Egalité et Réconciliation
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Le rêve des uns et le cauchemar des autres

L’ogre américain face au monde

Un texte de Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France, professeur au Centre d’études diplomatiques et stratégiques.

- La Rédaction d’E&R -

 


 

Il est dans l’air du temps de considérer les épisodes troubles que nous vivons aujourd’hui comme une réplique à ce que furent hier les « années folles » de l’entre-deux guerres. Ce n’est pas une perspective encourageante, car cet entracte convulsif de vingt ans tout juste (1919/1939), loin d’être seulement une explosion des libertés, un foisonnement des innovations, une envolée du progrès, allait déboucher sur le festival de boucherie et d’horreur que nous savons, suite logique de son échec. Peut-on recréer un ordre universel, alors que la moitié de la planète reste sous le joug colonial ? Rétablir la stabilité alors que quatre empires viennent de disparaître, deux d’entre eux, Russie et Allemagne, ne se voyant nullement comme des vaincus, et que le statut des deux « superpuissances » coloniales est ébranlé par l’ascension de l’Amérique ? Quand cette dernière refuse d’adhérer à la Société des Nations qu’elle a patronnée, comment donc garantir la paix ?

 

Folles ou non, les présentes années sont écervelées, ou décervelées. Mais en 2020, l’heure n’est plus à renifler un séisme attendu, car celui-ci gronde déjà de toutes parts. Pourtant, si le monde revisité est bien devenu universel, l’Occident préfère s’identifier à une « communauté internationale » qui ne l’est pas. Le refus de prendre en compte cette « fracture » est à l’origine de la rage et/ou de la démence de ses élites pensantes, dirigeantes et rugissantes.

Pour ne parler que de nos bons maîtres, nous dispensant ainsi de parler de ses vassaux, aimeriez-vous rencontrer au fond d’une ruelle John Bolton, le schtroumpf grognon, partir en croisière avec Pompeo, le père fouettard de la diplomatie étatsunienne, discuter des droits de l’homme avec Nikkie Halley, la harpie du Conseil de sécurité ? Que feriez-vous si Trump vous proposait de parler dans un coin tranquille de la gestion de votre plan d’épargne ? Ou d’écrire l’histoire du Moyen-Orient avec Wolfowitz ? Auriez-vous envie d’évoquer l’Irak avec Mme Albright ou Dick Cheney, ou la Palestine avec Jared Kushner ?

Pour comprendre comment on en est arrivé à cette folie, il est essentiel de répondre, quitte à enfoncer les portes ouvertes, à l’interrogation historique du génie qui savait poser les bonnes questions, ce George W. Bush, qui allait imprimer sa marque indélébile à la Maison-Blanche, de 2001 à 2009.

Tandis que Bill, son frivole prédécesseur, avait fait du bureau ovale un jardin secret, et que Barack allait en faire une chaire d’où il prêcherait la paix des Nobel tout en faisant la guerre – par derrière – mieux que quiconque, notre Debeliou (c’est le nom de scène de Bush fils) transformera les lieux en oratoire où l’on marmonne entre bigots de pieuses oraisons avant de prendre les décisions mettant à sac la planète. Bien qu’il n’ait ni découvert l’Amérique ni inventé la poudre, il endossera la géostratégie néoconservatrice du début de millénaire, et le rôle de chef de file des « grandes démocraties ».

Rattrapé sur ses vieux jours par Alzheimer, Ronald Reagan, premier à déclarer « la guerre contre la terreur », ne se souvenait plus avoir été Président. Retiré dans son ranch, Debeliou, lui, consacre ses loisirs à peindre de blancs moutons. C’est un sain divertissement, dont le choix témoigne d’une heureuse nature. Ce « good guy » a manifestement la conscience tranquille : n’a-t-il pas accompli la mission qui lui avait été confiée par le Ciel de guider l’axe du Bien au milieu de la cohorte des « parias » ? Dans son cocon paisible, comment aurait-il pris la mesure des crimes qu’il a ordonnés et couverts, à l’abri de toute poursuite de la Cour pénale internationale ou de ses avatars, le « monde civilisé » et ses succursales n’étant pas de leur compétence ? Il n’aura jamais soupçonné, même en cauchemar, la haine dont son Amérique est l’objet, de l’arrière-cour latino-américaine à l’Asie éternelle, en passant par la complaisante Europe et ce Grand Moyen-Orient qui s’étend désormais de la Mauritanie au Pacifique et du sud de la Moscovie à l’équateur africain ? Il mourra sans savoir que l’Amérique est devenue sous son règne l’État-voyou par excellence avant de sombrer dans le banditisme « from behind » d’Obama, puis carrément dans le gangstérisme international de l’oncle Donald.

Notre propos d’aujourd’hui n’est pas de faire, comme le veut la mode, une lettre ouverte qu’ils ne liront pas à G. W. Bush et ses ex-acolytes, ses prédécesseurs ou ses successeurs. Il n’est même pas de passer en revue les fioretti du pape de l’axe du Bien et les florilèges de ses conseillers neocons, dont le cynisme et l’arrogance dépassent l’entendement. Laissant Debeliou à ses petits moutons, on essaiera de répondre in absentia à l’angoisse métaphysique qui le tenaille en 2001 alors qu’il s’apprête à venger les attentats du 11 Septembre en semant mort, destruction et chaos dans les sept pays programmés : l’Irak, la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, l’Afghanistan, le Soudan.

C’est durant cette phase particulièrement fébrile de sa vie intellectuelle, le 20 septembre 2001, que Debeliou, s’adressant au Congrès sérieux comme un Pape, lance à la ville et au monde la question « des Américains » : « Pourquoi des gens peuvent-ils nous haïr, alors que nous sommes si bons ? ». Il fallait y penser et aussi l’oser, mais l’on sait depuis Audiard que c’est à cela que l’on reconnaît les gens que rien n’arrête. Puisqu’aux États-Unis on est démocrate même quand on est républicain, car c’est à peu près la même chose, notre tribun répond, sûr de son fait : « Ils haïssent ce qu’ils voient dans cette salle : un gouvernement élu démocratiquement. Leurs chefs sont auto-désignés. Ils haïssent nos libertés, de religion, d’expression, notre droit de voter, de nous rassembler et d’exprimer nos désaccords ».

Sans queue ni tête, cet amalgame entre les « terroristes » du 11 Septembre (saoudiens pour la plupart) et les sept pays précédemment mentionnés, est évidemment arbitraire, visant à justifier la « pensée stratégique » qui va inspirer Debeliou dans sa « guerre contre la terreur ». On peut toutefois se demander si, visant les « États préoccupants », il n’est pas en train de dénoncer ses propres impostures : « Nous ne sommes pas dupes de leur feinte piété (…). Ce sont les héritiers de toutes les idéologies sanglantes du XXe siècle. (…) Ils marchent dans la foulée du fascisme, du nazisme et du totalitarisme. Ils suivront ce chemin jusqu’à sa fin, dans la tombe anonyme des mensonges répudiés de l’Histoire ». Ne dirait-on pas une condamnation des menées néoconservatrices, dont la ceinture verte arabo-musulmane est le théâtre privilégié depuis un quart de siècle ? Signe des temps et du Ciel, des Israéliens se poseront la même question, comme Rishon Lezion dans le Yediot Aharonot du 26 juillet 2006 : Pourquoi nous haïssent-ils tant ?

On ne peut s’empêcher de rappeler l’anecdote rapportée en 2007 à la revue Democracy Now par le Général Wesley Clark, ex-commandant en chef des troupes de l’OTAN en 1999 en Yougoslavie, lors de la dislocation de celle-ci par les Occidentaux. Quelques jours après le 11 Septembre, ce haut responsable se rend au Pentagone, où sévissent alors Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz. Il rapporte un intéressant et surprenant dialogue :

– Nous avons décidé de partir en guerre contre l’Irak, lui dit-on.
– En guerre contre l’Irak, mais pourquoi ? demande W. Clark
– Je ne sais pas. Je pense qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre.
– A-t-on trouvé un lien entre Saddam et al-Qaida ?
– Non…Rien de neuf…Ils ont juste pris la décision de faire la guerre contre l’Irak. Sans doute parce qu’on ne sait pas quoi faire des terroristes. Mais nous avons de bons militaires et nous pouvons renverser des gouvernements…

Trois semaines après, on bombarde l’Afghanistan, et le dialogue reprend : Toujours une guerre en Irak ? Réplique : C’est bien pire que ça. Voici un papier expliquant comment nous allons nous emparer de sept pays en cinq ans, l’Irak d’abord, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et, pour finir, l’Iran. C’est ce programme qui est suivi depuis vingt ans.

Paul Craig Roberts, journaliste, ancien secrétaire-adjoint au Trésor de Ronald Reagan, économiste inventeur de la Reaganomics, l’affirme en janvier 2016 : « Le gouvernement des États-Unis est l’organisation criminelle la plus achevée de l’histoire humaine ». Robert Mac Namara parlera d’un « État voyou »…Par leur présence militaire (de 750 à 1200 bases dans tous les recoins du monde), leurs implications officielles passées (en Corée, au Vietnam, en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak) ou présentes (Irak, Afghanistan, Pakistan, Somalie, Yémen, Syrie), par leurs ingérences et leurs intimidations secrètes ou avouées (au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Europe, en Asie), ils constituent la plus grande menace contre la paix et la sécurité. Sous la présidence de G. W. Bush, les forces d’opérations spéciales sévissaient dans 66 pays. En 2010, ce nombre était passé à 75 selon le Washington Post, et à 120 en 2011, selon le commandement de ces forces. En 2013, on en comptait 134, hormis les guerres conventionnelles et les opérations par drones (de plus en plus fréquentes), le pacifique Obama ayant à son actif une progression de 123 %. En 2019/2020, les dépenses militaires US devraient friser les 750 milliards de dollars, soit environ 37 % du total mondial : énorme mais, comme dirait Picsou, « des cacahuètes » pour un pays qui imprime lui-même ses billets !

Les opérations ne sont pas forcément défensives (face à des menaces contre la présence et les intérêts de l’Amérique), ou ponctuellement offensives (pour le contrôle du pouvoir et l’accès gratuit ou bon marché aux ressources, pétrole en premier). Il s’agit de plus en plus souvent, au Grand Moyen-Orient notamment, de plans d’action préventive, mis en œuvre avec la couverture de médias aux ordres qui se chargent de justifier des crimes de guerre dûment programmés en servant des narratives ad hoc et des infos truquées. Ajoutons à ce bilan les « sanctions » qui arrosent tous les « régimes » qui déplaisent à Washington, soit environ 120 pays de la « communauté internationale ». C’est beaucoup pour un axe du Bien.

Des millions de victimes, de blessés, de réfugiés et déplacés, des trillions de dollars dépensés pour tuer ou détruire, le résultat est accablant, mais il permet de répondre à la question surréaliste de Debeliou. Voilà pourquoi ils vous haïssent tant, Mr Bush and Co.

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7 Commentaires

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  • #2375239
    Le 28 janvier 2020 à 21:36 par VIVACHAVEZ
    Le rêve des uns et le cauchemar des autres

    Sacré Chichi, il ne devait pas trop aimer Reagan pour ne pas aller à ses obsèques. Du coup, c’est Barnier et Giscard qui ont été envoyés par le d’Estaing (hé hé hé hé) pour se taper l’enterrement du cowboy.
    Bon, en même temps, Ronald s’est bien vengé, lui non plus n’était pas aux obsèques de Chirac. Plutôt rancunier, le cowboy......

     

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  • #2375263
    Le 28 janvier 2020 à 22:12 par moguin
    Le rêve des uns et le cauchemar des autres

    Je viens de lire l`article entier de mr Raimbault sur le magazine Afrique Asie et je dois reconnaitre que c`est un constat realiste et tres claire de l`etat sanguinaire que sont les etats unis .En tant que chretien je ne peux que repeter les paroles de Jesus ; " celui qui vit par l`epee ,mourra par l`epee ".Et je pense aussi que le temps du jugement des US est proche .....a la porte .

     

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  • #2375389
    Le 29 janvier 2020 à 02:01 par jjgg
    Le rêve des uns et le cauchemar des autres

    Il aurait aussi pu préciser que la famille bush était à l’époque actionnaire du groupe
    Carlyle qui possède beaucoup d’argent placé dans l’industrie de l’armement. Ils sont
    peut être encore probablement actionnaire de carlyle qui a du considérablement les enrichir, compte tenu de toutes les guerres que les usa ont réalisés ces dernières années.

     

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  • #2375435
    Le 29 janvier 2020 à 05:20 par travis
    Le rêve des uns et le cauchemar des autres

    L " ogre américain " ; il faudrait dire l ’ogre américano sioniste ; quant à qualifier la tête de cet ogre . . .

     

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  • #2375464
    Le 29 janvier 2020 à 07:59 par Oleodedieu
    Le rêve des uns et le cauchemar des autres

    Je n’ai pas encore fini de lire le texte sur Afrique-Asie, et même si le contenu m’est déjà familié... C’est toujours bon ou horrible une bonne piqûre de rappel...
    USA : Union Sacrée des Assassins... Une chanson d’un groupe Français résume cela

     

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  • #2375803
    Le 29 janvier 2020 à 16:52 par mordicus
    Le rêve des uns et le cauchemar des autres

    Pas encore lu mais je conseille ce travail très intéressant pour comprendre le gigantisme moderne.

    Mordicus.

     

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  • #2376021
    Le 29 janvier 2020 à 21:55 par COLYOTTE62
    Le rêve des uns et le cauchemar des autres

    Je souscris tout à fait à ce qu’ écrit Michel Rimbaud " Néo - cons mais véritables enculés " .

     

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