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EuroVegas, future zone de non droit

Pour réaliser en Espagne son projet d’EuroVegas - un gigantesque complexe dédié au jeu - le milliardaire américain Sheldon Adelson a transmis aux autorités espagnoles sa liste d’exigences : exemption de la TVA, des impôts sur le jeu, des cotisations sociales, réforme du code du travail, régime légal dérogatoire durant 30 ans, subventions européennes, don des terrains, autorisation de jeu pour les mineurs, autorisation de fumer dans les bâtiments, etc ...

Le cynisme brutal du promoteur de cette zone de non droit - que se disputent aujourd’hui Madrid et Barcelone, donne la mesure de ce qu’ont abandonné les nations européennes en se mettant à la merci des marchés et des fortunes privées : non seulement leur souveraineté, mais aussi leur dignité.

15 milliards d’euros d’investissements, 260 000 emplois directs et indirects créés : tel est le deal que fait miroiter aux régions de Barcelone et de Madrid Sheldon Adelson, 16e fortune mondiale avec un patrimoine estimé à plus de 21 milliards de dollars et par ailleurs président et actionnaire principal de la société Las Vegas Sands, « l’empire du jeu ».

Son projet ? Créer en Espagne une « zone de jeu » identique à celles qu’il a déjà implantées au Nevada, à Singapour et à Macao : 6 casinos, 18 000 machines à sous, 3 terrains de golf, des théâtres et des cinémas, une douzaine d’hôtels, des centres commerciaux... bref, toute l’apparence d’un « paradis » dans un pays où le chômage atteint des records (plus de 20 % de la population active), où la récession frappera dur en 2012 et 2013, où la crise immobilière, née d’une spéculation sur le prix des biens et de conditions de prêts immobiliers délirantes (emprunts jusqu’à 50 ans), paupérise à vitesse grand V les classes moyennes qui ont eu la mauvaise idée d’acheter pour se loger.

Comme au football, Madrid et Barcelone, rivales traditionnelles, se disputent les faveurs du groupe Las Vegas Sands pour que ce complexe de jeu s’installe sur leur territoire. Et, comme au football où le Real et le Barça sont prêts à payer des sommes extravagantes pour attirer les meilleurs joueurs du monde, les deux villes sont prêtes à toutes les concessions pour convaincre Las Vegas Sands de les favoriser de son choix.

Toutes les concessions ? Jugez-en plutôt. Réparties en 5 thèmes par le journal espagnol El Pais qui a eu accès aux documents de travail des négociations en cours, cette longue liste donne une idée du rapport de forces qui s’est désormais établi entre puissance privée et (im)puissance publique :

1. Droit du travail

● Modification du Code du travail afin d’assouplir « la rigidité des conventions collectives », notamment dans les secteurs présents dans le complexe de casinos (hôtellerie, restauration, jeu, commerces...) ;

● Réduction du temps nécessaire pour admettre des travailleurs étrangers (hors UE) en Espagne, via la création d’un régime spécial qui accélèrera la délivrance d’un permis de travail ;

● Exemption totale pendant deux ans des cotisations de Sécurité sociale, puis 50 % de remise les trois années suivantes. À compter de la 5e année, les travailleurs non espagnols pourront être rattachés au régime social de leur pays d’origine ;

● Création d’un MBA spécialisé dans l’industrie du jeu ;

● Appui du gouvernement à une demande de subvention d’aide à l’emploi de plus de 25 millions d’euros auprès de la Banque européenne d’investissement ;

● Financement par les autorités publiques de 60 % des frais de formation des employés recrutés par Las Vegas Sands ;

● Perception par Las Vegas Sands de subventions pour l’emploi, tant en ce qui concerne les emplois directs qu’indirects créés durant la construction du complexe.

2. Infrastructures

● Prise en charge par les autorités espagnoles de la construction d’une nouvelle station de métro, d’une interconnexion avec le TGV, de nouvelles lignes d’autobus, de nouvelles routes et autoroutes...

● Autorisation des vols en hélicoptère entre l’aéroport et le complexe de jeux, construction d’un ou plusieurs héliports dans le complexe ;

● Suppression ou enfouissement des infrastructures de gaz, d’eau et d’électricité, renforcement des services d’urgence (pompiers, ambulances, etc.) dans le complexe...

3. Urbanisme

● Cession gratuite, à Las Vegas Sands, de toutes les terres que les autorités publiques possèdent dans la zone ;

● Expropriation des terres privées de la zone afin que Las Vegas Sands en prenne rapidement possession ;

● Suppression des règles d’urbanisme, y compris des critères de construction, afin que Las Vegas Sands ait toute latitude pour construire.

4. Réglementation

● Vote d’une loi spécifique, ne pouvant être modifiée pendant au moins 30 ans, déclarant le projet d’intérêt général, créant un régime dérogatoire en ce qui concerne le jeu et le commerce, supprimant les limites aux investissements étrangers dans les casinos ainsi que la nécessité d’une autorisation préalable si plus de 5 % du capital social change de mains ;

● Autorisation d’accès aux casinos pour les mineurs, les majeurs incapables et les interdits de jeu ;

● Modification de la loi sur le blanchiment d’argent avec, notamment, autorisation de transférer les fonds sans limites ;

● Autorisation, pour les casinos, d’accorder des prêts aux joueurs, suppression des interdictions publicitaires concernant le jeu, modification de la législation sur les dettes de jeu qui réserve actuellement l’exécution des sanctions à la seule justice civile, légalisation du système d’intermédiaires et de « rabatteurs » incitant les joueurs potentiels à se rendre au complexe ;

● Homologation automatique des jeux déjà autorisés dans d’autres pays de l’Union européenne ou aux États-Unis, autorisation donnée à Las Vegas Sands pour approuver de nouveaux jeux et traiter des questions administratives afférentes ;

● Création d’une commission des jeux, formée de membres du gouvernement régional et d’« experts indépendants » ;

● Autorisation de fumer dans les espaces clos à l’intérieur du complexe, liberté totale des horaires dans tous les commerces.

5. Fiscalité

● Remboursement de la TVA aux entreprises du complexe, statut de « zone franche » (donc, pas de paiement de TVA ni de taxes) pour les joueurs extra-communautaires ;

● Suppression des taxes et simplification des procédures pour tous les produits importés qui rentrent dans le complexe ;

● Modification des règles fiscales d’amortissement, de déduction du résultat fiscal, d’imposition des non-résidents et des impatriés ;

● Exemption pendant 10 ans de la taxe sur les jeux ;

● Réduction de 95 % de l’impôt sur les transmissions patrimoniales, ainsi que des impôts fonciers ;

● Réduction de 50 % de l’impôt sur les activités économiques ;

● Négociation préalable et obligatoire avec Las Vegas Sands avant toute entrée en vigueur de nouvelles taxes.

Pour effarantes qu’elles paraissent, les prétentions de Las Vegas Sands n’en sont pas moins, dans leur globalité, accueillies avec bienveillance tant à Madrid qu’à Barcelone. Les représentants d’Adelson n’ont d’ailleurs pas caché qu’ils donneraient la préférence à la ville qui leur ferait le plus de concessions, d’où la déclaration de la présidente de la région de Madrid : « s’il faut effectuer des modifications légales qui sont en accord avec mes principes, elles se feront. »

Cet accord en voie de conclusion entre une TGE (très grande entreprise) et les responsables politiques d’une région et d’un État illustre parfaitement le transfert de pouvoirs et compétences des autorités publiques vers les TGE que nous avons analysé dans plusieurs billets. On y retrouve en effet la plupart des caractéristiques de la décadence des États-nations :

● remplacement de la loi par le contrat, lequel acquiert ainsi une force supra-législative, au mépris absolu de la pyramide des normes juridiques qui, de la Constitution au simple arrêté municipal, sert de fondement à tout notre système juridique ;

● « liquéfaction » complète des individus, coupés de leurs racines culturelles et nationales : Las Vegas Sands ne dissimule même pas son intention d’aller chercher des employés dans des pays à très bas salaires et sans protection sociale et de les transposer « tels quels » en plein milieu de l’Europe, des pions que l’on déplace sur un échiquier planétaire, et que l’on remplacera dès que les signes d’usure apparaîtront ;

● création d’une zone de « non-droit », ou plutôt d’une zone placée sous la quasi-juridiction d’une TGE. Nous y voyons là l’indicateur d’une évolution dont nous avons tracé les contours dans Après le capitalisme : la primauté de la force : des entreprises privées prennent de facto le contrôle par la force d’une zone géographique. Nous n’en sommes plus très loin : la présence de la milice privée qui assurera demain l’ordre dans la zone des casinos sera la confirmation, s’il en était besoin, de la confiscation des prérogatives publiques qui est en train de s’opérer en Espagne.

Il est de surcroît significatif que ce « déshabillage » de l’État-nation s’opère au profit d’une activité - le jeu - qui n’apporte aucune valeur ajoutée à la collectivité. Nous retrouvons ici - pardonnez les références multiples à cette période - une caractéristique de la chute de l’Empire romain : quand le système s’effondre, il faut bien occuper la plèbe et détourner son attention de la gravité de la situation, que ce soit en multipliant les jeux du cirque ou les bandits manchots.

On aurait pu à la rigueur comprendre que des avantages du type de ceux exigés par Las Vegas Sands soient accordés pour bâtir une Silicon Valley européenne qui aurait eu pour objectif d’attirer chercheurs et entreprises high tech du monde entier. Mais il ne s’agit ici que de recréer un ersatz de Circus maximus, un monde d’illusions et d’oubli de la réalité.

Le précédent espagnol pourrait bien faire des émules : selon nous, le jour n’est pas très éloigné où, sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne, on installera une « zone franche » où des entreprises de type Foxconn implanteront leurs usines dans le cadre d’un contrat qui se résumera à : « nous ne payons pas d’impôts, nous faisons la loi et nous maintenons l’ordre selon nos critères à l’intérieur de la zone, remerciez-nous de proposer un peu de travail à vos nationaux, mais à nos conditions »... celles du contrat de servage du XXIe siècle.

 






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36 Commentaires

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  • #133668
    Le 11 avril 2012 à 13:40 par durtal
    EuroVegas, future zone de non droit

    La prostitution totale de l’Espagne = vendetta contre l’Inquisition.

     

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  • #134399
    Le 12 avril 2012 à 19:52 par paramesh
    EuroVegas, future zone de non droit

    dans le même esprit, regardez ce qui se prépare pour la France
    http://blogs.mediapart.fr/blog/step...

     

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  • #134520
    Le 13 avril 2012 à 01:51 par LaCrise
    EuroVegas, future zone de non droit

    lisez absolument l’article de dedefensa à ce sujet :

    http://www.dedefensa.org/article-eu...

    dont voici un extrait, où l’on apprend que le type en question, surprise, surprise est... le meilleur pote de Bibi Netanyhou :

    L’“investisseur” n’est pas un inconnu, comme vous vous en doutez. Sheldon Adelson concourt régulièrement aux USA pour le titre, ouvert en permanence, de l’“homme le plus riche” du pays. Il est l’homme qui s’est acheté un candidat aux primaires républicaines (Newt Gingrich) pour tenter de massacrer Mitt Romney et de donner au sionisme la place qui lui revient dans la direction du principal fleuron du bloc américaniste oocidental. Il n’y parviendra pas pour Gingrich, qui est mauvais comme un cochon, mais cela ne changera pas grand’chose, ni à la course du système de l’américanisme, ni à la sensibilité presque familiale de la politique dudit système à la situation et aux influences pro-sionistes dont Adelson est un des tuteurs. Relisez ce rapide portrait d’Adelson, extrait d’un des textes référencés : « Sands Corporation CEO Sheldon Adelson is based in Las Vegas but has business and political interests in Macau, China and Israel. In Israel, Adelson’s importance stems from his close friendship with Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu and his ownership of Israel HaYom, a free daily newspaper which supports Netanyahu’s Likud party. Back in the U.S., Adelson sits on the board of the Republican Jewish Coalition and is outspoken about his views on the Israeli-Palestinian conflict… »

    Pour boucler le paquet cadeau et lui donner la dimension qu’il mérite, qui est quasiment socio-idéologique, on sait qu’Adelson, nommé “empereur des casinos” de Vegas à Macao, a de fortes et nécessaires connexions avec le crime organisée, aussi bien aux USA qu’en Asie, – et en Israël, naturellement... Il est d’ailleurs connu qu’Israël, qui reste la référence absolue et universelle d’Adelson (outre sa chaude proximité de Bibi Netanyahou, il aurait la double nationalité US et israélienne), continue son évolution vers une situation d’“État mafieux”, déjà évidente depuis quelques années

     

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  • #134659
    Le 13 avril 2012 à 16:15 par Mathilde
    EuroVegas, future zone de non droit

    Trois choses m’effraient dans cette affaire :
    - d’abord le fait que l’industrie du jeu ne produit, en fait, pas de richesses,
    - Ensuite, cela ne produit que des activités à la limite de l’indignité, voire carrément criminelle : le jour où le jeu ne sera pas infiltré par la criminalité, on aura changé de monde.
    - enfin, la tête du gars ! vous avez vu la tête du gars ? Suffit de voir pour comprendre qu’il ne sent pas la rose le garçon.
    Est-ce cela que nous voulons pour l’Europe ? Ce genre de pourris ?

     

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  • #134745
    Le 13 avril 2012 à 21:11 par Boboy
    EuroVegas, future zone de non droit

    Allez, combien on parie que le projet abritera secrètement la construction d’abris anti-atomiques sous terrains (à la manière de l’aéroport de Denver), destinés à sauver en partie cette caste dirigeante Espagnole, prête à toutes les concessions, ainsi que les reste des cadres de Goldman Sachs et leurs amis politiques présents en Europe, le jour où tout va réellement s’effondrer pour de bon ?
    Je veux dire, quoi de meilleur qu’un endroit gigantesque, brassant des dizaines de milliers de personnes qui entrent et sortent sans arrêt, pour dissimuler un tel site ?
    Un aéroport ça a déjà été fait et n’étant pas aux USA, en construire un 10 fois plus grand que nécessaire (cf Denver encore une fois) ne serait certainement pas très crédible, voire suspect. Par contre, un complexe de jeu inédit au service du divertissment...

     

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  • #134780
    Le 13 avril 2012 à 23:41 par Kombat_les_Protocoles
    EuroVegas, future zone de non droit

    « remerciez-nous de proposer un peu de travail à vos nationaux, mais à nos conditions »... celles du contrat de servage du XXIe siècle.




    Comme une multinationale s’implantant dans un pays du Tiers-Monde...

     

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  • #135039
    Le 14 avril 2012 à 12:33 par Professeur Perceval
    EuroVegas, future zone de non droit

    Le métèque Pascal Broulis, conseiller d’Etat en charge des entreprises et de la fiscalité dans le canton de Vaud (Suisse), a déjà mis en place un tel système pour attirer des entreprises qui ne paient pas d’impôt pendant une période convenue. Au terme de cet arrangement, les entreprises en question font du chantage en menaçant de se délocaliser.

     

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    • #145218
      Le Mai 2012 à 06:04 par MagnaVeritas
      EuroVegas, future zone de non droit

      Merci pour cette info cher compatriote. On veut des noms et tu fais bien de les donner car aucune de ces ordures ne s’en tirera impunément.

       
  • #135127
    Le 14 avril 2012 à 15:08 par mimi
    EuroVegas, future zone de non droit

    En pleine crise nationale et mondiale avec même et beauccoup d’analystes le disent, une troisième guerre mondiale en perspective, les autorités politiques qui n’en sont pas en réalité auront intérêt à soutenir ce projet pour endormir encore plus les gens. A ceux qui voient dans ce projet une avancée par le côté tape à l’oeil des emplois proposés, l’envers du décor en sera tout autre. Plus de limites à l’exploitation humaine, à l’exploitation de l’environnement... Vendu comme un bon film hollywoodien dont la bance annonce ulta alléchante ne dit pas qu’au final, que le film n’est qu’un "gros navet", mais trop tard, c’est encaissé et le ticket non remboursable !

     

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  • #145078
    Le 30 avril 2012 à 22:51 par LMD
    EuroVegas, future zone de non droit

    encore un entrepreneur qui ce sera fait tout seul...voir :

    http://2ccr.unblog.fr/2011/04/22/je...

     

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  • #145217
    Le 1er mai 2012 à 05:57 par MagnaVeritas
    EuroVegas, future zone de non droit

    C’est une blague ? rien que le titre est parodique. Cet enculé ferait un bon superméchant dans batman ! Soral a bien raison, la réalité est devenue caricaturale.

     

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