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Belloubet libère 8000 détenus, dont 130 radicalisés islamistes

Mais pas les détenus pour violences conjugales

Nicole Belloubet a fait libérer 8000 détenus pour endiguer la propagation du Covid-19 dans les prisons. Mais est-ce une décision sanitaire prudente ou un nouvel exemple de laxisme judiciaire, créateur d’insécurité ? Le porte-parole de l’IPJ, Me Guillaume Jeanson, penche pour la deuxième hypothèse, chiffres à l’appui. Entretien.

 

Mercredi 8 avril, Nicole Belloubet, garde des Sceaux, déroulait ses statistiques devant la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le Covid-19. Les prisons françaises ont vu sortir, en moins d’un mois, près de 8000 détenus, a-t-elle dit. Pour la ministre, pas de doute : la surpopulation carcérale fait courir un danger supplémentaire aux détenus face au virus, il fallait donc la réduire. Mathématiquement, le taux de surpopulation s’établit donc désormais à 107 %, avec 64 439 détenus au 1er avril, alors qu’il était à 119 %, avec plus de 72 400 détenus au 1er mars.

Or, parmi ces 8000 détenus, 130 inquiètent tout particulièrement. Le journaliste du Point Aziz Zemouri a révélé hier que 130 détenus radicalisés auraient, selon les renseignements, bénéficié d’une libération anticipée. Se voulant évidemment rassurant, le ministère de l’Intérieur a nié que ce contingent compterait de véritables djihadistes, qui resteraient « hors champ des mesures de libération ».

 

Des détenus radicalisés... inoffensifs pendant l’épidémie ?

« Il ne faut pas confondre terroristes et détenus radicalisés », avance-t-on du côté de l’exécutif : les détenus libérés avant la fin de leur peine ne seraient « en général » que des personnes ayant agi « en périphérie de ces dossiers » et qui n’auraient donc pas « directement de sang sur les mains ». Mais en auraient-ils indirectement ? Ainsi Zemouri a-t-il relevé que deux personnes ayant fourni l’arme de l’attentat commis au marché de Strasbourg par Cherif Chekatt en décembre 2018, sans connaître la finalité de son action, ont recouvré la liberté le 19 mars dernier.

Le monde carcéral n’a toujours pas trouvé de vaccin au virus djihadiste et le Covid-19 n’arrange pas les choses. Jusqu’à prendre des décisions en dépit du bon sens ? Nous en avons discuté avec l’avocat Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut pour la justice (IPJ) : « je ne comprends pas la logique de la garde des Sceaux », nous a-t-il confié. La contradiction gouvernementale a en effet de quoi surprendre : selon lui, les détenus de droit commun radicalisés étaient dénombrés avec inquiétude il y a quelques semaines encore, comme autant de bombes à retardement, et voilà qu’ils seraient désormais inoffensifs dans le nouveau contexte pandémique. Un non-sens selon lui : « ces détenus font pourtant bien partie de ceux étroitement surveillés par le renseignement pénitentiaire ».

 

La lutte contre le djihadisme n’est pas une priorité

C’est l’attaque du 3 avril, passée quasiment inaperçue du fait du coronavirus, qui fait craindre le pire à Guillaume Jeanson : ce jour-là, au centre pénitentiaire de Laon, un détenu a cherché à planter une paire de ciseaux dans la nuque d’un surveillant, au cri de « Allah Ouakbar, sales mécréants, c’est pour Allah, bande d’enculés » (sic). L’individu en question avait déjà fait l’objet d’un suivi pour radicalisation islamiste en 2019, à la demande des services de renseignements. Il était de surcroît connu pour fréquenter un détenu « TIS », incarcéré pour des faits en lien avec le « terrorisme islamiste », et il avait radicalisé à son tour l’un de ses codétenus.

Or, cet individu pour le moins dangereux était éligible à une libération conditionnelle, selon les syndicats de la pénitentiaire, libération à laquelle l’administration semblait favorable. Écarter la dangerosité en raison de l’absence de passage à l’acte au moment de la décision de libération et laisser sortir l’individu en question aurait ainsi été contraire à toute précaution :

« Cet individu n’avait pas été condamné pour fait de terrorisme. Il était "juste radicalisé". Combien sont-ils dans ce cas-là ? Ce seul cas devrait inviter le ministère à davantage de prudence dans ses argumentaires... », a déclaré Guillaume Jeanson au micro de Sputnik.

Et l’avocat de dénoncer le deux poids, deux mesures d’un gouvernement aveuglé par l’idéologie : « le gouvernement refuse de relâcher des détenus incarcérés pour violences conjugales », remarque-t-il avant de préciser : « car il en a fait une grande cause nationale »… contrairement à la lutte contre le terrorisme islamiste. Si maintenir les compagnons violents hors de portée des familles est en effet particulièrement souhaitable en période de confinement, selon Jeanson, « on peine en revanche à saisir en quoi les détenus radicalisés devraient bénéficier de telles faveurs, alors que plane encore une forte menace d’attentats islamistes. » Le dernier attentat de Romans-en-Isère nous le rappelle. Abdallah A.O., un réfugié soudanais, a poignardé sept passants, tuant deux d’entre eux. Coïncidence ? Quelques jours auparavant, l’État islamique diffusait un message sur ses canaux de propagande, appelant à frapper l’Occident – et particulièrement la France – affaibli par le Covid-19.

Bien sûr, le dernier mois a été d’une grande violence dans les prisons. Au Mans, à Lille, à Béziers ou encore à Fleury-Mérogis, des mutineries ont éclaté dès la première semaine de confinement. Équipées comme des opérateurs du GIGN, les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) ont dû intervenir à maintes reprises pour mater les rebelles. Une explosion de violence due à la fermeture des visites aux parloirs, « et ce, malgré des gestes de l’administration pénitentiaire, offrant davantage de cantine et de téléphone, ou encore la gratuité de la télévision », souligne Guillaume Jeanson.

De plus, la décision de diminuer la surpopulation carcérale en libérant des détenus n’était pas la seule réponse possible au Covid-19. Pour Jeanson, la première solution est identique à celle qui doit être pratiquée à l’échelle nationale : « a minima, une généralisation des dépistages et une identification des détenus les plus à risque, ainsi que des équipements adaptés pour le personnel pénitentiaire ». Ensuite, plutôt que de libérer les détenus, des réaffectations auraient été préférables. La densité carcérale diffère en effet d’une prison à une autre :

« La moyenne de la densité carcérale est de 138 % en maison d’arrêt, nous explique Guillaume Jeanson, mais elle tombe à 90 % et 74 % pour les centres de détention et les maisons centrales. »

La libération anticipée et à grande échelle de détenus, solution de facilité ? Sans aucun doute, pour Guillaume Jeanson, qui en dénonce les conséquences dramatiques à venir, se référant au crimologue Xavier Bébin, auteur de l’essai Quand la justice créée l’insécurité (Fayard, 2013) :

« En 1981, la libération anticipée à la faveur d’un décret de grâce et d’amnistie de plus de 5000 détenus s’est traduite l’année suivante par un bond de 20 % du taux de criminalité, qui est passé de 53,5 à 63 pour mille. »

Un phénomène qui a aussi été observé en 1995 aux États-Unis par l’économiste Steven Levitt : « lorsque des États ont été forcés par leur Cour suprême de libérer en masse des détenus, quinze infractions graves supplémentaires annuelles ont été commises pour chaque détenu remis en liberté par cette procédure. » Ainsi l’IPJ a-t-il publié une pétition : « la hausse prévisible de la délinquance affectera directement notre sécurité », alerte Guillaume Jeanson.

 

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