L’amnésie traumatique est un phénomène de mieux en mieux admis, connu et compris. Elle est étroitement corrélée au phénomène de la dissociation traumatique théorisé pour la première fois par le médecin français Pierre Janet (1859-1947).
La dissociation est un mécanisme de défense par lequel le psychisme se protège des conséquences émotionnelles dévastatrices du traumatisme, en le rendant inaccessible à la mémoire. Cet état peut durer plusieurs mois, plusieurs années ou plusieurs décennies.
Lorsque l’événement traumatique n’est pas connu des proches de la victime, l’amnésie traumatique n’est véritablement constatée que quand elle prend fin, c’est-à-dire lorsque le souvenir de l’événement s’impose soudain à la mémoire, sous la forme d’un ou plusieurs flash-back (ou « reviviscences traumatiques »). Hélène Romano donne de nombreux exemple dans Amnésie traumatique. Des vies de l’ombre à la lumière (2020) [1].
Bien que l’amnésie traumatique dissociative soit un mécanisme de défense, elle engendre nécessairement des troubles psychiques. Il s’agit au sens large de « troubles de stress post-traumatiques » ou « troubles post-traumatiques », mais la psychiatre Muriel Salmona préfère parler de « mémoire traumatique ». Elle veut signifier par là que, si le traumatisme n’est pas intégré à la « mémoire autobiographique », il se manifeste néanmoins de façon « implicite » et « invasive », engendrant des « états d’hypervigilence, des conduites d’évitement et de contrôle », ou des « symptômes dissociatifs (absences, sentiments d’étrangeté et de dépersonnalisation, conduites à risque et addictives) » [2]. Malheureusement, ces troubles sont généralement mal diagnostiqués, si l’existence du traumatisme est inconnue ou minimisée.
Il n’est pas rare qu’une amnésie traumatique dure trente ou quarante ans. C’est pourquoi plusieurs associations, telles que Mémoire traumatique et victimologie, ont réclamé un allongement du délai de prescription en cas d’agression sexuelle, limité jusqu’ici à vingt ans après la majorité de la victime [3]. Flavie Flament, violée par le photographe David Hamilton à l’âge de treize ans, s’est impliquée dans ce combat, qu’elle raconte dans son film Viols sur mineurs : un combat contre l’oubli, diffusé sur France 5 le 15 novembre 2016.
Le souvenir du viol est revenu spontanément à Flavie Flament plus de vingt ans après les faits. C’est aussi le cas d’Elsa Lévy, violée à huit ans par un médecin, et de milliers d’autres victimes d’abus sexuels dans l’enfance. Ces souvenirs ne sont pas contestables, et peuvent être, dans la plupart des cas, corroborés.
Il en va autrement des « souvenirs récupérés » (recovered memories) lors de séances intensives de psychothérapies « régressives » ou hypnothérapies, au cours desquelles des patientes sont soumises à des conditionnements émotionnels, seules ou en groupes, avec parfois administration d’amobarbital (Amytal sodium). C’est de cela qu’il est question dans ce remarquable documentaire réalisé en 1995 par Ofra Bikel pour le magazine Frontline de la chaîne PBS, dont Yves Rasir et ses collaborateurs du magazine Néosanté viennent de réaliser le sous-titrage en français. Ce film documente une dérive thérapeutique effrayante aux États-Unis et dans d’autres pays anglophones dans les années 1980 et 90, une dérive qu’a encouragé le mouvement féministe le plus radical et qui a détruit les vies de dizaines de milliers de femmes et de leurs familles.
Souvenirs Divisés – Divided Memories, Partie I