Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Igor Dodon, président moldave : "Pour un protectionnisme rationnel et la préservation des valeurs"

Entretien accordé en exclusivité au site flux.md par le président de la République Moldave, Igor Dodon, réalisé par Ghenadie Vaculovschi.

 

Flux : Monsieur le président, plus d’un an s’est déjà écoulé depuis les élections présidentielles, lors desquelles vous avez remporté une victoire écrasante. Depuis lors, le monde découvre en vous un chef d’État adepte du courant souverainiste. Ce courant prend aussi de plus en plus d’ampleur en Europe occidentale, où la souveraineté des États est de jour en jour plus précaire. Quels sont, à votre avis, les facteurs qui mettent en péril la souveraineté de notre pays ?

Igor Dodon : C’est une question très complexe ; il y de très nombreux éléments, tant internes qu’externes, et, tandis que certains dépendent de nous, d’autres relèvent de la géopolitique régionale et mondiale. Et puisque nous parlons de souveraineté, comme vous l’avez fort justement dit, je donne ma préférence à des politiques visant, d’une part, à conserver les valeurs et les traditions nationales, à l’encontre du courant mondialiste qui devient actuellement de jour en jour plus agressif à l’échelle mondiale. D’autre part, je suis un adepte du protectionnisme économique en ce qui concerne le marché interne. Au moins ces deux éléments de base – les valeurs nationales, notre spécificité nationale, qui nous caractérise en tant que nation civique, en tant qu’État, en tant que citoyens – nous devons tout faire pour les conserver. En même temps, nous avons besoin d’un protectionnisme rationnel, qui nous permette de régler nos problèmes économiques internes : la création d’emplois, etc.

 

Dans le contexte créé par la mondialisation, comment la République Moldave peut-elle se soustraire à la condition d’une colonie des grandes puissances ?

Les petits pays sont toujours en danger. Les grands n’ont de cesse de vouloir les transformer en subalternes. C’est arrivé de nombreuses fois, à de nombreux pays. Dès que les dirigeants de petits pays se laissent attendrir par certaines faveurs – y compris de nature économique – que leur proposent les grandes puissances géopolitiques, ils sacrifient leur peuple tout entier, et nous devenons les otages d’une politique pro-occidentale ou pro-orientale. Il est très difficile de garder l’équilibre. Pour être sincères, nous devons reconnaître que, pendant diverses étapes de son histoire, la République Moldave n’a pas été capable de maintenir l’équilibre. Au cours des années 1990, par désir de nous rapprocher de l’Occident, nous avons laissé l’Ouest nous donner de nombreux conseils et nous l’avons imité dans bien des domaines, détruisant tout ce que nous avait laissé l’Union Soviétique – ou du moins, ce qu’elle nous avait laissé de bien. Je pense notamment aux infrastructures. Ces derniers temps, on constate à nouveau une volonté de complaire aux Européens ou aux Américains, et cette volonté nous met en danger.

La République Moldave ne peut survivre qu’à condition de conserver de bonnes relations avec l’Est comme avec l’Ouest. Cela reste-t-il possible, surtout dans le contexte de la mondialisation ? C’est difficile, mais pour ma part, j’estime que c’est possible. Bien entendu, pour s’assurer un tel statut, outre le désir de le faire, nous avons besoin à l’interne d’une volonté politique des dirigeants et de la société, or c’est là qu’apparaît le problème : notre société est divisée – entre pro-occidentaux et pro-orientaux. Le premier pas pour nous consisterait à comprendre que nous ne devons pas être pro-quoi que ce soit, mais pro-Moldavie. Le pas suivant serait d’obtenir un consensus des forces géopolitiques. Lorsque la Suisse a été créée, comme État neutre entre plusieurs grands empires de l’époque – la France, l’Allemagne, l’Italie –, les grands empires ont donné leur accord à l’existence d’un pays où une partie des habitants parle le français, une autre partie une langue ressemblant plutôt à l’italien, tandis qu’une troisième partie parle un dialecte de l’allemand. Les grands du continent, d’un commun accord, ont décidé que cet État, dont le nom signifiait à l’origine « pays limitrophe », aurait le droit de vivre neutre en leur milieu. Sans subir d’annexions. Eh bien, la République Moldave aurait de bonnes chances de devenir une nouvelle Suisse, à condition de disposer préalablement d’un consensus social interne dans ce sens, à l’échelle de la nation.

La seconde condition importante, c’est que les grandes puissances réussissent à résister à la tentation de nous annexer. L’Union européenne peut très bien vivre sans nous, tout comme la Russie ; or, soumises à une force d’attraction, les pays comme la Moldavie tombent en morceaux. C’est ce qui s’est passé en Ukraine. La grande erreur des puissances géopolitiques a été d’adopter une approche « if, if » – avec nous ou contre nous. Pour des États comme la République Moldave, l’Ukraine et autres, on ne peut pas accepter une telle approche de la part de nos partenaires géopolitiques. Car si on le fait, tant va la cruche à l’eau qu’elle casse. Vous voyez bien ce qui se passe en Ukraine. La Moldavie est exposée au même risque. C’est du moins mon opinion, dont j’ai eu l’occasion de discuter aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est, avec monsieur Poutine à plusieurs reprises au cours de l’année écoulée, mais aussi avec les autorités de Bruxelles, comme madame Mogherini et d’autres – et j’ai l’impression que, de plus en plus souvent, mon approche suscite la compréhension de nos partenaires externes.

 

La Moldavie peut-elle amener les acteurs principaux de l’échiquier à adopter un tel consensus ? Il nous est, bien entendu, impossible de les contrôler, mais peut-on jouer un rôle dans ce processus ? Et quelle serait la nature de ce rôle ?

Nous devons tout faire pour les convaincre. Il s’agit de quelques grandes puissances : la Fédération Russe, l’Union Européenne, mais aussi l’Allemagne qui joue un rôle important dans l’UE, et les États-Unis d’Amérique, qui se trouvent à une plus grande distance, mais ont une grande influence dans la région, et notamment sur ce qui se passe en Roumanie, qui est un pays de première importance à l’échelle régionale. J’estime que notre but stratégique doit être que la Moldavie figure à l’ordre du jour de ces grandes puissances comme l’endroit où il est possible de parvenir à un compromis géopolitique régional. À mon avis, la nécessité d’un compromis régional est évidente et va devenir encore plus évidente au cours des prochains temps. Une fois les élections russes terminées, je suis convaincu que la Fédération de Russie et les États-Unis vont partir à la recherche de points d’accord dans cette région. Après tout, ils ont aussi des programmes communs dans d’autres parties du monde. Or dans cette région-ci, ils vont avoir besoin d’un ordre du jour commun et d’un exemple positif dont les deux parties puissent se réclamer.

Voilà ce que je me suis efforcé de faire comprendre en Allemagne, dans la Fédération Russe, à Bruxelles, aux États-Unis : tel a été mon but tout au long de cette première année de mandat – de démontrer que l’endroit où nous nous trouvons est le point où chacun d’entre vous pourrait s’enorgueillir d’une réussite. Vous pouvez envisager de venir ici sous les auspices d’une réussite qui soit celle de tous, et non d’un seul ; et cette réussite pourrait, à l’avenir, servir de modèle pour résoudre d’autres problèmes. Sincèrement, j’attends avec optimisme la période qui s’ouvrira après la finalisation de tous les processus électoraux de l’année en cours : chez nous, en Russie, aux États-Unis (élections de mi-mandat au Congrès). J’espère qu’après cela, 2019 sera l’année des compromis, et que la Moldavie figurera à l’ordre du jour des grandes puissances. Ces derniers temps, nous n’étions pas à l’ordre du jour. Ou du moins, pas en première page.

 

Les promoteurs du discours pro-occidental vous présentent comme étant pro-russe. En revanche, j’ai suivi avec beaucoup d’attention votre intervention du 15 décembre 2017 lors de la conférence internationale organisée autour du thème des Alternatives au Capitalisme Financier ; or, dans le cadre de cette intervention, vous vous êtes positionné comme adepte du concept de Grande Europe, « de Lisbonne à Vladivostok », que certains auteurs appellent aussi « l’axe Paris-Berlin-Moscou ». Quel est le rôle que peut jouer la République Moldave dans ce concept, dont nous savons qu’il est en proie au sabotage constant d’autres forces, qui ne relèvent pas forcément du continent eurasiatique ?

La Moldavie est un petit pays, mais qui est appelé à jouer un rôle décisif. À condition d’en avoir l’intelligence, nous pouvons devenir le pont par lequel cette route peut s’ouvrir. Au lieu d’être ignorés par le monde entier, nous pourrions servir d’exemple, de point d’entente entre les grandes puissances, comme je le disais à l’instant. Si nous ne réussissons pas à avoir l’intelligence et la compétence nécessaires, alors ce pays va être déchiré et tomber en morceaux. Ceux qui s’efforcent de me faire passer pour un politicien pro-russe sont précisément ceux qui ne veulent pas que nous arrivions à ce consensus. Parce qu’il est beaucoup plus facile de dire qu’il y a les pro-russes d’un côté, les pro-européens de l’autre, et de continuer à diviser la société. Je vous le dis sincèrement : c’est une réalité dont, moi-même, je prends de plus en plus conscience ; j’admets que par le passé, j’ai pu, moi aussi, être trop catégorique sur certains points, mais de plus en plus, je me rends compte que la Moldavie a besoin d’équilibre dans sa politique étrangère. Et, pourvu que nous fassions preuve d’assez de compétence, de maturité politique et d’intelligence pour en assurer les conditions internes, la Moldavie aura un rôle décisif dans la création de cet axe [Paris-Berlin-Moscou – n.d.l.r.].

Lire l’article entier sur flux.md

L’Eurasie face à l’Empire, à lire sur Kontre Kulture :

 

La singularité moldave, sur E&R :

 






Alerter

5 Commentaires

AVERTISSEMENT !

Eu égard au climat délétère actuel, nous ne validerons plus aucun commentaire ne respectant pas de manière stricte la charte E&R :

- Aucun message à caractère raciste ou contrevenant à la loi
- Aucun appel à la violence ou à la haine, ni d'insultes
- Commentaire rédigé en bon français et sans fautes d'orthographe

Quoi qu'il advienne, les modérateurs n'auront en aucune manière à justifier leurs décisions.

Tous les commentaires appartiennent à leurs auteurs respectifs et ne sauraient engager la responsabilité de l'association Egalité & Réconciliation ou ses représentants.

Suivre les commentaires sur cet article

  • #1902444

    Paris-Berlin-Moscou et on devient - et de loin - la premiere puissance du monde et ce à tous les niveaux... Tu m’étonnes que l’Oncle Sam fait tout depuis 45 pour empecher que cela arrive !!!!

     

    Répondre à ce message

    • Cher Francky, c’est exactement cela, un éventuel réveil des nations européennes fait peur à l’oligarchie américaine, et c’est pour cela qu’elle fait tout pour détruire l’Europe la vraie afin de préserver ses intérêts malsain.
      Et cela bien entendu grâce à cet outil de destruction massive qu’est l’Union Européenne, complétement sous son contrôle, et composée exclusivement de traîtres à son service aux postes clés.

       
    • Quid de Paris tout court et d’une France forte,
      indépendante et souveraine ? Pourquoi ce besoin d’aller chercher un axe auprès de ceux qui ont saigné la France en 70, 14-18 et 39-45 ? À quand la fin de cette supercherie qu’est le couple franco-allemand ?

       
    • @Tank :
      Relisez bien mon commentaire, je ne parle pas de l’amitié franco-allemand, mais d’une alliance entre l’europe des nations et la federation de Russie.
      Ceci ne nie nullement la souveraineté de la France, bien au contraire, de part cette double alliance (entre pays européen d’une part et entre ces pays européen et la federation de Russie d’autre part) nous gardons notre independance.
      Soit premier niveau d’alliance entre pays européens souverains formant ainsi une puissance réelle - d’ou necessité d’une alliance France Allemagne et non d’une "amitié" - et deuxième niveau entre cette alliance ET la fédération de Russie
      Il faut à un moment être réaliste (et non ideologue) et en phase avec son époque.
      La France pays de 60 millions d’habitants pour rester souveraine (face aux USA et demain à la Chine) a besoin elle aussi de faire partie d’un grand ensemble à savoir 650 millions d’habitants, la premiere industrie au monde, la premiere economie et la premiere force militaire.
      Chaque membre de cet ensemble se nourrissant de la richesse des autres membres.
      C’est ce que de Gaulle avait preconisé il y a deja longtemps et qu’on appelle l’axe "Paris-Berlin-Moscou"...

       
  • #1902975

    J’aime beaucoup les propos du président de ce petit pays qu’on imagine bien menacé par les intérêts américano-sionistes qui divisent le continent en deux depuis 70 ans et détruisent nos cultures, nos repères, nos racines et même nos langues.

    Le président Dodon apprécie les messages d’amitié venus de l’Ouest, je crois que je faire pareil, son idée de la société correspond aux miennes et lui manifester de l’amitié est une petite quenelle de plus dans le système.

     

    Répondre à ce message