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État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

Atteinte aux libertés privées sous couvert de lutte contre le terrorisme

Progressivement, la totalité des États membres de l’Union européenne adopte un état d’exception sous couvert de lutte contre le terrorisme. Jean-Claude Paye, qui a déjà démontré la totale inefficacité de ce dispositif face au but affiché, analyse ici la subjectivation du droit qui ne réprimera plus uniquement des faits, mais aussi des intentions supposées.

 

La « lutte contre le terrorisme » bouleverse en permanence l’environnement juridique. En Belgique, ce 1er décembre 2016, la Chambre vient, dans l’indifférence générale, d’adopter la loi « modifiant le Code pénal en ce qui concerne la répression du terrorisme », une législation qui accentue fortement la subjectivation du droit. En détachant l’incrimination de la matérialité de l’acte, les législations antiterroristes constituent une rupture dans l’écriture du droit pénal. Il s’agit moins de s’attaquer à des faits qu’à des intentions. Toute l’évolution législative va consister à abstraire toujours d’avantage l’objet véritable de l’incrimination du terrorisme, son élément intentionnel, d’en faire une chose en soi détachée de la réalité des faits. C’est dans cette perspective, de mise en place d’incriminations politiques, qu’il faut lire les notions successives de participation, de préparation ou d’incitation « indirecte » au terrorisme, en Belgique ou dans tout autre pays membre de l’Union européenne.

Les 13 et 15 décembre 2016, l’Assemblée nationale et le Sénat français ont adopté la loi prolongeant l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017. Ce régime d’exception est en vigueur depuis les attentats du 13 novembre 2015 et a déjà été prorogé à quatre reprises. Si la France est engagée dans un état d’urgence devenu permanent, il n’existe pas dans la Constitution belge, de disposition analogue au régime de l’état d’urgence, tel qu’il résulte de la loi française de 1955. L’article 187 de la loi fondamentale prévoit au contraire que « la Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ». Seul l’« état de guerre » est visé à l’article 167 de la loi fondamentale.

 

Des dispositions relevant de l’état d’exception

Pourtant, suite aux attentats dans les deux pays, le gouvernement belge a bien adopté des dispositions relevant de l’état d’exception. Douze mesures ont été rendues publiques en janvier 2015 [1] et dix-huit en novembre de la même année [2], tel le retrait de documents d’identité pour les personnes, présentant « un risque pour l’ordre public ou la sécurité », la possibilité d’effectuer des perquisitions, de jour comme de nuit, pour les infractions terroristes ou le port du bracelet électronique pour les personnes fichées par les services d’analyse de la menace. Les perquisitions de nuit seront légalisées par la loi du 27 avril 2016 [3]. Elles sont désormais autorisées en cas d’association de malfaiteurs ou en cas d’organisation criminelle, s’il existe des «  indices sérieux de possession d’armes prohibées ».

Cette loi crée aussi la base juridique pour une centralisation des banques de données des services de police et de renseignement concernant les combattants terroristes étrangers qui sont ou ont été résidents en Belgique. Cependant, cette liste est extensible, car dépendante de la subjectivité des opérateurs et de l’intention attribué aux personnes concernées. Ainsi, elle contiendra également des données de personnes qui, « volontairement ou non », ont été empêchées de se rendre dans la zone de conflit ou qui ont « l’intention » de s’y rendre, et de personnes qui ne remplissent pas ces critères, mais « pour qui il existe certaines indications qu’elles pourraient être considérées » comme des combattants terroristes étrangers [4].

La différence entre l’Hexagone et la Belgique se mesure au nombre de perquisitions et d’assignations à résidence, proportionnellement beaucoup plus important en France, ainsi que du caractère administratif des mesures. C’est aussi dans la réduction des libertés publiques que la mise en place d’un état d’urgence a fait la différence, en permettant d’interdire régulièrement manifestations et rassemblements sur la voie publique.

 

Déplacement à l’étranger « à des fins terroristes »

En ce qui concerne l’attaque contre les libertés privées, la Belgique a aussi été saisie d’une frénésie législative qui peut, dans certains cas, dépasser le modèle hexagonal. Présentée comme devant faire face à des attentats comme ceux de Charlie Hebdo à Paris et en rapport avec les mesures antiterroristes de janvier 2015, la loi du 20 juillet 2015 [5] incrimine les déplacements à l’étranger et le retour en Belgique « à des fins terroristes ». Elle modifie également les règles relatives à la déchéance de nationalité, en cas de condamnation pour infraction terroriste.

Ainsi, un nouveau comportement terroriste est inséré dans le Code pénal, à savoir le déplacement à l’étranger et le retour en Belgique, aux fins de commettre une infraction terroriste. Par ailleurs, les écoutes téléphoniques, en cours d’instruction, sont désormais autorisées pour ce type de délit. Enfin, toutes les infractions « terroristes » peuvent désormais mener à une déchéance de nationalité. Ces comportements seront punis indépendamment de la réalisation ou non de l’acte lui-même, puisque le but serait de « prévenir un résultat dommageable ». La législation ne se contente pas de s’attaquer aux organisations terroristes, mais poursuit également les « loups solitaires », des personnes qui agiraient de façon isolée, tout en étant virtuellement liées au « terrorisme international ».

Lire la suite de l’article sur voltairenet.org

Notes

[1] « 12 mesures contre le terrorisme et le radicalisme », Document présenté en conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres du 16 janvier 2015

[2] « Les 18 mesures prises par le gouvernement pour lutter contre le terrorisme », Le Vif, 19 novembre 2015.

[3] Loi relative à des mesures complémentaires en matière de lutte contre le terrorisme, loi du 27 avril 2016, publiée le 9 mai 2016.

[4] « Un Arrêté royal précise le fonctionnement de la banque de données ‘Foreign Terrorist Fighters’ », Laure Lemmens & Karin Mees, LegalWorld.be, 28 septembre 2016.

[5] « Loi du 20 juillet 2015 visant à renforcer la lutte contre le terrorisme », Moniteur belge, 5 août 2015.

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10 Commentaires

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  • #1635817
    Le 2 janvier 2017 à 18:26 par anonyme
    État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

    "Atteinte aux libertés privées sous couvert de lutte contre le terrorisme"

    En tant que Belge, je me sens plutôt rassuré par toutes ces nouvelles mesures que mon pays vient d’adopter pour la simple raison que je n’ai pas l’intention de commettre des actes terroristes ni de voyager un jour en Syrie ; autrement dit, je ne vois pas en quoi cela réprimerait ma liberté. Je préfère soi-disant perdre un peu de ma liberté et vivre dans un endroit safe que de vivre dans un quelconque pays où les attentats sont à l’ordre du jour et devenus banals.

     

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    • #1635864
      Le Janvier 2017 à 19:37 par Facade
      État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

      Oui, en apparence c’est bien, je vous l’accorde... Donc vous serez d’accord pour porter une puce Rfid parce qu’en cas de malaise quelque part, vos soignants sauront votre passif médical ? Mais, derrière ? Tout est là, je crois. On fait croire que c’est pour notre bien mais les véritables intentions ne sont pas saines.
      Une bonne année,

       
    • #1635882
      Le Janvier 2017 à 20:00 par leo nidas
      État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

      Réfléchissez encore un peu, vous êtes en bonne voie...

       
    • #1635885
      Le Janvier 2017 à 20:02 par Raph
      État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

      Enferme toi 24h/24 dans ta cave alors, tu seras en totale sécurité !

       
    • #1635904
      Le Janvier 2017 à 20:26 par Giustizia
      État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

      N’avez-vous jamais envisagé que quelqu’un puisse vous en vouloir et vous dénoncer sur fausse accusation ? Dès lors, Quid de votre liberté et de votre défense s’il suffit de dénoncer une intention ? Il faut de la solidarité et défendre la liberté de chaque citoyen.

       
    • #1635934
      Le Janvier 2017 à 21:07 par VIVACHAVEZ
      État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

      @anonyme

      Avec ce que votre gouvernement est en train de mettre en place, vous ne resterez pas longtemps anonyme.......

       
    • #1636506
      Le Janvier 2017 à 07:27 par awrassi
      État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

      "Y-a-t-il terrorisme, et si oui qui l"’organise et qui vise-t-il ?" Puisque tu permets qu’on entrave ta liberté, je te défends de répondre. Je vais le faire à ta place : non, il n’y a pas de terrorisme (il reste à définir !), mais des assassinats ciblés commis par les liberticides et sataniques dirigeants qui désirent t’emprisonner à jamais dans leur modèle de vie ... Franchement, crois-tu qu’un Musulman gagne à tuer des gens à Bruxelles, Paris, Berlin et surtout ... Baghdad ?!!!!

       
  • #1635852
    Le 2 janvier 2017 à 19:25 par Ok
    État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

    Le temps vient de lois au titre du non soutient de la réprobation d’actes terroristes...

    - Pendant ce temps nos pays financent et arment des mercenaires en Syrie et ailleurs... Conclusion : cette affaire doit rester un dossier de professionnels : interdit que des gars perdus des banlieues européennes se prennent à rêver de la possibilité d’un engagement qui serait véritablement islamique.
    c’est aussi que ces "purs" seraient moins contrôlables.
    ceci explique cela.
    ca doit jouir sec dans les centres décisionnels occidebtaux.

     

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  • #1636048
    Le 3 janvier 2017 à 03:59 par paramesh
    État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

    on peut comprendre ce type de lois si on prend en compte le fait que de toutes façons on est déjà sur écoutes mais d’une façon "illégale".
    ce type de loi ne devrait permettre en fait qu’à empêcher un terroriste prêt à passer à l’acte de pouvoir échapper à la justice sous prétexte d’un vice de procédure (comme une écoute illégale ou une perquisition non autorisée).
    Et oui, une démocratie aura toujours du mal à se défendre contre des gens qui ne respectent pas ses règles tout en profitant de ses avantages.
    On en revient toujours au principe de la peine de mort : pourquoi pas la peine de mort si le condamné est vraiment coupable d’un crime monstrueux, ce qui est, hélas, loin d’être le cas dans les faits.
    C’est un vrai sac de noeuds dans un pays où l’état et la justice sont totalement corrompus, ce qui ne veut pas dire que par principe ces lois anti terroristes, soient une mauvaise chose si elle sont appliquées à de réels terroristes et surtout à leurs commanditaires

     

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  • #1636050
    Le 3 janvier 2017 à 04:02 par Dupifenboîte
    État d’urgence : vers la "répression des intentions" ?

    La traçabilité de l’homme ce nouveau bestiaux ou cette autre matière première.

    Nocif

     

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