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Fin d’un mythe antiraciste : la marionnette Jamel démantibulée sur les réseaux sociaux

 

 

Impossible de faire plus mauvais. D’ailleurs le public de son dernier spectacle diffusé sur M6 le 31 octobre 2019 ne s’y est pas trompé : les réseaux sociaux ont laminé le travail du comédien : « Pas de rythme, des impros bidons, c’est mauvais, mauvais », « Prends ta retraite », « Quelle déception, j’en étais gênée pour lui », « Pathétique, il ne fait plus rire personne, il finira animateur à l’Intermarché de La Motte Beuvron pour vendre une promotion de Vache qui Rit », « Le spectacle le plus nul que j’ai vu »...

 

 

 

 

 

 

Que s’est-il passé pour que l’idole des jeunes (et des enfants) du début des années 2000 tombe aussi bas ?

Si Jamel a déclaré au micro de RTL le 16 juin 2019 qu’il était « fatigué », qu’il se retirait (momentanément) après 23 ans de folie en radio, télé, cinéma et scène, c’est parce que son système est fatigué. Quel est le système Jamel ?

C’est un clan à la fois familial et amical qui a soutenu Jamel à ses débuts, qui lui a donné la force de résister à toutes les sirènes et tous les pièges du show-biz, mais c’est aussi un clan qui l’a limité dans son ascension et dans sa reconversion. Car on ne joue pas à 44 ans – c’était le 18 juin son anniversaire – les jeunes premiers, les chiens fous, les bègues de cité qui improvisent sur le fond blanc de Canal+ comme en 1998. Le diamant brut qui a crevé les écrans et la scène dans les années 2000, qui animait les tablées des dirigeants de Canal à Cannes, n’a pas profité de son succès pour se tailler un autre costume, pour évoluer, et aujourd’hui il paraît déclassé. C’est peut-être cette impression qui a provoqué ce coup de fatigue. D’autres parleraient d’une dépression.

 

Une cote d’amour en baisse continue

Jamel déclarait au Monde en 2006 : « Ma hantise, c’est ce qu’on va laisser comme trace ». Pour l’instant, c’est celle d’un trublion qui a touché à tout, avec succès, qui a tutoyé les sommets, qui est populaire, mais qui n’a pas réussi son grand projet politique : faire des banlieusards des Français comme les autres. Jamel a incarné le combat pour la reconnaissance des Français d’origine immigrée, des Beurs, des Icitiens (« Je suis un Icitien ») mais l’époque n’est plus au grand rêve socialiste de François Hollande, dont Jamel était le monsieur Banlieue. Yassine Belattar l’a remplacé dans ce rôle, et comme Jamel il va le payer cher. Aujourd’hui le FN (devenu RN), ce grand ennemi de Jamel, est le premier parti de France.

Mais Jamel n’est pas un homme politique, il s’est servi de sa notoriété et de son influence auprès des jeunes, toutes conditions confondues, pour faire évoluer les mentalités. Il a fallu construire cette notoriété à coups de sketches, de films, de séries, et l’humoriste fait solidement partie des 50 personnalités préférées des Français, même s’il dégringole dans ce classement d’année en année (14e cette année). Pour y rester, et rester dans le top 10, il faut une actu forte, une récurrence. Or Jamel fait mille choses, échafaude mille projets, mais on le voit moins sous les feux de l’actu. Canal+, sa chaîne, la chaîne qui l’a « fait », a perdu sa visibilité depuis la prise en main de Bolloré. L’esprit Canal s’en est allé, et Jamel n’a pas de talk-show ou d’émission de radio qui entretiendrait sa médiatisation et sa notoriété.

Ceux qui s’intéressent au fonctionnement du lutin bondissant de Trappes savent qu’il court toujours plusieurs lièvres à la fois, c’est un boulimique de projets, mais il en achève peu, beaucoup d’énergie et d’espoirs se perdant en route. Jamel est un généreux qui ne se sent pas payé de retour : il arrose ses proches, offre des jobs, aide, soutient, mais le résultat n’est pas toujours au rendez-vous.

Brigitte Maccioni, directrice générale d’UGC Images résume : « Il marche totalement à l’affectif. Quand il donne sa confiance, c’est entièrement. Mais quand ça ne marche pas, il est dévasté. »

 

Embourgeoisement et stérilité

Dans le domaine de l’humour, son fonctionnement clanique lui a donné des ailes mais ces ailes n’ont pas grandi : il a les mêmes qu’il y a 20 ans. Les retours de scène sont parfois houleux, entre les spectacles rodés en province (et payés par les mairies) où il sait à peine son texte et son retour à Trappes qui s’est très mal passé (anecdote du livre d’Ariane Chemin sur la ville du 78), il est tiraillé entre son statut de nouveau riche, de bourgeois de Saint-Germain-des-Prés, avec son mariage « people », et son public de banlieue. Pour beaucoup de ses fans, Jamel est un parvenu, un people qui tutoie les stars et les hommes politiques, ceux-là mêmes qui perpétuent le système, l’injustice. De la fierté d’une réussite on est passé à la trahison de classe.

Jamel, du fait de son ascension fulgurante, est victime du syndrome du grand écart. Il travaille toujours avec ses potes et ses frères, mais ce confort est devenu un frein. Il a d’abord été drivé par Kader Aoun, diplômé de Sciences Po et habitant de Bobigny, puis s’est affranchi de ce producteur-auteur-conseiller politique. Jamel a toujours nié être la créature d’Aoun, et la collaboration s’est mal terminée : une histoire d’argent, de gros argent (entre 2 et 3 millions d’euros) à propos du théâtre du Jamel Comedy Club dont Kader Aoun assurait la gestion. Le surgissement de Mélissa dans la vie de l’artiste a permis de faire un peu de ménage. C’est pourtant ce même Kader qui a fait travailler Jamel à Canal, tout en lui fournissant ces fameuses cassettes VHS des grands auteurs de one man show américains, qu’on n’appelait pas encore « stand up » chez nous. Toute une génération de comiques français, aujourd’hui épinglés par CopyComic, a été nourrie au lait américain, pompant sans vergogne les meilleurs sketches, du moins ceux qui étaient traduisibles…

« Jamel copie pas mal de vannes sur Chris Rock, Dave Chappelle et autres black americains...
Je voulais juste dire que je trouvais un peu gros que Jamel Debbouze, avec toute l’audience dont il dispose, se permette de copier litteralement des vannes de comiques noirs americains :
Le sketch ou il se fait cambrioler et ou la police le prend pour le cambrioleur, c’est carrement une traduction d’un sketch de Dave Chappelle ( "Killing them softly " _Je ne parle meme pas des concepts copies sur Chris Rock qui avait fait un sketch sur un grand proces ("O.J Simpson" , Jamel transcrit le meme effet avec le proces de Omar Raddad.
Durant tout le spectacle, j’ai donc eu la drole de surprise de m’apercevoir que beaucoup de similitudes apparaissaient. Et a ce niveau la, il ne peut s’agir de coincidences. Et c’est aussi malheureusement bien plus que de l’inspiration. D’un autre coté, je reste un grand fan de Jamel Debbouze, car malgré tout, il est bourré de talent, et fait considerablement avancé les choses...alors je leve mon poing en l’air, et je crie "Total Respect" » (Allociné)

Des vannes empoisonnées

Justement, Jamel a été très touché par son implication dans les vols de sketches (par exemple celui du cambriolage piqué à Dave Chapelle) au même titre qu’un Gad Elmaleh ou qu’un Tomer Sisley. Même s’il a pompé dix fois moins que Gad, le mal est fait, la puissance des vidéos-preuves sur YouTube est meurtrière. Mais si Jamel n’a pas su se renouveler en humour, la raison réside justement dans son système de « potes ». Là se trouve peut-être la clé d’une carrière au point mort. Un peu à la manière de Coluche qui faisait vivre un quarteron de potes fournisseurs de blagues, Jamel s’assure un entourage qui le nourrit en vannes. Mais on est loin du professionnalisme d’un Canteloup, qui a élevé ce principe à un niveau industriel : des auteurs professionnels, un renouvellement des sources, et au bout du compte, qu’on aime ou qu’on n’aime pas Canteloup, une exposition et une puissance de frappe sans égal (scène, radio et télé). Canteloup est moins populaire que Jamel mais la différence entre les deux est exactement celle entre le professionnel et l’amateur. Canteloup a emprunté une seule chose : quelques voix dans son CV qui appartenaient à Yves Lecoq des Guignols…

À force de bosser avec les copains, le niveau a baissé, les projets n’ont plus été dévastateurs et Jamel est doucement sorti du jeu. Il est aujourd’hui dépassé en force comique par une nouvelle génération, plus politique, plus adulte, plus trash : des Fary, des Meurice, des Foresti (avec qui Jamel s’est pris la tête pendant le tournage de son film américain), des Éboué, des Guillon, des Barré, des Blanche, des Dieudonné, des Belattar, des Proust font scandale, mais ils remplissent les salles, ils cartonnent là où Jamel patine. Ses thèmes sont dépassés, limite infantiles, la promotion de la diversité ne fait plus recette, la concurrence est féroce dans les sujets et dans le jeu ! Face à ces nouveaux monstres, Jamel fait figure de petit garçon qui n’a pas grandi.

Fabrice Eboué se moquait déjà avec un vice consommé du communautarisme du Jamel Comedy Club le 22 juin 2006 au Grand Journal de Canal+ :

« Il y a que des Noirs et des Arabes si vous avez bien regardé, et quelques Blancs qui sont là pour l’alibi, juste pour dire on a pas fait un truc entre Noirs et Arabes, et il y a un Chinois, c’est super important de dire qu’il y a un Chinois parce que si on regarde bien y a pas eu un Noir depuis Baracuda en France, et des Chinois y en a pas eu depuis… Depuis quoi. Et en fait je suis pour le quota, je suis le seul métisse ici, donc ça a marché comme ça en fait. »

Pour évoluer, le gamin de Trappes aurait besoin d’un grand coup de balai – ce que Mélissa a fait en partie, dans ses affaires, où sa naïveté lui a fait perdre beaucoup d’argent (notamment sa « conseillère » marocaine) – et d’un positionnement inédit. On dit qu’un artiste peut tenir 10 ans sur un style, et qu’ensuite il doit se renouveler ou décliner, sinon disparaître. C’est le cas pour les chanteurs, mais aussi pour les humoristes. Il semble que l’entourage de Jamel ne soit plus en mesure de lui fournir des munitions suffisamment puissantes pour rester en haut de l’affiche. Les sociétés de production gérées par ses frères Karim et Momo, les sketches écrits par les frères Hamidi (désormais brouillés), Ahmed et Mohamed, un Ahmed en partie responsable de la catastrophe industrielle Canal Presque avec Virginie Efira, une montagne d’argent pour une souris d’humour, Hamid le fidèle, Ichem dit Django, la mitraillette à vannes dont Jamel ne peut se séparer et qu’il estime meilleur que lui…

 

Le Système n’a plus besoin de Jamel

Le travail communautaire montre aujourd’hui ses limites. Jamel (en scène) n’en peut plus de tourner, et tourner de surcroît avec des spectacles boiteux. Il préfère faire l’ambianceur du Marrakech du Rire, cette formule lancée avec son ami le roi Mohamed VI juste après les attentats de 2011 au Maroc, histoire de faire revenir les touristes… Jamel a beaucoup investi au Maroc, grâce entre autres au cachet pharaonique de l’Astérix d’Alain Chabat (14 millions de francs à l’époque), dans l’immobilier mais aussi dans le cinéma. Si sa cote d’acteur dans ce domaine n’a pas dégringolé, elle n’est pas non plus au top : ce n’est pas un film pour enfants comme Sur la piste du Marsupilami qui va le hisser au rang de star du 7e Art…

« “Pourquoi j’ai pas mangé mon père”, son premier long-métrage en tant que réalisateur, est un bide financier. Au point que son producteur, Jérôme Seydoux, le patron de Pathé, en fait encore des cauchemars. Il y a de quoi : malgré un gros battage promotionnel et une sortie dans pas moins de 726 salles le 8 avril dernier, ce film d’animation 3D n’a réalisé “que” 2,5 millions d’entrées.
Honorable, certes, mais bien insuffisant pour amortir son énorme coût de production (50 millions d’euros). Selon nos informations, Pathé a subi une perte sèche de 28 millions d’euros, malgré les 3 millions de crédit d’impôt cinéma et les 500.000 euros de subvention de la région Ile-de-France (le tournage a été réalisé à Stains, en Seine-Saint-Denis). » (Capital du 30 octobre 2015)

Un quart de siècle après son démarrage foudroyant, Jamel n’avance plus, et prend logiquement du recul. Son personnage (inspiré grandement à ses débuts par le génial Dupontel) de « petit Beur » déjanté ne fait plus recette, ses liaisons politiques l’ont plus desservi que servi (les Chirac, François Hollande via Ladreit de Lacharrière), ses rôles à contre-emploi se sont soldés par des échecs (Angel-A), ses spectacles mal écrits sont de moins en moins sauvés par son sens de l’improvisation, son discours de discrimination positive passe moins bien dans une société crispée après les attentats de 2015-2016, son fonctionnement communautaire montre ses limites (on lui a reproché la déclinaison ethnique du Jamel Comedy Club), son embourgeoisement l’a éloigné du public des quartiers, beaucoup plus politisé et moins socialiste qu’on ne le croit, même si Jamel a pensé un temps se rendre indépendant du Système et suivre la trace de Dieudonné, mais y a vite renoncé, préférant garder sa Ferrari.

 

 

Après Dieudonné, voici ce que disait Alain Soral en 2008 sur l’évolution du comique de Trappes :

 

Bref, Jamel est sorti de la lumière centrale des médias. Pourra-t-il y revenir ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

 


 

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