Egalité et Réconciliation
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[E&R] Union européenne : Réponses aux antidémocrates énervés

Comme nous l’avions récemment relevé citations à l’appui, les déclarations antidémocrates fleurissent ouvertement dans le jardin bruxellois de l’eurocratie depuis que le peuple irlandais a provoqué le courroux de toute une caste en osant dire NON par référendum à son dernier joujou, le Traité de Lisbonne.

Plusieurs arguments reviennent de façon récurrente sous la plume et dans la bouche des grands démocrates de Bruxelles, des couloirs de nos ministères et de nos rédactions complices.

Nous y répondons aujourd’hui sur le fond afin de ne pas leur laisser le dernier mot et de donner à chacun d’entre nous des clés pour lutter contre les attaques inouïes que subit la démocratie depuis quelques temps.


1. "Il n’est pas possible de soumettre à référendum un Traité européen, parce qu’il est beaucoup trop technique pour que les peuples puissent donner un avis éclairé."


Réponse en 3 points :

1. Remarquez qu’on n’entend jamais cette critique lorsque le OUI l’emporte par référendum. C’est très curieux... Pourquoi penser que les partisans du OUI comprennent mieux que ceux du NON un texte aussi complexe qu’un Traité européen ?...Pourquoi leur avis serait-il nécessairement plus "éclairé" que celui des tenants du NON ? Les dernières enquêtes réalisées en Irlande ou en France ne montrent-elles pas que la première motivation des électeurs du OUI est de "ne pas mettre leur pays au ban de l’Europe", motivation respectable, mais qui répond davantage à une crainte largement diffusée dans les médias qu’à un raisonnement construit, argumenté et réfléchi.
Où était cette critique en 1986 quand les Irlandais votaient OUI par référendum à 70% à l’Acte unique, texte éminemment technique, ou quand les Français d’une courte tête donnaient l’avantage au OUI en 1992 lors du référendum sur le Traité de Maastricht, constitué de centaines d’articles ?...

2. C’est faire injure aux peuples que de les croire suffisamment stupides pour ne pas répondre en conscience à une question posée par référendum (ceux qui le pensent doivent dans ce cas demander l’abolition de la démocratie car le problème se pose à chaque élection).
Rappelons qu’un vote est toujours précédé d’une campagne, médiatisée pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois, de débats contradictoires, qui auront permis aux électeurs intéressés de se documenter, de se faire une opinion. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui avec Internet et les moyens modernes de communication qui permettent d’accéder aisément à l’information.

3. Sur le fond de la question, ni les partisans du OUI ni ceux du NON, ni même les députés ou sénateurs dans le cas d’une ratification par voie parlementaire, ne se déterminent sur 450 articles, 12 protocoles, et 26 annexes... Tout comme on n’élit pas un président de la République ou un député sur les 256 mesures qu’il promet en campagne...

Que les antidémocrates essaient donc de comprendre, qu’ils sortent de leur réflexes technocratiques, ou qu’ils mettent de côté un instant leur mauvaise foi pour admettre qu’un vote est d’abord affaire d’intuition, de ressenti, de sentiment vague et parfois indéfinissable qui forge une conviction qui se matérialise par le choix d’un bulletin dans l’isoloir le jour J. C’est ça la politique. Ce n’est pas de la technique technicienne sur 450 articles et 400 pages d’annexes.
On peut même imaginer que les peuples, lorsqu’ils ont l’occasion de s’exprimer sur l’Europe (et c’est de plus en plus rare !), en profitent pour faire un bilan de la construction européenne, pour comparer les promesses (et Dieu sait qu’en la matière il y en a eu, souvenons-nous de la campagne de Maastricht ou de l’euro !) avec la réalité. Ce ne serait pas du tout absurde que les peuples aient ce raisonnement en glissant leur bulletin de vote dans l’urne, d’autant que les Traités européens sont toujours en partie une consolidation des précédents. Un vote bilan serait même le signe à mon sens d’un esprit démocratique et civique fort sain.


2. "Il n’est pas normal, et pas démocratique, qu’un seul pays qui a dit NON (en l’occurrence ici l’Irlande) puisse bloquer 26 pays qui ont dit OUI (les 26 autres pays de l’UE, qui ont tous choisi la ratification devant le parlement, et dont 20 ont déjà ratifié le Traité de Lisbonne)."

Que l’Irlande "bloque" un l’application d’un Traité (et non 26 pays, ce qui n’a pas de sens) n’a rien à voir avec un comportement "antidémocratique". Il s’agit simplement d’une question de droit, de droit international. Rappelons-le, en droit international, un Traité doit être ratifié par l’ensemble des parties pour s’appliquer à l’ensemble des parties. Les pays européens se sont toujours placés dans cette perspective pour les Traités communautaires. Que 2 ou 20 pays aient dit OUI au même Traité n’y change rien et ne modifie en rien cette règle de souveraineté et de liberté des Etats.

Ce principe de droit n’a donc rien d’antidémocratique, bien au contraire. Qu’un Traité en effet ne puisse s’imposer aux Etats qui ne l’ont pas ratifié est un moyen de préserver la volonté exprimée démocratiquement par ces pays. Parce que ne l’oublions pas pour ne pas faire d’erreur d’analyse et pour nous placer à la bonne échelle, autant il n’y a pas de peuple européen, et donc pas de volonté populaire européenne bafouée par ce NON irlandais (+ les 2 autres, français et néerlandais, en 2005 sur le même texte), autant il y a un peuple irlandais qui a exprimé en conscience une volonté commune, et qui ressentirait de ce fait comme une violente agression contre la démocratie tout passage en force.


3. Selon le président Sarkozy, "la Pologne doit honorer sa signature". Il ajoute : "Le président [polonais] Kaczynski est un homme honnête et c’est un homme d’Etat : il a signé à Bruxelles, il doit ratifier à Varsovie, c’est une question de morale".


Eh bien non, Monsieur Sarkozy, et vous le savez fort bien, ce n’est pas une question de morale ! C’est encore une fois une question de droit, et heureusement !
Ce n’est pas parce qu’un dirigeant a signé un Traité que son peuple est lié par ce texte. En droit national et international, il y a depuis des siècles une règle d’or qui prévaut : l’adoption d’un Traité se fait selon 2 étapes :
1. la signature ;
2. la ratification, par voie parlementaire ou référendaire dans nos démocraties modernes.
La première étape n’implique pas la seconde. Parce que la seconde garantit, normalement, la tenue d’un débat démocratique afin que le peuple, directement ou via ses représentants, puisse trancher.
En suivant votre logique moraliste Monsieur Sarkozy, la France aurait déjà ratifié la "Charte européenne des langues régionales et minoritaires", que son président avait signée à la fin des années 1990. Pour des raisons historiques et constitutionnelles, elle a décidé de ne pas le faire, et c’est une bonne chose.

L’histoire abonde d’exemples de Traités signés puis jamais ratifiés. Dernier exemple en France, la Constitution européenne, dont le peuple français a refusé qu’elle soit ratifiée (même si un coup de force indigne en février 2008 a finalement précipité la ratification d’un Traité formellement différent mais sur le fond identique...le Traité de Lisbonne. Ceci est une autre histoire).

Au-delà de ces quelques rappels fondamentaux, la déclaration du chef de l’Etat a ceci d’intéressant qu’elle nous révèle un peu mieux la logique actuelle de la construction européenne, prête à bafouer les principes élémentaires de droit et de démocratie, au nom d’une supposée "morale", en réalité parfaitement immorale, qui autorise toutes les dérives.

Alexis pour E&R