt, Richelieu a parfaitement préparé le terrain pour l’accomplissement du grand dessein. Il a su à la fois mater la dissidence huguenote à l’intérieur, et s’allier avec les princes protestants de l’Europe du nord pour vaincre les Habsbourg. L’Espagne, après Rocroi, n’est plus la puissance militaire dominante du continent. L’Allemagne, ravagée par la guerre de trente ans, est bien incapable de faire de l’ombre à la France. L’Angleterre n’est qu’une petite île, qui ne s’est jamais remise de l’échec du projet des Plantagenêt. La France est la puissance dominante du continent.

Louis XIV commet alors deux erreurs qui vont ruiner les promesses de son héritage. Il ne prend pas la correcte mesure du pouvoir que la Grande-Bretagne est en train de construire par son libre-échange inéquitable, et il se laisse dicter sa conduite par les intérêts familiaux des Bourbon, intérêts qui l’orientent vers le trône d’Espagne. Donc et pour faire court : Louis XIV n’a pas compris qu’au XVII° siècle, l’avenir est au nord. Il n’a pas compris que le centre de gravité du continent, jusque là plutôt localisé vers la Méditerranée, basculait de manière décisive vers la Mer du Nord et l’Atlantique. Cette sous-évaluation de la montée en puissance du nord eut pour conséquence d’abord une guerre ruineuse, à la fin du règne, et finalement la relégation de la France en position de suiveur de l’Angleterre, dominante financièrement dès le début du XVIII° siècle.

Louis XV prolonge et amplifie ensuite ces erreurs, et la France devient vers 1750 une fausse super puissance, qui ignore son propre déclin. Pour employer une image : ce que nous dit Zemmour, c’est que la France est une Rome qui aurait commis l’erreur fatale de sous-évaluer sa Carthage, l’Angleterre.

Napoléon n’y changea rien, parce qu’il était trop tard pour y changer quoi que ce fût…

Thèses historiquement irréfutable. Seul bémol : Zemmour est probablement trop discret sur les causes anthropologiques de l’échec français. Une réflexion plus approfondie sur la difficulté qu’il y a à fonder un empire à partir d’un logiciel idéologique plutôt égalitariste eût été bienvenue – il eût été bon, par exemple, de rappeler que Rome était une société esclavagiste, et que son universalisme n’allait pas jusqu’à l’égalitarisme – en sorte que l’imitation de Rome par Paris s’est heurtée, en profondeur, à une contradiction non sue.

Mais bon, passons : on ne peut pas non plus tout dire dans un ouvrage de vulgarisation.

Thèse numéro deux  : entre France et Allemagne, il n’y a pas d’inimitié permanente. Tantôt alliés, tantôt ennemis, Français et Allemands vivent une relation complexe de désir mimétique.

Relation qui s’explique très simplement : alors que l’opposition France/Angleterre voit l’affrontement d’un Etat continental et d’une thalassocratie, l’opposition France/Allemagne voit la confrontation de deux projets continentaux rivaux mais presque identiques. Allemands et Français sont d’accord pour dire que l’Europe doit s’unifier autour d’une nouvelle Rome. Le désaccord commence quand il s’agit de décider où est Rome.

Du coup, quand la France est au-dessus, les Allemands veulent être français à la place des Français. Et quand l’Allemagne domine, c’est au tour des Français de vouloir être allemands à la place des Allemands. Zemmour analyse très bien la relation d’imitation/dénigrement qui caractérise le (tout à fait imaginaire) « couple » franco-allemand, un couple où chaque partenaire fonctionne comme le surmoi de l’autre.

Nous passerons sur la chronique qu’il fait de ce tandem désuni dont chaque membre veut tenir le guidon. Il n’y a rien à reprendre, c’est parfait.

Nous nous attarderons en revanche sur les prolongements géopolitiques de cette réflexion historique – car là, Zemmour devient vraiment intéressant.

Il est évident que « Mélancolie française » n’est pas un ouvrage d’historien. Il se trouve que Zemmour a choisi de « surfer » sur une mode de l’essai historico-nostalgique, ce qui est malin, comme nous l’avons dit. Mais ce n’est là qu’un truc de marketing : le vrai propos est ailleurs. Donc, quand Zemmour s’attarde particulièrement sur certaines pages de l’histoire, c’est qu’il y a une arrière-pensée.

Zemmour nous explique que l’unité allemande s’est faite avec la bénédiction de l’Angleterre, parce qu’elle créait, sur le continent, un contrepoids à la France. Zemmour nous explique qu’à la fin du XIX° siècle, nous sommes passés très près d’une alliance Paris-Berlin-Saint Pétersbourg. Une alliance qui devint impossible après une affaire Dreyfus dont certains se demandent si elle n’a pas été « fabriquée », ou en tout cas attisée, par Londres. Zemmour nous explique encore que la grande erreur de Pétain ne fut nullement de signer un armistice qui, à tout prendre, était la meilleure chose qui pût arriver à la France en juin 40. Ce fut « d’attendre les Américains » en 1917 - alors que justement, il fallait ne pas les attendre, il fallait au contraire trancher la querelle franco-allemande au plus vite, et advienne que pourra (1). Et aujourd’hui encore, rappelle Zemmour, un clivage traverse les partis politiques : d’un côté ceux qui veulent une « alliance des démocraties » centrée sur l’Anglosphère (Balladur-Sarkozy), de l’autre, ceux qui veulent, sans toujours oser aller au bout de leur pensée, un rapprochement avec la Russie, via l’Allemagne (Chirac-Villepin). Et Zemmour, enfin, de souligner que le « couple franco-allemand » est rompu depuis belle lurette (a-t-il jamais existé ?), et que la construction européenne, conçue au départ comme un levier de puissance pour la France, s’est transformé en machine anti-française – une Europe à six, avec une petite Allemagne, c’est une Europe française ; une Europe élargie à tout le continent, avec une Allemagne restaurée, c’est une Europe américaine, allemande ou, disons, germano-américaine.

Il n’est nul besoin d’être grand clerc pour discerner ici l’arrière-pensée de l’auteur. Après nous avoir expliqué que le véritable ennemi, c’est l’Angleterre (aujourd’hui : l’Anglosphère), Zemmour nous rappelle que depuis 1815, la stratégie permanente des anglo-saxons, c’est de jouer l’Allemagne contre la France (et réciproquement).

En clair : méfiez-vous. Il faut sans doute refuser l’Europe de Giscard. Mais il ne faut pas se couper du reste de l’Europe. Sinon, vous serez toujours à la merci de votre véritable ennemi, l’Anglais, faute d’avoir surmonté la rivalité qui vous oppose à l’Allemand.

En clair toujours : méfiez-vous, mais aussi reprenez confiance en vous. Les courbes démographiques de la France et de l’Allemagne se sont croisées une première fois, au XIX° siècle, en votre défaveur. Mais dans quelques décennies, elles vont se recroiser, en votre faveur cette fois.

Et donc, en filigrane, voici la question que Zemmour ne pose pas, mais qu’il pense si fort qu’on la lit pratiquement entre les lignes : et s’il fallait accepter une Europe allemande ou germano-américaine, quitte à souffrir pendant quelques décennies d’une sujétion détestable, pour ensuite franciser cet ensemble de l’intérieur ?

Thèse numéro trois : le problème, c’est que la démographie française est, à ce stade, un trompe l’œil.

Les spécialistes de l’INED expliquent cette démographie, relativement moins sinistrée que celle des autres pays européens, par les spécificités du modèle familial refondé dans notre pays – les Françaises n’hésitent pas à mettre leurs enfants à la crèche, etc. Mais, objecte Zemmour, ce que les Français voient concrètement, quand ils prennent le métro ou se promènent dans les rues, c’est que la France est progressivement soumise à une substitution de population. Et bien sûr, ils ont raison : les statistiques ne sont pas manipulées, c’est pire ; elles reposent sur des catégories (français, étranger) dont la définition n’est plus possible.

D’où, conclut Zemmour, la vraie question française : dans une ou deux générations, un tiers des Français ne seront plus d’extraction européenne. Dès lors, comment franciser l’Europe, alors que la France ne sera plus européenne ? – la question, bien sûr, n’est pas formulée aussi brutalement ; mais c’est bien le sens général de l’ouvrage.

On s’attarde, pour finir, sur l’œuvre de Todd (« Le destin des immigrés » et « Le rendez-vous des civilisations », en particulier). Zemmour en conteste les conclusions optimistes : selon lui, le mouvement d’assimilation des populations d’origines nord-africaines est interrompu, et la transition de l’Islam vers la modernité sera, dans les 50 ans qui viennent, lourde de crises potentiellement dangereuses. Certains ont cru voir, dans ce propos, un alignement sur la propagande néoconservatrice ; déduction à mon avis erronée : on ne voit pas du tout comment Zemmour pourrait rallier ce camp-là, étant donné ce qu’il dit par ailleurs. Le plus probable est que l’auteur de « Mélancolie française » dit, sur ce sujet, tout simplement ce qu’il pense.

C’est en effet pour lui l’occasion de conclure sur sa troisième thèse. En substance :

- Si le moteur assimilationniste est cassé, c’est parce que l’idéologie libérale contemporaine (référence à Michéa, « L’empire du moindre mal ») et l’antiracisme ont favorisé une très forte poussée différentialiste dans l’esprit national (en quoi Zemmour, peut-être inconsciemment, rejoint Todd plus qu’il ne l’avoue),

- Donc, puisqu’il est nécessaire à la survie de la France de refonder une perspective démographique authentiquement dynamique, afin de franciser une Europe germano-américaine à laquelle nous sommes plus ou moins condamnés,

- Il n’y a pas d’autre choix que de briser les totems de l’antiracisme, et de réhabiliter une politique d’assimilation volontariste – qui ne sera pas sans douleur pour les enfants de l’immigration, mais voilà, c’est comme ça.

Au final, une thèse simple et claire.

En refermant « Mélancolie française », je me suis demandé ce que j’en pensais, au fond. Et je dois dire que la réponse ne me paraît évidente. C’est un livre sur lequel j’ai du mal à prendre position.

Si Zemmour n’avait pas courageusement attaqué frontalement BHL, comme il l’a fait récemment, s’il n’avait pas eu le culot remarquable de dire franchement qu’on ne pouvait pas être contre la burka et pour la kippa, sans doute me contenterais-je de hausser les épaules. Seulement voilà : chez Zemmour, le discours assimilationniste est de toute évidence honnête et conséquent. Donc, il faut admettre qu’une véritable proposition existe, en filigrane, derrière ce discours : refaire la France impériale, et donc impérieuse, qui s’impose dans ses frontières et finalement les repousse – le « droit à la différence », ça n’existe pas, point.

Et donc, qu’est-ce que j’en pense ?

Ma foi, j’en pense que si c’était possible, ce serait bien. Mais, comme je l’ai expliqué dans « Céfran », je pense aussi qu’il est beaucoup trop tard pour ça. La dislocation de la France me paraît aujourd’hui quelque chose d’à peu près inéluctable.

Je peux comprendre, cela dit, que Zemmour ne puisse pas penser cette dislocation. Elle revient à nier son être propre, puisqu’il ne peut être français que dans le cadre construit par la dynamique assimilationniste – à ce stade du moins. Paradoxalement, il est beaucoup plus facile à un « Français de souche » qu’à un « Français de branche » d’admettre la fin de la France assimilationniste. Si ce cadre explose, je reste français. Zemmour, lui, est renvoyé à un no man’s land anthropologique où il ne peut littéralement plus se construire.

Pour autant, je suis paradoxalement moins pessimiste que Zemmour. Justement, sans doute, parce que je peux penser la dislocation. C’est qu’à la différence de l’auteur de « Mélancolie française », je vois dans la dislocation une étape douloureuse, mais indispensable, avant la reformation.

Dans mon esprit, la France n’est pas née avec les capétiens. Elle remonte au baptême de Clovis – ce qui veut dire qu’elle est spirituelle, avant d’être politique. La dislocation d’un projet purement politique, sans soubassement spirituel, me semble donc quelque chose de finalement assez positif – c’est la dissipation d’une illusion. Et puis je me dis qu’une fois que tout sera disloqué, tout se recomposera – je m’en suis longuement expliqué dans « Céfran ». En fait, pour moi, la fin de la France actuelle, c’est une tragédie politique, mais c’est aussi l’occasion de fonder une nouvelle France.

Bref, mon opinion, en synthèse, est que sur le plan pratique, il serait sans doute souhaitable pour tout le monde que Zemmour ait raison et que j’aie tort, parce que la dislocation sera une étape terrible. Rien ne pourrait me donner plus de joie que la confirmation de mon erreur, car après tout, ce qui compte, c’est le bien des hommes, et la paix entre eux.

Mais je continue à penser que j’ai raison…

(1) De manière tout à fait comique, les inénarrables crétins communautaristes ont « rappelé à l’ordre » Zemmour pour sa réflexion sur Pétain, incapables qu’ils sont de comprendre les véritables enjeux du propos.

Une fois de plus, le parasitage de la réflexion par les andouilles judéomanes aura été patent. Nous avons d’ailleurs maintenant confirmation que ces nuisibles parasitent aussi la réflexion des Français juifs.

A vrai dire, on s’en doutait. Il est clair que pour un groupe quelconque, être constitué en communauté structurée est un atout dans un système où la majorité n’est pas constituée sur le même modèle ; mais il est tout aussi évident que c’est suicidaire dans un système où la majorité se constitue en communautés de plus grande taille. D’où, chez les Juifs intelligents, la prise de conscience accélérée que la fin de la France comme Etat-nation serait porteuse de bien des malheurs, et donc une remise en cause de plus en plus ouverte de la logique communautaire. D’où, donc, un clash inévitable entre Juifs intelligents et judéomanes obsessionnels. Un match judéo-judéomanes que les Français non-juifs suivront avec le plus grand intérêt…

 






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