Egalité et Réconciliation
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L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

Par Israël Shamir

J’ai récemment reçu à Moscou une chemise bleu-marine datée de 1975, qui contenait l’un des secrets les mieux gardés de la diplomatie du Moyen Orient et des USA. Le mémoire rédigé par l’ambassadeur soviétique au Caire Vladimir M. Vinogradov, apparemment le brouillon d’un rapport adressé au Politbureau soviétique décrit la guerre d’octobre 1973 comme un complot entre les dirigeants israéliens, américains et égyptiens, orchestré par Henry Kissinger. Cette révélation va vous choquer, si vous êtes un lecteur égyptien. Moi qui suis un Israélien et qui ai combattu les Égyptiens dans la guerre de 1973, j’ai été choqué aussi, je me suis senti poignardé, et je reste terriblement excité par l’incroyable découverte. Pour un Américain cela pourra être un choc.

A en croire le dit mémoire (à paraître in extenso dans le magazine prestigieux Expert de Moscou), Anouar al Sadate, qui cumulait les titres de président, premier ministre, président de l’ASU, commandant en chef des armées, avait conspiré de concert avec les Israéliens, avait trahi la Syrie son alliée, condamné l’armée syrienne à sa perte, et Damas à se retrouver bombardée, avait permis aux tanks de Sharon de s’engager sans danger sur la rive occidentale du Canal de Suez, et en fait, avait tout simplement planifié la défaite des troupes égyptiennes dans la guerre d’octobre 1973. Les soldats égyptiens et officiers se battirent bravement et avec succès contre l’armée israélienne -trop bien, même, au goût de Sadate, puisqu’il avait déclenché la guerre pour permettre aux USA de faire leur retour au Moyen Orient. Tout ce qu’il réussit à faire à Camp Davis, il aurait pu l’obtenir sans guerre quelques années plus tôt.

Il n’était pas le seul à conspirer : selon Vinogradov, la brave grand’mère Golda Meir avait sacrifié deux mille des meilleurs combattants juifs ( elle ne pensait pas qu’il en tomberait autant, probablement) afin d’offrir à Sadate son heure de gloire et de laisser les USA s’assurer de positions solides au Moyen Orient. Le mémoire nous ouvre la voie pour une réinterprétation complètement inédite du traité de Camp David, comme un pur produit de la félonie et de la fourberie.

Vladimir Vinogradov était un diplomate éminent et brillant ; il a été ambassadeur à Tokyo dans les années 1960, puis au Caire de 1970 à 1974, co-président de la Conférence de Paix de Genève, ambassadeur à Téhéran pendant la révolution islamique, représentant au Ministère des Affaires étrangères de l’URSS et ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. C’était un peintre de talent, et un écrivain prolifique ; ses archives comportent des centaines de pages d’observations uniques et de notes qui couvrent les affaires internationales, mais son journal du Caire tient la place d’honneur, et parmi d’autres, on y trouve la description de ses centaines de rencontres avec Sadate, et la séquence complète de la guerre, puisqu’il l’observait depuis le quartier général de Sadate au moment précis où les décisions étaient prises. Lorsqu’elles seront publiées, ces notes permettront de réévaluer la période post-nassérienne de l’histoire égyptienne.

Vinogradov était arrivé au Caire pour les funérailles de Nasser, et il y resta comme ambassadeur. Il a rendu compte du coup d’État rampant de Sadate, le moins brillant des hommes de Nasser, qui allait devenir le président par un simple hasard, parce qu’il était le vice-président à la mort de Nasser. Il avait aussitôt démis de leurs fonctions, exclu et mis en prison pratiquement tous les hommes politiques importants de l’Égypte, les compagnons d’armes de Gamal Abd el Nasser, et démantela l’édifice du socialisme nassérien..

Vinogradov était un fin observateur, mais nullement un comploteur ; loin d’être un doctrinaire têtu, c’était un ami des Arabes et il soutenait fermement l’idée d’une paix juste entre Arabes et Israël, une paix qui satisferaient les besoins des Palestiniens et assurerait la prospérité juive.

La perle de ses archives, c’est le dossier intitulé "La partie en jeu au Moyen Orient". Il contient quelques 20 pages dactylographiées, annotées à la main, à l’encre bleue, et il s’agit apparemment d’un brouillon pour le Politbureau et pour le gouvernement, daté de janvier 1975, juste après son retour du Caire. La chemise contient le secret mortel de la collusion dont il avait été témoin. C’est écrit dans un russe vivant et tout à fait agréable à lire, pas dans la langue de bois bureaucratique à laquelle on pourrait s’attendre. Deux pages ont été ajoutées au dossier en mai 1975 ; elles décrivent la visite de Vinogradov à Amman et ses conversations informelles avec Abou Zeid Rifai, le premier ministre, ainsi que son échange de vues avec l’ambassadeur soviétique à Damas.

Vinogradov n’a pas fait connaître ses opinions jusqu’en 1998, et même à ce moment, il n’a pas pu parler aussi ouvertement que dans ce brouillon. En fait, quand l’idée de collusion lui eût été présentée par le premier ministre jordanien, il avait refusé d’en discuter avec lui, en diplomate avisé.

La version officielle de la guerre d’octobre 1973 dit que le 6 octobre 1973, conjointement avec Hafez al-Assad de Syrie, Anouar al Sadat déclencha la guerre, avec une attaque surprise contre les forces israéliennes. Ils traversèrent le canal de Suez et s’avancèrent dans le Sinaï occupé, juste quelques kilomètres. La guerre se poursuivant, les tanks du général Sharon avaient traversé à leur tour le canal, et encerclé la troisième armée égyptienne. Les négociations pour le cessez-le feu avaient débouché sur la poignée de main à la Maison Blanche.

En ce qui me concerne, la guerre de Yom Kipour, comme nous l’avions appelée constitue un chapitre important de ma biographie. En tant que jeune parachutiste, j’ai combattu, pendant cette guerre, j’ai traversé le canal, j’ai pris les hauteurs de Gabal Ataka, j’ai survécu aux bombardements et aux corps-à-corps, j’ai enseveli mes camarades, tiré sur les chacals du désert mangeurs d’hommes et sur les tanks ennemis. Mon unité avait été amenée par hélicoptère dans le désert, où nous avons coupé la ligne principale de communication entre les armées égyptiennes et leur base, la route Suez-le Caire. Notre position, à 101 km du Caire, a servi de cadre aux premières conversations pour le cessez-le-feu ; de sorte que je sais que la guerre n’est pas un vain mot, et cela me fait mal de découvrir que moi et mes camarades en armes n’étions que des pions jetables dans le jeu féroce où nous, les gens ordinaires, étions les perdants. Bien entendu, je n’en savais rien à ce moment, pour moi, la guerre était la surprise, mais je n’étais pas général à l’époque.

Pour Vinogradov, aucune surprise : de son point de vue, tant la traversée du canal par les Égyptiens que les incursions de Sharon étaient planifiées, agréées à l’avance par Kissinger, Sadate et Golda Meir. Le plan comportait d’ailleurs la destruction de l’armée syrienne au passage.

Pour commencer, il pose certaines questions : comment la traversée pourrait-elle avoir été une surprise alors que les Russes avaient évacué leurs familles quelques jours avant la guerre ? La concentration des forces était facile à observer, et ne pouvait pas échapper à l’attention des Israéliens. Pourquoi les forces égyptiennes n’ont-elles pas avancé après avoir traversé, et sont-elles restées plantées là ? Pourquoi n’y avait-il aucun plan pour aller plus loin ? Pourquoi y avait-il un large espace vide de 40 km, non gardé, entre la deuxième et la troisième armée, une brèche qui était une invitation pour le raid de Sharon ? Comment les tanks israéliens ont-ils pu ramper jusqu’à la rive occidentale ? Pourquoi Sadate avait-il refusé de les arrêter ? Pourquoi n’y avait il pas de forces de réserve sur la rive occidentale ?

Vinogradov emprunte une règle chère à Ssherlock Holmes qui disait : quand vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable cela soit-il, doit être la vérité. Il écrit : on ne saurait répondre à ces questions si l’on tient Sadate pour un véritable patriote égyptien. Mais on peut y répondre pleinement, si l’on considère la possibilité d’une collusion entre Sadate, les USA et la direction israélienne. Une conspiration dans laquelle chaque participant poursuivait ses propres objectifs. Une conspiration dans laquelle aucun participant ne connaissait tous les détails du jeu des autres. Une conspiration dans laquelle chacun essayait de rafler la mise, en dépit de l’accord commun.

Le plan de Sadate

Sadate était au point le plus bas de son pouvoir avant la guerre : il perdait son prestige dans son pays et dans le monde. Le moins diplômé et le moins charismatique des disciples de Nasser se retrouvait isolé. Il avait besoin d’une guerre, d’une guerre limitée avec Israël, qui ne se terminerait pas par une défaite. Une telle guerre l’aurait soulagé de la pression de l’armée, et il aurait retrouvé son autorité. Les USA étaient d’accord pour lui donner le feu vert pour la guerre, chose que les Russes n’avaient jamais fait. Les Russes protégeaient le ciel égyptien, mais ils étaient contre les guerres. Sadate devait s’appuyer sur les USA et se dégager de l’URSS. Il était prêt à le faire parce qu’il détestait le socialisme. Il n’avait pas besoin de la victoire, juste d’une non-défaite ; il avait l’intention d’expliquer son échec par la déficience des équipements soviétiques. Voilà pourquoi il avait imparti à l’armée une tâche minimale : traverser le canal et tenir la tête de pont jusqu’à ce que les Américains entrent dans la danse.

Le plan des USA

Les USA avaient perdu leur emprise sur le Moyen Orient, avec son pétrole, son canal, sa vaste population, au cours de la décolonisation. Ils étaient obligés de soutenir l’allié israélien, mais les Arabes n’arrêtaient pas de se renforcer. Il aurait fallu obliger Israël à plus de souplesse, parce que sa politique brutale interférait avec les intérêts américains. Si bien que les USA devaient conserver Israël en tant qu’allié, mais au même moment il leur fallait briser l’arrogance d’Israël. Les USA avaient besoin d’une occasion de "sauver" Israël après avoir autorisé les Arabes à frapper les Israéliens pendant un moment. Voilà comment les USA permirent à Sadate d’entamer une guerre limitée.

Israël

Les dirigeants israéliens se devaient d’aider les USA, leur principal fournisseur et soutien. Les USA devaient consolider leurs positions au Moyen Orient, parce qu’en 1973 ils n’avaient qu’un seul ami et allié, le roi Fayçal. (Kissinger avait dit à Vinogradov que Fayçal essayait de l’endoctriner sur la malignité des juifs et des communistes). Si les USA devaient retrouver leurs positions au Moyen Orient, les positions israéliennes s’en trouveraient fortifiées d’autant. L’Égypte était un maillon faible, parce que Sadate n’aimait pas l’URSS ni les forces progressistes locales, on pouvait le retourner. Pour la Syrie, il fallait agir au plan militaire, et la briser.

Les Israéliens et les Américains décidèrent donc de laisser Sadate s’emparer du canal tout en contrôlant les cols de Mittla et de Giddi, la meilleure ligne de défense de toute façon. C’était le plan de Rogers en 1971, et c’était acceptable pour Israël. Mais cela devait être le résultat d’une bataille, et non pas une cession gracieuse.

Pour ce qui est de la Syrie, il fallait la battre à plate couture, au plan militaire. Voilà pourquoi l’État-major israélien envoya bien toutes ses troupes disponibles sur la frontière syrienne, tout en dégarnissant le Canal, malgré le fait que l’armée égyptienne était bien plus considérable que celle des Syriens. Les troupes israéliennes sur le canal allaient se voir sacrifiées dans la partie, elles devaient périr pour permettre aux USA de revenir au Moyen Orient.

Cependant, les plans des trois partenaires allaient se voir quelque peu contrariés par la réalité du terrain ; c’est ce qui se produit généralement avec les conspirations, rien ne se passe comme prévu, dit Vinogradov, dans son mémoire...

Pour commencer, le jeu de Sadate se trouva faussé. Ses présupposés ne fonctionnèrent pas. Contrairement à ses espérances, l’URSS prit le parti des Arabes et commença à fournir par voie aérienne l’équipement militaire le plus moderne, aussitôt. L’URSS prit le risque d’une confrontation avec les USA ; Sadate ne croyait pas qu’ils le feraient parce que les Soviétiques étaient réticents envers la guerre, avant qu’elle éclate. Son second problème, selon Vinogradov, était la qualité supérieure des armes russes aux mains des Égyptiens. Elles étaient meilleures que l’armement occidental aux mains des Israéliens.

En tant que soldat israélien à l’époque, je ne puis que confirmer les paroles de l’ambassadeur. Les Égyptiens bénéficiaient de la légendaire Kalachnikov AK-47, le meilleur fusil d’assaut au monde, alors que nous n’avions que des fusils FN qui détestaient le sable et l’eau. Nous avons lâché nos FN pour nous emparer de leurs AK à la première occasion. Ils utilisaient des missiles anti-chars Sagger légers, portables, précis, qu’un seul soldat pouvait charger. Les Saggers ont bousillé entre 800 et 1200 chars israéliens. Nous avions de vieilles tourelles de 105 mm sans recul montées sur des jeeps, et il fallait quatre hommes sur chacune ( en fait un petit canon) pour combattre les chars. Seules les nouvelles armes américaines redressaient quelque peu l’équilibre.

Sadate ne s’attendait pas à ce que les troupes égyptiennes entraînées par les spécialistes soviétiques surpassent leur ennemi israélien, mais c’est ce qui se passa. Elles franchirent le canal bien plus vite que ce qui était prévu, et avec beaucoup moins de pertes. Les Arabes battaient les Israéliens, et c’était une mauvaise nouvelle pour Sadate. Il était allé trop loin. Voilà pourquoi les troupes égyptiennes s’arrêtèrent, comme le soleil au-dessus de Gibéon, et ne bougèrent plus. Ils attendaient les Israéliens, mais à ce moment les Israéliens étaient en train de combattre les Syriens. Les Israéliens se sentaient relativement tranquilles du côté de Sadate, et ils avaient envoyé toute leur armée au nord. L’armée syrienne reçut de plein fouet l’assaut israélien et commença à battre en retraite, ils demandèrent à Sadate d’avancer, pour les soulager un peu, mais Sadate refusa. Son armée resta plantée là, sans bouger, malgré le fait qu’il n’y avait pas un Israélien en vue entre le canal et les cols de montagne. Le dirigeant syrien Assad était convaincu à l’époque que Sadate l’avait trahi, et il le déclara franchement à l’ambassadeur soviétique à Damas, Muhitdinov, qui en fit part à Vinogradov. Vinogradov voyait Sadate tous les jours et il lui demanda en temps réel pourquoi ses troupes n’avançaient pas. Il ne reçut aucune réponse sensée : Sadate bredouilla qu’il ne voulait pas parcourir tout le Sinaï pouraller à la rencontre des Israéliens, qu’ils arriveraient bien jusqu’à lui tôt ou tard.

Le commandement israélien était bien ennuyé, parce que la guerre ne sa passait pas comme ils s’y attendaient. Ils avaient de lourdes pertes sur le front syrien, les Syriens se retiraient, mais il fallait se battre pour chaque mètre ; seule la passivité de Sadate sauvait les Israéliens d’un revers. Le plan pour en finir avec la Syrie avait raté, mais les Syriens ne pouvaient pas contre-attaquer efficacement.

Il était temps de punir Sadate : son armée était trop efficace, son avance trop rapide, et pire encore ; il dépendait encore plus des Soviétiques, grâce au pont aérien. Les Israéliens mirent fin à leur avancée sur Damas et envoyèrent les troupes au sud, dans le Sinaï. Les Jordaniens pouvaient à ce moment-là couper la route nord-sud, et le roi Hussein offrit de le faire à Sadate et à Assad. Assad accepta immédiatement, mais Sadate refusa d’accepter l’offre. Il expliqua à Vinogradov qu’il ne croyait pas aux capacités de combat des Jordaniens. S’ils rentrent dans la guerre, c’est l’Égypte qui va devoir les tirer d’affaire. A un autre moment, il dit qu’il valait mieux perdre tout le Sinaï que de perdre un mètre carré en Jordanie : remarque qui manquait de sincérité et de sérieux, du point de vue de Vinogradov. Et voilà comment les troupes israéliennes marchèrent vers le sud sans encombre.

Pendant la guerre, nous les Israéliens savions aussi que si Sadate avançait, il s’emparerait du Sinaï en moins de deux ; nous examinions plusieurs hypothèses pour comprendre pourquoi il ne bougeait pas, mais aucune n’était satisfaisante. C’est Vinogradov qui nous donne la clé à présent ; Sadate ne jouait plus sa partition, il attendait que les USA interviennent. Et il se retrouva avec le raid de Sharon fonçant.

La percée des troupes israéliennes jusqu’à la rive occidentale du canal est la partie la plus sombre de la guerre, dit Vinogradov. Il demanda à l’État-major de Sadate au début de la guerre pourquoi il y avait une large brèche de 40 km entre les deuxième et troisième corps d’armées, et on lui répondit que c’était une directive de Sadate. La brèche n’était même pas gardée, c’était un porte grande ouverte, comme un Cheval de Troie tapi au fond d’un programme d’ordinateur.

Sadate n’accorda pas d’attention au raid de Sharon, il était indifférent à ces coups de théâtre. Vinogradov lui demanda de faire quelque chose, dès que les cinq premiers chars israéliens eurent traversé le canal, mais Sadate refusa, disant que ça n’avait pas d’importance militairement, que ce n’était qu’une "manœuvre politique", expression fort brumeuse. Il le redit plus tard à Vinogradov, lorsque l’assise israélienne sur la rive occidentale fut devenue une tête de pont incontournable. Sadate n’écouta pas les avertissements de Moscou, il ouvrit la porte de l’Afrique aux Israéliens.

Il y a place pour deux explications, dit Vinogradov : impossible que l’ignorance militaire des Égyptiens fût aussi grande, et improbable que Sadate eût des intentions cachées. Et c’est l’improbable qui clôt le débat, comme le faisait remarquer Sherlock Holmes.

Si les Américains n’ont pas stoppé l’avancée aussitôt, dit Vinogradov, c’est parce qu’ils voulaient avoir un moyen de pression pour que Sadate ne change pas d’avis sur tout le scénario en cours de route. Apparemment la brèche avait été conçue dans le cadre de cette éventualité. Donc, quand Vinogradov parle de "conspiration", il se réfère plutôt à une collusion dynamique, semblable à la collusion concernant la Jordanie, entre la Yeshuva juive et la Transjordanie, telle que l’a décrite Avi Shlaim : il y avait des lignes générales et des accords, mais qui pouvaient changer selon le rapport de force entre les parties.

Conclusion

Les USA ont "sauvé" l’Égypte en mettant un point d’arrêt à l’avancée des troupes israéliennes. Avec le soutien passif de Sadate, les USA ont permis à Israël de frapper durement la Syrie.

Les accords négociés par les USA pour l’intervention des troupes de l’ONU ont protégé Israël pour les années à venir. (Dans son document important mais différent, ses annotations au livre de Heikal Road to Ramadan, Vinogradov rejette la thèse du caractère inévitable des guerres entre Israéliens et Arabes : d’après lui, tant que l’Égypte reste dans le sillage des USA, une telle guerre est à écarter. Effectivement, il n’y a pas eu de grande guerre depuis 1974, à moins de compter les "opérations" israéliennes au Liban et à Gaza.)

Les US ont sauvé Israël grâce à leurs fournitures militaires. Grâce à Sadate, les US sont revenus au Moyen Orient et se sont positionné comme les seules médiateurs et "courtiers honnêtes" dans la région.

Sadate entreprit une violente campagne anti-soviétique et antisocialiste, dit Vinogradov, dans un effort pour discréditer l’URSS. Dans ses Notes,

Vinogradov charge le trait, affirmant que Sadate avait répandu beaucoup de mensonges et de désinformation afin de discréditer l’URSS aux yeux des Arabes. Sa ligne principale était que l’URSS ne pouvait ni ne souhaitait libérer le territoire arabe alors que les US le pouvaient, le voulaient, et le faisaient..

Vinogradov explique ailleurs que l’Union soviétique était et reste opposée aux guerres d’agression, entre autres raisons parce que l’issue n’en est jamais certaine. Cependant, l’URSS était prête à aller loin pour défendre les États arabes. Et pour ce qui est de la libération, bien des années sont passées, et ont prouvé que les US ne voulaient ou ne pouvaient nullement en faire autant, alors que la dévolution du Sinaï à l’Égypte était toujours possible, en échange d’une paix séparée, et cela même sans guerre.

Après la guerre, les positions de Sadate s’améliorèrent nettement. Il fut salué comme un héros, l’Égypte eut la place d’honneur parmi les États arabes. Mais en moins d’un an, sa réputation se retrouva en lambeaux, et celle de l’Égypte n’a cessé de se ternir, dit Vinogradov.

Les Syriens avaient compris très tôt le jeu de Sadate : le 12 octobre 1973, lorsque les troupes égyptiennes s’arrêtèrent et cessèrent de combattre, le président Hafez al Assad dit à l’ambassadeur soviétique qu’il était certain que Sadate était en train de trahir volontairement la Syrie. Sadate avait permis la percée israélienne jusque sur la rive occidentale de Suez, de façon à offrir à Kissinger une occasion d’intervenir et de concrétiser son plan de désengagement, confia Assad au premier ministre jordanien Abu Zeid Rifai qui le dit à son tour à Vinogradov durant un petit-déjeuner privé qu’ils prirent chez lui à Amman. Les Jordaniens aussi soupçonnent Sadate de tricher, écrit Vinogradov. Mais le prudent Vinogradov refusa de rentrer dans ce débat, tout en ayant bien l’impression que les Jordaniens "lisaient dans ses pensées."

Lorsque Vinogradov fut désigné comme co-président de la Conférence de paix de Genève, il fit face à une position commune à l’Égypte et aux USA visant à saboter la conférence, tandis qu’Assad refusait tout simplement d’y participer. Vinogradov lui remit un avant-projet pour la conférence et lui demanda si c’était acceptable pour la Syrie. Assad répondit ; oui, sauf une ligne. Quelle ligne, demanda plein d’espoir Vinogradov, et Assad rétorqua ; la ligne qui dit "la Syrie accepte de participer à la conférence." Et la conférence fut un fiasco, comme toutes les autres conférences et conversations diverses.

Quoique les soupçons formulés par Vinogradov dans son document secret soient venus à l’esprit de différents experts militaires et historiens, jamais jusqu’alors ils n’avaient été formulés par un participant aux évènements, une personne aussi haut placée, aussi informée, présente aux moments clé, et en possession de tous les éléments. Les notes de Vinogradov permettent de déchiffrer et de retracer l’histoire de l’Égypte : désindustrialisation, pauvreté, conflits internes, gouvernement militaire, le tout étroitement lié à la guerre bidon de 1973.

Quelques années après la guerre, Sadate était assassiné, et son successeur désigné Hosni Moubarak entama son long règne, suivi par un autre participant à la guerre d’octobre, Gen Tantawi. Obtenu par le mensonge et la trahison, le traité de paix de Camp David protège toujours les intérêts américains et israéliens. C’est seulement maintenant, alors que le régime de l’après Camp David commence à donner des signes d’effondrement, que l’on peut espérer quelque changement. Le nom de Sadate au panthéon des héros égyptiens était protégé jusqu’à maintenant, mais à la fin, comme on dit, tout ce qui est caché un temps s’avèrera transparent.

PS. en 1975, Vinogradov ne pouvait pas prédire que la guerre de 1973 et les traités qui en découlèrent allaient changer le monde. Ils scellèrent l’histoire de la présence soviétique et de sa prépondérance dans le monde arabe, même si les derniers vestiges en furent détruits par la volonté américaine bien plus tard : en Irak en 2003, et en Syrie c’est maintenant qu’ils se voient minés. Ils ont saboté la cause du socialisme dans le monde, ce qui a été le commencement de sa longue décadence. L’URSS, l’État triomphant en 1972, le quasi gagnant de la guerre froide, finit par la perdre. Grâce à la mainmise américaine en Égypte, le schéma des pétrodollars se mit en place, et le dollar qui avait entamé son déclin en 1971 en perdant la garantie or se reprit et devint à nouveau la monnaie de réserve unanimement acceptée. Le pétrole des Saoudiens et des émirs, vendu en dollars, devint la nouvelle ligne de sauvetage de l’empire américain. Avec le recul et armés du mémoire de Vinogradov, nous pouvons affirmer que c’est en 1973-74 que se situe la bifurcation de notre histoire.

Traduction : Maria Poumier


 
 






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12 Commentaires

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  • #240927
    Le 15 octobre 2012 à 12:25 par kiesling
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    la grande majorité des égyptiens croit toujours qu’ils ont gagné cette guerre...
    cela dit, cet article confirme que les arabes se sabotent eux-mêmes et que si par miracle, ils unissent un jour leurs forces, Israël disparaitra aussitôt, d’où les complots récurrents qui visent les arabes et les musulmans en général.

     

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    • #241696
      Le Octobre 2012 à 13:36 par wallkabal
      L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

      Bonne analyse. C’est vrai que ça fend le coeur cette histoire. Si c’est vraiment vrai alors ces minables dirigeants arabes
      sont aussi des sionistes !

       
  • #241100
    Le 15 octobre 2012 à 17:10 par utch
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    Si on lit bien on voit que le ruse ne fait que rapporter ce que le Syrien a dit au Jordanien...

    C’est pas un peu ce qu’on appelle le téléphone arabe ça non ?

    Ca me paraît moyennement sérieux

     

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  • #241228
    Le 15 octobre 2012 à 19:57 par lulu
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    "Cette révélation va vous choquer...", pas quand on a lu "la controverse de sion" de Douglas Reed (Merci Kontrekulture)...

    Je me suis toujours posé la question pourquoi la Russie ne divulgue pas plus que ça, il doit pourtant y avoir un paquet de trucs sérieusement emmerdant pour l’empire dans leurs archives !!!

     

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  • #241232
    Le 15 octobre 2012 à 19:59 par anonyme
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    voilà une brève qui remet en question toute l’histoire récente ;la version convenue en tout cas si ce n’est internet la recherche de contradiction et le libre arbitre (oui à l’époque certains prof nous en parlait..)et mes multiples débats contradictoires en temps que forumer ainsi que mes voyages je n’aurais jamais compris le monde il m’a fallu près de 10 ans pour comprendre que la réalité n’était jamais autre chose que ce que l’on parvenait à nous faire croire et que les médias de masse était non objectif et ironie du sort bien moins fiable que les chaines d’états qu’ils raillaient convaincus de leurs supériorité rédactionnelle !
    bref l’hypocrisie et la désinformation sont les tyrans le plus pervers qui soit dans le monde actuel et futur !
    l’un de mes film préféré c’est rabbi Jacob et c’est toujours le cas je ne renie rien et un jour j’ai fait une recherche et j’ai appris qu’une femme du chef de communication du film avait détourné un avion puis elle fut abattu ;par son geste désespéré elle voulait empêcher la projection du film qui se déroulait juste avant et pendant la guerre de Kippour et effectivement vu le scénario moi j’aurais cru que le film avait été tourné après les guerres israélo arabe pas avant et pourtant je peux vous dire que là j’ai compris un truc
    it’s just an illusion croyez moi le monde est une manipulation depuis la création pour cerner le vrai du faux le bien du mal la réalité de l’apparence si on n’a pas d’éducation pas de morale c’est tout bonnement impossible c’est pourquoi je ne m’étonne plus de voir que plus le monde avance plus les dirigeants pousse le monde à la débauche et à la guerre
    les russes éternels montré du doigt ne sont pas parfait mais dans notre espace dimensionnel ils sont porteurs d’une vérité universelle !
    encore une fois je pense à la tentative d’assassinat de jean Paul 2 par les fils de la louve et je pense au conflit syrien et au secret de Fatima "prier pour consacrer le cœur immaculé de la Russie" sinon
    La Russie sera l’instrument du châtiment du Ciel pour le monde entier !
    merci de me publier et de faire des recherches attentives sur ces sujets !

     

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    • #241631
      Le Octobre 2012 à 11:18 par Jako
      L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

      Plus je regarde les films de Oury (mais avec l’âge j ai de plus en plus de mal tellement ils sont mal faits) plus je me dis que Oury a signé son pacte avec le diable. Le film Rabbi Jacob est un gigantesque film de propagande prévu pour sortir au moment de la guerre du kipour. Il a été tourné en hiver-printemps 1973 et le film a été financé pour partie par la communauté juive sioniste de New York. Le film est bâclé,malgré de bonnes idées très mal réalisées (la séquence de l’usine de chewing gum est complètement ratée) Oury n’invente rien il copie (dixit Dalio l’acteur qui joue Rabbi Jacob). Le film est un des plus gros succés de 1973 . Et effectivement il y a cette étrange histoire de l’avion détourné pour protester contre la sortie du film...

      Le film rend sympathique la communauté juive ce qui permet un phénomène d’identification positif qui trouve donc son prolongement dans le soutien de l’opinion publique française à Tsahal lors de cette guerre du Kipour. Guerre que l’on comprend à la lecture de ce texte comme une grosse manipulation Toujours le même procédé pousser l’ennemi, l’encourager à entrée en guerre pour pouvoir mieux le piégé (même tactique employé contre Hitler, le Japon, Saddam Hussein, la Syrie maintenant et bientôt l’Iran...)Toujours apparaitre l’agressé la victime pour mieux exterminer l’adversaire.

       
  • #241289
    Le 15 octobre 2012 à 21:18 par Odalisque
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    Ce qu’il faut retenir est l’acharnement de Sadate quant à l’entrée des USA au Moyen-Orient par voie de pseudo-pacification. Sadate a toujours dit qu’il voulait créer un choc pour attirer les USA et renvoyer à tout jamais l’URSS. Tout s’explique en analysant les conditions socio-économiques de l’Égypte à partir des années 1970. Après la mort de Nasser en 1970, le chaos était déjà bien présent en Égypte. L’économie était au plus mal et une crise sociale était bien installée. De plus, la guerre de 1967 a laissé un goût ultra-amer dans la bouche des Égyptiens. Sadate voulait se ranger du côté du plus ’’fort’’ les USA et en voulait au manque d’efficacité de l’URSS qui n’a pas tenu sa promesse lors de la guerre des six jours (c’est un fait je crois et non une interprétation). Donc, la mort de Nasser, le père de la résistance et du pan-Arabisme, était tombée très mal. Sadate en a profité pour apparemment comploter avec l’ennemi dans le but de recevoir des fonds pour sortir l’Égypte de la noyade économique. Le but était de repousser l’URSS et de s’aligner avec le pouvoir et l’argent tout simplement. Sadate était prêt à sacrifier tout le travail fait préalablement par Nasser et a même trahi Hafez Al-Assad pour mieux assujettir son peuple. C’est carrément fou de lire ce papier d’Israël Shamir. On nous a toujours présenté Sadate comme l’ami de l’Occident et celui qui a toujours voulu la ’’paix’’ entre l’Égypte et Israël, mais il n’est ni plus ni moins qu’un traître inculte. Quant a cette vieille dinde de Golda Meir, elle n’a été qu’une perfide ordure à l’image de la classe politique de son pays. Ce n’est absolument pas étonnant de voir l’implication de Kissinger et de voir que la politique étrangère américaine est contrôlée par cette communauté invisible, mais oh combien puissante. Tout ça pour dire qu’il ne faut pas chercher l’ennemi bien loin, car il se trouve souvent dans nos propres rangs.

     

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  • #241337
    Le 15 octobre 2012 à 22:08 par HambreS (HS)
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    slt ...

    Avec le recul et armés du mémoire de Vinogradov, nous pouvons affirmer que c’est en 1973-74 que se situe la bifurcation de notre histoire.

    Plus tôt , que l’Empire Russe fût humilié ... 1973 (choc pétrolier , loi Rothshild qui a sellé notre " destin " ou presque )
    C’est important de savoir la vrai Histoire pour comprendre ce qui se passe
    " Se sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire à leurs profis ... "
    Quand on rentre en guerre , il faut au moins savoir pour quelles valleures on se bat ...

    (HS) ...

     

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  • #241351
    Le 15 octobre 2012 à 22:24 par Toushka
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    Comme vient de témoigner l’histoire des relations Russo-Syriennes sincères et honnêtes. Les Russes sont un allié de grande valeur pour la Syrie et vis versa..

     

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  • #241452
    Le 16 octobre 2012 à 01:03 par Galaad
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    Une fois de plus, merci pour vos articles.
    Comme pour les vidéos d’A. Soral, la valeur de votre site provient aussi de l’ouverture à des problématiques originales, occultées par le Mainstream. Que ces opinions soient justes, a moitié vraies, ou même fausse, leur valeur tient beaucoup dans la différence que vous proposez, et les questions que vous permettez de poser.
    Merci aussi pour la découverte de conférencier extraordinaire (Drac, Piero San Giorgio, Ozon, Myret, Chouard).

     

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  • #241545
    Le 16 octobre 2012 à 07:10 par Moh
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    J’ai l’impression que les notes de Vinogradov sont tout à fait valable pour la France :

    "... désindustrialisation, pauvreté, conflits internes..." c’est pas encore un gouvernement militaire puisqu’ils ont fait mieux, ils sont en train de le supprimer (au profit de l’Europe).
    Quant aux guerres engagés par la France...no comment.

    L’Algérie aussi en paie sévèrement le prix, dans le silence total.

     

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  • #241974
    Le 16 octobre 2012 à 22:40 par teru
    L’histoire secrète de la Guerre de Kippour

    ça, prouve encore une fois que les arabes sont faible et divisés et que c’est entrain de leur coûter trés trés trés cher.

    La sirye est le dernier pays arabes qui resistent.

     

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