président d’Égalité et Réconciliation
« Et je ne comprends rien à l’être de mon être,
Tant de dieux ennemis se le sont disputé. »
Charles Maurras
La Prière de la fin, Clairvaux, juin 1950
Monsieur le président,
1) Les fruits religieux d’Égalité et Réconciliation
En cette nuit de Pâques 2025, dans le couvent capucin dont je suis membre, était baptisée une jeune femme rencontrée pour la première fois le 15 août dernier au festival d’Égalité et Réconciliation, à l’occasion de la messe que l’on m’avait demandé d’y célébrer et qui me pria de l’amener au baptême. Quelques mois auparavant, dans un autre de nos couvents, ce sont tous les enfants d’une famille qui furent baptisés suite à la conversion au catholicisme de leur père, ancien militant d’E&R. Voilà deux faits, parmi bien d’autres que je pourrais citer, qui sont des illustrations des nombreuses conversions vers le christianisme, suscitées au moins indirectement par E&R.
Il est certain qu’un tel mouvement spirituel trouve une part de son explication dans le combat intellectuel d’E&R, dans l’éveil ou le réveil des intelligences qui ont reçu par son intermédiaire de nombreuses vérités philosophiques et politiques, terreau particulièrement favorable à la germination de la foi catholique. Non seulement E&R dénonce beaucoup de mensonges de la pensée unique mais a positivement contribué à la réédition de livres catholiques aussi excellents que La Conjuration antichrétienne de Mgr Henri Delassus. Rien d’étonnant encore à ce que ce mouvement se soit naturellement tourné vers des prêtres opposés au concile Vatican II pour recevoir certains services comme celui d’assurer la messe pour certaines de ses activités.
C’est justement parce que, lors des deux derniers festivals, j’ai été personnellement invité à célébrer la messe et parce que, en novembre dernier, la section Île-de-France m’a convié à donner la conférence « Sous le soleil de Satan », que je me suis senti autorisé, Monsieur le président, à vous adresser cette lettre ouverte.
2) Contestation de certains de vos propos
Je ne pense pas que vous regrettiez ces fruits spirituels que je viens d’évoquer brièvement et je crois plutôt que vous pouvez en ressentir une légitime fierté. Ne me disiez-vous pas vous-même, lors du dîner où nous fûmes invités tous les deux chez le regretté Emmanuel Ratier le 3 juin 2014, que, si vous vous convertissiez, ce serait précisément au catholicisme vrai, c’est-à-dire traditionnel ? Partant de là, permettez-moi de vous exprimer mon incompréhension et ma douleur des propos objectivement blasphématoires que vous avez tenus à différentes occasions, propos insupportables pour un prêtre et pour toute âme catholique, propos qui vont à rebours de ces beaux fruits spirituels dont j’ai parlé. Je m’interroge sur le pourquoi de ces déclarations qui m’apparaissent en opposition à cette bonne influence que j’ai relatée auparavant.
En voici quelques exemples :
A) Vous vous êtes dit plusieurs fois thomiste et cette référence ne peut que me réjouir. Mais cependant, comment se dire thomiste en refusant à la théologie son statut de science et à la raison la place qu’elle occupe en conséquence ? Et, parmi les docteurs de l’Église, s’il y en a bien un qui doit être remarqué pour son inestimable apport à la construction de la théologie comme science et au rôle qu’il reconnaît à la raison, c’est bien saint Thomas d’Aquin. D’ailleurs vous-même, n’est-ce pas de votre raison que vous vous êtes servi pour parler des questions religieuses à maintes reprises ? Je me souviens d’avoir lu de vous des réflexions fort pertinentes sur le concile Vatican II. Elles étaient nécessairement le fruit de votre raison travaillant sur le dépôt de la foi catholique. En réalité, le fidéisme est par lui-même inepte et stérile.
B) Lorsque vous vous réclamez de Marcion, vous vous soumettez plus ou moins à la conception métaphysique de cet hérésiarque qui oppose au démiurge de l’Ancien Testament le Dieu du Nouveau Testament. Ainsi que cela a été remarqué, sa conception métaphysique est pourtant particulièrement frustre et déficiente. En effet, Marcion reproche au démiurge de l’Ancien Testament d’avoir raté la Création et ne peut le reconnaître comme Dieu pour ce motif. Mais si ce démiurge n’est pas Dieu, c’est qu’il est créature et, s’il est créature, c’est qu’il a donc été créé par le Dieu du Nouveau Testament. Mais Marcion devrait alors reprocher logiquement au Dieu du Nouveau Testament de s’être lui aussi raté en créant un démiurge qui allait façonner si maladroitement le monde.
Et c’est pourtant au nom de cette théologie si sujette à caution que Marcion se saisira de sa paire de ciseaux pour éliminer du canon des Écritures non seulement tout l’Ancien Testament, mais encore, du Nouveau Testament, trois Évangiles sur quatre, l’Épître aux Hébreux et les épîtres pastorales. Et ce n’est pas terminé puisque, dans le peu qui reste, il biffe encore tout ce qui s’oppose à sa conception métaphysique. Quel crédit accorder à un homme seulement préoccupé de faire disparaître tout ce qui s’oppose à son a priori ?
C) Vous vous élevez d’une façon particulière contre la transsubstantiation et la communion. Vous équiparez ces rites à de la magie, à de la sorcellerie, à de l’anthropophagie. Ces accusations, comment les légitimez-vous si vous croyez à la véracité des témoins qui nous ont rapporté de la Cène, et de façon identique, les paroles du Christ : « Ceci est mon Corps » et « Ceci est mon Sang » ?
À moins de prétendre, contre l’historicité des synoptiques, de la première épître aux Corinthiens et contre l’unanimité de la Tradition, que le Christ n’a pas prononcé ces paroles, quel sens leur concéder sinon leur sens obvie ? Le Seigneur Jésus-Christ ne dit pas que le pain et le vin sont les signes ou les symboles de son Corps et de son Sang, mais qu’ils le sont, et le contexte exclut radicalement une signification purement figurative. Il faut donc bien admettre la transsubstantiation et écouter l’injonction de Notre-Seigneur de manger et de boire son Corps et son Sang.
Il suffit d’ailleurs de relire le Discours du pain de vie (Jn 6, 22-59) pour voir que les Juifs comprennent très bien que Notre-Seigneur veut vraiment se donner en nourriture et en boisson. C’est pour ce motif qu’ils se récrient car ils ne savent pas que la modalité sacramentelle de cette manducation et de cette boisson exclut tout contact sensible avec la chair et le sang du Christ. Il suffit d’avoir assisté une seule fois au rite de la communion pour évidemment constater qu’on se trouve à des distances infinies des chasses à l’homme et des festins des tribus anthropophages. Une telle assimilation relève du mensonge par amalgame, si prisé par nos contemporains.
D) Quant à la communion au seul corps du Christ, voilà qui, de longtemps, a été expliqué. Où est le Christ aujourd’hui ? Il est au Ciel, ressuscité, avec son corps, son sang, son âme et sa divinité. De telle manière que là où est son corps, il y a son sang, son âme et sa divinité. Et que là où il y a son sang, il y a son corps, son âme et sa divinité. Aussi, celui qui reçoit le corps, reçoit en même temps le sang, l’âme et la divinité de Notre-Seigneur.
Votre contestation s’élève encore sur bien d’autres sujets et je ne peux, dans ce cadre, ni chercher à les traiter tous, ni même traiter d’une façon suffisante ceux que j’ai énumérés. J’espère en avoir dit assez pour au moins manifester que nous pouvons sur tous ces sujets défendre victorieusement la crédibilité du dogme catholique dont nous n’avons certes pas à rougir.
3) Les bienfaits objectifs du christianisme
Cependant, peut-être, Monsieur le président, n’apportez-vous que peu d’intérêt à cette défense des mystères chrétiens et n’êtes-vous nullement décidé à abaisser la voilure de vos critiques. Aussi, à défaut de la défense de ces vérités que je vous ai proposées, serez-vous peut-être plus sensible à d’autres considérations que je voudrais exposer pour terminer.
Alors même que la foi catholique n’aurait jamais été ou ne serait plus vôtre, pourquoi votre virulence contre elle ? Paradoxalement, n’est-ce point rejoindre le camp de l’antichristianisme, celui qui tient les manettes du pouvoir ? N’est-ce point toucher au cœur un nombre non négligeable de vos militants et une population nombreuse qui vous écoute mais se trouve aujourd’hui choquée et scandalisée par vos propos ? Pourquoi ne pas vous inspirer de l’attitude sage de Charles Maurras qui, dans ses longues années d’agnosticisme, considérait avec faveur le catholicisme comme étant la religion qui a fait du bien à la France et aux Français et sans laquelle il est impossible d’expliquer le passé de notre patrie et d’anticiper son avenir ?
Si les militants d’E&R sont pour partie chrétiens, pour partie musulmans, pour partie païens, pour partie athées, la ligne prudentielle du mouvement consiste peut-être, selon vous, à les faire vivre en bonne intelligence, sans marquer de préférence religieuse. Bien que cet équilibre soit difficile et peu satisfaisant, on pourrait le comprendre. Mais il demande alors de ne s’en prendre aux convictions ni des uns, ni des autres.
Nous pourrions tous les deux citer les noms presque innombrables de nos pères qui, dans les sciences, dans les arts, dans les œuvres de dévouement ou à la guerre, sont la fierté de notre pays et nous constaterions ensemble que l’écrasante majorité et les plus éminents d’entre eux se sont tous agenouillés avec piété devant la sainte hostie. Rien que cette pensée ne devrait-elle pas, à défaut de vous donner la foi, vous remplir de respect pour cette religion qui a tant contribué à l’élévation intellectuelle et morale de notre peuple ? Et si la France est incomparablement belle de ses clochers et de ses cathédrales, ces monuments n’ont été élevés, dressés dans le ciel que pour être des écrins de la sainte Eucharistie. Peut-on alors penser que l’inspiration de tant de génie, d’amour et de beauté ne serait que du vent ou un délire de primitif cannibale ?
L’on entend aussi les vociférations du bien peu crédible Nietzsche reprocher au christianisme d’être la religion des faibles. Qui considère cependant la trempe des hommes qui ont été les plus fortement plongés dans le bain des vertus chrétiennes, les chevaliers, les croisés, les soldats de Lépante, les Vendéens et les Chouans, les Zouaves pontificaux, les Cristeros, découvrira la mesure de l’héroïsme chrétien. Qui, surtout, scrutera l’âme des saints que le catholicisme a élevés sur les autels trouvera en eux cette force divine avec laquelle ils ont su se vaincre eux-mêmes pour que le Christ domine en eux. À moins, évidemment, de considérer que ce que l’on appelle faiblesse soit le pardon chrétien et la protection des plus faibles. Mais, dans ce cas, concédons que le christianisme soit la religion des faibles et soyons-en fiers.
Si donc le catholicisme inspire la vertu et la force véritables, n’est-ce point alors une faute politique, en vilipendant ses dogmes, que de risquer de voir vos militants chrétiens se détourner de celui qui malmène leurs croyances ?
Puissiez-vous ne voir dans cette lettre que le souci d’un prêtre catholique qui, ayant été appelé par E&R à différentes reprises et ayant volontiers répondu, a estimé de son devoir, étant donné la confiance que lui montrait le mouvement, de réagir aux propos de son président, pour l’honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour la protection de la foi de ceux qui l’écoutent et pour sa propre gouverne.
Vous remerciant d’avoir bien accepté que cette lettre soit rendue publique, je vous invite, Monsieur le président, à venir suivre une retraite spirituelle si profitable à l’âme et je vous prie de bien vouloir agréer l’expression de mon religieux dévouement dans le Cœur douloureux et immaculé de Marie.