Egalité et Réconciliation
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Chronique télé, épisode VII

Nouvelle Star (M6, 14 et 21 avril)

Ah ! ce qu’on a pu taper sur les chanteurs yéyés de 1962 ou sur les vedettes éphémères des années 80 ! Qui se souvient d’Herbert Léonard ? de François Feldman ? de Luna Parker ? de Sabine Paturel ? Mélodies indiscutables, sucrées, synthé qui fait rire. Du moins, les joue-t-on encore dans les mariages, contrairement à leurs sinistres successeurs des années 90 (l’horreur de ces temps balladuro-jospiniens où règnaient Pow Wow, Céline Dion, Larusso, Jordy, MC Solaar ou Ophélie Winter, mon Dieu ! on ne pissera jamais assez sur la tombe des années 90). Mais bref, je parlais des années 80. On les moque, donc, mais au moins, ces gouailles avaient une qualité perdue depuis : ils chantaient avec l’accent français. Rien de plus effrayant, de plus illustratif de notre colonisation, de notre soumission à l’empire que d’entendre les apprentis-chanteurs de la Nouvelle Star interpréter des tubes actuels ou anciens de cet infect ton chewing-gum sorti tout droit du R’n’B noir américain des années 90 (encore elles !). Et ça prolonge les voyelles ! et ça tort la bouche ! et ça prend des poses inspirées ! faussement soul, faussement jazzy, faussement "chanteuse à voix" ! et ça massacre Mamy Blue, le tube de Nicoletta ! (par exemple, en français écoutable, une phrase du refrain est "et le temps a passé". En novlangue franco-coloniale, ça donne - attention ça va faire aussi mal à vos yeux que ça l’a fait à mes oreilles - : "et le teeeAAAMMMmmps a passEEEE E E HEEEYY" ). Heureusement, la candidate qui a chanté de la sorte le 14 s’est fait virer le 21. Bien fait !

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Stars et Fortunes (M6, 21 avril)

On haïssait sans doute les nobles, au Moyen-Âge, du moins risquaient-ils leur peau à la guerre et protégeaient-ils leurs serfs en cas de conflit. Et puis un jour, les nobles ont fait de moins en moins la guerre, et ils sont tombés.

On haïssait sans doute les bourgeois au XIXe siècle. Du moins donnaient-ils l’image d’une société livresque, polie, ordonnée. Et puis un jour les bourgeois ont abandonné la production pour la spéculation. Et puis un autre jour ils passent dans Stars et Fortunes.

Le spécimen de mardi dernier était réjouissant, politiquement réjouissant. Il est impossible qu’une société dont les élites ressemblent à ça puisse perdurer encore un siècle. Ça ? Oui, ça : Ivan Wilzig. "Ce spécimen de 55 ans, fils d’un très riche banquier new-yorkais fut élevé très strictement par son père. A la mort de ce dernier, il a troqué son costume trois-pièces pour un déguisement de super-héros." (J’arrête de copier-coller Télé magazine, ça va finir par se voir).

Effectivement, j’ai vu l’émission et notre objet d’étude conçoit la fête (la "fête" est d’ailleurs l’unique but de son existence) comme un rassemblement vaguement SM d’oisifs futiles déguisés de la manière la moins élégante possible. On est très très loin des masques des Doges de Venise... Si l’on ajoute à ça son bronzage (à faire passer Séguéla pour l’incarnation de la distinction britannique), sa voix (à faire passer Stéphane Bern pour l’incarnation de John Wayne), et ses goûts en matière de décoration intérieure (à faire passer les décors des émissions d’Ardisson pour du sobre mobilier rustique), on obtient l’élite du capitalisme trotsko-libéral finissant : du vide friqué, sans le MOINDRE intérêt pour la collectivité. Le genre d’élite qui s’effondrera immédiatement quand les choses sérieuses commenceront, en quelque sorte...

Vous imaginez sérieusement Jean-François Copé en chef des armées, vous ?

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La tourneuse de pages (France 3, 9 avril)

Faut-il vraiment que je prenne cette chronique télé pour un apostolat, chers lecteurs, pour avoir pu supporter ce film jusqu’au bout. Toute la cruauté mêlée de bonne conscience, ce cocktail abject de notre temps, y était concentrée.

L’histoire : Mélanie est une jeune fille passionnée de piano. Elle passe une audition. Ariane Fouchécourt, présidente du jury et pianiste réputée (Catherine Frot), a un moment d’inattention (une fan lui faisait signer un autographe) pendant que Mélanie joue. Celle-ci se déconcentre et déjoue. Recalée, elle décide d’abandonner pour toujours le piano. Des années plus tard, elle parvient à s’introduire dans la famille d’Ariane en tant que tourneuse de page. Famille qu’elle va détruire méthodiquement en brisant la carrière et le mariage d’Ariane et en dégoûtant son fils du piano.

Passons sur les invraisemblances du scénario (Ariane qui tombe immédiatement amoureuse de Mélanie alors que son couple marche très bien, Ariane qui pardonne à Mélanie de l’avoir laissé tomber le soir d’un concert crucial pour sa carrière, Ariane qui écrit une déclaration sentimentale très compromettante alors que dix minutes plus tôt, elle confiait à une amie avoir très peur que son mari apprenne sa liaison, etc., etc.) ; passons aussi sur le jeu des acteurs (à l’exception de Catherine Frot, tous plus sinistres et monoexpressifs les uns que les autres - avec de vraies tronches de bourgeois de gauche*, qui plus est).

Non, ce qui est remarquable dans ce film, c’est la puanteur morale qui s’en dégage. Voilà un film qui nous donne comme héroïne une véritable connasse psychorigide (on le remarque dès le début du film lorsque, après l’échec de l’audition, elle tente de renverser le couvercle d’un piano sur les doigts d’un enfant qui s’entraînait en attendant son tour). D’accord, elle a raté son audition, mais la distraction d’Ariane Fouchécourt méritait-elle de paniquer à ce point ? L’échec de cette audition méritait-il sa décision d’arrêter définitivement le piano ? Pourquoi Mélanie ne tente-t-elle pas une autre audition ? Trop simple pour l’esprit malsain du scénariste-metteur en scène (Denis Dercourt, fils et petit-fils de producteur, classique...). Non, mieux valait gâcher sa vie en la consacrant à une petite vengeance minable et cruelle, mesquine (la mesquinerie, on imagine bien Denis Dercourt baignant dedans depuis l’enfance). Obsession de la mémoire, idée fixe de vengeance, mise en valeur de celle-ci : pas de doute, un film bien dans l’air du temps.

Plan final : Mélanie, seule sur une route, méchant sourire aux lèvres.

T’étais pas capable de supporter la tension d’un concert ou l’éternuement d’un spectateur, radasse !

*Le lecteur se demandera peut-être ce qu’est "une tronche de bourgeois de gauche". Je lui conseille d’aller sur google image et de taper "Anne Alvaro", il comprendra immédiatement.

Colbert - E&R