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Elections : l’abstention est aussi un choix

Pourquoi choisit-on de ne pas voter ? L’abstention connaît à chaque élection des taux records en France. Comment expliquer le phénomène ? A Vénissieux, ou près de la moitié de la population ne s’est pas déplacée pour voter aux dernières municipales, la mairie a choisi d’enquêter. Instructif.

A chaque élection, la même rengaine : l’abstention a encore battu des records. Et les abstentionnistes de devenir les boucs émissaires de tous les perdants. Dénigrés par les uns, bonne conscience républicaine en bandoulière, qui les fustigent de ne pas exercer un droit « pour lequel des hommes et des femmes ont versé leur sang », selon l’expression consacrée. Crucifiés par les autres, qui, préférant fermer les yeux sur l’incapacité de la classe politique à trouver du crédit auprès de ses administrés, les accusent d’avoir porté Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles. Les abstentionnistes sont coupables. Tous coupables, comme s’ils n’étaient qu’un seul, comme si leurs (non) motivations étaient pour tous les mêmes. Mais qui sont-ils au fond ? A Vénissieux, ils étaient 52% aux dernières élections…autant dire que le parti des abstentionnistes a rassemblé la majorité absolue des voix. Or, le principe de la démocratie, c’est d’écouter la majorité. C’est ce qu’a choisi de faire la mairie, inquiéte, pour une première en France.

Abstention, oui, uniforme, non

La mairie a donc commandé une étude à TNS-Sofres. 26 Vénissians abstentionnistes, hommes et femmes d’âge et d’origines sociales différentes, sont longuement interrogés par l’institut de sondage et de statistiques. « On a distingué quatre logiques différentes d’abstention », conclut Brice Teinturier, le directeur du département politique et opinion. Il faudra donc au minimum 4 paniers pour y mettre les abstentionnistes. 4 paniers qui seront encore réducteurs, car comme l’explique le rapport TNS-Sofres, l’abstention, c’est le point de rencontre « vers lequel convergent une multiplicité et une diversité d’histoires personnelles, de situations sociales, de perceptions de la ville et de l’action municipale, de rapports à la politique et aux élections, tant locales que nationales ». Concrètement, il en va de l’abstention comme du vote, chacun y met ce qu’il entend.

Les « oubliés »

Souvent arrivés à Venissieux par contrainte plus que par choix (séparation, perte d’emploi, retraite, loyer plus accessible, ils se sentent plus prisonniers qu’autre chose dans cette ville, et c’est logiquement qu’ils ne participent pas à sa vie politique. Ils se sentent exclus d’une ville qui ne fait que pour « les autres », ces autres qu’ils estiment également responsables d’une insécurité réelle ou plus médiatique, symbolisée par le quartier des Minguettes sur les hauteurs de la ville. Ils souhaitent quitter la commune au plus tôt, s’y sentent mal, ne sont donc pas concernés par ce qui va s’y faire, et de manière générale, expriment un fort rejet d’une classe politique dont ils n’attendent plus rien. Pour les enquêteurs, cette logique d’abstention met en lumière des ingrédients habituellement rencontrés chez des électeurs du Front National.

Les « pluralistes »

Au contraire des oubliés, ils sont très bien intégrés à Venissieux et s’y sentent bien. Ils ont une bonne image de leur ville, presque défaite de son image de banlieue sensible, et s’y projettent facilement dans l’avenir. Ils sont optimistes, contrairement aux premiers, mais partisans ou opposants du maire, ils pensent tous que la partie est jouée d’avance. Les pro-Gérin ne sentent pas de danger suffisant dans l’opposition qui nécessite de se déplacer au bureau de vote, alors que les anti n’ont trouvé personne en qui vraiment fonder leurs espoirs de changement, et donc, ils ne se déplacent pas non plus. Les pluralistes sont ceux qui disent « ce n’est pas ma voix qui va changer le résultat ».

Les « détachés »

Ils sont le gros des abstentionnistes. Intégrés à la ville, ils n’ont pas pour elle d’affection comme les précédents. Habiter là ou ailleurs, ils vont au plus pratique. Ils se sentent de Lyon, au sens large, mais pas particulièrement Vénissians. Centrés le plus souvent sur leur confort, et leurs préoccupations en général, ils ne se sentent pas d’une communauté, pas même urbaine. Ils vivent là comme ils vivraient ailleurs, et leur individualisme fait qu’ils se désintéressent de la vie de la cité. Peu enclins à s’engager dans une démarche collective, ils sont très méfiants à l’égard des institutions. Pas impliqués et peu concernés par le vote dans leur quotidien, leur abstention se fait l’écho de leur indifférence et surtout de leur méfiance envers les solutions collectives. Ils n’y croient pas ou plus, se disent que quoiqu’il arrive, rien ne changera, de toute façon

Les « excédés »

Le plus souvent de tradition familiale communiste ou du moins ouvrière, ils aiment Vénissieux qu’ils ne quitteraient pour rien au monde, et se sentent très impliqués par la vie de leur commune. Ils ne nient pas les problèmes pointés du doigt comme le quartier des Minguettes où se concentrent problèmes économiques et sociaux, mais en ont une approche bien plus compassionnelle : ils rejettent la faute sur les hommes politiques, les habitants du quartier étant avant tout perçus comme des victimes. A priori, ils ont toutes les prédispositions requises pour s’engager politiquement et faire entendre leur voix dans les urnes. Mais, face à une classe politique en laquelle ils ne croient plus, jugée comme affairiste et déconnectée des réalités, ils choisissent tout de même d’exprimer leur voix…en n’allant pas voter. Leur abstention est un message politique clair, une autre façon d’exprimer leur voix dans une élection qu’ils ne voient plus que comme un théâtre de dupes. Un peu à la manière dont certains revendiquent le vote blanc comme acte politique.

De l’extrême droite à l’extrême gauche, les raisons de ne pas voter sont bien plus nombreuses qu’on le dit en général. Loin de l’image de l’abstentionniste qui, pour peu qu’il fasse beau, préfère aller pêcher le jour des élections. L’étude menée à Vénissieux montre en tout cas une chose : on ne peut pas mettre tous les abstentionnistes dans le même panier. Sauf un, peut-être : celui dans lequel on a perdu toute confiance en la classe politique.

Stéphane Rousset

Source
 : http://www.lyon-webzine.com