Egalité et Réconciliation
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L’Anti-Maçonnisme laïque

Introduction

Par anti-maçonnisme « laïque », nous voulons parler de l’anti-maçonnisme non religieux, de l’anti-maçonnisme athée, de l’anti-maçonnisme socialiste, de l’anti-maçonnisme « de gauche », de l’anti-maçonnisme rationaliste, etc.

Par opposition à l’anti-maçonnisme catholique, qui ne nous concerne peu, car c’est le combat d’une « secte » (la catholique) contre une autre « secte » (gnostique, franc-maçonne).

On nous parle souvent de cet anti-maçonnisme « d’extrême droite catholique » - sûrement pour discréditer à jamais le véritable anti-maçonnisme ? – mais jamais on nous parle de l’anti-maçonnisme anti-clérical, laïque. Pourtant il existe, et il devrait être largement diffusé.

Cet anti-maçonnisme laïque, est très divers, comme nous le verrons. Ce n’est pas parfois le fruit d’une construction doctrinale, mais le plus souvent du simple bon sens.

Les principaux arguments des anti-maçons « laïques » sont :

La Franc-Maçonnerie traditionnelle, anglo-saxonne, dite « régulière », est déiste, elle croit au Grand Architecte de l’Univers et à l’immortalité de l’âme. Elle va donc à l’encontre du matérialisme athée.

La Franc-Maçonnerie, même celle « irrégulière », dite « libérale » est finalement anti-rationaliste, car imprégné d’ésotérisme, de gnosticisme, de kabbale, d’occultisme. Bref, c’est comme une religion (gnostique), avec ses rituels, et de plus pour tout rationaliste qui se respecte, « les sciences occultes ne sont pas des sciences ». Elle détourne les gens du combat rationaliste.

La Franc-Maçonnerie est une religion comme les autres, la preuve, c’est qu’elle a ses rites, ses symboles, voire son catéchisme et les décors dont s’affublent, les frères maçons quand ils sont assemblés dans leurs « temples ».

Les Francs-Maçons se cachent, ils se soustraient à la curiosité bien normale des profanes. Pourquoi, s’ils ne font rien de mal ?

La fraternité maçonnique recouvre, en réalité, une association d’intérêts ; on entre dans les Loges pour avoir de l’avancement, pour faire mieux préparer et aboutir ses ambitions personnelles. Il y a des « purs » certes, mais aussi des « habiles » qui savent se servir d’eux.

La Franc-Maçonnerie est une puissance occulte.

La Franc-Maçonnerie est une organisation bourgeoise, conservatrice et contraire au véritable socialisme. La Franc-Maçonnerie est un poids mort qui retarde l’évolution, qui retarde la « révolution sociale ».

Etc.

Peut-être on nous objectera que certains anti-maçons sont également « antisémites ». Cependant, il ne faut pas oublier que la plupart des socialistes au XIXe siècle étaient majoritairement « antisémites », jusqu’à l’affaire Dreyfus.

L’antisémitisme populaire, qui se double d’un anticapitalisme, était en effet regardé par un certain nombre de socialistes français historiques (Fourier, Proudhon, Lafargue, Rochefort, Jaurès, entre autres) comme un mouvement sympathique, propre à ébranler le grand Capital.

Mais nous pourrions citer par ailleurs de nombreux auteurs « antisémites », pro-maçons et francs-maçons :

Hébert, franc-maçon, voyait les juifs « rogner sur nos écus. »[1]

Benoît Malon, zélé franc-maçon, directeur de la Revue Socialiste, écrivait de nombreux articles antisémites.[2]

Albert Regnard, zélé franc-maçon, auteur de cet ouvrage « antisémite » : Aryens et Sémites. Le bilan du judaïsme et du christianisme (E. Dentu, 1890.)

Le frère maçon Louis Minot, directeur de la Revue Maçonnique, écrivait dans cette revue en mai 1898 : « Il faut considérer que le juif […] est un corrupteur de la morale sociale. Par le défaut de croisement avec les autres races, il présente des tares, ou terribles par leur contagion et leur effet dissolvant, ou insupportables et irritantes par leur opposition avec les manières loyales et la franchise des peuples d’un genre différent. »[3]

Etc., etc.

Bref, tout cela pour dire que cette pseudo objection est nulle et non avenue.

Nous allons nous occuper dans cette étude uniquement de l’aspect anti-maçonnique.

Avant de commencer, rappelons que dès avant la Révolution française, il y eut des pamphlets ridiculisant les cotés ridicules des rituels maçonniques.

Mais surtout, il y a Voltaire (1694-1778).

Il s’était prêté à la comédie de l’initiation maçonnique par vanité, la dernière année de sa vie, lui qui tenait en peu d’estime la Franc-Maçonnerie.

Voici d’abord comment dans l’Essai sur les Mœurs (chap. LXXXII) il expose l’origine de la Franc-Maçonnerie en la rattachant à l’histoire des Confréries du Moyen-Age, dont il s’applique à faire ressortir le côté burlesque, et en particulier à la Fête de l’Ane :

« Il y avait en Normandie, qu’on appelle le pays de sapience, un abbé des conards, qu’on promenait dans plusieurs villes sur un char à quatre chevaux, la mitre en tête, la crosse à la main, donnant des bénédictions et des mandements.

Un roi des ribauds était établi à la cour par lettres patentes. C’était dans son origine un chef, un juge d’une petite garde du palais, et ce fut ensuite un fou de cour qui prenait un droit sur les filous et sur les filles publiques. Point de ville qui n’eût des confréries d’artisans, de bourgeois, de femmes les plus extravagantes cérémonies y étaient érigées en mystères sacrés ; et c’est de là que vient la société des francs-maçons, échappée au temps, qui a détruit toutes les autres. La plus méprisable de toutes ces confréries fut celle des flagellants, etc. »

Ailleurs, dans son Dictionnaire philosophique, au mot Initiation, il revient sur cette origine de la Franc-Maçonnerie avec le même sentiment de dédain que lui inspiraient toutes les congrégations et associations ayant un caractère religieux, même les mystères de l’antiquité païenne, « dont les secrets sacrés, disait-il avec un mépris qui doit faire bondir d’indignation tout vrai franc-maçon, ne méritaient pas au fond plus de curiosité que l’intérieur des couvents de carmes ou de capucins » :

« L’origine des anciens mystères ne serait-elle pas dans cette même faiblesse qui fait parmi nous les confréries, et qui établissait des congrégations sous la direction des jésuites ? N’est-ce pas ce besoin d’association qui forma tant d’assemblées secrètes d’artisans, dont il ne nous reste presque plus que celle des francs-maçons ? Il n’y avait pas jusqu’aux gueux qui n’eussent leurs confréries, leurs mystères, leur jargon particulier, etc.… »

Le secret dont s’enveloppent les francs-maçons ne lui parait pas plus respectable que celui dont s’entouraient les initiés des mystères d’Eleusis ou de Samothrace :

« Ce secret sans doute ne méritait pas d’être connu, puisque l’assemblée n’était pas une société de philosophes, mais d’ignorants, dirigés par un hiérophante. On faisait serment de se taire ; et tout serment fut toujours un lien sacré. Aujourd’hui même encore nos pauvres francs-maçons jurent de ne point parler de leurs mystères. Ces mystères sont bien plats, mais on ne se parjure presque jamais. »

Voltaire est de l’avis d’Alexandre, « qui ne faisait pas grand cas de ces facéties révérées ; elles sont fort sujettes à être méprisées par les héros. »

Tous les mystères, y compris ceux de ces « pauvres » francs-maçons, sont pour lui autant de parades grotesques, une espèce d’opéra en pantomimes, « tels que nous en avons vu de très amusants, où l’on représentait toutes les diableries du docteur Faustus, la naissance du monde et celle d’Arlequin, qui sortaient tous deux d’un gros oeuf aux rayons du soleil. »

I] De la Révolution à la Commune

Lors de la Révolution Française, à partir de 1792, il n’y a pas eu « d’interdiction générale de l’Ordre. Mais les jacobins lui sont hostiles. Ils pensent que, dans une république, il ne doit pas y avoir d’organisation dont l’activité échappe au contrôle populaire. »[4]

Avant d’étudier les divers courants socialistes, nous pouvons citer Charles-François Dupuis (1742-1809), érudit, scientifique et humaniste. Il écrit dans son fameux ouvrage qui lui attira la haine des apologistes chrétiens : Origine de tous les cultes, ou Religion universelle (E. Babeuf, Paris, 1822), page 281 :

« Le goût pour les initiations se communiqua de proche en proche, et se répandit par toute la terre. On se fit initier, comme on se fait franc-maçon, pour satisfaire sa curiosité et sa vanité tout ensemble. »

1) Les divers courants socialistes

Comme l’écrit le socialiste et franc-maçon Denis Lefebvre : « Beaucoup de socialistes et d’anarchistes du XIXe siècle ont été francs-maçons. Les noms de Pierre-Joseph Proudhon, Louis Blanc, Pierre Leroux, Eugène Pottier, Benoît Malon, Sébastien Faure, Jules Vallès, Louise Michel, Elisée Reclus peuvent être avancés, maillons d’une longue chaîne de révolutionnaires. Mais il s’agit surtout d’engagements individuels.

La Commune de Paris de 1871 marque une rupture : au moins jusqu’au retour d’exil ou de prison des anciens communards, au milieu des années 1880, les socialistes se tiennent à l’écart des loges. »[5]

En ce qui concerne les communards, de la Commune de Paris, certains ont été francs-maçons. Mais il semble que les Socialistes, dans les années 1880-1890, se sont détachés de la franc-maçonnerie. Parce qu’elle n’aurait pas soutenu suffisamment, à leurs yeux, la Commune de Paris.

a) Le courant du « socialisme utopique »

Charles Fourier (1772-1837), philosophe français, fondateur de l’École sociétaire, considéré par Karl Marx et Engels comme une figure du « socialisme critico-utopique », déplorait que la Révolution française ait dégénéré en clubs et complots.

Non-maçon, il déplorait aussi le luxe de réceptions maçonniques et l’abus des banquets fraternels. Dans une lettre non datée, il écrit :

« Un franc-maçon me disait un jour : c’était bien joli hier aux francs-maçons : nous avons resté six heures à table.

Votre société, lui dis-je, ne connaît pas le plaisir de la table ; elle n’en connaît que l’abus, car au bout de deux heures, la table comme tout autre plaisir ne peut se soutenir que par des excès déraisonnables et nuisibles. »[6]

Dans son ouvrage : Théorie des quatre mouvements (1808) il écrit tout un texte sur la franc-maçonnerie. Extraits : « Le premier sujet [La Franc-Maçonnerie] sera présenté sous le rapport des moyens de salut qu’il offrait aux sophistes. On verra que cette société leur offrit un marchepied pour réparer leur défaite de 1793 et s’élever à la coordination et à la fortune. Ils n’en ont pas su profiter et s’ils se sont aveuglés sur les moyens d’influence qui s’offraient à leur ambition, seront-ils plus clairvoyants pour servir le genre humain ? Loin de là ; ils ont fait tourner, au détriment du genre humain, les chances qui pouvaient ouvrir les voies d’amélioration sociale. […]

Elle a donné une teinte religieuse au plaisir sensuel ; car à quoi se réduisent les séances des maçons ? À des pique-niques, accompagnés de quelques simagrées morales qui ont l’utilité de remplacer les jeux de cartes, et faire passer le temps plus économiquement.

[…]

D’après cela, s’ils ont, comme ils l’assurent, un secret, ce n’est pas le secret d’aller en avant. La nullité politique où ils sont restés avec tant de moyens de s’élever, donne une si triste opinion de leur prétendu secret, que s’ils offraient de le communiquer, beaucoup de personnes refuseraient de l’entendre. »

b) Le courant néo-hébertiste et blanquiste

Ensuite, c’est surtout dans le courant athée anticlérical néo-hébertiste[7] et blanquiste que l’ont retrouvera la plupart des anti-maçons « laïques ».

Louis-Auguste Blanqui (1805-1881) franc-maçon ?

On lit souvent que Blanqui fut franc-maçon. Si ce personnage prestigieux l’avait été, on aurait trouvé la preuve de son initiation et la franc-maçonnerie s’en serait glorifiée.

Mais, l’Encyclopédie maçonnique[8], reconnaît, page 85 : « Il n’est pas certain qu’Auguste Blanqui ait été maçon. »

Il y a eu des blanquistes francs-maçons. Mais c’était pour eux un moyen « d’échapper à l’action de la police, même quand les pratiques mystiques en usage dans les loges leur répugnaient. »[9] Bien-sûr, ce furent à chaque fois des loges les plus avancées et libres penseuses. Ce sont ces loges qui engendrèrent la décision du convent de 1878 de supprimer la formule du « Grand Architecte de l’Univers ».

Dans le journal néo-hébertiste[10] et sans-culotte : Le Père Duchesne, de Vermersch, on peut lire de nombreuses lignes anti-maçonnes. Il faut rejeter « les sornettes des maçons et des sacristains ». Il « engueulera aussi bien les calotins que les francs-maçons, etc. »[11]

Arthur Ranc raconte une altercation lors d’un enterrement civil. Un étudiant peste : trop de maçons, ils « nous ennuient, ils se fourrent partout. » Son interlocuteur admet un cérémonial vieillot, mais juge que la franc-maçonnerie incarne la fraternité. L’étudiant réplique en opposant l’égalité à l’aumône et ajoute :

« La Fraternité ! Mais c’est avec ça qu’on amuse le peuple depuis 92. La fraternité, mais c’est du catholicisme tout pur. Nous avons remplacé ça par la justice mon bonhomme. […] La maçonnerie, c’est encore une religion ! […] Pourquoi pas tout de suite l’Etre suprême ?

L’Etre suprême, c’est votre bête noir, Robespierre était un vil réactionnaire, n’est-ce pas ? »[12]

c) Le courant anarchiste

Proudhon (1809-1865) est reçu franc-maçon le 3 janvier 1847 à la loge La Sincérité, Parfaite-Union et Constante Amitié Réunies, à Besançon. « Il a déjà 38 ans, il est connu, et il ne fut jamais qu’un maçon du seuil, peu soucieux de s’élever au-dessus du grade d’apprenti. »[13]

D’ailleurs, cette loge « professe un déisme d’inspiration évangélique que Proudhon déteste, mais il y est parrainé par son oncle, Melchior Proudhon, prêtre constitutionnel défroqué devenu président local du club des jacobins. »[14]

Proudhon écrit d’ailleurs : « Autrefois la patrie du chrétien était partout où il y avait des chrétiens ; la franc-maçonnerie a imité cela. Pour moi, je n’ai besoin de recourir ni à ma foi, ni au mot de passe de mes frères maçons ; je trouve mon pays partout où il y a d’honnêtes gens. »[15]

Bakounine (1814-1876) fut, au cours de son séjour à Florence, dans les années 1864-65, en relation avec des francs-maçons influents. Il était obnubilé par le projet d’une organisation ouvrière qui aurait joué pour la révolution sociale le rôle que la Franc-maçonnerie avait joué pour la Révolution bourgeoise. C’est dans cet esprit qu’il fonda en 1864 une société secrète appelée « La Fraternité Internationale » ou « Alliance des Révolutionnaires Socialistes » dont l’existence fut éphémère puisqu’elle fut dissoute en janvier 1869 (d’après James Guillaumes). Quant à l’Alliance Internationale de Démocratie socialiste elle fut fondée en septembre 1868 et constitue la première tentative d’organisation anarchiste révolutionnaire. Bakounine avait cru, au début, que la Franc-maçonnerie existante pouvait être réformée, aussi écrivit-il un « Catéchisme de la Franc-maçonnerie Moderne » qui commençait ainsi : « Pour devenir un corps vivant et utile, la Franc-maçonnerie doit reprendre sérieusement le service de l’Humanité… » Mais les expériences malheureuses de l’Alliance secrète au sein de la « Ligue de la Paix et de la Liberté » lui font perdre toute illusion sur la rentabilité de tout travail concerté d’anarchistes à l’intérieur d’une organisation bourgeoise.

Aussi, sa position définitive de Bakounine sur la Franc-Maçonnerie est très critique :

Voici l’extrait d’un texte qu’il publia dans le journal Le Progrès, N°6 à 9 (1er mars au 1er mai 1869) :

« La Franc-Maçonnerie a représenté en quelque sorte le développement, la puissance et la décadence intellectuelle et morale de la bourgeoisie. Aujourd’hui, descendue au triste rôle d’une vieille intrigante radoteuse, elle est nulle, inutile, quelquefois malfaisante et toujours ridicule ».

Nous pouvons lire le texte en entier en Annexe 3.

d) Le marxisme

Karl Marx[16] (1818-1883) écrit dans Le Capital (1867) :

« Transformation du profit en profit moyen lumière d’un raisonnement pour ainsi dire mathématique, pourquoi les capitalistes, qui se conduisent en faux frères lorsqu’ils se font la concurrence, s’entendent comme des francs-maçons lorsqu’il s’agit d’exploiter la classe ouvrière. »

2) Le courant de la Libre-Pensée

Parmi La Libre-Pensée, malgré les nombreux liens avec la franc-maçonnerie, certaines voix s’élèvent contre la Franc-Maçonnerie.

Comme l’écrit Jacqueline Lalouette : « Lorsque les libres-penseurs du second Empire commencèrent à organiser des enterrements civils et à se regrouper, une certaine Maçonnerie, qui était encore majoritaire, prit soin de distinguer la liberté de conscience de la libre pensée et afficha sa réprobation envers cette dernière, comme le prouvent ces propos du vénérable de la loge de Saumur, La Persévérance : « Depuis trop longtemps il se fait un bruit étrange dans tous les Temples maçonniques au sujet d’une doctrine philosophique qui a la prétention de se présenter à nous comme une vérité nouvelle découverte par les libres penseurs. […] La Franc-Maçonnerie proclame l’immortalité de l’âme. Le libre penseur nous accuse de faire du dogmatisme, de la révélation, du culte. Nous le nions formellement. La doctrine maçonnique n’admet, avons-nous dit, qu’un double principe de la morale humaine, ou plutôt un seul : la conscience et la liberté. […] La conscience humaine affirme la justice, l’immortalité de l’âme. […] Mais, avec vous, libres penseurs, que deviennent ces grands mots ? »

En 1870, la revue Le Franc-Maçon était bien plus sévère encore : « Les clubistes-conférenciers-libres-penseurs-exploiteurs même des femmes […] n’ont ni croyance au cœur, ni amour de la famille, ni famille même avouable ou avouée ; ces gens-là qui sont sans tombe, sans croix au cimetière, sans place connues aux temples profanes ou reconnue aux temples maçonniques, mourront méprisés, haïssant les autres, se haïssant eux-mêmes, et hais de tout honnête homme. »[17]

A la fin du second empire, après une discussion particulièrement âpre aux Artistes Réunis de Limoges, loge à majorité déiste, le Frère Dubouché, un des chefs de file des libres penseurs, quitta le temple en déclarant qu’il ne voulait pas « rester plus longtemps avec des jésuites. »[18]

II] De la Commune à la première guerre mondiale

1) Les courants socialistes

a) Le courant guesdiste

L’organe national des guesdistes (courant socialiste tirant son nom de son chef historique : Jules Guesde) : Le Socialiste, combat la Franc-Maçonnerie. On peut lire dans le numéro du 4 septembre 1886 un article qui dénombre le nombre présumé de francs-maçons dans le monde et le taux des cotisations perçues. En conclusion, le rédacteur de ce texte écrit : « La Fédération maçonnique est une organisation de riches, car les pauvres sont exclus de cette organisation par la haute cotisation que chaque membre a à payer. »

Dans la publication de certaines affiches des guesdistes à l’occasion d’élections municipales à Roubaix en avril 1882, on y parle de cette société « aussi ténébreuse que possible, qui travaille dans l’ombre et le mystère, et dont les membres seuls sont amenés à connaître les délibérations ! » Plus loin les guesdistes s’en prennent au « comité maçonnique, soi-disant démocratique – qui a l’audace de continuer la lutte, ne voulant accorder aux ouvriers aucun moyen d’être représenté dans le conseil. »

Gabriel Deville (1854-1940), théoricien du Parti Ouvrier Français de Guesde, écrivant un portrait peu flatteur de Benoît Malon disait que celui-ci avait seulement fabriqué « un socialisme bon tout au plus pour les francs-maçons et les spirites ». (Principes socialistes, page XXV.)

Il écrit également :

« Et on peut se faire une idée de la candeur de nos inflexibles radicaux qui attachent tant d’importance aux pures questions de forme et affichent une si grande antipathie intellectuelle pour notre théorie collectiviste, pendant que leur intelligence s’accommode fort bien, en revanche, des simagrées franc-maçonniques et aspire à nous doter d’un Etat impartial, protecteur au même titre du capital et du travail. » Conférence faite à Paris, à la salle de la rue d’Arras, le 26 avril 1895.[19]

On trouve dans Le Socialiste daté des 15-18 septembre 1901 un article intitulé « franc-maçonnerie », écrit par Paul Lafargue (1842-1911), l’un des gendres de Karl Marx. Ce texte constitue une charge violente contre la franc-maçonnerie.

On peut lire : « La guerre pour rire contre le cléricalisme cache un autre but sérieux : celui d’absorber l’énergie des ouvriers et de les détourner de leurs intérêts de classe, de la lutte contre le capital à laquelle on veut substituer la lutte contre Dieu. Le culte des Droits de l’Homme, de la Patrie, de la liberté du commerce, et toute l’idéologie bourgeoise, tendant au même résultat. Si le prolétaire, selon les francs-maçons, doit manger du curé pour ne pas manger du capitalisme, il doit, selon les métaphysiciens de la politique, se contenter des Droits de l’Homme abstraits, de l’Homme en dehors du Parti socialiste et de l’espace, et ne pas réclamer les droits du travailleur de la société capitaliste. La logomachie idéologique de la bourgeoisie constitue tout le bagage philosophique de la franc-maçonnerie.

La Franc-Maçonnerie […] reste dans son rôle d’institution bourgeoise. Elle a pour sa bonne part contribué au triomphe de la bourgeoisie sur l’aristocratie et à l’établissement du parlementarisme, sa forme gouvernementale ; elle entend consacrer sa domination sociale contre son nouvel ennemi, le prolétariat. De révolutionnaire qu’elle était en 1789, elle est devenue réactionnaire. »

Dans son édition du 20 septembre 1901, le journal L’Aurore publie une motion d’un congrès du Parti ouvrier français rappelant aux travailleurs qu’ils ne sauraient distinguer entre leurs adversaires de classe et qu’ils doivent les combattre au même titre qu’ils soient catholiques, protestants, sémites, antisémites, francs-maçons, libres penseurs.

Le Travailleur, organe de la fédération du Nord du POF (Parti Ouvrier Français) publie en octobre 1902 un article intitulé « la franc-maçonnerie et le POF », on y lit :

« Il est possible que la franc-maçonnerie a pu être, pendant quelques temps, une simple société internationale de bienfaisance ; mais elle est aujourd’hui l’association internationale de la bourgeoisie.

Elle a, du reste, eu l’honneur d’avoir comme initiés des rois, empereurs, des archevêques et des prêtres, des nobles et des lords et jusqu’à Catherine II, impératrice de Russie. […]

La Franc-Maçonnerie est prise de la même démesure que l’Ordre des Jésuites : elle veut dominer le monde.

Ses vénérables font de la politique militante, politique qui consiste à diviser pour régner, et on peut se rendre compte que dans l’œuvre de division socialiste internationale, ceux qui sont les plus actifs ouvriers sont des francs-maçons.

Tous les francs-maçons ne sont pas évidemment avec ceux qui veulent canaliser le mouvement socialiste pour le conduire comme les plus influents de la veuve Hiram le veulent : les exceptions confirment la règle. »

Le chroniqueur évoque enfin les « momeries » des francs-maçons, l’idiote formule du Grand Architecte de l’Univers, et cet étalement des « fonds de casseroles sur leur poitrine. »

Bref, les guesdistes furent anti-maçons, sauf une toute minorité, comme par exemple ces guesdistes francs-maçons : Ernest Ferroul, Jean Augé, Charles Brunelière et Lucien Deslinières.

D’autres guesdistes appartiendront un temps à la franc-maçonnerie, tels Lucien Roland ou Alexandre Zévaes (1873-1953)[20]. Après leur départ, ils se transformèrent très souvent en adversaires acharnés de la franc-maçonnerie.[21]

On lit dans Le Travailleur du 24 septembre 1905, organe de la fédération socialiste du Nord un article intitulé : « Le convent maçonnique » :

« Les loges maçonniques de France ont eu leur congrès dimanche dernier, ou plutôt leur Convent, où se sont réunis plus de 400 délégués. Or il parait que les francs-maçons radicaux, radicaux-socialistes et socialistes de gouvernement, sont très mécontents de ce que le congrès international d’Amsterdam a été pris au sérieux par presque tous les socialistes français.

L’unité socialiste va avoir pour résultat essentiel, aux élections législatives françaises, de porter des candidats socialistes en les plaçant nettement sur le terrain de la lutte de classe, aussi bien dans les circonscriptions radicales que dans les circonscriptions cléricales ou modérés.

Cette unité socialiste, donnant à tous les socialistes français leur unité d’action et de propagande, partout il va y avoir une recrudescence formidable d’agitation profitable aux intérêts du prolétariat.

C’est ce qui gênerait les radicaux bourgeois, les francs-maçons surtout qui, pour bien montrer aux socialistes qu’ils ne sont pas du tout content d’eux, ont désigné, dès leur séance d’ouverture, M. Augagneur, maire de Lyon et socialiste comme le sont Briand et Millerand.

Les maçons radicaux, les bourgeois soi-disant socialistes qui font partie du « Temple » ne sont pas contents et nous déclarent la guerre.

Nous n’en pleurerons pas. »

L’année 1906 voit le début de ce conflit qui se traduit, au sein du jeune Parti socialiste, par la volonté d’interdire aux socialistes d’être maçons. Il s’en faut de peu, au vu des résultats du congrès. L’offensive reprend presque de suite jusqu’au congrès de 1912, qui se prononce d’une façon plus nette, laissant la liberté à chaque militant d’appartenir aux organisations de son choix.

Florilèges et extraits :

Jules Guesde (1847-1922) ne cachait pas ses sentiments anti-maçonniques quand il déclarait au Congrès socialiste de Limoges (octobre 1906) :

« Il s’agit de savoir s’il y a, plus d’inconvénients ou d’avantages pour le parti a ce que quelques-uns de ses membres fassent partie de la Franc-Maçonnerie. Telles sont les conséquences d’une pareille présence, alors surtout que dans quantité d’endroits nous avons à lutter contre les Francs-Maçons ; cette présence apporte le trouble dans les cerveaux, elle désarme l’action ouvrière. »

L’année suivante, la Fédération socialiste du Nord votait la motion suivante au Congrès de Loos :

« Considérant que dans maintes occasions les représentants de la Maçonnerie ont été complètement hostiles aux choses et aux hommes de notre parti, le Congrès émet le voeu que les socialistes ne donnent pas plus leur adhésion à la Franc-Maçonnerie qu’à toute organisation de ce genre : Ligue des Droits de l’Homme et autres sociétés. »

Au Congrès socialiste de Nancy, la même année, le citoyen Bès déclara, au nom de sa fédération : « Je suis venu ici exprès pour déclarer la guerre à la Maçonnerie ». Mais son intervention fit long feu, car presque tous les dirigeants des différentes fractions socialistes qui s’étalent unifiées en 1905 étaient maçons : Allemane, fondateur du Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire, Arthur Groussier, fondateur de l’Alliance Communiste, Marcel Sembat, fondateur du Parti Socialiste de France, et Dazet, secrétaire du Parti Ouvrier.

Alexandre Bracke (1861-1955) écrit un violent éditorial contre la franc-maçonnerie dans l’Humanité du 24 septembre 1906 :

« La maçonnerie acquise au socialisme ? Il ne faut pas aller si vite.

Il y a des francs-maçons de tous calibres, assurément. Mais en fait nos camarades d’un peu partout trouvent devant eux la maçonnerie comme un obstacle rude, et leur besogne n’est pas facilitée du fait qu’ils trouvent dans l’armée des lévites quelques-uns des militants qu’ils estiment le mieux et dont ils attendraient le plus. »

Gabier, dans Le Socialiste du 20 octobre 1906 écrit une violente charge contre la Franc-Maçonnerie :

« Bourgeoise par les couches sociales où elle se recrute presque exclusivement, la maçonnerie l’est naturellement dans ses tendances et dans ses actes. Sa formule essentielle, c’est la démocratie panacée, la métaphysique des Droits de l’Homme, de l’égalité théorique, du possibilisme et du réformisme d’état. Les constatations du socialisme marxiste – subordination de toutes les idéologies et de toutes les formes politiques si démocratiques soient-elles, aux réalités économiques, séparation des hommes en deux classes ennemies, nécessité pour les producteurs de mener par leurs propres moyens et jusqu’à complète expropriation leur lutte internationale contre la bourgeoisie – tout cela est la négation et le bouleversement des conceptions élitistes des loges, de leur patriotisme honteux qui flotte du chauvin Doumer au pacifiste Viviani, de leurs espoirs benêts de confusion et de « paix sociale » sous les rameaux de l’acacia […] Chacun sait à quel point la maçonnerie est devenue machine à distribuer rubans de toutes couleurs, usine à petits profits, tremplin pour postes et candidatures. Mais cela est de son essence bourgeoise, un accident, peut-on dire, secondaire ; et le point essentiel de conflit demeure toujours, que le personnel et la doctrine traditionnelle de cette Société sont à l’opposé de la lutte de classe et de tout le mouvement ouvrier, sont, malgré les efforts généreux de certains, antisocialistes. »

Pendant les débats du congrès socialiste de 1906, Philippe Raquillet dira : « Beaucoup de membres du Parti vont dans les loges ; ils diront qu’ils veulent amener les maçons au Parti. Nous ne croyons pas cet espoir réalisable […] nous savons en effet comment sont composées les loges. » Selon lui : des petits bourgeois et des personnes qui cherchent leur intérêts personnel, des ambitieux et des roublards. Il continue : « le travailleur, lui, ne peut pas généralement entrer dans les loges : il n’est pas assez riche pour payer des cotisations élevées, encore moins pour acheter des grades. »

Le docteur Riu, dans Le Progrès du Loiret, en janvier 1908, y stigmatise cette « institution surannée » qui « sert de marchepied aux ambitions sans borne des fruits secs et véreux de toutes les carrières », avant de lancer cet appel : « Si les socialistes francs-maçons veulent que la République ne soit pas une fiction, s’ils veulent anéantir la misère après avoir détruit le dogme, qu’ils apportent leurs lumières dans nos groupes et qu’ils ne restent plus terrés dans les loges. »

Marcel Deschamps, dans Le Socialisme du 1er octobre 1910, écrit : « La fraction maçonnique de la bourgeoisie vient-elle à être menacée dans ses appétits ou dans ses privilèges ? Aussitôt, elle implore le prolétariat, le supplie d’abandonner ses revendications, et de n’avoir en vue que l’intérêt supérieur de la République. […] Les socialistes savent qu’il n’y a pas d’association plus hypocrite, plus haineuse, plus sectaire que la franc-maçonnerie. »

On peut lire dans Le Socialisme, quelques semaines plus tard, un rapport adopté par la 7e section de la fédération de la Seine, dans lequel on peut lire :

« La 7e section considère qu’il est impossible à un citoyen honnête d’appartenir à la fois à un parti de lutte de classe voulant abattre la Société bourgeoise et à un groupement qui en constitue le plus ferme soutien […] Donc, de deux choses l’une : ou un maçon entre dans le Parti socialiste pour enrayer le mouvement révolutionnaire de ce parti, au profit de la bourgeoisie ; ou un socialiste entre dans la maçonnerie pour en tirer des avantages personnels. De toute façon, les titres de franc-maçon et de socialiste sont incompatibles […] Le Parti socialiste a perdu 20 ans à combattre les Jésuites noirs, abandonnant ainsi la lutte contre le capital au profit de la bourgeoisie judéo-maçonnique ; les jésuites rouges sont plus dangereux que les noirs, et il importe de les démasquer, et de les mettre à la porte du Parti socialiste, sous peine de suicide pour nous. »

Le 28 novembre 1910 le libraire Paul Delesalle (1870-1948), militant anarchiste et syndicaliste révolutionnaire écrit : « La franc-maçonnerie, de par son recrutement, par sa composition, est pour l’entente des classes, je suis pour une lutte – qui le devient du reste toujours plus aiguë – entre les classes.

Par la franc-maçonnerie, je crains que vous ne détourniez le socialisme de son but réel. Votre but est louable, mais vous serez noyé, et le socialisme doit se suffire à lui-même, vos arguments ne m’ont pas convaincu que la franc-maçonnerie lui soit nécessaire pour triompher. Socialiste et surtout révolutionnaire qui croit que le socialisme doit être en état de lutte permanente dans la société capitaliste, je ne peux être l’ami, le frère de l’homme que je combats, ou bien je trompe ces amis et moi-même. »

Pour préparer le congrès socialiste de 1912, Lucien Roland dépose ce texte durant le congrès de Saint-Quentin :

« Considérant que la lutte de classe interdit toute collaboration avec la clase bourgeoise ; il est interdit aux membres du Parti d’adhérer à aucune société religieuse ou philosophique telles que catholiques, juives, protestantes, franc-maçonnes, libres penseuses et autres.

Au lieu d’éparpiller leurs efforts, les membres du Parti mettront toutes leurs facultés au service de l’organisation socialiste qui doit se suffire à elle-même. »

b) Le congrès socialiste de 1912 et la mort du socialisme

Durant le congrès socialiste de 1912, Pierre Myrens (1861-1940), ancien franc-maçon, député socialiste du Pas-de-Calais, se penche sur le cas de quelques recrues récentes de la franc-maçonnerie à Paris, un gardien de la paix, un brigadier de gendarmerie, un inspecteur de la sûreté générale : « Ces policiers sont dangereux pour les socialistes parce que si, ouvertement, on accepte des policiers connus, une fois qu’ils sont initiés dans une loge ils peuvent très bien pénétrer dans d’autres, et là de bons camarades socialistes et syndicalistes peuvent être victimes de ces mouchards qu’ils ne connaîtront pas. »

Paul Poncet, durant ce congrès, dira : « La franc-maçonnerie est avant tout, et surtout, une organisation politique. Et, d’abord, soutenir le contraire est une plaisanterie […] Ah ! Ce n’est pas une association qui poursuit la conquête du pouvoir. La belle blague ! Puisqu’elle y est, au pouvoir ! Huit ministres sont francs-maçons ; presque tous les préfets, les sous-préfets, des généraux, des policiers. Elle est au pouvoir, elle n’a pas à le conquérir ! La franc-maçonnerie est l’organisation occulte du radicalisme au pouvoir, et dans toute son action elle travaille à perpétuer la domination politique de la bourgeoisie sur la classe ouvrière, et ce n’est pas la poignée de francs-maçons socialistes, qui sont de bonne foi, qui l’empêcheront de poursuivre ce but !

Non, camarades, nous ne voulons pas de fraternité maçonnique, puisqu’elle peut s’opposer à la fraternité socialiste ! Nous n’avons pas besoin de lumière maçonnique ! Gardez votre rat de cave, le soleil socialiste nous suffit ! »

D’autres intervenants de ce congrès de 1912, reprochent aux socialistes maçons de ne plus disposer de suffisamment de temps pour la propagande socialiste. Ainsi, Jean Lebas (1878-1944), futur ministre du Travail du Front populaire : « Le militant qui veut remplir son devoir, qui sait que son parti a besoin de son temps […] celui-là n’en a jamais de trop à donner à la propagande et à l’organisation. »

Ainsi, de nombreuses fédérations exigèrent que les socialistes maçons quittassent les loges, « ces repaires de bourgeois ». Il fallut tout le talent de Groussier, Uhry, Francis de Pressensé et Marcel Sembat pour empêcher le congrès de suivre les anti-maçons.

Effectivement, finalement, voici le résultat du congrès de 1912 : les socialistes laissent la liberté à chacun de leurs militants d’appartenir aux « organisations d’ordre philosophique, éducatif ou moral » de leur choix.

Depuis, les éléments marxistes les plus hostiles à la Franc-Maçonnerie semblent avoir rejoint le Parti communiste.

L’anti-maçon de droite Jean Bidegain verra avec beaucoup de justesse dans les conclusions de ce congrès la mort programmée du socialisme. Un vrai visionnaire, il écrit en effet dans la revue La Franc-Maçonnerie démasquée du 10 mars 1912 : « Cela est un triomphe sans précédent pour la Secte, car la majorité qu’elle a obtenue implique la renonciation des collectivistes à leur principe fondamental qu’ils ont préféré sacrifier plutôt que de paraître hostile aux loges.

L’héroïsme doctrinal des marxistes ne résistera pas à la fréquentation des bourgeois francs-maçons. Les idées et les doctrines qui nécessitent le moindre effort finiront par conquérir leur âme et, en très peu de temps, les farouches révolutionnaires de jadis seront transformés en des solliciteurs de palmes et de bureaux de tabac. »

Le véritable socialisme signait son arrêt de mort…

c) Les autres courants socialistes anti-maçons

Jules Vallès (1832-1885), ancien franc-maçon, discutant un jour avec des francs-maçons, leur répondit textuellement avec sa truculence coutumière :

« Des foutaises, votre religion à rebours ! J’aime mieux alors celle des bonnes femmes, que pratiquait ma tante Marion et que prêchait mon oncle le curé. Dieu tout court, le Dieu des martyrs et des héros… ou pas de Dieu du tout ! Mais le débaptiser, pour le rebaptiser, pour le rebaptiser laïquement « le Grand Architecte de l’Univers », qu’est-ce que ça veut dire, à quoi ça rime-t-il ?

D’abord pourquoi favoriser une corporation au détriment des autres ? Pourquoi « architecte » plutôt que vétérinaire ou forgeron ? C’est de la faveur, c’est contraire au principe ! Et ce jargon, ces emblèmes, ces épreuves comiques, ces cérémonies absurdes ! J’aime mieux dix fois, cent fois, la messe, le bon Dieu de Noël et des œufs de Pâques ! Comme je préférerais communier le Vendredi-Saint, si c’est mon idée, pour me faire du bien à l’âme, que d’aller, selon le rite contraire, m’empiffrer de saucisson qui me détraquerait l’estomac.

Oui, j’y suis entré dans votre sacrée Franc-Maçonnerie, juste le temps de voir ce que c’était et de filer au galop. Signe pour signe, la Croix représente un idéal, un refuge, le souvenir d’un grand supplice… Votre truelle symbolise la solidarité des fringales, la coalition des ambitions, le « tout-à-nous » des intérêts. »[22]

Vallès critiquait alors souvent les « calotins de la démocratie ». (cf. dans son ouvrage autobiographique Le Bachelier, chapitre 10, « mes colères » (1879).)

Ernest Roche (1850-1917)

Membre du comité blanquiste de Bordeaux, secrétaire de la Chambre syndicale des mécaniciens, délégué des associations syndicales ouvrières au Congrès socialiste de Marseille et député de la Seine (1889-1906) et (1910-1914)

Il affirmait que le syndicalisme ne devait pas craindre de combattre « les Jésuites rouges et les opportunistes. »[23]

Edouard Berth (1875-1939), théoricien du syndicalisme révolutionnaire, écrit : « le bourgeois libre penseur, démocrate, jacobin, franc-maçon, membre de la Ligue des droits de l’homme est incapable de s’élever à une certaine hauteur de pensée ou de sentiment, l’idée sociale ne peut être que militaire ou ouvrière. »[24]

Urbain Gohier (1862-1951) écrivait dans l’un de ses perspicaces articles (Leur République, Paris 1906, pages 107-108) : « Le cléricalisme n’est pas l’attachement fanatique à un dogme donné ou à certaines pratiques, c’est une forme particulière de la pensée, qui s’exprime surtout par l’intolérance. La plus grande partie des soi-disant anticléricaux d’aujourd’hui sont des cléricaux protestants ou des cléricaux juifs, qui combattent la religion catholique au profit de la leur ; ou bien des sectaires maçonniques encombrés de vains préjugés, de vaines cérémonies et de bibelots encore plus ridicules que ceux du clergé. Leurs principaux meneurs sont des ex-prêtres ou des ex-moines qui ne peuvent pas se débarrasser de leurs habitudes mentales acquises précédemment et qui rétablissent dans la Libre Pensée des Noëls païens, des Pâques socialistes, des baptêmes civils, des communions et surtout des excommunications, et remplacent les jeûnes, les évangiles, les credos, les catéchismes et les billets de confession par des banquets. »

Gustave Tery (1870-1928), républicain radical, franc-maçon, collaborateur à La Raison, libre-penseur, écoeuré du scandaleux régime des fiches inauguré par le Grand Orient sous le ministère Combes, écrivit un ouvrage intitulé : « Laïcisons la Franc-Maçonnerie. » (Paris, L’Oeuvre, 1904).

Il met en lumière notamment tout ce qu’il y a de burlesque dans les mômeries d’une secte qui, tout en raillant et en combattant le culte catholique, s’applique non seulement à le copier, mais à exagérer jusqu’à la bouffonnerie les pratiques rituelles.

Henri Rochefort (1831-1913), écrivain et homme politique, anticlérical jusqu’au bout, fondateur notamment de La Lanterne, puis de l’Intransigeant, porte-voix des anciens communards, participe aux dîners anti-maçonniques mensuels organisés par Copin-Albancelli.[25]

Jean Jaurès (1859-1914)

Voici ce que l’on peut lire sous la plume de Denis Lefebvre, pages 172-173 :[26]

« Nous sommes en avril 1905, à Béziers, pendant un banquet célébrant la récente unité socialiste, et la naissance de la SFIO. Jean Sagnes évoque les propos tenus à cette occasion par l’ancien maçon Marcel Cachin, guesdiste inconditionnel qui, « ne s’embarrassant pas de figure de rhétorique, attaque la franc-maçonnerie et Lafferre, député de Béziers, président en exercice du Grand Orient récemment compromis dans l’affaire des fiches. Cachin va droit au but, et déclare que Lafferre est un des hommes les plus détestables qu’il connaisse ! Cela provoque un beau tumulte de la part des francs-maçons présents. » Jaurès intervient en dernier, et n’hésite pas à déclarer, selon La Dépêche, que « les plus grands ennemis du socialisme sont ces radicaux et ces radicaux-socialistes sont l’équivoque a été dénoncée toute la journée. »

Le quotidien radical local, Le Petit Méridional, commente ainsi le banquet de Béziers : « le but réel de la journée […] une campagne antiradicale, antimaçonnique », et soupçonne Jaurès de « servir, par son admirable talent de parole, une entreprise personnelle, mesquine, malsaine ! »

Certes, Jaurès n’a pas cité la maçonnerie, mais ses propos peuvent paraître ambigus, et permettent de faire l’amalgame.

Proche de Jaurès à une certaine époque, le socialiste maçon André Lebey apportera en 1923 son témoignage sur le rapport du chef socialiste à la maçonnerie :

« Au congrès de Lyon, où se débattaient sous les assauts répétés des guesdistes les rapports du socialisme et de la franc-maçonnerie, après m’avoir longuement interrogé sur celle-ci, Jaurès décréta sur un ton d’amical reproche : « Je vois ce qu’il en est ; le Parti est votre femme, la franc-maçonnerie votre maîtresse, et c’est elle que vous préférez. » Je m’efforçais vainement de lui faire comprendre que toute la recherche de ma vie sentimentale avait été de ne les séparer point afin de réunir les deux en une seule et même femme, il refusait de me croire. »[27]

Voici d’ailleurs ce que Jaurès écrit dans son ouvrage : L’organisation socialiste de la France : l’armée nouvelle (L’Humanité, Paris, 1915), page 485 :

« Ce sera un régime de plain air, un régime public et loyal qui donnera aux officiers bien plus de garanties que ne leur en donnent les règles et les pratiques d’aujourd’hui. Ils sont à la merci des caprices d’un chef, des notes souvent fantaisistes d’inspecteurs qui passent à de rares intervalles et qui les jugent de très haut et de très loin. C’en sera fini du règne alternatif ou simultané des coteries rivales : jésuitière ou franc-maçonnerie. »

Vacher de Lapouge (1854-1936), défenseur du socialisme sélectionniste et aryaniste, anthropologue, dans son ouvrage L’Aryen, page 365, critique « le christianisme, d’église ou laïque. »[28]

2) Le syndicalisme contre la Franc-Maçonnerie

Emile Janvion ( ?-1927), anarcho-syndicaliste libertaire, socialiste révolutionnaire et athée, auteur de la fameuse phrase : « Sur le terrain syndicaliste, il n’y a pas de péril réactionnaire, il n’y a que le péril actionnaire. »

Il créé en 1909 le périodique Terre Libre, (Organe d’action syndicale), où il pourfend les « Jésuites rouges » et le « bénitier judéo-maçon. »

Dans Terre Libre du 1er-15 mars 1914, il écrit : « Kekcekça, un réactionnaire pour un anarchiste ? Voilà un terme de politicaillerie, ou je ne m’y connais pas. Un ouvrier qui va à la messe serait-il un réactionnaire et son patron, s’il va à la Loge […], serait-il donc classé parmi les révolutionnaires ? Tout ce qui nous divise se trouve dans cette antithèse. »

Mais surtout, il donna une célèbre conférence anti-maçonnique, intitulé : « La Franc-Maçonnerie et la classe ouvrière », donnée le 3 avril 1910, à l’Hôtel des Sociétés Savantes.

Nous en reproduisons le texte en entier en Annexe 1.

Emile Pataud (1870-1935), ouvrier électricien, syndicaliste révolutionnaire, créa avec quelques amis le Syndicat général des industries électriques, dont il nommé secrétaire. En mars 1907, il déclencha une grève surprise qui plongea paris dans la nuit noire. Celui qu’on avait surnommé le « Roi de l’ombre » coupa encore le courant en 1910 pendant la grève des cheminots. Il fut révoqué, et un mandat d’arrêt fut lancé contre lui. Il s’enfuit en Belgique. A son retour, en 1911, il rejoignit Janvion dans sa campagne antimaçonnique.[29]

En 1911, à l’occasion des élections pour le renouvellement du conseil d’administration de l’Association générale des agents des postes et télégraphes, deux listes sont en présence. L’une pose la question de savoir si des postiers affiliés à la franc-maçonnerie se trouvent dans les conditions d’indépendance indispensables aux délégués d’une association professionnelle. Autrement dit, il s’agit pour les tenants de cette liste de chasser les francs-maçons du bureau de leur syndicat. Ils réussissent en partie, et c’est un fait nouveau, puisque deux candidats francs-maçons sont éliminés pour cette raison par les électeurs.

En 1912, au congrès de la Fédération du bâtiment, la question de l’incompatibilité entre le syndicalisme et la maçonnerie est posée. Le congrès de la Fédération des ouvriers tonneliers décide d’exclure les francs-maçons des fonctions syndicales, car ceux-ci compromettent l’organisation en allant sympathiser dans les loges avec des juges, policiers, militaires et politiciens, tous ennemis de la classe ouvrière.

Au plus haut sommet, la Confédération Générale du Travail se sépare avec fracas du franc-maçon Hervé, directeur de La Guerre sociale, et revendique son indépendance absolue à l’égard des partis et des « sectes ».[30]

3) Anti-maçonnisme chez des « bourgeois »

Guy de Maupassant (1850-1893)

Dans : Mon oncle Sosthène, (Texte publié dans Gil Blas 12 août 1882) il se livre à une critique de la Franc-Maçonnerie. On peut lire le texte en Annexe 2.

Ernest Renan (1823-1892)

Il écrit, dans Marc-Aurèle ou la fin du monde antique (1882) : « Les mystères étaient la forme ordinaire de ces cultes exotiques et la cause principale de leurs succès. L’impression que laissaient les initiations était très profonde, de même que la franc-maçonnerie de nos jours, bien que tout à fait creuse, sert d’aliment à beaucoup d’âmes. »

Gabriel Monod (1844-1912), historien, dans les cahiers de Péguy proteste contre « la délation systématique organisée par la Franc-Maçonnerie. »[31]

Cesare Lombroso (1835-1909) Professeur de médecine légale italien, connu pour ses thèses sur le morphotype des criminels et son caractère inné.

Il écrit dans son ouvrage : Problèmes du jour (Paris, Librairie universelle, 1906) :

« Même les fameux Senoussis, qui font trembler le sultan derrière ses murailles ensanglantées, qui dictent, on peut le dire, la loi à l’islam, depuis l’Afrique jusqu’à la Chine, avec une puissance sectaire qu’on peut comparer à celle des jésuites ou des francs-maçons, et qui ont leur centre dans la Tripolitaine, se sont transformés sous la plume de nos journalistes en moines ascètes et inoffensifs ! »

Jules Lemaitre (1853-1914), écrivain académicien non catholique, lança en 1899, au nom de la Ligue de la patrie française qu’il dirigeait, une pétition contre le privilège exorbitant dont bénéficiait à ses yeux la franc-maçonnerie. Cette pétition parue d’abord dans l’Eclair, puis dans un grand nombre de journaux.[32]

Membre de l’Union française antimaçonnique, on compte également dans le comité de patronage de cette Union le positiviste Antoine Baumann (1860-1925), qui fut membre de la commission des exécuteurs testamentaires d’auguste Comte. Il rejoindra l’Action Française de Charles Maurras.

Edmond Archdeacon (1864-1906), député de Paris, républicain nationaliste, était un des membres les plus dévoués de la Ligue de défense nationale contre la Franc-Maçonnerie, fondé par Copin-Albancelli, lui-même demeuré libre-penseur, mais prenant en défense l’Eglise catholique.

Louis Andrieux (1840-1931), ancien préfet de police de Paris, ancien membre du Conseil de l’ordre du Grand Orient de France, brocarde son initiation maçonnique dans ses Mémoires (Souvenirs d’un Préfet de Police. Paris, Jules Rouff, 1885). Cela lui vaut de solides inimitiés de la part des francs-maçons.

En 1897, Louis Andrieux eut un fils naturel d’une jeune provençale de trente ans sa cadette. Cet enfant devait devenir célèbre sous le nom de Louis Aragon.[33]

Paul Doumer (1857-1932), ancien président de la République (assassiné), ancien franc-maçon, démissionnaire, quitta la franc-maçonnerie en 1906, en disant : « Quand j’entrai dans la Franc-Maçonnerie, je savais m’affilier à des amis, à des partisans d’une politique de progrès et de liberté.

Peu après une transformation pernicieuse s’opéra. La Franc-Maçonnerie est devenue une coterie, d’où partit la délation, le bas régime du mouchardage, du favoritisme, de l’internationalisme. Ceci n’a jamais été dans mes principes et dans mes idées…

J’ai rompu avec la franc-maçonnerie, afin d’en finir avec cette clientèle déshonorante. »

4) Libre-pensée

Place, dans La Pensée libre (Ancienne Libre pensée de 1870), n°22, critique les « jésuites tricolores. »

William Vogt, libre-penseur et matérialiste, fils du fameux naturaliste Karl Vogt, avait en 1899 déposé sur le bureau du Grand Conseil de la Confédération helvétique une proposition tendant au droit de récusation contre tout juge appartenant à une société secrète et ayant à prononcer entre deux plaideurs, dont l’un serait membre de la même société que lui, tandis que l’autre n’en ferait pas partie. La proposition fut finalement ajournée. William Vogt publie alors un catalogue divulguant les noms des francs-maçons genevois.[34]

La libre penseuse Léonie Rouzade (1839-1916), membre du conseil central de la Fédération française de la Libre-Pensée, reprochait à la franc-maçonnerie non seulement son caractère réactionnaire mais encore son hostilité envers les femmes, considérés par les maçons comme des être inférieurs, affirmait-elle.[35]

« Les attaques libres penseuses contre la Franc-Maçonnerie furent si vives qu’en 1897, Chenavaz, député radical de l’Isère, décida de quitter la Fédération Française de la Libre-Pensée.

En 1899, lors d’un banquet clôturant une cérémonie de baptême civil, des adhérents d’une société lyonnaise, le Groupe rationaliste de la morale positive, expliquèrent qu’il fallait haïr et chasser les francs-maçons, au même titre que les cléricaux, et s’en prirent violemment au maire, le franc-maçon Victor Augagneur. »[36]

En juin 1906, lors d’un congrès de libres penseurs réuni à Lyon, le représentant du groupe de Givors demanda que fussent exclus les délégués n’ayant pas pris l’engagement de rompre « avec toutes les religions et avec toutes les associations francs-maçonniques et rituelles. » Le texte est malheureusement finalement rejeté.

« Ce qui distingue encore la Libre Pensée de la Franc-Maçonnerie, c’est l’absence, ou le refus, de rites, de pratiques ésotériques, le refus du secret, quoique la Ligue anti-cléricale et quelques sociétés locales aient tenté d’imposer celui-ci. Louis Comby cite l’exemple de Paul-Gabriel Meynet (1829-1907), maire radical-socialiste d’Alfortville, « apôtre affirmé de la Libre-Pensée, mais qui, par refus de tout rite, n’est pas franc-maçon. » [37]

5) Le courant anarchiste

En 1880, le Drapeau Rouge, l’Organe de la ligue collectiviste-anarchiste est nettement anti-maçon. Ainsi, dans le numéro 1, on peut lire : « Il n’y a que des philanthropes ! Confondons le triangle du franc-maçon avec le tricorne du jésuite ! »

L’anarchiste Roubineau critiquait les « jésuites rouges. »

Zévaco (1860-1918), romancier anarchiste, publie en 1892 Le Gueux, « organe de combat et de révolte », avec le concours de toute la fine fleur anarchiste (Pouget, Malato, Louise Michel, Cladel). Dans cette revue, Emile Odin se spécialise dans l’antimaçonnisme :

« Nous devons prendre à la gorge la bande rouge aussi bien que la bande noire […] Les maçons ont servilement copié les jésuites en leur plan d’accaparement […] Le péril maçon existe, aussi sérieux, aussi imminent que le péril clérical. »[38]

Elisée Reclus (1830-1905). Militant et penseur de l’anarchisme français.

En 1860, Élisée est admis dans une loge maçonnique (les Émules d’Hiram). Il n’y fut jamais actif et au bout d’un an, il quitte la franc-maçonnerie, ne supportant pas l’esprit qui y régnait. Il ne remit les pieds dans une réunion, sauf lors de son dernier exil à Bruxelles, mais pour y faire des conférences. Sa soif de liberté et d’indépendance ne pouvait se satisfaire des rites présidant aux réunions des loges.

Léo Campion affirme dans son livre Les anarchistes dans la franc-maçonnerie (Marseille, 1969), que Reclus fut un maçon fervent. Mais Elisée écrivit (notice préliminaire à l’ Anarchie ) : « Les paroles qui suivent furent prononcées en 1894 dans la loge maçonnique des " Amis Philanthropes " de Bruxelles, quoique, depuis 36 années, l’orateur, simple " apprenti ", n’eût jamais, par principe, collaboré en quoi que ce soit à l’œuvre de la société fermée des F. M. » Voir aussi Les frères Elie et Elisée Reclus, ou du protestantisme à l’anarchisme « Paris, les Amis d’Elisée Reclus, 1964, p. 59.)

L’anarchiste Victor Méric (1876-1933), auteur de brochures sur Les Hommes de la Révolution (Desmoulins, Marat, Hébert) écrivait : « j’ai mangé du curé autrefois je ne vois pas ce qui peut m’empêcher de bouffer du youpin ? En vertu de quoi les juifs nous seraient-ils plus sacrés que les protestants par exemple ou les calotins ou les frères trois points ? L’antisémitisme n’a rien à voir là dedans [...] qu’on nous laisse donc dire notre pensée sur la juiverie cosmopolite et exploiteuse et que les prolétaires juifs protestent et s’insurgent avec nous. »[39]

Une suite d’article du Libertaire développe l’idée qu’on ne peut être franc-maçon et en même temps lutter pour le peuple, car les effectifs des loges sont en majeure partie composés de bourgeois, juges, policiers, députés, sénateurs et ministres, tous ardents défenseurs des structures de l’Etat.

Au congrès anarchiste de 1913, l’attitude à tenir vis-à-vis de la franc-maçonnerie figure à l’ordre du jour des travaux. Il faut toute l’éloquence de Sébastien Faure en faveur de la franc-maçonnerie pour que les congressistes décident de laisser les choses en l’état.[40]

Georges Darien (1862-1921), écrivain anarchiste, écrit dans L’ennemi du Peuple : « Quand on expulse - car il ne s’agit pas de jouer sur les mots, ce fut une expulsion ; très justifiée, certes, mais une expulsion - quand on expulse les chrétiens et les tolstoïens, on n’a pas le droit d’accepter les francs-maçons. C’est se débarrasser d’un rhume afin de s’inoculer le choléra. L’Internationale antimilitariste sera logique, de gré ou de force. » (N° 29, 15 octobre-1er novembre 1904)

III] De la première guerre mondiale à la deuxième guerre mondiale

1) Le courant communiste

On ne peut associer le communisme à la franc-maçonnerie si on connaît un tant soit peu l’histoire. Ainsi, la politique antimaçonnique imposée dès 1917 en Union Soviétique s’étendit à partir de 1921 à tous les partis communistes occidentaux en vertu de la décision adoptée par la 3e Internationale lors de son Congrès de Moscou.

Dans les pays dominés par le marxisme-léninisme, la prohibition antimaçonnique est rapide et totale. Si la Russie des tsars se montre très réticente à la Maçonnerie, jugée par l’Église orthodoxe comme un vecteur néfaste de l’occidentalisme, la Russie des soviets ne compose pas : elle l’interdit dès 1917, lors de son accession au pouvoir, et extermine ou déporte en camp de travail les quelques milliers de francs-maçons russes, non pas au nom de leur appartenance à l’Ordre, mais en raison de leur attitude libérale en politique, dite « petite bourgeoise ».

Les deux premiers Congrès de l’Internationale Communiste (1919-1920) avaient laissé de côté le sujet de la Maçonnerie. Cependant, lors du troisième Congrès (1921) organisé par Lénine et Trotsky, ce dernier demanda que l’adhésion à la Maçonnerie fût interdite à tous les membres du parti, « puisque la Maçonnerie ne représente rien d’autre qu’un processus d’infiltration de la petite bourgeoisie dans toutes les couches sociales. » Et il ajouta que « la solidarité, principe fondamental de la Maçonnerie, constituait un obstacle sérieux à l’action prolétaire et que la liberté revendiquée par la Maçonnerie était un concept bourgeois opposé à la liberté de la dictature du prolétariat. » Il précisa en outre : « La Maçonnerie, par ses rites, rappelle les coutumes religieuses, et il est bien connu que la religion domine, avilit le peuple. Son dernier argument fut que la Maçonnerie représentait une grande force sociale et par suite du secret de ses séances et de la discrétion absolue de ses membres, elle constituait un Etat dans l’Etat. » Ce point de vue de Trotsky fut approuvé par le Congrès et la Troisième Internationale interdit à ses membres de faire partie de Loges maçonniques. Cependant il fallut attendre le quatrième Congrès (Moscou 11-20 novembre 1922) pour que - à la suite des problèmes surgis dans le parti communiste français soit ajoutée une condition supplémentaire aux 20 indispensables pour être admis au sein du parti communiste : l’incompatibilité du communisme et de la Franc-maçonnerie.

L’Humanité du 19 décembre 1922 publie la résolution adoptée à Moscou, au sujet de la franc-maçonnerie.

Il ressort de la résolution que ceux des militants communistes qui, avant le 1er janvier 1923 n’auraient pas déclaré au Parti – puis rendue publique dans la presse communiste – leur rupture avec la franc-maçonnerie, seront exclus de l’organisation, « sans droit d’y adhérer à nouveau, à quelque moment que ce soit. » Allant plus loin, ce texte se fait menaçant : « La dissimulation par quiconque de son appartenance à la franc-maçonnerie sera considérée comme une pénétration dans le Parti d’un agent de l’ennemi et flétrira l’individu en cause d’une tache d’ignominie devant le prolétariat. » Ceux qui accepteront de quitter la franc-maçonnerie ne seront pas pour autant absous de leurs fautes, puisqu’ils seront privés pendant deux ans de la possibilité d’occuper un poste important dans le Parti.

Le départ de Frossard et de nombreux autres du Parti communiste est salué dans l’Humanité du 8 janvier 1923 : « Le quatrième congrès mondial, en obligeant notre Parti à rompre des liens secrets et honteux qui le liaient encore à la bourgeoisie, a porté le bistouri au bon endroit, l’abcès crève et se vide. Le Parti se débarrasse d’un grand nombre de francs-maçons, d’arrivistes, et de petits et gros bourgeois qui voulaient s’en servir et non les servir. Les cadres du Parti s’épurent. »

Quelques jours plus tard, L’Humanité, commentant cette décision, qualifiait la maçonnerie de « plaie sur le corps du communisme [et qu’] il faut [...] cautériser au fer rouge ». » (L’Humanité, 24 décembre 1922). Cette « excommunication », qui n’a rien à envier à celles des papes, ne fut levée qu’en novembre 1945, à la demande du Grand Orient de France.

La presse de l’époque fait état de quelques interventions antimaçonniques en Russie, comme celle du 26 juillet 1928 qui publiait une nouvelle en provenance de Leningrad : Le Soviet général central de Leningrad a procédé pendant la nuit à la fermeture et à la liquidation de toutes les Loges maçonniques. Les directeurs des deux Loges les plus importantes, la "Delphis" et la "Fleur d’Acacia" ont été arrêtés et conduits devant les tribunaux soviétiques. Ils sont accusés de recevoir des subsides de Loges connues pour être des foyers du capitalisme.

Cette position d’hostilité à la franc-maçonnerie restera longtemps la doctrine « officielle » du PCF.

Certes, on peut introduire quelques correctifs, en fonction des périodes concernées. On peut noter, par exemple dans les années trente, celles des débuts de la lutte contre le fascisme et le nazisme, une ouverture du communisme occidental – français y compris – vers la maçonnerie. Après 1944 aussi, au moins jusqu’à la guerre froide, la normalisation est de règle, et des lettres sont échangées entre la Grand Orient de France et le PCF. Certains combats communs de la Résistance ont pu amener les communistes à regarder autrement les francs-maçons. Mais la philosophie générale reste la même, et la méfiance est toujours de règle, d’autant que dans tous les pays sous influence communiste, la franc-maçonnerie ne sera jamais autorisée, à une seule exception près, celle de Cuba.

Léon Trotsky (1879-1940) écrivait dans les Izvestia, à propos de la Franc-Maçonnerie : « C’est la peste bubonique du communisme. Elle est aussi réactionnaire que l’Eglise, que le catholicisme. Elle émousse l’acuité de la lutte des classes sous un tas de formules moralisantes. Elle doit être détruite au fer rouge. »[41]

Il faut lire la critique qu’il fait de la Franc-Maçonnerie, notamment celle publié dans « Les Cahiers Communistes », du 25 novembre 1922, que l’on peut lire en Annexe 6.

Antonio Gramsci (1891-1937). Ecrivain et théoricien politique italien marxiste.

Dans ses lettres à Zino Zini, il écrit :

« Nous ne sommes pas anticléricaux ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Que nous ne sommes pas anticléricaux à la façon des francs-maçons, du point de vue rationaliste des bourgeois ? Il faut le dire, mais il faut dire que nous, classe ouvrière, nous sommes anticléricaux en tant que nous sommes matérialistes, que nous avons une vision du monde qui dépasse toutes les religions et toutes les philosophies qui ont vu le jour jusqu’ici sur le terrain de la société divisée en classes. » (Ecrits politique, page 306).

2) Le courant socialiste

Gerbelin F.-B., se présentant dans son ouvrage comme Anti-maçon « républicain et laïque. » : Les Trois ennemis publics de la France et des Français. 1 ° La franc-maçonnerie dévoyée. 2 ° Les métèques à plusieurs nationalités. 3 ° L’indifférence sociale, Albert Messein, 1935. Ex-franc-maçon, petit-fils du Fondateur et premier Président de l’Orphelinat Maçonnique. Son livre est dédié à la mémoire de Paul Bert, « éducateur Républicain du peuple », et à la mémoire de Jean Jaurès.

3) Le courant anarchiste

L’anarchiste italien Camillo Berneri (1897-1937), dans son écrit : Anarchismo e socialismo du 18 janvier 1936, (en français dans les Œuvres choisies de Camillo Berneri, parues aux Editions du Monde libertaire en 1988), écrivait contre la franc-maçonnerie, en citant un passage anti-maçonnique d’Urbain Gohier.

4) Chez les radicaux

Au Congrès radical et radical-socialiste, tenu à Angers en 1928, un député radical a eu le courage de mettre en cause la franc-maçonnerie.

Avec l’affaire Stavisky (décembre 1933), certains radicaux s’émurent à leur tour de l’emprise des maçons sur la vie publique.

5) Autres courants

Amédée Dunet, ex-33e, ex-vénérable, ex-grand secrétaire de la Grande Loge de France, quitta la Franc-Maçonnerie, en disant :

« Pourquoi j’ai quitté la Franc-Maçonnerie ? Parce que j’en avais assez.

J’étais las depuis longtemps, de lutter à peu près seul, contre l’esprit du mal, qui s’est emparé de la secte, qui a tout envahi.

Député à la Grande Loge de France, malgré tant de déceptions, de dégoût ; je me suis héroïquement maintenu, durant de longues années, dans une opposition irréductible envers le Pouvoir Central, qui m’apparaissait mauvais, corrompu…

Elu grand secrétaire général, de la Grande Loge de France, j’ai connu le fond de la lâcheté humaine, de la cupidité, de l’hypocrisie, du mal. J’ai tout vu, tout su, tout connu. J’ai quitté la secte, écoeuré, affaibli, anéanti.

Les principes écrits ne sont jamais appliqués, les chefs – sont les chefs d’une caverne – la franc-maçonnerie est un instrument entre les mains de roués – et de corrompus, c’est un syndicat d’arrivistes sans scrupules, de petits hommes sans conscience.

Pour beaucoup d’initiés, ignorant ce qui se passe dans la coulisse, la Maçonnerie est un miroir ou l’on pense trouver ce qu’on apporte comme idéal, et on n’en retire que des déceptions, c’est une erreur de croire que la Maçonnerie est un groupement d’hommes de gauche, c’est uniquement un groupement de profiteurs du régime – c’est une foule disciplinée – mais sans doctrine – uniquement employée – par les malins – pour faire admettre leur directive ou des directives occultes et secrètes des gouvernements étrangers.

Plus une organisation secrète devient forte – plus elle est dangereuse si ses directives ne vont pas vers le bien, et si elle reçoit des mots d’ordre de l’étranger… » (Paroles de début de la Conférence faite en 1934 par Amédée Dunet).

A écrit un ouvrage : Vingt-cinq années de maçonnerie, Pourquoi j’ai quitté la Franc-maçonnerie. Les Scandales maçonnique des Assurances sociales... Paris, l’auteur, 19, rue Montmartre, 1934.

IV] Durant l’Occupation

L’anti-maçonnisme fut principalement le fait des collaborationnistes, même si on trouve des anti-maçons dans la Résistance :

Ainsi, un rédacteur de Vérités (journal résistant fondé par Henri Frenay, qui deviendra par la suite Combat) écrit le 25/08/1941 : « Nous approuvons la politique intérieure de Vichy lorsqu’elle s’attaque aux puissances d’argent et à la Franc-Maçonnerie. »[42]

On trouve des anti-maçons laïques chez les doriotistes :

Martin du Gard écrit, dans son ouvrage : La Chronique de Vichy, 1940-1944 (Paris, Flammarion, 1948) page 208 : « Il est curieux d’observer les délégués du maréchal en province. Il y a là de jeunes catholiques qui emploient le vocabulaire révolutionnaire et dont toutes les violences, on le sent, resteront verbales ; d’autres qui eux aussi, dénoncent les trusts, mais s’ils mangent du franc-maçon, ils mangeraient volontiers du curé. Ils sont impatients d’agir, alors que tout l’art de Philippe Pétain est précisément de ne pas agir ! Ceux-là appartiennent à Doriot dont ils récitent les leçons. »

On trouve, dans un rapport des services secrets allemands au commandant en chef des troupes en France le général von Stulpnagel les raisons évidentes de l’anti-maçonnisme de Vichy :

« Si le gouvernement Français a pris des mesures anti-maçonniques, relativement énergiques, ceci résulte avant tout de l’activité des milieux réactionnaires, chauvinistes et catholiques qui essaient sans arrêt, spécialement dans l’entourage du maréchal Pétain, de troubler une collaboration franco-allemande sincère, en propageant des idées de revanche. »[43]

Henri Labroue (1880-1964). Professeur agrégé, ancien député, il avait été initié le 16/05/1904, Compagnon et Maître en 1907, à la Loge Les Droits de l’Homme de Bordeaux, il avait été radié en 1933 par la Loge Etoile du Progrès, pour « défaut de paiement. » de ses cotisations.

Il écrivait à Henri Coston une lettre, datée du 05/01/1942, ou l’on peut lire :

« Battu en 1932 par le Bloc des Gauches et en 1936 par le Front Populaire, j’estimai que le moyen le plus expédient de grignoter le parti radical-socialiste était de développer en Gironde le « Parti radical français ». Par ma Déclaration fédérale de 1937, vous verrez que je disais leur fait aux Francs-Maçons (« groupement occulte »), aux radicaux-socialistes et aux juifs. Dès cette époque, je travaillais à un « Voltaire anti-juif », qui paraîtra sous peu aux 2ditions Le Pont. Ainsi je me suis dressé contre la Franc-Maçonnerie alors qu’elle était omnipotente, etc. »[44]

Dans une note des services allemands adressée au Dr Knochen, nous pouvons lire :

« Le Conseiller d’Ambassade Dr Achenbach attachait beaucoup de valeur à cette explication parce que dans les divers milieux – d’après ses dires textuels – on entretenait l’opinion ridicule que l’Ambassade d’Allemagne était favorable à la Franc-Maçonnerie. […] L’Ambassade était d’avis qu’un homme, lorsqu’il a une fois appartenu à une Loge franc-maçonnique était préférable à un Jésuite, bien entendu dans le cas seulement où l’intéressé n’avait pas été haut dignitaire de la Franc-Maçonnerie. Dans l’ensemble, il s’apercevait que l’Allemagne des années à venir se préoccuperait de moins en moins de relations confessionnelles. Le développement des évènements en France, au cas où nous éliminerons tous les Francs-Maçons, aurait pour résultat que finalement les cercles cléricaux viendraient à la surface. Après quelques années ou quelques dizaines d’années, il y aurait alors entre la France et l’Allemagne de nouveau un fossé énorme, alors que la France, sous la domination des cléricaux ne pourrait pas se mettre à l’avenir d’accord avec l’Allemagne nouvelle. Telle était la pensée fondamentale pour l’attitude de l’Ambassade vis-à-vis des gens qui avaient antérieurement occupé dans la Franc-Maçonnerie une position insignifiante. »[45]

Jean Marquès-Rivière (1903-2000)

Ancien franc-maçon, il devient anti-maçon de tendance catholique. Cependant, il change d’opinion et devient anti-maçon laïque, durant l’occupation, comme le démontre le rapport qu’il écrit en 1944 :

« Dès le début ces lois furent interprétées dans un esprit qui a faussé tout le travail antimaçonnique. Ce qui devait être une œuvre d’épuration politique alliée à un sens aigu de justice et aussi de paix sociale devint une machine de guerre entre les mains d’une équipe cléricale, maurrassienne qui n’a jamais désarmé. Ce qui était l’extrême-droite française et par conséquent l’infime minorité qui n’avait ni l’oreille ni surtout le sens politique des réalités françaises, monta au pouvoir à Vichy et devint l’aile marchante de la lutte anti-maçonnique.

Quels étaient les principes des lois anti-maçonniques et surtout dans quel esprit fallait-il les appliquer ? La France avait été dirigée par une démocratie dont le centre inspirateur avait été incontestablement les loges maçonniques. Le principe eut été de frapper durement et impitoyablement les grands responsables maçons et montrer aux autres maçons le chemin d’une possibilité de ralliement et d’un « blanchissage » politique que les petits fonctionnaires maçons auraient été trop heureux de trouver ! Ils avaient été en loges par petite ambition personnelle, par curiosité intellectuelle et les cadres maçonniques les avaient peu à peu transformés en actifs propagandistes pour les idéaux maçonniques. Un gouvernement habile aurait pu jouer de la peur qu’a tout fonctionnaire de voir sa carrière brisée et par une bonne propagande, il aurait pu ainsi créer de solides noyaux tout dévoués à son œuvre d’autant plus que ces ralliés lui auraient dû tout. […]

Il faut abandonner nettement la collusion cléricale et bourgeoise dans la lutte anti-maçonnique, montrer que le pire ennemi du socialisme est cette Maçonnerie internationale de trusts et de finances politiques, essayer de gagner la nouvelle élite révolutionnaire à la compréhension de ce problème, voilà me semble-t-il, aussi notre tâche. Si nous gagnons ainsi une génération, la Maçonnerie faute de maçons deviendra une veuve sans enfants et disparaîtra dans le tombeau des religions et des rites disparus. »[46]

Georges Albertini (1911-1983)

Il écrit dans L’Atelier du 24 avril 1943 : « Nous ne partageons pas l’opinion sommaire de certains sur la Maçonnerie française, quant aux responsabilités de la guerre, car nous savons qu’elle fut coupée en deux comme tous les partis. Il y a eu une minorité pacifiste et, comme par hasard, c’est à elle qu’on s’en prend le plus souvent. »

Voici un extrait du compte-rendu du délégué du chef de la Police de Sûreté et du S.D. en France, envoyé au quartier général d’Hitler, daté du 16 octobre 1941 :

« Dans les milieux anti-maçonniques, on discute à nouveau vivement de la fondation d’une « Ligue contre la Franc-Maçonnerie ». On tient à souligner à cette occasion que les groupes antimaçonniques sont loin de se recruter tous au sein de l’Eglise, comme ne cessent de le prétendre les Francs-Maçons. De plus, par la création d’une organisation solide, on espère empêcher que les milieux cléricaux ne tirent profit pour eux seuls des lois antimaçonniques. »[47]

Marcel Déat (1894-1955)

Il n’a jamais été maçon. Il a par contre été conférencier 3 fois dans des Loges lors des Tenues blanches entre 1932 et 1934. Cependant, on pouvait déjà lire dans l’œuvre du 12 juin 1934 sous la signature de Marcel Déat : « Le peuple de France se fiche profondément des juifs et des francs-maçons. Il veut la République et il l’aura. »

Dans une conférence du 14 décembre 1941 à Rennes, il dit :

« Entendez bien que nous ne confondons pas la religion et le cléricalisme. Notre respect de la tolérance est entier envers ceux qui, très librement, mettent leurs espérances dans une foi, et on n’attendra pas de nous que nous ayons à leur égard la moindre raillerie malséante.

Mais il y a une vieille tradition française d’après laquelle il est bien entendu que si la liberté la plus absolue est donnée aux cultes et que si la tolérance la plus totale est consentie aux églises dans l’exercice même de leur religion, leurs droits s’arrêtent où comment les droits de l’Etat.

Il faut qu’on se mette dans l’esprit, d’un certain côté, que la jeunesse ne sera pas abandonnée aux entreprises cléricales et que l’Eglise ne gouvernera jamais l’Etat français !

Nous ne serons même pas dupes de certaines diversions. Il est de mode, aujourd’hui, de manger du franc-maçon en oubliant de manger du juif ! […]

Mon Dieu, il y a eu certainement, du côté de la maçonnerie, beaucoup de fautes commises, beaucoup d’erreurs, et loin de moi la pensée d’imaginer qu’il n’y a pas eu, dans les rangs de cette société secrète, des gens qui se soient rendus vraiment coupables envers leur pays. Mais alors, qu’on les frappe, que ceux-là ne soient pas pardonnés !

Mais qu’on ne jette pas à la rue, comme des malpropres, en les réduisant à la mendicité, quelques pauvres petits fonctionnaires qui, un jour, se laissèrent aller à devenir francs-maçons parce que, sans doute, leur directeur l’était et qu’ils avaient l’espérance de s’en faire remarquer.

Ce sont là des crimes qui ne pèsent pas lourd à côté d’autres responsabilités, et je dis que le moindre esprit de justice exige qu’on fasse la triage nécessaire, et qu’il n’est pas sain et salutaire pour la France, dans une période comme celle-ci, de ne vivre que dans une atmosphère de répression, dans une atmosphère de persécution et de guerre de religions. »[48]

On ne peut oublier bien-sûr les écrivains suivants :

Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945), qui écrit par exemple dans son journal le 15 septembre 1939 : « Je crache sur le radicalisme et la franc-maçonnerie qui ont perdu la France. »

Louis Ferdinand Céline (1894-1961)

Lucien Rebatet (1903-1972)

Pour lui, la Révolution française n’est pas blâmable en soi, ce qui est blâmable, c’est son legs libéral. Il convient dans cette optique de distinguer la Révolution française de ses funestes conséquences.

Il écrit ainsi : « Combien je conçois que les hommes du XVIIIe, en secouant les restes d’un ordre social bâti sur la duperie catholique, aient aimé d’un tel amour la vérité et la liberté. Mais ils les ont déifiées […] Et leurs descendants sont devenus aussi bénisseurs et hypocrites que les prêtres. »

V De 1945 à nos jours

1) Le courant socialiste

Pierre Monatte (1881-1960), syndicaliste, un des responsables de la CGT au début du XXe siècle, fondateur de la revue La Vie Ouvrière, écrit : « Beaucoup de fonctionnaires syndicaux se laissaient attirer par la franc-maçonnerie. Or, s’il est une organisation de collaboration de classes, c’est bien elle. Jusqu’alors elle avait pénétré surtout les milieux de fonctionnaires, particulièrement chez les postiers et chez les instituteurs. Voilà qu’elle gagnait les militants ouvriers. Le déraillement de pas mal d’entre eux en août 1914 ne vient-il pas de là ? »[49]

A l’étranger, il existe naturellement des courants anti-maçonniques plus ou moins avoués dans les partis de gauche, en Belgique, en Suisse, en Angleterre.

La Heroldo, revue officielle de la Ligue Internationale des francs-maçons, a signalé dans son numéro d’octobre 1955 (p. 14) que « le congrès annuel du Parti travailliste (anglais) s’est prononcé contre la Franc-Maçonnerie, parce qu’il est impossible d’adhérer en même temps à une fraternité irréelle au socialisme. »

Plus récemment, des travaillistes anglais exigent avec le soutien du Guardian que les policiers et magistrats maçons se dévoilent.

2) Le courant communiste

Avec la quatrième Internationale, la maçonnerie disparut de Russie soviétique. Tou­tefois, ce fut surtout après la Deuxième Guerre que, jugée réactionnaire, elle fit l’objet d’attaques répétées qui se renforcèrent par l’accusation de collusion avec le sionisme. Ainsi, B. Polejaïev, dans la Komsomolkaïa Pravda du 13 septembre 1978, accusait les maçons d’être les instigateurs de la sociologie de la jeu­nesse qui appellerait à se libérer de toutes les idéologies. Il dénonçait l’infiltration des maçons dans les pouvoirs civils et leur antipatriotisme qui chercherait à saper l’espoir en la disparition des inégalités. Il voyait dans le club Bildeberg un groupe « créé sur le modèle maçonnique et entouré d’un halo de mystère ». Il reprochait enfin à la maçonnerie d’être un agent judaïque de l’anticommunisme servant de paravent aux sionistes.

Combattue pour son caractère bourgeois, la franc-maçonnerie con­nut une éclipse presque totale dans l’aire sovié­tique jusqu’à la chute du mur de Berlin. Depuis lors, soutenue par les obédiences occidentales, elle s’est réinstallée dans tous ces pays. En revanche, le régime cubain s’est fort bien accom­modé de l’existence des loges, notamment parce que José Marti et Maximo Gomez, grands artisans de l’émancipation cubaine, furent, ainsi que de nombreux castristes, des maçons notoires.

Voici ce que l’on peut lire au mot : « maçonnerie », dans la Grande Encyclopédie Soviétique (Volume 26, 2e édition, Edition Soviétique d’Etat, Moscou, 1954, page 442) :

« […] Les Loges maçonniques réunissaient principalement des gens appartenant aux milieux privilégiés de la haute Société ; à l’intérieur de la Maçonnerie, il y avait une hiérarchie avec plusieurs grades ; les grades supérieurs étaient habituellement occupés par des représentants de la haute aristocratie et de la bourgeoisie. La Maçonnerie recommandait l’union de tous les hommes sur la base de l’amour universel, de l’égalité, de la foi, et de la coopération dans le but d’améliorer la société humaine par la connaissance de soi-même et de la fraternité. En proclamant la fraternité universelle dans les conditions de l’antagonisme des classes, elle contribuait au renforcement de l’exploitation des hommes en éloignant les masses travailleuses du combat révolutionnaire. La Franc-Maçonnerie faisait de la propagande pour des formes nouvelles et plus raffinés de la rêverie religieuse en suscitant la mystique et en propageant la symbolique et la magie. »

En France, nous pouvons noter notamment l’anti-maçonnisme du Courant Communiste International (CCI). Il y a ainsi un long article intitulé : « Le marxisme contre la franc-maçonnerie », publié dans la Revue Internationale, Organe du Courant Communiste International (CCI), d’Octobre 2005.

Vous pouvez en lire les extraits principaux en Annexe 5.

3) Le courant anarchiste

Il y a, chez les anarchistes, un courant anti-maçonnique qui s’est manifesté encore tout récemment dans une revue peu connue, Noir et Rouge, qui s’intitule « cahiers d’études anarchistes révolution­naires ».

On lit dans le n° 23 (février 1963), ce rappel d’un mot de Bakounine : « La Franc-Maçonnerie est l’internationale de la Bourgeoisie ». Puis : « Elle n’est pas progressive, dans le sens où nous considérons le progrès... Elle n’a jamais accepté le prolétariat comme force, comme facteur ; elle n’accepte que quelques prolétaires plus soucieux de leurs préoccupations pseudo-philosophiques que de leur conscience sociale. Sur ce point, nous ne pouvons donc pas être avec elle... (Pages 61, 62). Nous considérons comme incompatible l’appartenance et l’activité anarchiste et franc-maçonne » (p. 74).

http://www.la-presse-anarchiste.net...

On peut lire des extraits en annexe 4.

Michel Onfray, philosophe athée, n’est pas anti-maçon, il écrit cependant une petite pique contre elle dans son Traité d’athéologie :

« Trop longtemps l’athée a fonctionné en inversion du prêtre point par point. Le négateur de Dieu, fasciné par son ennemi, lui a souvent emprunté nombre de ses tics et travers.

Or le cléricalisme athée ne présente aucune forme d’intérêt.

Les chapelles de Libre-pensée, les Unions rationalistes aussi prosélytes que le clergé, les Loges maçonniques sur le modèle de la III° République ne méritent guère l’attention. »[50]

4) La Libre-Pensée

Maurice Poperen (1897-1991) refusa de se faire initier, « à cause du caractère secret de la Franc-Maçonnerie. »[51]

5) Le courant des nationalistes païens ou athées

Yann Moncomble (1954-1990)

Journaliste français, auteur de nombreux livres détaillant la vie politique sous un angle parfois pamphlétaire. Il est le fondateur de la maison d’édition Faits & Documents, reprise par Emmanuel Ratier.

Il est l’auteur notamment de La Maffia des chrétiens de gauche, Les Professionnels de l’anti-racisme, La politique, le sexe et la finance, la Trilatérale et les secrets du mondialisme, Quand la presse est aux ordres de la Finance.

Emmanuel Ratier (1957- ), journaliste « d’extrême-droite », anti-maçon, athée, de tendance païenne.

Il a pu travailler à l’Anti-Defamation League of B’nai B’rith, lui permettant de dégotter pleins d’informations intéressantes, et il a pu ainsi écrire son livre : « Mystères et Secrets du B’naï B’rith ».

Selon la publication Réflexes, « il a été initié à la loge La Nef de Saint Jean de la Grande Loge Nationale Française, à la Garenne-Colombes. Il apparaît ainsi en 1989 comme membre du bureau de la loge, qui a été dissoute par la suite par la GLNF. ».

Considéré comme le successeur d’Henry Coston, il dirige une intéressante lettre d’informations : « Faits et documents »

www.faits-et-documents.com

Aron MONUS, ex-franc-maçon, et d’origine juive, il a écrit notamment « Les secrets de l’empire nietzschéen » aux éditions interseas.

6) Chez les artistes

Chez les peintres :

« Un des plus toniques poètes du Surréalisme d’après-guerre, Jean-Louis Bédouin (1929-1996), me parla de ses préventions contre la Franc-maçonnerie, tout en reconnaissant qu’elle demeurait un des grands vecteurs historiques de la tradition immémoriale. Son syllogisme était des plus réducteurs mais percutant : " J’ai connu un général franc-maçon qui était une ordure ; je sais qu’il y a des policiers dans la Franc-maçonnerie, donc je suis contre une institution qui accepte ces gens-là ". Il renouait bien ainsi le fil de cette contestation dadaïste puis surréaliste de toute institution intégrée dans le siècle et capable de compromissions avec les pouvoirs établis. »[52]

Chez les musiciens :

Theodorakis Mikis (1925- )

Compositeur grec et homme politique, il a été torturé pendant la seconde guerre mondiale, ouis est entré dans la Résistance. Homme de gauche.

Dans une conférence de presse (il y présente son autobiographie intitulée Où trouver mon âme ; cité par le quotidien de droite Apoyevmatini, puis repris en français dans l’Arche, n° 549-225, novembre-décembre 2003), il dit :

« Ce que je n’accepte pas chez les juifs, c’est ce que je n’accepte pas chez les francs-maçons. La loge maçonnique est un groupe gens qui s’aident juste parce qu’ils sont membres de cette loge. Cela se produit aussi parmi les juifs. Particulièrement dans les secteurs sensibles, comme l’art et la musique. Je n’accepte pas cela. »[53]

Chez les écrivains et sociologues :

L’écrivain et sociologue marxiste Alain Soral (1958- ) critique la Franc-Maçonnerie dans son ouvrage : Socrate à Saint-Tropez. (Editions Blanche, 2003).

Il rejoint en 2005 l’équipe de campagne du Front national.

www.alainsoral.com

7) Les anti-affairistes

La présence plus ou moins avérée de maçons dans les rouages du pouvoir alimente un antimaçonnisme populaire récurrent dont la grande presse se fait régulièrement l’écho, voire la propagandiste. On donne des listes de noms, on dévoile des liens occultes qui forment « un vaste réseau de financement des partis politiques » (Challenges, n° 98, octobre 1995), on s’inquiète de l’argent des francs-maçons, on décrypte « l’histoire secrète » (Le Nouvel Observateur, n° 1537, 21-27 avril 1994), on s’empare des conflits inter- ou intra-obédientiels.

Ainsi est né ce site :

http://www.collectif-justice.net/ac...

- Bernard Merry, auteur de l’ouvrage en 1998 : « Justice, franc-maçonnerie, corruption. »

http://bernard.mery.free.fr/frameset.htm

- Site anti-corruption en Suisse :

http://www.googleswiss.com/fr/2_men...

- Un Blog laïque anti-maçonnique :

http://reseauxoccultesetmedias.blog...

- Des rappeurs anti-maçons :

http://vids.myspace.com/index.cfm?f...

http://fr.youtube.com/watch?v=Qq6CA...

- On peut noter également ces deux ouvrages, sur l’affairisme maçonnique :

Fontenelle Sébastien, Des frères et des affaires, Denoël, 2002.

Ottenheimer Ghislaine et Lecadre Renaud, Les frères invisibles, Paris, Pocket, 2002.

Conclusion

Dans un entretien[54], Alain Soral dit : « Le discours critique sur la franc-maçonnerie étant une tradition d’extrême-droite - disons le point de vu aigri du clergé catholique spolié par son équivalent et successeur laïque- la pensée de gauche n’a pas jugé bon de produire une analyse critique "de gauche" de ces structures de pouvoir occulte. Il serait donc temps qu’elle s’y mette ! »

J’espère que notre petite étude aura montré qu’il existe et depuis belle lurette un discours critique « de gauche » sur la Franc-Maçonnerie, qu’elle est même aussi ancienne que celle émanant de « l’extrême-droite ». Elle était juste peu connue, et très oubliée par nos « élites ».

J’espère que cette étude fera revivre l’anti-maçonnisme laïque, et permettre ainsi le développement vrai du rationalisme, de l’esprit critique, de l’anticléricalisme, du vrai socialisme anti-capitaliste et anti-libéral, et de l’amour entre les hommes.

Annexe 1 : Conférence d’Emile Janvion

Voici le texte intégral d’une conférence d’Emile Janvion, sur : « La Franc-Maçonnerie et la classe ouvrière », donnée le 3 avril 1910, à l’Hôtel des Sociétés Savantes :

« Camarades,

Depuis quelques années, j’ai dénoncé le péril maçonnique dans le syndicalisme. Je dois avouer que mes coups ont considérablement porté.

Au moment où, désireux, pour mon compte, de clôturer une propagande sur laquelle je me suis un peu trop attardé, des amis m’ont prié d’exposer dans un débat contradictoire, devant le grand public, les arguments qui militent en faveur de ma thèse.

Je suis venu au rendez-vous. J’espère que mes contra­dicteurs y seront aussi. Et, dans tous les cas, s’ils n’étaient pas ici, leurs prétextes de compromis syndicato-maçon­nique y seront pour eux, sous leur signature.

Les meneurs menés du Syndicalisme

Quelques-uns d’entre nous ont cru pendant longtemps que la solution de la question sociale était simple ; que l’homme pouvait vivre l’idéal sans l’avilir ; qu’il pouvait tenter de donner un minimum d’expression désintéressée à ses sentiments de révolte. Nous avions compté sans les combinaisons souterraines et les manoeuvres occultes.

Supposez quelques centaines de mille d’exploités. La force de leurs revendications va sans cesse grandissante ; elle va devenir une menace terrible pour les puissances d’argent. Cette force est d’autant plus redoutable qu’elle va s’exprimer, brutalement, simplement, sans détours. Le flot monte ; il peut, devenant inondation, submerger une société de mensonges, d’hypocrisie, de scandales et de crimes.

Il s’agit d’endiguer le torrent, de le capter.

La Bourgeoisie trouvera bien un homme d’Etat, habile, retors, subtil casuiste de .diplomatie sociale, M. Waldeck-Rousseau, par exemple. Celui-ci comprendra l’utilité d’une loi captieuse, en apparence bienveillante, disons le mot socialiste, humanitaire — la loi de 1884 sur les syndicats.

Dès lors, on a jeté sur cette masse d’exploités le réseau légal. Les gens de sac et de corde, camarades exploités, vont, au nom du sac, vous codifier...

Le syndicalisme est créé. Chaque travailleur « conscient et organisé » est alors parqué, matriculé, embrigadé en catégories, par professions.

L’homme de loi a prévu qu’étant donné l’esprit mou­tonnier de l’a foule, celle-ci se donnera bien vite des « chefs », des « meneurs », des Guillot, bergers de leur troupeau. Cette constatation est si évidente qu’un journal insurrectionnel n’a d’ailleurs pas craint de consacrer cyni­quement cet état d’esprit avilissant, en proposant récemment aux salariés de des militariser révolutionnairement.

Voilà donc les salariés soumis aux meneurs. Supposez maintenant ces meneurs reliés à des puissances occultes, par des fils mystérieux et invisibles, à une Association secrète, à une Confrérie laïque de 40 000 mouchards offi­cieux vivant de délation, au détriment de 40 millions de Français et les reliant au Pouvoir. Vous aurez ainsi com­pris comment les Dirigeants ont pu forger le paratonnerre qui, placé sur la toiture du capitalisme, dissipera la foudre.

Les fils occultes

Voilà, en cette courte préface, tout le sujet que je vais aborder avec détails, ce soir, et qui est précisé par notre ordre du jour : « La Franc-Maçonnerie et la Classe ou­vrière ». Sujet ardu, hérissé de documents, pour la lecture desquels je solliciterai tout à l’heure votre bienveillante attention.

Est-ce à dire que la classe ouvrière soit la proie de la Franc-Maçonnerie, que celle-ci tienne le mouvement ouvrier à sa merci ? Je me hâte de dire qu’il n’en est rien.

Grâce à nos cris d’alarme, le coeur du syndicalisme est resté sain et net de toutes compromissions. Et je puis déclarer ici, sans crainte d’être démenti, que ceux qui ont entrepris la campagne antimaçonnique ont, avec eux, non seulement la majorité, mais j’affirmerai — en excluant seulement les profiteurs — l’unanimité du prolétariat fran­çais.

C’est que la classe ouvrière révolutionnaire française, dans sa simplicité, ne comprendra jamais l’utilité d’une association secrète dont les chefs sont au pouvoir. Elle comprendrait une association secrète composée de révolu­tionnaires conspirant pour renverser un tyran, détrôner un dictateur, renverser une monarchie. Mais que penser de cette Confrérie de Mardi-Gras, figée dans des rites caducs, réunie hypocritement sous le secret a. g. d. g. pour le bénéfice jaloux de ses privilèges exclusifs, au profit des Maîtres de l’heure, dont elle sollicite les sinécures et favo­rise la digestion ? Elle ne s’y trompe pas. D’instinct, elle sent, elle comprend que la Franc-Maçonnerie, maîtresse de la France, ne peut être qu’une antichambre d’arrivistes domestiqués, de délateurs et de lâches.

Mais est-ce vraiment la faute de cette centaine de mili­tants influents, qui se sont laissés séduire par les charmes occultes de la Veuve ? Et pouvons-nous incriminer leur mauvaise foi et leur trahison ? Ce seraient là de bien gros mots. Leur naïveté, leur inconscience ? Oui. Leur mauvaise foi ? Non.

Il était temps d’enrayer le mal. Et, il faut le dire, le mal réside dans le mode d’élection absurde des fonction­naires de syndicats, dont la perpétuité des fonctions syndi­cales semble avoir mis entre leurs mains les destinées du mouvement ouvrier. Si les syndiqués ne toléraient pas, par apathie, indifférence ou paresse, la création d’une aristo­cratie de fonctionnaires, d’une carapace de permanents formée au-dessus du syndicalisme et qui empêche toute libre et loyale conversation avec la masse des syndiqués, ils ne permettraient pas aux forces de corruption de penser que lorsqu’elles auront les meneurs, elles auront les menés, lorsqu’elles auront les bergers, elles auront le troupeau.

Et pour avoir les « chefs », la Franc-Maçonnerie — je vais vous le prouver — a tout mis en oeuvre.

Les séductions de la Pieuvre

Et, certes, les moyens ne lui manquent pas.

De toutes parts, la Pieuvre maçonnique étend ses tentacules et présente ses suçoirs pour son recrutement. Un nombre considérable de groupes, d’amicales, de comités républicains, de jeunesses socialistes, ne sont que les filiales de la Veuve. Sachez que les groupes de libre pensée, de patronages laïques, les digues de droits de l’homme, etc., ne sont que des succursales du Grand-Orient ou du Rite écossais, où les agents recruteurs opèrent le .tri des adhé­rents sur la qualité (d’utilité) et non sur la quantité...

Pour attirer le profane qu’on veut utiliser, on lui fait entendre que la Franc-Maçonnerie est une association très puissante et vénérable. On parle d’elle avec des airs graves et respec­tueux. Elle est la gardienne du progrès, à l’avant-garde de la démocratie. Lumière ! Vérité ! Justice ! Ses origines se perdent dans la nuit des temps ! Puis, on lui laisse entendre finalement, ce qu’il comprend au mieux, que cette asso­ciation offre à ses adeptes une foule d’avantages matériels et que « ça ne se saura pas ». Tout profit, mystère et dis­crétion ! Ça vaut mieux qu’un prospectus de pharmacien !

Pas besoin d’un article de foi, comme le novice qui entre en religion, puisque le profane ignore tous des mys­tères de la secte. Un article d’intérêt. Il sait qu’il va entrer dans une société où il trouvera d’excellentes relations pour élections, s’il est candidat ; pour clientèle, s’il est avocat, commerçant ou médecin ; pour l’avancement, s’il est fonc­tionnaire.

Notre bon républicain anticlérical, qui s’éteindra dans les bras de l’Eglise, sait qu’en entrant dans les loges, il fait une bonne affaire. C’est pourquoi il consent à se soumettre à des simagrées, dont le ridicule et l’odieux offensent la dignité de l’homme, à des grimaces rituelles qui feraient rouler d’hystérie tous les singes du jardin d’acclimatation.

Le Permanent... convoité

Le voilà à son tour, notre bon militant influent qui s’est fait recruter par l’émissaire des loges. Le voici, ce bon révolutionnaire « sans Dieu ni Maître », au moment où il pénètre dans cet ordre laïque.

Cet iconoclaste est d’abord enfermé dans le cabinet des réflexions, où il doit faire son testament devant une tête de mort. Il en est extrait pour être introduit dans la salle des réceptions, les yeux bandés, traînant ses souliers en pantoufles, la pointe du glaive du Frère, terrible, dirigée sur sa poitrine découverte. Après des questions puériles et insidieuses, on lui fait faire trois voyages symboliques ; puis il doit prêter serment de ne rien révéler de ce qui se dira ou se fera sous le temple. On lui indique, enfin, le signe, le mot de passe, et il est proclamé apprenti. Dès lors, il a droit à la solidarité maçonnique, au manuel de l’apprenti et à ce que j’appellerai, révérence parler, le scapulaire du nombril, alias, le tablier en peau de cochon.

Du premier grade, l’apprenti pourra passer compagnon en demandant, selon le jargon maçonnique, « une aug­mentation de salaire ». La réception du compagnon sera agrémentée de cinq voyages symboliques, au lieu de trois.

La Maîtrise se confère avec une solennité sans précédent et d’incroyables macabreries. Outre les têtes de mort, les draperies funèbres et les tibias, on découvre dans la salle le cercueil d’Hiram, que le récipiendaire doit enjamber en marquant le pas rituélique.

On brûle, dans une pipe spéciale, un peu de poudre de lycopode, et le nouveau Maître se déclare suffisamment éclairé par la lumière du troisième appartement.

Dès lors, le plus glorieux avenir de décorations, de ferblanteries, cordons et titres lui est ouvert.

Sachez que le nouvel initié, s’il est bourgeois et « bon maçon », c’est-à-dire pourvu de « la mentalité maçonnique », chère au Très Illustre Frère Blatin, pourra devenir : Kadosch, Rose-Croix, Vénérable, 33°, Grand Inspecteur Commandeur, Grand Maître Expert, voire même Grand Ecossais de la Voûte sacrée — titres vraiment pharamineux !

Quant à l’ouvrier, il restera dans les simples ateliers de la Maçonnerie bleue ou inférieure ; il constituera le bas clergé, le frère convers de cette Congrégation laïque. On lui réservera, en récompense des services rendus, quel­ques miettes de sinécures, quelque vague recette buraliste ; mais jamais il ne connaîtra les secrets de la secte.

Le Permanent et l’hygiène de ses contacts

Les épreuves physiques, tant de fois ridiculisées, consti­tuent pour les nouveaux venus, de très utiles exercices d’assouplissement moral. Justement, parce qu’elles sont ridicules, il faut une forte dose de soumission pour s’y plier. La petite honte, que plusieurs en gardent, formera entre eux un lien de sujétion, analogue à celui qui nous lierait à des personnes connaissant certains traits peu hono­rables de notre existence. En tout cas, ce sont de véritables actes d’humilité qui préparent la bonne pâte d’apprenti qui acquerra ainsi la mentalité maçonnique.

Etourdi par ce faste de hiérarchie burlesque, ahuri par cette féerie d’opéra-bouffe, déconcerté par cette mascarade de mardi-gras, dans laquelle s’agitent, dans une sorte de foire aux pains d’épices, tabliers et ferrailles, tibias et cordons, insignes à couleur d’omelette ou de perroquet, notre bon révolutionnaire — s’il est normalement constitué — plaquera là le tablier ; s’il reste, il sera bien vite dissous dans le milieu.

Et quel milieu ? Un milieu d’honorables dans lequel il ne sera pas peu honoré d’être le frère de personnages les plus huppés. Mazette ! Le voilà au milieu de tout le gratin du patronat, de la haute et basse police, de la finance, de la magistrature, du parlement et de l’armée : généraux, pro­cureurs, maîtres du barreau et de la magistrature, digni­taires de la politique et de l’État.

S’il est secrétaire d’un syndicat du bâtiment, par exemple, il pourra traiter de « cher frère » le Frère Villemin, président de la Confédération du Travail patronal ; s’il est syndicaliste anarchiste, il pourra donner du « cher frère » également aux agents de la Sûreté, et assister à la préparation de meeting, comme celui de l’anarchiste Frère Ferrer, qui fut présidé par le Frère général Peigné, dans cette salle même où le spectacle d’une aussi monstrueuse conjonction fit que les tables et les chaises partirent toutes seules ; si, comme manifestant, il a subi la brutalité des agents, il pourra assister à des conférences à l’envers, comme celle du 25 octobre dernier, à la loge Thélème, sur le sujet suivant : « Il n’y a pas de passage à tabac ! », par le Frère C.., gardien de la paix ; s’il est socialiste, il com­prendra bien vite l’avantage électoral que peuvent apporter les relations maçonniques du Très Illustre Frère Sembat avec le non moins Très Illustre Frère Mascuraud, grand électeur de la République française, etc.

Qu’on n’objecte rien en faveur des loges dites avancées ; elles doivent se conformer, comme toutes les autres au Rituel, à la Constitution maçonnique que doit faire appli­quer le Conseil de l’ordre. Et les maçons de toutes loges et de toutes obédiences, ont le droit et le pouvoir d’être conférencier ou public dans telle loge qu’il leur convient.

A l’escalade sur le dos des profanes

Ah ! Notre syndicaliste confédéré d’action directe ne va pas s’ennuyer dans ces officines ; il ne va pas tarder à être fixé sur la cuisine électorale qui se prépare dans les loges pour le bonheur de la France ; il sera, pour cela, c’est le cas de le dire, aux premières loges, car la Franc-Maçonnerie est l’agence électorale rêvée pour tout candidat.

« Nous avons organisé dans le sein du Parlement, déclare le Bulletin du Grand Orient (1901) un véritable syndicat de maçons. »

Syndicat phénomène auquel nous devons la présence au Parlement de près de 500 législateurs maçons (sur 800 parle­mentaires des deux Chambres), disposant des places, emplois et faveurs.

Savourez encore cette déclaration de l’Assemblée géné­rale du Grand-Orient (1902) :

« Nos institutions publiques sont aujourd’hui, d’une façon toute naturelle, entre les mains des Franc-Maçonnerie de France. La Franc-Maçonnerie est la République à couvert, comme la République est la Franc-Maçonnerie à découvert. »

L’impayable Frère Blatin, qui possède le titre mirifique de Grand Commandeur du Collège des rites, porte un toast en ces termes, lors d’un banquet maçonnique (Convent de 1902, page 372) :

« En buvant à la maçonnerie française, à toutes les maçonneries françaises, je bois en réalité à la République, puisque la République, c’est la Franc-Maçonnerie sortie de ses temples, de même que la Franc-Maçonnerie c’est la République à couvert sous l’égide de nos traditions et de nos sym­boles. »

Ecoutez ce cri d’arrivisme (poussé dans le Bulletin maçonnique (1900) :

« Le Franc-Maçon doit être citoyen... Mais il doit être franc-maçon d’abord, candidat, conseiller de la cité, député, séna­teur, ministre, président de la République ensuite. Il doit s’inspirer sans cesse de ses sentiments maçonniques et plus ses fonctions publiques sont élevées, plus il a le devoir de venir puiser des inspirations parmi les Frères, non à l’Orient sous le dais, mais à son rang de simple Maçon. »

La Veuve a tout prévu, si les candidats n’appartiennent pas tous à la Franc-Maçonnerie, tous peuvent la servir. En consé­quence, voici les instructions de la Circulaire du Conseil de l’Ordre (17 juillet 1903) :

« Avant d’accorder votre confiance aux candidats qui sollicitent votre appui, demandez à ceux qui sont Franc-Maçonnerie s’ils prennent l’engagement d’honneur, une fois élus, de ne pas oublier qu’ils sont Maçons ; usez de l’influence que vous donne votre qualité d’électeur sur les comités électo­raux, pour leur demander à tous, initiés ou non de notre grande famille, s’ils promettent de défendre la Franc-Maçonnerie. »

Tout pour la Veuve qui doit être toute-puissante. Cueillez cette perle pour écrin de « liberté d’opinion », dont les Frères trois-points ont plein la bouche :

« Si la Maçonnerie veut s’organiser, non pas sur le terrain des idées, mais sur le terrain pratique, je dis que, dans dix ans, la Maçonnerie aura emporté le morceau et que personne ne bougera plus en dehors de nous. » (Bulletin du Grand Orient, 1890, p. 500.)

Et pour garder le « morceau » qu’elle a emporté, elle a, de longue date, travaillé à un plan d’envahissement hypo­crite et ténébreux. Elle déclare qu’elle doit s’insinuer partout, dans tous les groupements, dans toutes les sociétés. Cette tactique remonte à trente années, au Congrès de Nancy (1882). En voici la preuve fournie par le Congrès des loges de Nancy :

« Quand, sous l’inspiration d’une Loge, un noyau de Maçons, aidés de tous les amis profanes, ont créé une Société quelconque, ils ne doivent pas en laisser la direction à des mains profanes. Tout au contraire, il faut qu’ils s’efforcent de maintenir, dans le Comité directeur de cette Société créée par eux, un noyau de Maçons qui en restent comme la cheville ouvrière et qui, tenant la direction de la Société entre leurs mains, continueront à la pousser dans une voie conforme aux aspirations maçonniques.

Quelle force n’aura pas la Maçonnerie sur le monde profane quand existera, autour de chaque Loge, comme une couronne de Sociétés dont les membres, dix ou quinze fois plus nombreux que les Maçons, recevront des Maçons l’inspiration et le but, uniront leurs efforts aux nôtres pour le grand oeuvre que nous poursuivons ! » (Congrès des Loges, Nancy, juillet 1882.)

La voilà bien la secte en marche à travers tous les rouages de la Société. Et vous allez la voir envahir sous le masque des « ligues d’enseignement », nos Facultés, nos lycées et nos écoles et sous le couvert des « Amicales » et des « Associations fraternelles », toutes les administrations, puis, depuis 1900, tous les syndicats.

Tout d’abord, c’est le syndicalisme du prolétariat admi­nistratif qui est l’objet de ses convoitises. Si les cheminots, les P. T. T., les instituteurs sont conquis par les secta­teurs du Triangle, quelle sécurité et quelle tranquillité pour la digestion du Capitalisme bourgeois !

Voici ce que déclarait le Congrès des loges, tenu à Gien en 1894, par la bouche du Frère Fruit, alors sous-préfet :

« Il est nécessaire que ceux de nos Frères qui sont au pouvoir placent le plus de Frères maçons possible à leur suite dans les ministères et à la tête des différentes admi­nistrations de l’Etat, des départements et des communes. »

Méditez bien, ô profanes, ces mémorables paroles qui méritent d’illustrer toutes les préfaces des Manuels de l’arrivisme fonctionnaire. Et vous comprendrez, enfin, la raison d’être de la Franc-Maçonnerie, qui est tout entière dans ce terrible cri de guerre du ventre poussé par 40 000 aigrefins, édifiant leur fortune sur la carcasse de 40 millions de Français, victimes imbéciles et innocentes.

Les fonctionnaires de l’Etat vont, immédiatement, pour chauffer leur avancement, se jeter, à triangle perdu, dans les Loges. Sachez que leur proportion, dans la Caverne, est de 87 0/0 !

Je vous ai dit, tout à l’heure, que les « Ligues de l’en­seignement » n’avaient été que le masque sous lequel la Franc-Maçonnerie s’était emparée de l’enseignement et de la jeunesse des écoles. Ecoutez ce que disait, en 1902, le Frère Massé, aujourd’hui ministre, de je ne sais plus quoi :

« Dans chaque pays, déclare le Frère Massé, fondez un cercle de la Ligue ; ce cercle, une fois fondé, on devra avec soin y perpétuer un noyau de jeunes maçons de manière que la jeunesse des écoles se trouve directement soumise à l’influence maçonnique. »

L’Enseignement — pierre d’assise de la République — allait être le grand oeuvre d’accaparement. Le théâtre et la presse allaient suivre. Mais allons rapidement au fait, en ce qui concerne la classe ouvrière.

Le petit travail de la Veuve

Le syndicalisme est, depuis vingt ans, devenu une force avec laquelle la Bourgeoisie maçonnique devra compter. Il faut capter, endiguer cette force ; ce problème a été posé au début de mon exposé.

Accourent aussitôt, sous le couvert de l’anarchisme ou du socialisme révolutionnaire, les orateurs des loges, qui vont évangéliser anticléricalement les masses et leur faire perdre ainsi, écoutez-moi bien, le but économique de l’or­ganisation syndicale.

A l’aide de conférences purement anticléricales et d’un anticléricalisme spécifique (les preuves de la non-existence de Dieu, les crimes de Dieu, la faillite du christianisme, etc.), conférences mitigées de temps en temps de vagues sujets révolutionnaires, on opérera habilement une diversion per­fide dans les préoccupations ouvrières.

Pendant qu’il pense à Dieu, l’exploité pense moins au patron anticlérical ; pendant qu’on parle de la « faillite du christianisme », on ne pense plus à l’escroquerie du milliard des congrégations, rentré dans la poche de nos Seigneurs judéo-maçonniques ; et comment « les crimes de Dieu » (qui n’existe pas) ne feraient-ils pas pardonner les crimes de Rothschild (qui existe tant !) ?...

Une voix. — Vous faites le jeu des curés !...

Janvion. — Je ne fais le jeu de personne. Mais je pré­fère un curé qui porte franchement sa soutane à un franc-maçon qui vit de délation et qui cache son tablier...

Cette propagande de diversion purement anticléricale, date d’au moins l’année 1880.

J’aurais des choses, vraiment expressives de béatitude splendide et innocente à vous servir sur le cas mental d’une foule de révoltés qui se croient anarchistes et qui ne sont que des ouailles très habilement parquées et hallucinées par des billevesées susceptibles de faire pâlir Homais. Mais arrivons vite au centre de notre opération.

L’anticléricalisme a préparé le terrain.

Il fut une excellente distraction pour les diversions de révolte économique. Il s’agit de réaliser.

Les décisions maçonniques antérieures cependant ne facilitent pas le recrutement ouvrier.

Au Convent de 1892, les Frères avaient déclaré :

« Il faut que le candidat au titre de Franc-Maçon ait des ressources convenables. » — « Ne présentez jamais dans les Loges que des hommes qui puissent vous présenter la main et non vous la tendre. »

Au même Convent, le Très Illustre Frère Matin avait fait observer que les travailleurs ne pouvaient être appelés dans les Loges « pour des motifs d’ordre financier. »

Le Frère Bourguet, au Congrès des Loges du N.-O., dé­clare :

« L’élévation des sommes à payer fait que la Franc-Maçonnerie ne peut pas pénétrer dans la masse du peuple et reste une association bourgeoise. »

Mais l’Affaire Dreyfus survient. Les groupes de Libre-Pensée, reliés au Comité républicain du Commerce et de l’Industrie, que préside le Frère Mascuraud, également relié au Comité du parti radical et radical-socialiste, dirigé par le Frère Lafferre, reliés aussi aux révolutionnaires par les socialistes et anarchistes des Loges, avaient, dès mars 1899 (un peu après la mort de Félix Faure), reçu le mot d’ordre du Grand-Orient, longtemps hésitant. Les syndicats eux-mêmes furent touchés par les incitations maçonniques des Frères Briat, Craissac, Sembat, Allemane. Habilement mobi­lisées par les Loges, les forces ouvrières avaient participé au mouvement de la rue et au profit de la politique judéo-­maçonnique : tous se rappellent l’équipée de Longchamp et la fête du « triomphe de la République ». C’est grâce à l’appui du peuple, encadré politiquement et maçonniquement, que la révolution dreyfusienne a pu s’opérer.

Désormais, les forces ouvrières étaient classées au tableau des valeurs de gouvernement. II ne s’agissait plus que de les « militariser » maçonniquement et elles consti­tuaient ainsi une excellente réserve pour la Confrérie — « qui est la République à couvert », ne l’oublions pas.

Le Convent de 1900 décide de baisser les prix d’adhésion. Pour le grade d’apprenti, ce serait 25 francs ; compagnon, 10 francs ; maître, 15 francs ; grades capitulaires, 30 fr. ; grades philosophiques, 30 francs.

Pataud et moi pouvons affirmer que, ces dernières années, des propositions d’adhésion ont été faites, aux membres de la C. G. T. pour moins cher : pour rien.

Et alors, c’est la chasse au recrutement. Des équipes de syndicalistes maçons s’y emploient. On choisit, de préfé­rence, ceux qui, dans l’usine et l’atelier, sont capables d’exercer une influence dans les milieux ouvriers. Leur affiliation demeurera inconnue et leur propagande, à leur tour, n’en sera que plus efficace.

Le 22 février 1904, la nouvelle pénétration ouvrière est consacrée par l’installation solennelle d’une première loge, destinée à recevoir les ouvriers : les Travailleurs socialistes de France. Cette inauguration eut lieu sous la présidence de Frère Lafferre, assisté des Frères Rozier, conseiller muni­cipal ; Brunet, orateur de l’Etoile polaire ; Heippenheimer, du Conseil supérieur du Travail ; Bagnol, etc.

C’est de cette loge que partira le principal mouvement de recrutement ouvrier, réduit et trié selon la qualité ou l’influence syndicale de l’adepte.

Favoritisme aux Frères

Délation contre les Profanes

En même temps, le prolétariat administratif est tra­vaillé parallèlement ; le recrutement y sévit avec rage. Instituteurs, employés de mairie et de préfecture, employés des contributions directes et indirectes, P. T. T., cheminots, etc., désireux de mettre avec fruit les audaces arrivistes du Frère Fruit (citées plus haut), s’engouffrent dans les Loges.

Une fois maçons, les fonctionnaires qui ont reçu, avec la lumière, la promesse des bonnes sinécures, se hâtent, selon le mot d’ordre souligné dans mes documents précités, de créer des « groupes fraternels » qui vont organiser le recrutement mesuré et savant. Comme dans l’armée, l’admi­nistration va dès lors être soumise à une délation caracté­risée.

Voulez-vous des preuves ? En voilà :

Voici une circulaire adressée par le Frère Saint-Bauzel, président du groupe « amical » des employés des Contri­butions indirectes à tous les vénérables des loges de France et des colonies. Dégustez doucement ce petit chef-d’oeuvre d’offre de service pour délation :

« Ce 20 septembre 1910.

Très Cher Vénérable et Très Chers Frères,

Le Groupe fraternel des contributions indirectes, exclusi­vement composé de Frères en activité, disséminés dans toute la France, fonctionne depuis huit ans. Tout récemment, son président allant appris que deux fonctionnaires des indi­rectes avaient sollicité leur initiation dans une Loge parisienne s’est procuré des renseignements complets sur les deux profanes. Ces renseignements étaient si défavorables que les deux postulants ont dû retirer leur demande.

Désireux avant tout de n’admettre parmi eux que des profanes absolument sincères et dignes, ainsi que nous le demande la constitution maçonnique, nous avons pensé que les renseignements, que nous sommes en mesure de fournir aux ateliers auprès desquels des profanes de noire administration sont en instance d’initiation, seraient toujours très utiles pour éclairer plus complètement les Loges sur les mérites des postulants. Dans les grandes villes surtout, et en particulier à Paris, les renseignements donnés dans les rapports des enquêteurs ne sont, la plupart du temps, malgré le dévouement de ces derniers, que des impressions superficielles ou sont fournis par les candidats eux-mêmes sans aucun contrôle.

Le Groupe Fraternel des Contributions indirectes se met entièrement à la disposition des ateliers des deux obédiences pour leur procurer les renseignements les plus complets sur les candidats de cette administration.

Attachant « une importance particulière » à la présente note, nous vous prions de vouloir bien la faire afficher dans vos parvis ou en faire prendre note spéciale dans votre registre des procès-verbaux.

Pour le Bureau :

Le Président, Saint-Bauzel,

Commis principal des Contributions indirectes,

6, rue du Pont-Colbert, Versailles (S.-et-O.). »

Voilà donc une note à laquelle « le groupe amical des C. I. » attache « une importance toute particulière », qu’il recommande de « faire afficher dans les temples ». Elle signale l’existence d’un bureau de renseignements qui a son siège à Versailles et qui pourra moucharder les employés « disséminés » dans tout le pays et aussi se faire juge (comment ?) de la qualité de sincérité et de dignité des profanes...

Même vilenie et même bassesse dans la société de recru­tement maçonnique pour cheminots, appelée « l’Amicale du Rail ». Ce nom de groupement « Amicale du Rail » désigne le groupement fraternel des agents de chemins de fer fran­çais, des cheminots. La dernière grève de cette corporation, son issue lamentable, lui fournit toute sa saveur.

Lisez attentivement ce document qui dévoile tout le petit travail bas et vil des mouchards de Loges à travers les travailleurs de la voie ferrée, inconscients de cette police abjecte :

« L’amicale du rail

Groupement fraternel des agents des chemins de fer français

Réunions : 3e Vendredi de chaque mois, 16, rue Cadet

Adresser la correspondance au Président 40, rue Saint-Vincent, à Mantes

Paris, le 24 février 1909.

Très Cher Vénérable,

Soucieux avant tout de la discipline maçonnique, c’est sous les auspices de la Respectable Loge « Liberté par le travail », Ordre de Mantes, que nous nous plaçons pour adresser la présente planche.

Elle a pour but de porter à la connaissance des Membres de votre Respectable Atelier la constitution de notre Groupement et de leur faire part de nos intentions et de nos craintes.

Vous n’ignorez pas qu’actuellement, par suite du rachat de l’Ouest par l’Etat, les Loges des deux Obédiences sont assaillies de demandes d’initiation émanant de camarades dont les opinions politiques n’offrent le plus souvent qu’une garantie relative pour la Maçonnerie.

En présence de cet état de choses, nous estimons qu’il est de notre devoir d’élever une digue de salut à la Maçonnerie et de mettre les Loges en garde contre cet envahissement.

Notre groupement, comprenant actuellement un nombre important de Frères sur tous les réseaux, est à même d’adres­ser aux Ateliers qui pourraient avoir quelque hésitation sur la valeur des profanes tous renseignements qu’ils voudraient bien lui demander. (Voyez délation !)

Nous espérons que vous voudrez bien accueillir favorablement nos offres et que vous n’hésiterez pas à vous entourer de toutes les garanties que comporte la situation actuelle.

Veuillez, Très Cher Vénérable, agréer l’assurance de nos sentiments fraternels dévoués.

Le Président : Goust (18e). »

Comprendrez-vous, ô révolutionnaires, pourquoi « le ra­chat de l’Ouest par l’Etat » a pu déterminer un afflux de demandes d’initiation maçonnique ? Et le Frère Goust, au nom de ses camarades cheminots maçons, accourt pour veiller au grain de la curée que les initiations doivent accor­der, au détriment des profanes, aux seuls chevaliers du triangle.

Le signataire de cette lettre fut d’ailleurs nommé, fin 1909, membre du Conseil d’administration des chemins de fer de l’Etat. Le Frère Goust était employé dans les bureaux de traction des chemins de fer et membre du Conseil d’administration du Syndicat national des Tra­vailleurs des Chemins de fer, syndicat affilié à la C. G. T. De qui donc le Frère Goust, favori du ministère, servira-t-il les intérêts contradictoires : de la maçonnerie, du syndicat ou du ministère ?

Dans les Organisations syndicales

Au moment où ces pièces me tombaient sous les yeux, j’avais déjà été éclairé, dans ma vie syndicale, par quelques cas typiques, ne serait-ce que par les cas maçonniques qui illustrèrent la fondation du Syndicat des Employés muni­cipaux, dont furent témoins avec moi les regrettés Charles-Louis Philippe et Lucien Jean.

A peine notre syndicat fut-il formé, qu’au Conseil syndi­cal on entendit, par des lapsus, involontaires sans doute, régir la discussion en ces termes : « La parole est au frère Untel. » Total : quelques centaines de démissions brusques.

D’autres incidents qui se produisirent à l’Union des Syndicats de la Seine et au sujet desquels j’étais intervenu violemment, me fixèrent sur la gravité de l’invasion du Grand-Orient auquel les ouvriers offraient, sans le savoir, une hospitalité vraiment écossaise.

Mes déclarations antimaçonniques à la tribune reten­tissante du meeting de l’Hippodrome me valurent une pluie de documents.

Dans les bulletins maçonniques qui me furent dès lors adressés par d’excellents anonymes, je pouvais, à la même époque, saluer au passage de nombreuses initiations (cinq ou six par semaine) de permanents de syndicats.

Bien plus, le jour où était initié un des secrétaires de l’Union des Syndicats de la Seine, le sujet conférence sui­vant était à l’ordre du jour de la Loge la « France socia­liste ». (Bulletin des Loges, 5 mars 1910.)

Du rôle des Maçons dans le conflit de la Chambre syndi­cale des Employés.

Tous les frères, employés de commerce, étaient invités à apporter le concours de leurs lumières.

Ainsi donc, voilà une question intéressant la vitalité essentielle d’une organisation, discutée dans une Loge, en collaboration de classes, à l’abri de l’indiscrétion des sala­riés. D’où il résulte, par cet exemple frappant, que, discus­sions, solutions, conflits syndicaux et, par conséquent, élec­tions, propositions, délégations, votes, vie intérieure du syn­dicalisme sont quelquefois à la merci des résolutions secrètes prises en collaboration avec le patronat intéressé et en dehors des syndiqués intéressés.

Plus encore ! Si vous tenez à savoir comment on peut créer ou favoriser la création maçonnique d’un syndicat, oyez la lecture de la petite lettre suivante :

« Très Cher Vénérable,

Je vous serais obligé de bien vouloir porter à la connais­sance des membres de votre Royal Assemblée qu’il vient de se former à la Bourse du Travail un syndicat de sténo-dactylo­graphes (femmes et hommes) dont vous trouverez sous ce pli les statuts.

Si parmi nos Frères se trouvent des sténographes et dacty­lographes, vous me feriez plaisir en leur demandant de communiquer leur adresse à M. Ch. Dellion, secrétaire géné­ral du nouveau syndicat, 130, rue de Tolbiac, pour lui permettre de les convoquer individuellement.

J’espère bien, du reste, que ces sténographes n’atten­dront pas que nous les convoquions et qu’ils se feront un devoir de nous faire parvenir leur adhésion dès qu’ils apprendront notre existence.

D’avance je vous en remercie et je vous prie d’agréer, Très Cher Vénérable, mes fraternelles salutations.

Duffau, de la Royale Loge Les Amis bienfaisants. »

Il y en avait plus qu’il ne fallait pour éveiller le sens critique d’une tortue. Comme je ne proteste pas à moitié, dans divers organes, je criai mon étonnement de voir les statuts d’un syndicat soumis occultement à la Maçonnerie.

De tous les points du syndicalisme m’arrivèrent docu­ments et approbations.

Le camarade Broutchoux, secrétaire de l’Union syndicale des mineurs du Pas-de-Calais, écrivait (juillet 1908) à la Guerre Sociale, où j’avais engagé la lutte :

« Janvion a raison de pousser le cri d’alarme contre les Francs-Maçons qui veulent accaparer le mouvement syn­dical en s’emparant de la Confédération Générale du Travail.

En ce qui concerne la corporation minière, le danger existe. La vieille Fédération, qui vient de tenir son Congrès à Montceau-les-Mines, est dirigée par les Francs-Maçons.

Avec ses faux bilans, le syndicat Basly, à lui seul, a la majorité dans les Congrès nationaux. Or, Basly appartient à la Loge Union et Travail de Lens et la plupart de ses acolytes appartiennent aux Loges de Béthune, Arras et Lille. Toutes ces Loges sont clémencistes, c’est dire leur sentiment à l’égard du prolétariat organisé... »

Le camarade Delzant, secrétaire de la Fédération des Verriers (Aniche), écrivait à la même date :

« La Franc-Maçonnerie influence de façon néfaste tous les mouvements syndicalistes du Nord, où elle pèse sur le parti socialiste et sur les syndicats. Delesalle en est un membre très influent et Desmons est vénérable. C’est dire que le Réveil du Nord est aux Frères.

Dans tout le Nord de la France et le Pas-de-Calais, les militants ouvriers correspondants du Réveil, quelque peu influents, ont été franc-maçonnisés.

Basly et tous ses valets en sont.

A Douai, fief de Cogneau, c’est le Réveil du Nord qui domine. Secrétaires des groupes socialistes, de syndicats, de coopératives sont enrégimentées dans la Maçonnerie. A Denain, également.

A Valenciennes, c’est plus partagé, mais le Réveil du Nord y tient toujours une large place. Les députés Melin et Dure sont Maçons ; leurs valets qui rédigent leur régional l’Emancipation, sont les Maçons attachés au Réveil.

Qui dominent les mineurs du Pas-de-Calais, ceux du Nord, ceux du bassin d’Anzin ? Le Réveil du Nord, les Frères les plus tarés.

La division syndicale et politique de Fresnes est due à l’influence de cette bande. Le nommé Proer, Frère, fut jeté dans nos jambes pour empêcher notre mouvement révolu­tionnaire. Heureusement, nous avons été les plus forts.

Le Groupe n° 3 de Fresnes a été constitué pour batailler contre les Frères. Ces derniers, les Francs-Maçons, en étaient bannis, comme apportant l’influence capitaliste politicienne et patronale pour laquelle ils sont d’ordinaire délégués.

A Valenciennes, les militants révolutionnaires sont obli­gés d’en arriver là aussi. (Ci-inclus des documents pro­bants.)

Presque tous les députés socialistes du Nord sont Frères. Cette qualité leur confère cette grâce maçonnique qui leur assure l’appui du Réveil du Nord, sans lequel ils dégringoleraient tous.

Telle est, brièvement résumée, la situation lamentable que nous vivons dans les départements du Nord, grâce à l’influence odieuse, occulte et néfaste que tu signales aujourd’hui... »

Kart Oegel, membre de l’A. G. des P. T. T., me signalait, à son tour, les incidents syndicalistes de sa corporation que voici et qui suffisent à eux-mêmes :

« Le camarade Janvion a signalé le péril maçonnique dans le syndicalisme en général et plus particulièrement dans les syndicats ouvriers proprement dits.

Ce péril n’est pas moins évident dans les organisations des salariés de l’Etat, dans ce qu’il est convenu d’appeler le syndicalisme « fonctionnaire ».

Qu’il me permette d’empiéter un peu sur son domaine en apportant comme contribution à son étude courageuse, un faisceau de faits significatifs et la preuve matérielle incon­testable de l’ingérence maçonnique dans l’Association géné­rale des agents des P. T. T.

Il me faut au préalable apporter les preuves de mes accu­sations, démontrer l’ingérence des maçons dans l’A. G., sortir enfin de mes réserves.

Premier fait. — Il fit l’objet d’un débat mouvementé au Conseil d’administration, on pourrait donc en trouver les traces dans les archives de l’A. G. En 1902, le camarade Méheust, conseiller d’alors, rencontre à la Chambre le dé­puté Sembat. Celui-ci lui fait part qu’il a reçu du Conseil de l’A. G. une demande d’audience au sujet de la question des remises et qu’il doit recevoir la délégation le jour même. Surprise de Méheust : aucune décision de ce genre n’a été prise dans les séances précédentes ; quiproquo entre notre camarade et le député. Au fait, lui dit ce dernier, venez avec la délégation que je reçois dans quelques instants. Notre ca­marade s’y rend. Qu’y voit-il ? Qu’entend-il ? Les camarades Bousquié, Gabbinel, Camboulines, francs-maçons incontestables et hommes de M. Joyeux, receveur principal et Franc-Maçon non moins incontestable, demander à Sembat, au nom du Con­seil de combattre la suppression des remises des gros rece­veurs.

Tableau !

Deuxième fait. — Le Conseil se réunit pour élire son bu­reau, ses commissions, ses délégués. Le même camarade Méheust pose sa candidature à je ne sais plus quelle fonc­tion, d’importance secondaire d’ailleurs. Méheust est hon­teusement battu. A sa place est élu un illustre inconnu. Les candidats avaient été désignés dans une réunion fraternelle préparatoire et nos excellents Francs-Maçons avaient voté avec ensemble et discipline. Naturellement on avait oublié de con­voquer les profanes à la réunion franc-maçonne.

Troisième fait. — Tous les conseillers Franc-Maçonnerie n’entrent jamais au Conseil sans saluer maçonniquement en faisant le signe « par équerres, niveau et perpendiculaire » pour par­ler le langage quelque peu spécial en honneur dans les temples maçonniques. Si bien que de nombreux camarades profanes ont déchiffré le geste symbolique et énigmatique !

Quatrième fait. — Un groupe maçonnique existe à la Recette principale. Chaque année au premier de l’an, en grande pompe et maçonniquement, le groupe allait, jusqu’en 1906 tout au moins, présenter ses voeux Franc-maçonniques aux francs-Maçons Joyeux et Serres (33°), receveur et directeur.

Ces relations franc-maçonniques étaient d’ailleurs constantes… Il n’y a vraiment pas lieu d’en être très surpris !

Cinquième fait. — Un des plus graves certes, le plus grave peut-être même.

Au commencement de 1906 à l’ordre du jour d’une Loge, l’Avenir, figure la question suivante :

« Une grève dans les Postes »

Orateurs inscrits : Subra Pinettes.

La grève échoue ; les causes très complexes et très diver­ses seraient trop longues à énumérer, mais fait significatif : le Conseil désavoue la grève. Pinettes, secrétaire général actuel se fait porter malade et Sabot, membre du Conseil d’alors et Franc-Maçonnerie engage les camarades de la Recette prin­cipale hésitants à NE PAS FAIRE GREVE.

Sixième fait. — Tous les ans aux élections sont élus conseillers d’illustres inconnus qu’on n’a jamais vu militer nulle part, mais ils sont Francs-Maçons de province et les profanes sont évincés.

Résultats : le secrétaire général, les deux secrétaires gé­néraux adjoints, le trésorier général, le trésorier adjoint, quatre secrétaires adjoints, sur six, l’archiviste sont ma­çons.

Septième fait. — Contesteront-ils aussi que le 5 juin 1907, veille du Congrès, ils aient tenu une réunion préparatoire fraternel ?

Comme je ne veux pas les mettre dans la cruelle alternative ou d’être parjures en violant « la loi du silence », ou de se déshonorer en répondant par un mensonge, je pré­fère leur mettre tout de suite sous les yeux le document sui­vant signé de l’actuel secrétaire général, et tiré à la machine à écrire (probablement celle de l’A. G.), sur papier à en-tête de l’A. G.

« Paris, le ler juin 1907.

Très Cher Frère,

Nous avons la faveur de porter à votre connaissance que sur la demande des membres du Conseil de l’A. G. ou délégués des Groupes de Paris, nous avons pris l’initiative de provoquer une réunion fraternelle avant le Congrès.

Cette réunion particulièrement nécessaire dans les circonstances actuelles se tiendra le mercredi 5 juin 1907, veille du Congrès, à 4 heures du soir, chez Vergnolles, cafetier, 21, rue des Ecoles, Paris (5e).

Acceptez l’expression de mes sentiments fraternels.

A. PINETTES. »

Il est ajouté au crayon par Berthelot, gérant du Bulletin : « Si connaissez d’autres frères délégués, prière de les aviser. »

Le bas de la page de l’exemplaire de la convocation que j’ai en ma possession est déchiré ; mais sur la partie disparue du document figurait la recommandation de déchirer la lettre au cas où le destinataire ne serait pas maçon.

Je livre sans commentaire cette série de documents précieux à l’examen minutieux de tous ceux qui croyaient jusqu’à présent que le syndicat était un organisme de lutte, selon sa définition simple, sans traquenards, tremplins, ca­chotteries ou chausse-trappes... »

Etonnez-vous, après la lecture de ce document, de la lamentable issue de la première grève des P. T. T., dont l’échec fut négocié maçonniquement auprès de Clemenceau (comme je l’ai démontré dans mes articles documentés de Terre Libre) par les Frères postiers Antignac, Subra, Berthelot abouchés auprès du gouvernement par l’intermédiaire du Frère Dreyfus, député de la Lozère.

Vous connaissez quel fut le sort identique de la seconde grève, fomentée maçonniquement et brisée dès le début par les intrigues convenues entre le gouvernement et la maçon­nerie.

Ainsi donc, le recrutement maçonnique des ouvriers et employés syndiqués s’opérait sans vergogne.

Les deux secrétaires de l’Union des syndicats de la Seine étaient devenus Maçons, les deux secrétaires de la Commis­sion administrative le devenaient également. Et, à la même époque, en un seul mois de juin 1908, cinq permanents très connus à la Bourse, recevaient la lumière.

Et quelle obscure clarté, lorsqu’elle illumine le cerveau des apprentis ouvriers ! Elle les éblouit à ce point qu’ils croient pouvoir mettre tout le syndicalisme sous leur ta­blier. Une cinquantaine de permanents maçons, enhardis par leurs espérances confites dans le secret, se crurent autori­sés de fonder, sous le manteau, un groupe de deuxième cuvée maçonnique, fonctionnant dans le local même de la Commission administrative que le Frère Bled, secrétaire de ladite Commission, mettait à leur disposition. Ce groupe opérait sous le titre aimable de « La Solidarité syndicaliste ». Quel joli nom pour une solidarité syndicaliste, qui ne pouvait s’exercer qu’entre frères au détriment des profanes !

La dernière convocation de ce groupe, porte à l’ordre du jour les questions suivantes :

« Y a-t-il utilité d’intensifier la propagande en raison des dernières élections de la C. G. T. ?

Devons-nous approuver ou blâmer certains membres de la Maçonnerie en raison de leur attitude dans le récent conflit des P. T. T. ?

Faut-il, au contraire, dégager la Maçonnerie en général et la Solidarité syndicaliste en particulier, des agissements de certains parlementaires francs-maçons notoires dans ces circonstances ? »

Par ce genre de préoccupations, touchant à la gestion (occulte) de la C. G. T., et de la marche de nos grèves, de leur contact avec le parlementarisme, vous pouvez juger de l’invasion habile et tenace de la Pieuvre dans nos orga­nisations.

Une explication des Frères syndicalistes qui est un bien maladroit aveu

Cependant, j’avais hautement dénoncé cette extraordi­naire infiltration ; j’avais stigmatisé nommément les frères syndicalistes maçons. Pouvaient-ils expliquer leur présence révolutionnaire dans une Société conservatrice et gouvernementale et qui fut, au cours de l’histoire, le pilier occulte de tous les gouvernements, Monarchie, Dictature, Répu­blique !

Tout d’abord, ils feignirent le dédain. Mais les préci­sions s’accumulant, ils jugèrent, enfin, que le moment était venu d’expliquer leur cas.

Et quelle cause indéfendable ! Vous allez juger de la valeur de loyauté et de logique de ce tissu de niaiseries, d’absurdités et de réticences mentales.

Dégustez, savourez cette mémorable explication, ô profanes, explication tentée par quelques-uns des principaux militants de la C. G. T. pour défendre leur tablier.

« Appel aux Francs-Maçons syndiqués confédérés,

Il a été constitué à Paris, le 17 mars 1908, sous le titre de la « Solidarité Syndicaliste » un groupe fraternel de Francs-Maçons syndiqués confédérés. Ce groupe est ouvert à nos Frères de n’importe quelles loges des deux obédiences, sans distinction d’opinion politique ou philosophique, à condi­tion que, comme l’indique le sous-titre, ils soient adhérents à des syndicats relevant de la C. G. T.

Il a été fondé dans le but de :

1° Coordonner et développer la propagande syndicaliste dans la Franc-Maçonnerie (chacun de nous avise ses collè­gues des conférences, initiations, cérémonies quelconques, où la présence de tel ou tel d’entre nous ou bien l’affluence du plus grand nombre possible de membres de ce groupe peut être nécessaire pour la défense ou la diffusion du syn­dicalisme) ; puis, nous recherchons ensemble quels sont les thèmes de discussion les plus urgents à introduire dans les Loges, nous choisissons les ateliers où il nous semble convenir que ces thèmes soient exposés, et nous désignons ceux des nôtres qui accepteront cette tâche ainsi que ceux qui les seconderont dans la discussion ; enfin, dans le cas d’un événement qui intéresse gravement la classe ouvrière, nous nous entendons sur la tactique à suivre dans nos Loges respectives en vue de déterminer ou de précipiter tel ou tel mouvement d’opinion.

2° Organiser la défense commune, d’une part contre ceux des francs-maçons qui s’efforcent d’entraver la péné­tration syndicaliste dans notre Ordre et, d’autre part, contre ceux des profanes qui s’ingénient à répandre des interpréta­tions erronées du rôle que les syndicalistes jouent ou peuvent jouer dans les Loges.

3° Rechercher les moyens d’arriver à une épuration de la Franc-Maçonnerie, où des promiscuités si pénibles nous sont im­posées par la présence de quelques-uns des principaux ex­ploiteurs de la finance, de l’industrie, du commerce, de l’agriculture, SANS COMPTER LES POLICIERS NOTOIRES OU NON.

4° Travailler à la simplification des formes de notre Ordre jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus du rituel et du voca­ble que le strict indispensable.

5° Favoriser l’acclimatation dans nos syndicats respec­tifs, des caractéristiques fondamentales de la Franc-Maçonnerie, savoir : la dignité et l’impersonnalité des débats, la tolérance à l’égard de toutes convictions ou tendances et la solidarité effective.

Nous appelons votre attention sur l’intérêt qu’il y a pour vous, individuellement, comme pour nous et dans le plus bref délai possible.

Dans le ferme espoir que vous allez être des nôtres, nous vous adressons, cher camarade, nos salutations fraternelles.

Le secrétaire, A. Tillier des Pâtissiers,

Le secrétaire-adjoint Testaud des Peintres,

Le trésorier A. Chaboseau, du Syndicat des Employés. »

Oh ! Les doux aveux !

En lisant ces lignes de réponse oblique stupide, puérile et embarrassée, vous comprendrez tout de suite leur désar­roi pour expliquer un acte (l’adhésion maçonnique) dont ils viennent de ruiner la défense.

Voyez-vous ces révolutionnaires « coordonnant et déve­loppant la propagande syndicaliste et révolutionnaire dans la Maçonnerie », où « d’après leur aveu », ils se trouvent en promiscuité avec « les principaux exploiteurs de la finance, de l’industrie, du commerce, sans compter les poli­ciers notoires ou non ».

Autant demander à un demi-setier de sirop de dessaler l’Océan.

Mais que les salariés profanes éprouvent un grand accès de joie révolutionnaire en apprenant que leurs farouches permanents, égarés dans cette galère, vont « travailler à la simplification de leur Ordre jusqu’à ce qu’il ne reste plus du rituel que le strict indispensable ».

Car il faut un rituel strict et indispensable à ces icono­clastes. Et c’est au son du maillet qu’ils nous mèneront à la Révolution.

.Quel bon travail d’action directe !

Leur modestie !

Voilà donc « le militant influent » devenu servant de la Veuve, chevalier de l’Acacia.

Et le voilà, c’est lui qui l’avoue ci-dessus « au milieu des pénibles promiscuités des principaux exploiteurs de la finance, de l’industrie, du commerce, de l’agriculture, sans compter les policiers notoires ou non ».

Comment ! Le zèle de ce camarade le travaillait au point que, le syndicalisme ne lui suffisant plus, il avait entrepris de nettoyer de policiers une association policière, de pa­trons une association patronale, de ses exploiteurs une so­ciété créée et constituée (d’après les extraits cités tout à l’heure) pour garantir contre les bourrasques révolution­naires l’exploitation patronale en France.

Et le voilà, ce militant « sans Dieu ni maître ! » qui s’est donné comme propagande extra-syndicale, d’aller réformer le rituel (un révolutionnaire, réformiste de rituel !) d’un clergé laïque et qui a dû vaincre sans douleur son extraordinaire répugnance de révolutionnaire en donnant du « cher frère », « aux principaux exploiteurs de la finance, de l’industrie, du commerce, de l’agriculture, sans compter les policiers notoires ou non » !

Quel zèle vraiment étrange pour la propagande ! Quel héroïsme dans l’apostolat ! Quelle frénésie dans le prosély­tisme !

Et quelle admirable modestie ! Ils ne nous l’avaient pas dit !

Mais ces syndicalistes auraient dû, en trois points, proclamer leur zèle syndicaliste ; ils auraient dû nous commu­niquer leur flamme maçonnique ! Aller, sous le secret des temples, tendre une main « fraternelle » au Frère général Gérard, fusilleur de Narbonne ; au Frère Hamard, directeur de la Sûreté ; au Frère Bouffandeau ou au Frère juge d’instruc­tion Albanel est une besogne évidemment méritoire !

Et de quelles acclamations, parties de toutes parts, auraient été salués de tels accès de dévouement à la bonne cause ! Ils auraient reçu les applaudissements des enfants, l’admiration des parents, les ovations des foules, les baisers des femmes !

Hélas non ! Nos confrères syndicalistes ne nous l’avaient pas dit, parce qu’ils avaient fait serment de discrétion et de modestie !

Ils avaient juré, ne l’oubliez pas, d’être modestes. Ces révolutionnaires syndicalistes avaient juré, en entrant en Logés, qu’ils considéraient désormais deux catégories d’hu­mains : celle des patrons, magistrats et policiers, auxquels ils pouvaient causer du syndicalisme en frères et celle des exploités, qu’ils regardèrent dorénavant en profanes.

Et voilà pourquoi il s’étaient cachés sous les roseaux où nous avons dû les découvrir avec de précieux télescopes.

Eh bien ! Laissons ces confrères (si peu frères pour nous !) à la modestie qui convient à leur jésuitisme rouge ; ils ne nous intéressent pas ; ils ne nous intéressent plus.

Ce qui nous intéresse : c’est le sort réservé à la classe ouvrière dans ce compromis.

Un capitalisme ménagé. Le prolétariat dupé

C’est encore la classe ouvrière qui, vous le pensez bien, est victime d’une duperie dont elle n’a pas la moindre no­tion.

En venant se syndiquer, le bon bougre y va franc jeu bon argent. On lui a dit que le syndicalisme se suffisait à lui-même, qu’il était constitué en dehors de toute politique, de toute secte, de toute religion, qu’il vivait de sa propre vie, de sa propre chair, ,de son propre sang, de ses propres muscles.

Il ignorait qu’il y avait deux syndicalismes : l’un, « lutte de classes », sous le ciel ouvert de la Bourse du Travail ; l’autre, « collaboration de classes », sous le secret du temple ; l’un, sans Dieu ni maître, aux tribunes publiques ; l’autre, à l’ordre d’un vénérable ; l’un, qui traite d’assassins et de fusilleurs, aux tribunes syndicales, les généraux Gérard (de Narbonne) et le lieutenant Simon (du pont de Flandre) ; l’autre, qui traite ces massacreurs de « chers frères » sous les colonnes du temple.

Le bon bougre, lui, en venant se syndiquer, ne pensait pas que son syndicalisme pouvait se mettre en rituel et se gérer sous le maillet en d’étranges chienlits de carnaval.

Il ne pensait pas que si le syndicalisme, sans Dieu, avait vomi le goupillon, il devait adorer le triangle des Maîtres du Grand-Orient ou du Rite écossais.

Il ne le savait pas ! Il faudra qu’il le sache désormais !

Il faudra qu’il sache encore autre chose ! Ceci : c’est grâce à la Franc-Maçonnerie que le capitalisme juif a, jusqu’ici été ménagé et jouit, en France, d’un traitement de faveur.

Car si la Maçonnerie est la République à couvert, elle est aussi le bouclier international de la Juiverie capitaliste cosmopolite.

Voyez l’Europe minée par ses machinations, avec la complicité salariée des meneurs de foule. Avant-hier, c’était la Turquie ; hier, le Portugal : demain, ce sera l’Espagne ; après-demain, l’Italie.

Mais aujourd’hui, c’est la France, toute sa politique finan­cière et intérieure qui, par la complicité maçonnique, est la proie des grands juifs, depuis le Panama (Cornélius Herz), en passant par les lois scélérates (Reinach), en terminant par l’escroquerie du Milliard, opérée au sécateur de M. Grünebaum…

Entendez-vous ce cri de révolte des paysans de l’Aube : « République ! Ta devise fout le camp ! » Oui, ô Républi­que, c’est grâce aux manoeuvres d’une Société secrète aux mains du capitalisme juif que ta belle devise, comme les balustres de ’l’Hôtel Byron, a foutu le camp chez Roth­schild !

Encouragée par le succès de l’Affaire Dreyfus, qui a consacré politiquement sa suprématie, qui n’avait été jusqu’alors que financière, la secte s’est proposée de mettre la main sur le mouvement ouvrier. Et c’est ainsi qu’il y a douze ans, le prolétariat, égaré par ses orateurs mercenaires, a protégé la fortune scandaleuse des Grands Juifs, qui, sans le concours du peuple, eût été emportée comme une feuille dans la bourrasque.

Et voilà les seigneurs Juifs, encouragés par une inexpli­cable impunité, qui se sont immiscés déjà dans nos mouve­ments de grève.

Regardez-les dans la grève historique des P. T. T. avec le Frère Dreyfus, élu député de Florac par la grâce de M. Jau­rès, grève dénouée maçonniquement.

Voyez-les avec Rothschild, dans la grève des cheminots !

Et entendez, derrière la machine sanglante de Deibler, promise au malheureux Durand, le ricanement sinistre du Pereire, avec ses faux témoins à charge....

Par l’intermédiaire des Loges, le mouvement ouvrier se trouve coté comme Valeur de Bourse et de Gouvernement...

Et c’est ainsi que le syndicalisme, qui devrait vivre de sa vie propre, au clair soleil de ses audaces, se voit aujour­d’hui arsouillé sous des tabliers et lié par des cordons maçonniques aux Puissances de gouvernement et d’argent.

O mes frères en humanité, il fallait que vous sachiez. Vous commencez à savoir maintenant !

Allez-vous, ô profanes, laisser prostituer votre droit de vivre dans ces cavernes de mardi-gras et attendre qu’on vous serve la Justice à la lumière de le pipe à lycopode.

Que faire ?

Prononcer le divorce sur ce mariage incestueux de la Franc-Maçonnerie (puissance occulte de gouvernement) et du Syndica­lisme (force d’action directe).

Le devoir des syndiqués serait de ne pas laisser entre les mains des mêmes individus la direction des destinées syndicales ; ils devraient, par voie statutaire, imposer le renouvellement de leurs fonctionnaires syndicaux, dont la perpétuité aux fonctions est toujours néfaste pour l’organisation.

Eh quoi ! Les Conseils d’administration des grandes sociétés imposent chaque année ou chaque deux ans le renouvellement de leurs administrateurs ! On pourrait remplacer, tous les sept ans, un Président de la République, tous les mois ou tous les six mois, tous les ans nos Excel­lences les Ministres, sans qu’il y ait péril pour une nation et un régime ; et les Permanents syndicaux se proclameraient indispensables pour une besogne d’une extrême simplicité !

Si le syndicalisme doit créer l’impérialisme ouvrier ; s’il doit être un trust livré à la merci d’une poignée d’intri­gants, plus loin de la masse des syndiqués que le député de l’électeur, il vaudrait mieux que ce syndicalisme disparût.

Il ne peut être qu’un néo-parlementarisme, caricature du parlementarisme bourgeois !

Et avec quels dangers en plus, puisqu’il serait livré à une coterie de permanents, moins cultivés et plus affamés que les bourgeois, proie toute désignée pour les Forces de corruption ou pour une Puissance de gouvernement, comme est celle de la Franc-Maçonnerie.

En dénonçant le péril maçonnique dans le syndicalisme, j’ai fait mon devoir, sans souci des calomnies et des outrages.

Camarades, faites le vôtre.

Novembre 1912. »

Annexe 2 : L’anti-maçonnisme dans la littérature : Maupassant

Maupassant avait été pressenti par l’écrivain Catulle Mendes pour devenir franc-maçon en 1876. L’auteur de Bel ami refusa car il méprisait les idéaux quels qu’ils fussent.

Il n’est donc pas étonnant de voir la franc-maçonnerie mise à mal par Maupassant dans la nouvelle « Mon oncle Sosthène ».

MON ONCLE SOSTHENE

Mon oncle Sosthène était un libre-penseur comme il en existe beaucoup, un libre-penseur par bêtise. On est souvent religieux de la même-façon. La vue d’un prêtre le jetait en des fureurs inconcevables ; il lui montrait le poing, lui faisait des cornes, et touchait du fer derrière son dos, ce qui indique déjà une croyance, la croyance du mauvais oeil. Or, quand il s’agit de croyances irraisonnées, il faut les avoir toutes ou n’en avoir pas du tout. Moi qui suis aussi libre-penseur, c’est-à-dire un révolté contre tous les dogmes que fit inventer la peur de la mort, je n’ai pas de colère contre tous les temples, qu’ils soient catholiques, apostoliques, romains, protestants, russes, grecs, bouddhistes, juifs, musulmans. et puis, moi, j’ai une façon de les considérer et de les expliquer. Un temple, c’est un hommage à l’inconnu. Plus la pensée s’élargit, plus l’inconnu diminue, plus les temples s’écroulent. Mais, au lieu d’y mettre des encensoirs, j’y placerais des télescopes et des microscopes et des machines électriques. Voilà !

Mon oncle et moi nous différions sur presque tous les points. Il était patriote, moi je ne le suis pas, parce que le patriotisme, c’est encore une religion. C’est l’oeuf des guerres.

Mon oncle était franc-maçon. Moi, je déclare les francs-maçons plus bêtes que les vieilles dévotes. C’est mon opinion et je la soutiens. Tant qu’à avoir une religion, l’ancienne me suffirait.

Ces nigauds-là ne font qu’imiter les curés. Ils ont pour symbole un triangle au lieu d’une croix. Ils ont des églises qu’ils appellent des Loges avec un tas de cultes divers : le rite Ecossais, le Rite Français, le Grand-Orient, une série de balivernes à crever de rire.

Puis, qu’est-ce qu’ils veulent ? Se secourir mutuellement en se chatouillant le fond de la main. Je n’y vois pas de mal. Ils ont mis en pratique le précepte chrétien : « Secourez-vous les uns les autres. » La seule différence consiste dans le chatouillement. Mais, est-ce la peine de faire tant de cérémonies pour prêter cent sous à un pauvre diable ? Les religieux, pour qui l’aumône et le secours sont un devoir et un métier, tracent en tête de leur épîtres trois lettres : J.M.J. Les francs-maçons posent trois points en queue de leur nom. Dos à dos, compères.

Mon oncle me répondait : « Justement nous élevons religion contre religion. Nous faisons de la libre pensée l’arme qui tuera le cléricalisme. La franc-maçonnerie est la citadelle où sont enrôlés tous les démolisseurs de divinités. »

Je ripostais : « Mais, mon bon oncle (au fonds je disais : « vieille moule »), c’est justement ce que je vous reproche. Au lieu de détruire, vous organisez la concurrence ; ça fait baisser les prix, voilà tout. Et puis encore, si vous n’admettiez parmi vous que des libres penseurs, je comprendrais ; mais vous recevez tout le monde. Vous avez des catholiques en masse, même des chefs du parti. Pie IX fut des vôtres, avant d’être pape. Si vous appelez une Société ainsi composée une citadelle contre le cléricalisme, je la trouve faible, votre citadelle. »

Alors, mon oncle, clignant de l’oeil, ajoutait : « Notre véritable action, notre action la plus formidable a lieu en politique. Nous sapons, d’une façon continue et sûre, l’esprit monarchique. »

Cette fois j’éclatais. « Ah ! oui, vous êtes des malins ! Si vous me dites que la Franc-Maçonnerie est une usine à élections, je vous l’accorde ; qu’elle sert de machine à faire voter pour les candidats de toutes nuances, je ne le nierai jamais ; qu’elle n’a d’autre fonction que de berner le bon peuple, de l’enrégimenter pour le faire aller à l’urne comme on envoie au feu les soldats, je serai de votre avis ; qu’elle est utile, indispensable même à toutes les ambitions politiques parce qu’elle change chacun de ses membres en agent électoral, je vous crierai : « C’est clair comme le soleil ! » Mais si vous me prétendez qu’elle sert à saper l’esprit monarchique, je vous ris au nez.

« Considérez-moi un peu cette vaste et mystérieuse association démocratique, qui a eu pour grand-maître, en France, le prince Napoléon sous l’Empire ; qui a pour grand-maître, en Allemagne, le prince héritier ; en Russie le frère du czar ; dont font partie le roi Humbert et le prince de Galles ; et toutes les caboches couronnées du globe ! »

Cette fois mon oncle me glissait dans l’oreille : « C’est vrai, mais tous ces princes servent nos projets sans s’en douter.

- Et réciproquement, n’est-ce pas ? »

Et j’ajoutais en moi : « Tas de niais ! »

Et il fallait voir mon oncle Sosthène offrir à dîner à un franc-maçon.

Ils se rencontraient d’abord et se touchaient les mains avec un air mystérieux tout à fait drôle, on voyait qu’ils se livraient à une série de pressions secrètes. Quand je voulais mettre mon oncle en fureur je n’avais qu’à lui rappeler que les chiens aussi ont une manière tout franc-maçonnique de se reconnaître.

Puis mon oncle emmenait son ami dans les coins, comme pour lui confier des choses considérables ; puis, à table, face à face, ils avaient une façon de se considérer, de croiser leurs regards, de boire avec un coup d’oeil comme pour se répéter sans cesse : "Nous en sommes, hein ? "

Et penser qu’ils sont ainsi des millions sur la terre qui s’amusent à ces simagrées ! J’aimerais encore mieux être jésuite.

Or, il y avait dans notre ville un vieux jésuite qui était la bête noire de mon oncle Sosthène. Chaque fois qu’il le rencontrait, ou seulement s’il l’apercevait de loin, il murmurait : « Crapule, va ! » Puis me prenant le bras, il me confiait dans l’oreille : "Tu verras que ce gredin-là me fera du mal un jour ou l’autre. Je le sens. "

Mon oncle disait vrai. Et voici comment l’accident se produisit par ma faute.

Nous approchions de la semaine sainte. Alors, mon oncle eut l’idée d’organiser un dîner gras pour le vendredi, mais un vrai dîner, avec andouille et cervelas. Je résistai tant que je pus ; je disais : « Je ferai gras comme toujours ce jour-là, mais tout seul, chez moi. C’est idiot, votre manifestation. Pourquoi manifester ? En quoi cela vous gêne-t-il que des gens ne mangent pas de la viande ? »

Mais mon oncle tint bon. Il invita trois amis dans le premier restaurant de la ville ; et comme c’était lui qui payait, je ne refusai pas non plus de manifester.

Dès quatre heures, nous occupions une place en vue au café Pénélope, le mieux fréquenté ; et mon oncle Sosthène, d’une voix forte, racontait notre menu.

A six heures on se mit à table. A dix heures, on mangeait encore ; et nous avions bu, à cinq, dix-huit bouteilles de vin fin, plus quatre de champagne. Alors mon oncle proposa ce qu’il appelait la « tournée de l’archevêque ». On plaçait en ligne, devant soi, six petits verres qu’on remplissait avec des liqueurs différentes ; puis il les fallait vider coup sur coup pendant que des assistants comptaient jusqu’à vingt. C’était stupide ; mais oncle Sosthène trouvait cela « de circonstance ».

A onze heures, il était gris comme un chantre. Il le fallut emporter en voiture, et mettre au lit ; et déjà on pouvait prévoir que sa manifestation anticléricale allait tourner en une épouvantable indigestion.

Comme je rentrais à mon logis, gris moi-même, mais d’une ivresse gaie, une idée machiavélique, et qui satisfaisait tous mes instincts de scepticisme, me traversa la tête.

Je rajustai ma cravate, je pris un air désespéré, et j’allai sonner comme un furieux à la porte du vieux jésuite. Il était sourd ; il me fit attendre. Mais comme j’ébranlais toute la maison à coups de pieds, il parut enfin, en bonnet de coton, à sa fenêtre, et demanda : "Qu’est-ce qu’on me veut ? "

Je criai : « Vite, vite, mon révérend Père, ouvrez-moi, c’est un malade désespéré qui réclame votre saint ministère ! »

Le pauvre bonhomme passa tout de suite un pantalon et descendit sans soutane. Je lui racontai d’une voix haletante, que mon oncle libre penseur, saisi soudain d’un malaise terrible qui faisait prévoir une très grave maladie, avait été pris d’une grande peur de la mort, et qu’il désirait le voir, causer avec lui, écouter ses conseils, connaître mieux les croyances, se rapprocher de l’Eglise, et, sans doute, se confesser, puis communier, pour franchir, en paix avec lui-même, le redoutable pas.

Et j’ajoutai d’un ton frondeur : « Il le désire, enfin. Si cela ne lui fait pas de bien cela ne lui fera pas de mal. »

Le vieux jésuite, effaré, ravi, tout tremblant, me dit : « Attendez-moi une minute, mon enfant, je viens. » Mais j’ajoutai : « Pardon, mon révérend Père, je ne vous accompagnerai pas, mes convictions ne me le permettent point. J’ai même refusé de venir vous chercher ; aussi je vous prierai de ne pas avouer que vous m’avez vu, mais de vous dire prévenu de la maladie de mon oncle par une espèce de révélation. »

Le bonhomme y consentit et s’en alla, d’un pas rapide, sonner à la porte de mon oncle Sosthène. La servante qui soignait le malade ouvrit bientôt ; et je vis la soutane noire disparaître dans cette forteresse de la libre pensée.

Je me cachai sous une porte voisine pour attendre l’événement. Bien portant, mon oncle eût assommé le jésuite, mais je le savais incapable de remuer un bras, et je me demandais avec une joie délirante quelle invraisemblable scène allait se jouer entre ces deux antagonistes ? Quelle lutte ? Quelle explication ? Quelle stupéfaction ? Quel brouillamini ? Et quel dénouement à cette situation sans issue, que l’indignation de mon oncle rendrait plus tragique encore !

Je riais tout seul à me tenir les côtes ; je me répétais à mi-voix : « Ah ! La bonne farce, la bonne farce ! »

Cependant il faisait froid, et je m’aperçus que le jésuite restait bien longtemps. Je me disais : « Ils s’expliquent. »

Une heure passa, puis deux, puis trois. Le révérend Père ne sortait point. Qu’était-il arrivé ? Mon oncle était-il mort de saisissement en le voyant ? Ou bien avait-il tué l’homme en soutane ? Ou bien s’étaient-ils entremangés ? Cette dernière supposition me sembla peu vraisemblable, mon oncle me paraissant en ce moment incapable d’absorber un gramme de nourriture de plus. Le jour se leva.

Inquiet, et n’osant pas entrer à mon tour, je me rappelai qu’un de mes amis demeurait juste en face. J’allai chez lui ; je lui dis la chose, qui l’étonna et le fit rire, et je m’embusquai à sa fenêtre.

A neuf heures, il prit ma place, et je dormis un peu. A deux heures, je le remplaçai à mon tour. Nous étions démesurément troublés.

A six heures, le jésuite sortit d’un air pacifique et satisfait, et nous le vîmes s’éloigner d’un pas tranquille.

Alors honteux et timide, je sonnai à mon tour à la porte de mon oncle. La servante parut. Je n’osai l’interroger, et je montai, sans rien dire.

Mon oncle Sosthène, pâle, défait, abattu, l’oeil morne, les bras inertes, gisait dans son lit. Une petite image de piété était piquée au rideau avec une épingle.

On sentait fortement l’indigestion dans la chambre.

Je dis : « Eh bien, mon oncle, vous êtes couché ? Ca ne va donc pas ? »

Il répondit d’une voix accablée : « Oh ! Mon pauvre enfant, j’ai été bien malade, j’ai failli mourir.

- Comment ça, mon oncle ?

- Je ne sais pas ; c’est bien étonnant. Mais ce qu’il y a de plus étrange, c’est que le père jésuite qui sort d’ici, tu sais, ce brave homme que je ne pouvais souffrir, eh bien, il a eu une révélation de mon état, et il est venu me trouver. »

Je fus pris d’un effroyable besoin de rire. « Ah ! Vraiment ?

- Oui, il est venu. Il a entendu une voix qui lui disait de se lever et de venir parce que j’allai mourir. C’est une révélation. »

Je fis semblant d’éternuer pour ne pas éclater. J’avais envie de rouler par terre.

Au bout d’une minute, je repris d’un ton indigné, malgré les fusées de gaieté : « Et vous l’avez reçu, mon oncle, vous ? un libre penseur ? un franc-maçon ? Vous ne l’avez pas jeté dehors ? »

Il parut confus, et balbutia : « Ecoute donc, c’était si étonnant, si étonnant, si providentiel ! Et puis il m’a parlé de mon père. Il a connu mon père autrefois.

- Votre père, mon oncle ?

- Oui, il paraît qu’il a connu mon père.

- Mais ce n’est pas une raison pour recevoir un jésuite.

- Je le sais bien, mais j’étais malade, si malade ! Et il m’a soigné avec un grand dévouement toute la nuit. Mais vous m’avez dit tout de suite qu’il sortait seulement d’ici.

- Oui, c’est vrai. Comme il s’était montré excellent à mon égard, je l’ai gardé à déjeuner. Il a mangé là auprès de mon lit, sur une petite table, pendant que je prenais une tasse de thé.

- Et... il a fait gras ? »

Mon oncle eut un mouvement froissé, comme si je venais de commettre une grosse inconvenance ; et il ajouta :

« Ne plaisante pas, Gaston, il y a des railleries déplacées. Cet homme m’a été en cette occasion plus dévoué qu’aucun parent ; j’entends qu’on respecte ses convictions. »

Cette fois, j’étais atterré ; je répondis néanmoins : « Très bien, mon oncle. Et après le déjeuner, qu’avez-vous fait ?

- Nous avons joué une partie de bésigue, puis il a dit son bréviaire, pendant que je lisais un petit livre qu’il avait sur lui, et qui n’est pas mal écrit du tout.

- Un livre pieux, mon oncle ?

- Oui et non, ou plutôt non, c’est l’histoire de leur missions dans l’Afrique centrale. C’est plutôt un livre de voyages et d’aventures. C’est très beau ce qu’ils ont fait là, ces hommes. »

Je commençais à trouver que ça tournait mal. Je me levai : « Allons, adieu, mon oncle, je vois que vous quittez la franc-maçonnerie pour la religion. Vous êtes un renégat. »

Il fut encore un peu confus et murmura : « Mais la religion est une espèce de franc-maçonnerie. »

Je demandai : « Quand revient-il, votre jésuite ? « Mon oncle balbutia : « Je... je ne sais pas, peut-être demain... ce n’est pas sûr. »

Et je sortis, absolument abasourdi.

Elle a mal tourné, ma farce ! Mon oncle est converti radicalement. Jusque-là, peu m’importait. Clérical ou franc-maçon, pour moi, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ; mais le pis, c’est qu’il vient de tester, oui, de tester et de me déshériter, monsieur, en faveur du père Jésuite. »

Annexe 3 : Bakounine critique la Franc-Maçonnerie

« Aux compagnons de l’Association Internationale des Travailleurs au Locle et à La Chaux-de-Fonds

Ce 23 février 1869, Neufchâtel

Amis et frères,

Avant de quitter vos montagnes, j’éprouve le besoin de vous exprimer encore une fois, par écrit, ma gratitude profonde pour la réception fraternelle que vous m’avez faite. N’est-ce pas une chose merveilleuse qu’un homme, un Russe, un ci-devant noble, qui jusqu’à cette dernière heure vous a été parfaitement inconnu, et qui a mis pour la première fois le pied dans votre pays, à peine arrivé, se trouve entouré de plusieurs centaines de frères ! Ce miracle ne peut plus être réalisé aujourd’hui que par l’Association Internationale des Travailleurs, et cela par une simple raison : elle seule représente aujourd’hui la vie historique, la puissance créatrice de l’avenir politique et social. Ceux qui sont unis par une pensée vivante, par une volonté et par une grande passion communes, sont réellement frères, lors même qu’ils ne se connaissent pas.

Il y eut un temps où la bourgeoisie, douée de la même puissance de vie et constituant exclusivement la classe historique, offrait le même spectacle de fraternité et d’union aussi bien dans les actes que dans la pensée. Ce fut le plus beau temps de cette classe, toujours respectable sans doute, mais désormais impuissante, stupide et stérile, à l’époque de son plus énergique développement. Elle fut ainsi avant la grande révolution de 1793 ; elle le fut encore, quoique à un moindre degré, avant les révolutions de 1830 et de 1848. Alors, la bourgeoisie avait un monde à conquérir, une place à prendre dans la société, et organisée pour le combat, intelligente, audacieuse, se sentant forte du droit de tout le monde, elle était douée d’une toute-puissance irrésistible : elle seule a fait contre la monarchie, la noblesse et le clergé réunis les trois révolutions.

A cette époque la bourgeoisie aussi avait créé une association internationale, universelle, formidable, la Franc-Maçonnerie.

On se tromperait beaucoup si l’on jugeait de la Franc-Maçonnerie du siècle passé, ou même de celle du commencement du siècle présent, d’après ce qu’elle est aujourd’hui. Institution par excellence bourgeoise, dans son développement, par sa puissance croissante d’abord et plus tard par sa décadence, la Franc-Maçonnerie a représenté en quelque sorte le développement, la puissance et la décadence intellectuelle et morale de la bourgeoisie. Aujourd’hui, descendue au triste rôle d’une vieille intrigante radoteuse, elle est nulle, inutile, quelquefois malfaisante et toujours ridicule, tandis qu’avant 1830 et surtout avant 1793, ayant réuni en son sein, à très peu d’exceptions près, tous les esprits d’élite, les cœurs les plus ardents, les volontés les plus fières, les caractères les plus audacieux, elle avait constitué une organisation active, puissante et réellement bienfaisante. C’était l’incarnation énergique et la mise en pratique de l’idée humanitaire du XVIIIe siècle. Tous ces grands principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de la raison et de la justice humaines, élaborés d’abord théoriquement par la philosophie de ce siècle, étaient devenus au sein de la Franc-Maçonnerie des dogmes politiques et comme les bases d’une morale et d’une politique nouvelles, - l’âme d’une entreprise gigantesque de démolition et de reconstruction. La Franc-Maçonnerie n’a été rien [de] moins, à cette époque, que la conspiration universelle de la bourgeoisie révolutionnaire contre la tyrannie féodale, monarchique et divine. - Ce fut l’Internationale de la Bourgeoisie.

On sait que presque tous les acteurs principaux de la première Révolution ont été des Francs-Maçons, et que lorsque cette Révolution éclata, elle trouva, grâce à la Franc-Maçonnerie, des amis et des coopérateurs dévoués et puissants dans tous les autres pays, ce qui assurément aida beaucoup son triomphe. Mais il est également évident que le triomphe de la Révolution a tué la Franc-Maçonnerie, car la Révolution ayant comblé en grande partie les vœux de la Bourgeoisie en lui ayant fait prendre la place de l’aristocratie nobiliaire, la Bourgeoisie, après avoir été si longtemps une classe exploitée et opprimée, est devenue tout naturellement à son tour la classe privilégiée, exploitante, oppressive, conservatrice et réactionnaire, l’amie et le soutien le plus ferme de l’État. Après le coup d’État du premier Napoléon, la Franc-Maçonnerie était devenue, dans une grande partie du continent européen, une institution impériale.

La Restauration la ressuscita quelque peu. En se voyant menacée du retour de l’Ancien Régime, forcée de céder à l’Église et à la noblesse coalisées la place qu’elle avait conquise par la première révolution, la bourgeoisie était forcément redevenue révolutionnaire. Mais quelle différence entre ce révolutionnarisme réchauffé et le révolutionnarisme ardent et puissant qui l’avait inspirée à la fin du siècle dernier ! Alors la bourgeoisie avait été de bonne foi, elle avait cru sérieusement et naïvement aux droits de l’homme, elle avait été poussée, inspirée par le génie de la démolition et de la reconstruction, elle se trouvait en pleine possession de son intelligence, et dans le plein développement de sa force ; elle ne se doutait pas encore qu’un abîme la séparait du peuple ; elle se croyait, se sentait, elle était réellement la représentante du peuple. La réaction thermidorienne et la conspiration de Babeuf l’ont à jamais privée de cette illusion. - L’abîme qui sépare le peuple travailleur de la bourgeoisie exploitante, dominante et jouissante s’est ouvert, et il ne faut rien [de] moins que le corps de la bourgeoisie tout entière, toute l’existence privilégiée des bourgeois, pour le combler.

Aussi ne fut-ce plus la bourgeoisie tout entière, mais seulement une partie de la bourgeoisie qui se remit à conspirer après la Restauration, contre le régime clérical, nobiliaire et contre les rois légitimes.

Dans ma prochaine lettre, je vous développerai, si vous voulez bien me le permettre, mes idées sur cette dernière phase du libéralisme constitutionnel et du carbonarisme bourgeois.

II.

J’ai dit dans mon article précédent que les tentatives réactionnaires, légitimistes, féodales et cléricales avaient fait revivre l’esprit révolutionnaire de la bourgeoisie, mais qu’entre cet esprit nouveau et celui qui l’avait animée avant 1793, il y avait une différence énorme. Les bourgeois du siècle passé étaient des géants en comparaison desquels les plus osants de la bourgeoisie de ce siècle n’apparaissent que comme des pygmées.

Pour s’en assurer, il n’y a qu’à comparer leurs programmes. Quel a été celui de la philosophie et de la grande révolution du XVIIIe siècle ? Ni plus ni moins que l’émancipation intégrale de l’humanité tout entière ; la réalisation du droit et de la liberté réelle et complète pour chacun, par l’égalisation politique et sociale de tous ; le triomphe de l’humain sur les débris du monde divin ; le règne de la justice et de la fraternité sur la terre. - Le tort de cette philosophie et de cette révolution, c’était de n’avoir pas compris que la réalisation de l’humaine fraternité était impossible, tant qu’il existerait des États, et que l’abolition réelle des classes, l’égalisation politique et sociale des individus ne deviendra possible que par l’égalisation des moyens économiques, d’éducation, d’instruction, du travail et de la vie pour tous. On ne peut reprocher au XVIIIe [siècle] de n’avoir pas compris cela. La science sociale ne se crée et ne s’étudie pas seulement dans les livres, elle a besoin des grands enseignements de l’histoire, et il a fallu faire la révolution de 1789 et de 1793, il a fallu encore passer par les expériences de 1830 et de 1848, pour arriver à cette conclusion désormais irréfragable, que toute révolution politique qui n’a pas pour but immédiat et direct l’égalité économique n’est, au point de vue des intérêts et des droits populaires, qu’une réaction hypocrite et masquée.

Cette vérité si évidente et si simple était encore inconnue à la fin du XVIIIe siècle, et lorsque Babeuf vint poser la question économique et sociale, la puissance de la révolution était déjà épuisée. Mais il ne lui en reste pas moins l’honneur immortel d’avoir posé le plus grand problème qui ait jamais été posé dans l’histoire, celui de l’émancipation de l’humanité tout entière.

En comparaison de ce programme immense, voyons quel fut plus tard le programme du libéralisme révolutionnaire, à l’époque de la Restauration et de la monarchie de Juillet ? La prétendue liberté constitutionnelle, une liberté bien sage, bien modeste, bien réglementée, bien restreinte, toute faite pour le tempérament amoindri d’une bourgeoisie à demi rassasiée et qui, lasse de combats et impatiente de jouir, se sentait déjà menacée, non plus d’en haut, mais d’en bas, et voyait [avec] inquiétude poindre à l’horizon, comme une masse noire, ces innombrables millions de prolétaires exploités, las de souffrir et se préparant aussi à réclamer leur droit.

Dès le début du siècle présent, ce spectre naissant, qu’on a plus tard baptisé du nom de spectre rouge, ce fantôme terrible du droit de tout le monde opposé aux privilèges d’une classe d’heureux, cette justice et cette raison populaire, qui, en se développant davantage, doivent réduire en poussière les sophismes de l’économie, de la jurisprudence, de la politique et de la métaphysique bourgeoises, devinrent, au milieu des triomphes modernes de la bourgeoisie, ses trouble-fête incessants, les amoindrisseurs de sa confiance, de son courage et même de son esprit.

Et pourtant, sous la Restauration, la question sociale était encore à peu près inconnue, ou pour mieux dire, oubliée. Il y avait bien quelques grands rêveurs isolés, tels que Saint-Simon, Robert Owen, Fourier, dont le génie ou le grand cœur avaient deviné la nécessité d’une transformation radicale de l’organisation économique de la société. Autour de chacun [d’eux] se groupaient un petit nombre d’adeptes dévoués et ardents, formant autant de petites églises, mais aussi ignorés que les Maîtres, et n’exerçant aucune influence au dehors. Il y avait eu en outre encore le testament communiste de Babeuf, transmis par son illustre compagnon et ami, Buonarroti, aux prolétaires les plus énergiques, au moyen d’une organisation populaire et secrète. Mais ce n’était alors qu’un travail souterrain, dont les manifestations ne se firent sentir que plus tard, sous la monarchie de Juillet, et qui sous la Restauration ne fut aucunement aperçu par la classe bourgeoise. - Le peuple, la masse des travailleurs restait tranquille et ne revendiquait encore rien pour elle-même.

Il est clair que si le spectre de la justice populaire avait une existence quelconque à cette époque, ce ne pouvait être que dans la mauvaise conscience des bourgeois. D’où venait-elle, cette mauvaise conscience ? Les bourgeois qui vivaient sous la Restauration étaient-ils, comme individus, plus méchants que leurs pères qui avaient fait la Révolution de 1789 et de 1793 ? Pas le moins du monde. C’étaient à peu près les mêmes hommes, mais placés dans un autre milieu, dans d’autres conditions politiques, enrichis d’une nouvelle expérience, et par conséquent ayant une autre conscience.

Les bourgeois du siècle dernier avaient sincèrement cru qu’en s’émancipant eux-mêmes du joug monarchique, clérical et féodal, ils émancipaient avec eux tout le peuple. Et cette naïve et sincère croyance fut la source de leur audace héroïque et de toute leur puissance merveilleuse. - Ils se sentaient unis à tout le monde et marchaient à l’assaut portant en eux la force, le droit [de] tout le monde. Grâce à ce droit et à cette puissance populaire qui s’étaient pour ainsi dire incarnés dans leur classe, les bourgeois du siècle dernier purent escalader et soumettre cette forteresse du pouvoir politique, que leurs pères avaient convoitée pendant tant de siècles. Mais au moment même où il y plantait leur bannière, une lumière nouvelle se faisait dans leur esprit. Dès qu’ils eurent conquis le pouvoir, ils commencèrent à comprendre qu’entre leurs intérêts, ceux de la classe bourgeoise, et les intérêts des masses populaires, il n’y avait plus rien de commun, qu’il y avait au contraire opposition radicale et que la puissance et la prospérité exclusives de la classe des possédants ne pouvaient s’appuyer que sur la misère et sur la dépendance politique et sociale du prolétariat.

Dès lors, les rapports de la bourgeoisie et du peuple se transformèrent d’une manière radicale, et avant même que les travailleurs aient compris que les bourgeois étaient leurs ennemis naturels, encore plus par nécessité que par mauvaise volonté, les bourgeois étaient déjà arrivés à la conscience de cet antagonisme fatal. - C’est ce que j’appelle la mauvaise conscience des bourgeois. »

Annexe 4 : La revue anarchiste Noir & Rouge critique la Franc-Maçonnerie

Quelques extraits :

1) Noir & Rouge n°5 (printemps 1957) : Franc-Maçonnerie et révolution sociale, par Guy Bourgeois :

http://www.la-presse-anarchiste.net...

« Dans le monde actuel, la Franc-Maçonnerie, sous des dehors éthiques voisins, se place, en fait, à l’opposé total de la conception révolutionnaire des anarchistes. Ainsi, la loge est le laboratoire du régime démocratique bourgeois et c’est est elle qui le fait évoluer. Nous assistons ici au triomphe total de l’idéologie réformiste. Il ne fait pas de doute que ce sont les partis sociaux-démocrates qui sont les meilleurs véhicules de la pensée maçonnique. […]

La majorité des syndicats d’aujourd’hui ont abandonné le principe de la « suppression du patronat et du salariat ». Ils sont devenus des associations corporatistes tendant à défendre les intérêts ouvriers dans le cadre du régime. Ce premier principe fut énoncé par les papes. La bourgeoisie, aussi bien maçonne que cléricale, vise à empêcher que la classe ouvrière soit le moteur de la Révolution qui détruirait l’exploitation de l’homme par l’homme. Dans l’offensive contre-révolutionnaire, la Franc-Maçonnerie se rencontre avec l’Église. […]

On nous objectera que la Franc-Maçonnerie est laïque et que le Grand Orient de France admet la liberté totale de pensée depuis 1877. C’est cette conception de « laïcité » qui fait nommer le Grand Orient, la « Franc-Maçonnerie progressiste », par ses membres et ceux qui la soutiennent. Nous n’avons cité que des textes du Grand-Orient et cela a été volontaire. Car, il existe une autre Franc-Maçonnerie qui admet les dogmes, qui refuse à ses membres la liberté de pensée, qui se ferme aux athées et qui exige, dans le meilleur des cas une profession de foi spiritualiste de ses adeptes. Elle est représentée en France par la GRANDE LOGE DE FRANCE. Il existe en Écosse, en Angleterre et aux États-Unis, des loges encore plus réactionnaires que la GRANDE LOGE. Il n’est pas douteux que ces « obédiences » servent de véhicule à la pensée et à la politique cléricale dans le monde. On annonçait récemment que les loges de Suisse et de Hollande se laissaient noyauter au point d’obtenir la suppression du Congrès Mondial de la « Libre-Pensée » qui devait se tenir à Amsterdam en 1956. Le principal objectif de ce noyautage est de faire cesser partout où cela est possible, la propagande anticléricale. Sur le plan de la loge elle-même, cela correspond aux méthodes suivantes :

1. Obligation de travailler à la gloire du Grand Architecte de l’Univers (ce qui signifie à la gloire de Dieu ? Qu’est-ce à dire ?)

2. Le serment d’admission doit être prêté sur les Trois Grandes Lumières dont la première est la Bible.

3. Les loges n’accepteront que des hommes et s’en tiendront aux anciennes et vénérables coutumes et devoirs maçonniques.

Voilà qui est clair !

Dans une brochure du GRAND ORIENT intitulée « DIEUX ET RELIGIONS », publiée en 1954, il est dit des loges spiritualistes :

« Notre blâme ne saurait jamais se muer en hostilité. Les obédiences les moins parfaites représentent encore, dans leur pays, un ferment puissant de progrès en regard des préjugés populaires qui les entourent. Bien que partiellement émasculées, elles contribuent efficacement, cependant, à l’apostolat de concorde universelle. Nous respectons ce qu’il a généralement d’humain dans les religions organisées qui nous combattent ; à plus forte raison, nous respectons les efforts et les réussites des puissances maçonniques encore insuffisamment universalisées. En vue de la Concorde générale, nous sommes toujours prêts à nous associer à toutes les autres puissances maçonniques. Nous ne divisons pas, nous unissons. »

C’est on ne peut plus clair ! L’effort du Grand Orient pour lutter contre le noyautage ne va pas loin, de son propre aveu. Il préférera toujours l’alliance avec une loge réactionnaire au respect d’un principe. Et cela, au nom de la TOLÉRANCE et de la fameuse « laïcité ». Il nous faut dire (et une autre étude de ce numéro le fait abondamment sur un autre plan), combien cette conception nous paraît fausse. Il est impossible d’être tolérant avec les tenants des religions, sous peine de se voir très vite battu. Le propre de l’homme religieux est d’être sûr de posséder la vérité et de vouloir l’imposer. Partant, toute discussion ou travail en commun sont forcément faussés au départ. Sur le plan politique, c’est s’exposer à faire le jeu de la religion et finalement des églises. Car, le Grand Orient va beaucoup plus loin dans la conclusion de la brochure citée :

« Vous avez compris que je sais la RELIGION NÉCESSAIRE à certains frères et que j’ai pour ces frères autant d’estime et d’affection que pour les autres à qui aucune religion n’est utile. Avant d’entrer à la Franc-Maçonnerie, j’étais volontiers intolérant. Lentement, obstinément, l’esprit maçonnique m’a pénétré et m’a fait réfléchir plus profondément. Je sais que la Concorde Universelle ne peut être bâtie que sur l’union de tous dans le respect de leurs aspirations profondes, c’est-à-dire sur une tolérance et une laïcité parfaites. »

Ceci nous amène à parler de la laïcité. Si le Cléricalisme est devenu si puissant dans notre pays, si la Réaction et le Fascisme relèvent la tête, c’est, avant tout, parce que l’Église a pu impunément poursuivre son travail politique. Nous parlions, dans notre étude sur le « Cléricalisme », de l’erreur fondamentale des partis marxistes qui défendent le principe de la « main tendue » aux catholiques sous prétexte que, selon leurs dires et leurs illusions, la religion s’effondrera d’elle-même avec le Capitalisme. Dans cette complicité objective avec l’Église, il faut placer une certaine conception de la « laïcité » qui prétend n’être que le synonyme de « neutralité ». « On peut être laïque et bon chrétien » nous dira-t-on. On donnera la parole aux cléricaux dans les réunions du syndicat national des instituteurs. On considérera les chrétiens dits de « gauche » comme révolutionnaires, et l’Église qui joue sur tous les tableaux y trouvera son compte. C’est ici que la Franc-Maçonnerie a encore joué un rôle liquéfiant sur les organisations ouvrières. Pour nous, la LAÏCITÉ ne saurait être qu’un combat qui se situe dans le contexte plus général du combat de classe contre les exploiteurs. Nous irons plus loin et affirmerons que les loges entretiendraient dans leur sein le germe de l’esprit d’exploitation et de résignation pour les exploités, si les révolutionnaires avaient la faiblesse de ne pas dénoncer leur rôle néfaste qui s’inscrit, on le voit, de plus en plus dans le jeu réactionnaire et dans le soutien du régime bourgeois. Et nous avons le droit d’être inquiets lorsque nous apprenons que dans un certain département, il existe un accord total entre l’évêque du lieu et le Vénérable de la Loge. Tout s’arrange (paraît-il) en famille ! Et les francs-maçons de l’endroit ont même saboté une conférence antireligieuse. D’autres faits de ce genre pourraient sans doute être cités… Le noyautage semble réussir. Au cours d’assemblées faites sur le plan régional, un orateur du Grand Orient révéla qu’un Concordat entre la France et le Vatican était imminent. Et certains « frères » présents eurent la stupeur d’entendre des phrases comme : « Nous sommes vaincus », « il faut se faire une raison, etc. »

Ces points nous paraissent suffisants pour estimer que le Grand Orient ne pourra pas échapper au noyautage clérical. Mieux, dans son action actuelle, il fait déjà, en fait, le jeu de l’Église.

Nous avons vu que la Franc-Maçonnerie, même prétendue progressiste est en fait une organisation qui tend, comme toutes les autres organisations réformistes, à faire le jeu de la Réaction tout court. La position idéologique de l’Église qui sait s’adapter étant finalement, la position réformiste la plus cohérente, la Franc-Maçonnerie ne peut que, volontairement ou involontairement, entrer dans son jeu. Comme c’est l’Église qui fournit la matière idéologique de la pensée de « droite », tout se tient et la Franc-Maçonnerie tend et tendra de plus en plus à devenir elle-même une organisation de droite.

La seule question qui reste en suspens est de savoir si on pourrait empêcher la F.M. de s’embourgeoiser, en un mot, s’il nous était possible de suivre la démarche du camarade LORULOT qui en 1935 estimait la chose souhaitable. Ce serait, en fin de compte, une opération dangereuse qui, pour se réaliser supposerait une refonte des principes organisationnels et même de l’éthique. En fait, ce serait mettre la Franc-Maçonnerie elle-même en question. C’est finalement ce que nous faisons dans ce présent numéro. »

2) Noir & Rouge n°5 (printemps 1957) : Franc-Maçonnerie et mouvement libertaire, par Bourgeois (Guy)

« Quel est donc le principe fondamental de la Franc-Maçonnerie ? On lit dans la brochure no 2 du Foyer philosophique (cycle 54—55), sous la plume d’un membre du Grand Collège des Rites : « la mission essentielle de la Franc-Maçonnerie a été définie avec précision lors de sa fondation. Son but est d’assurer la concorde entre les hommes ; elle rejette ce qui divise et veut ce qui unit. Sa méthode est d’assembler en toute cordialité, afin qu’ils se connaissent, s’estiment et se pénètrent, tous les hommes de haute valeur morale qui, en raison de leurs divergences spirituelles, ou de leur état social (c’est nous qui soulignons) se seraient sans elle, ignorés ou méconnus. »

Il résulte de cette déclaration que la Franc-Maçonnerie veut ignorer la condition sociale de ses membres. Ce qui signifie qu’elle veut ignorer l’existence des classes sociales. Un ouvrier peut être aussi bien franc-maçon qu’un banquier et pourquoi pas, un préfet de police. Certes, les grands tenants du régime économique sont plutôt cléricaux, mais, le général Joffre a été franc-maçon et, plus près de nous, M. Baylot, Préfet de Police de triste mémoire, qui faisait matraquer les ouvriers. Il nous est permis de sourire quand nous apprenons par la déclaration du Grand Orient que ces gens : « les plus opposés et aux religions les plus diverses » se réunissent dans les Loges : « pour y travailler EN COMMUN à l’émancipation de l’esprit humain, à l’indépendance des peuples, et AU BONHEUR SOCIAL DE L’HUMANITÉ. » !

Imaginons maintenant un militant anarchiste membre d’une Loge. Il y rencontre par exemple M. Ramadier. Il l’appelle son « frère » et le combat à l’extérieur dans son action anarchiste (toujours au nom de la liberté de penser évidemment). Voilà, tout de même, une curieuse attitude, car nous lisons dans la déclaration de principes : « la Franc-Maçonnerie recommande à ses adeptes la propagande par l’exemple, la parole et les écrits. » De quelle propagande s’agit-il ? De quels écrits ?

Mais soyons clairs : « la Franc-Maçonnerie (nous dit encore le Grand Orient) a pour objet la recherche de la Vérité, l’étude de la Morale et la pratique de la solidarité. » Quels sont les résultats pratiques de cette recherche de la Vérité ? Notre anarchiste-franc-maçon estimera ne pas posséder à lui tout seul la vérité et il aura raison. Mais il se trouve que lorsqu’il rencontrera les tenants des idéologies bourgeoises ou des membres de partis réformistes, le résultat de la discussion qui se traduira en résolution parvenant au Convent des Loges sera l’expression de la Vérité relative prêchée par la Franc-Maçonnerie. Cette expression de vérité à laquelle il aura participé sera OBLIGATOIREMENT un compromis. Il ne pourra à aucun moment mettre le régime en question.

La présence d’un militant révolutionnaire dans une Loge peut-elle cependant se justifier ? Il existe, en effet, d’autres organisations qui n’ont pas pour principe premier la transformation sociale par la Révolution et où les anarchistes révolutionnaires peuvent aller et faire valoir loyalement leurs idées. Il en est ainsi des syndicats, des Auberges de Jeunesse, de la Libre Pensée etc. Pourquoi, ne pourrait-on pas faire de même dans les Loges où la liberté de pensée est respectée ? Parce que la Loge n’a pas un but défini et que les idées d’un anarchiste ne sont destinées qu’à une élaboration en vue justement de cette fameuse Vérité maçonnique. Un mien ami, franc-maçon notoire me disait : « Ce n’est pas la Franc-Maçonnerie qui t’apportera quelque chose, c’est toi qui peut lui apporter. » Nous connaissons l’histoire. Vous vous plaigniez que la Franc-Maçonnerie n’est plus révolutionnaire, venez-y et vous la changerez ! À ce compte, nous irions aussi au Parti Socialiste et pourquoi pas dans l’Église. Reste à savoir s’il y a des institutions qu’il est utile de sauver. Il se trouve que nous avons assez de cette forme de raisonnement où il n’y a pas un seul exemple de réussite. Ceci ne signifie pas que nous suspectons la bonne foi de certains camarades anarchistes d’autres tendances que la nôtre qui sont francs-maçons dans cet esprit.

Quand un individu se rend dans une assemblée pour y défendre ses idées on peut penser, en bonne logique, surtout s’il est de bonne foi, qu’il convaincra les autres ou se laissera convaincre par les autres. Le Grand Orient définit ainsi ce fait : « Chacun apporte dans les discussions en commun et dans la conduite de sa vie les principes qui lui sont personnels. Il les modifie s’il le juge bon dans la seule mesure où ils s’écartent de la Vérité qu’une connaissance plus étendue et les faits plus nombreux lui présentent. » Du strict point de vue éthique nous n’avons rien à redire à ce principe. Cependant, étant donné la composition d’une Loge, cela signifie que l’anarchiste sincère qui en est membre ABANDONNERA tout ou une partie de ses idées et de sa lutte s’il a été influencé par d’autres, de tendances réformistes par exemple. Étant donné le devoir premier d’un maçon qui est « puiser directement à cette source pour les répandre dans le monde », loin de quitter le mouvement anarchiste dont il devrait reconnaître les principes opposés à sa nouvelle conception (ce qui serait la véritable honnêteté tant prônée par les maçons), il transmet tout cela au Mouvement Libertaire. C’est à notre point de vue, comme cela qu’il faut expliquer les tendances affaiblissantes que l’on constate dans le Mouvement anarchiste en général et français en particulier. On se trouve en face de certains camarades qui professent en lieu et place de la doctrine et des principes révolutionnaires un vague humanisme qui risque souvent d’être très complaisant aux divers réformismes qui font le jeu du régime d’exploitation.

Si nous nous trompons : qu’on nous explique pourquoi des penseurs anarchistes éminents, tels Sébastien Faure, n’ont jamais consacré leur talent à la lutte sociale RÉELLE et se sont contentés d’être des tribuns, utiles certes à notre cause, mais nullement engagés dans la lutte ouvrière et syndicale ! Il est juste de dire que Sébastien Faure, homme intègre et militant anarchiste authentique, se retira de la Franc-maçonnerie au cours des dernières années de sa vie. »

3) Dans la même revue, cet article de Jacques :

« Il ne fait aucun doute, bien que la Franc-Maçonnerie n’exige de ses membres aucune profession de foi, que l’origine spirituelle de l’alliance maçonnique est de nature chrétienne et plus spécialement johannite.

À partir de ce johannisme primitif, une double orientation s’est produite, pour l’Église, déviation vers le « pétrisme », pour la Franc-Maçonnerie, déviation vers le Rationalisme. Nous pouvons situer exactement le problème en disant que la Franc-Maçonnerie - quelque soit les obédiences - représente l’aspect ÉSOTÉRIQUE DES RELIGIONS, tandis que l’Église représente l’aspect EXOTÉRIQUE. De là, il est parfaitement compréhensible que la lutte entre Franc-Maçonnerie et Église ne peut être que formelle ; il s’agit uniquement d’une opposition de technique religieuse, dont l’une cherche à dominer l’autre. Nous croyons pouvoir avancer que le jour n’est plus loin ou l’Église et la Franc-Maçonnerie se seront complètement avalées chacune par leur propre queue humaniste (les GRANDES LOGES en sont un signe). Processus inévitable quant aux visées intégratistes syncrétistes de la F.M. Nous sommes au bord terminal, à l’échelle des civilisations, de celle que nous nommons chrétienne, situation extrême où la Franc-Maçonnerie parachève l’assimilation des signes du dernier mythe en cours (mythe christique). Le danger de la Franc-Maçonnerie réside dans ce mécanisme car sa forme d’action occulte imprégnée de cet esprit christique, reporte sur l’avenir les notions mêmes de cet esprit. Il est insuffisant d’éliminer l’aspect formel de la société que nous combattons, il faut en arracher les racines. À cet égard, il s’agit donc bien d’extirper les notions qui forment l’Humanisme issu de la collusion Église-Franc-Maçonnerie. Toute option contraire fausse les rapports de la lutte de laquelle seule doit sortir notre morale, et détruit tout avenir.

À l’intention des lecteurs qui pourraient admettre que, précisément, l’orientation rationaliste de certaines loges (GRAND ORIENT, obédience dont on connaît les protestations antireligieuses) serait un signe par lequel elles pourraient être favorables à nos idées, rappelons que la doctrine maçonnique rationaliste n’a rien changé au fond de ses principes ; qu’elle ait reporté le non du GRAND ARCHITECTE sur celui de l’Humanité, le fond reste le même. N’importe quel texte maçonnique en est la preuve renouvelée. »

Annexe 5 : Le marxisme contre la franc-maçonnerie, texte Publié dans la Revue Internationale,

Organe du Courant Communiste International (CCI) Octobre 2005

http://fr.internationalism.org/rint...

Extraits :

« C’est suite à l’exclusion d’un de ses militants que le CCI a été amené à approfondir ce quelles furent les positions des révolutionnaires face à l’infiltration de la franc-maçonnerie au sein du mouvement ouvrier. En effet, pour justifier la fondation d’un réseau d’ « initiés » au sein de l’organisation, cet ex-militant distillait l’idée selon laquelle sa passion pour les idéologies ésotériques et les « connaissances secrètes » permettait une meilleure compréhension de l’histoire, allant « au-delà » du marxisme. Il affirmait également que de grands révolutionnaires comme Marx et Rosa Luxemburg connaissaient l’idéologie franc-maçonne, ce qui est vrai, mais il laissait entendre qu’eux-mêmes étaient peut-être aussi francs-maçons. Face à ce type de falsifications éhontées visant à dénaturer le marxisme, il est nécessaire de rappeler le combat sans merci mené depuis plus d’un siècle par les révolutionnaires contre la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes qu’ils considéraient comme des instruments au service de la classe bourgeoise.

[…

En combattant la bourgeoisie avec sa fascination du caché et du mystère, Marx et Engels montrèrent que le prolétariat est l’ennemi de toute politique de secret et de mystification quelle qu’elle soit. A l’opposé du travailliste britannique Urquhart – dont la lutte pendant près de 50 ans contre les politiques secrètes de la Russie dégénéra en une « doctrine ésotérique secrète » d’une diplomatie russe « toute puissante » comme le « seul facteur actif de l’histoire moderne » (Engels) –, le travail des fondateurs du marxisme sur cette question fut toujours basé sur une approche matérialiste, scientifique et historique. Cette méthode démasqua l’ « ordre jésuite » caché de la Russie et de la diplomatie occidentale et démontra que les sociétés secrètes des classes dominantes étaient le produit de l’absolutisme et des « lumières » du 18e siècle, pendant lequel la royauté imposa une collaboration entre la noblesse déclinante et la bourgeoisie ascendante.

L’ « internationale artistocratique-bourgeoise des lumières » à laquelle se référait Engels dans ses articles sur la politique étrangère tsariste, fournit aussi la base sociale pour la franc-maçonnerie qui surgit en Grande-Bretagne, le pays classique du compromis entre l’aristocratie et la bourgeoisie. Alors que l’aspect bourgeois de la franc-maçonnerie attira beaucoup de révolutionnaires bourgeois au 18e et au début du 19e siècle, particulièrement en France et aux Etats-Unis, son caractère profondément réactionnaire en fit très tôt une arme surtout dirigée contre la classe ouvrière. Ce fut le cas après le soulèvement socialiste de la classe ouvrière qui poussa rapidement la bourgeoisie à abandonner l’athéisme matérialiste de sa propre jeunesse révolutionnaire. Dans la seconde moitié du 19e siècle, la franc-maçonnerie européenne, qui avait été surtout jusque là le divertissement d’une aristocratie qui s’ennuyait parce qu’elle avait perdu sa fonction sociale, devint de plus en plus un bastion du nouvel athéisme anti-matérialiste de la bourgeoisie dirigé essentiellement contre le mouvement ouvrier. Au sein du mouvement maçonnique, toute une série d’idéologies se développèrent contre le marxisme, idéologies qui devaient devenir plus tard le dénominateur commun des mouvements contre-révolutionnaires du 20e siècle.

Selon une de ces idéologies, le marxisme lui-même était une création de l’aile « illuminée » de la franc-maçonnerie allemande contre laquelle les « vrais » francs-maçons devaient se mobiliser. Bakounine, lui-même franc-maçon actif, fut le père d’une autre de ces allégations que le marxisme était une « conspiration juive » : « Tout ce monde juif, comprenant une seule secte dominante, une espèce de gens suceurs de sang, une sorte de parasite collectif, destructif, organique, qui va au-delà non seulement des frontières des Etats mais aussi des opinions politiques, ce monde est maintenant, au moins pour sa plus grande partie, à la disposition de Marx d’un côté, et de Rothschild de l’autre (...) Ceci peut paraître étrange. Que peut-il y avoir de commun entre le socialisme et une grande banque ? Le point est que le socialisme autoritaire, le communisme marxiste, exige une forte centralisation de l’Etat. Et là où il y a centralisation de l’Etat, il doit nécessairement y avoir une banque centrale, et là où existe une telle banque on trouvera la nation juive parasite spéculant avec le Travail du peuple. »[55]

Au contraire de la vigilance des 1re, 2e et 3e Internationales sur ces questions, une partie importante du milieu révolutionnaire actuel se contente d’ignorer ce danger ou de railler la prétendue vision « machiavélique » de l’histoire du CCI. Cette sous-estimation, liée à une ignorance évidente d’une partie importante de l’histoire du mouvement ouvrier, est le résultat de 50 ans de contre-révolution, qui ont interrompu la transmission de l’expérience organisationnelle marxiste d’une génération à l’autre. Cette faiblesse est d’autant plus dangereuse que l’utilisation au cours de ce siècle des sectes et idéologies mystiques a atteint des dimensions allant beaucoup plus loin que la simple question de la franc-maçonnerie posée dans la phase ascendante du capitalisme.

Ainsi, la majorité des sociétés secrètes anti-communistes, qui furent créées entre 1918 et 1923 contre la révolution allemande, n’avaient pas toute leur origine dans la franc-maçonnerie mais furent montées de toutes pièces par l’armée, sous le contrôle d’officiers démobilisés. En tant qu’instruments directs de l’Etat capitaliste contre la révolution communiste, elles furent démantelées dès que le prolétariat fut défait. De même, depuis la fin de la contre-révolution à la fin des années 1960, la franc-maçonnerie classique n’est qu’un aspect de tout un dispositif de sectes religieuses, ésotériques, racistes, aux idéologies, qui déclarent la guerre au matérialisme et au concept de progrès historique, avec une influence considérable dans les pays industrialisés. Ce dispositif constitue une arme supplémentaire de la bourgeoisie contre la classe ouvrière.

La Première Internationale contre les sociétés secrètes.

Déjà la Première Internationale a été la cible d’attaques enragées de la part de l’occultisme. Les adeptes du mysticisme catholique des carbonaristes et du mazzinisme étaient des adversaires déclarés de l’Internationale. A New York, les adeptes de l’occultisme de Virginia Woodhull essayèrent d’introduire le féminisme, l’ « amour libre » et les « expériences parapsychologiques » dans les sections américaines. En Grande-Bretagne et en France, les loges maçonniques de l’aile gauche de la bourgeoisie, appuyées par les agents bonapartistes, organisèrent une série de provocations visant à discréditer l’Internationale et à permettre l’arrestation de ses membres, ce qui obligea le Conseil Général à exclure Pyat et ses partisans, et à les dénoncer publiquement. Mais le plus grand danger est venu de l’Alliance de Bakounine, une organisation secrète dans l’Internationale qui, avec les différents niveaux d’ « initiation » de ses membres « aux secrets » et avec ses méthodes de manipulation (le Catéchisme révolutionnaire de Bakounine) reproduisait exactement l’exemple de la franc-maçonnerie. On connaît bien l’énorme engagement que Marx et Engels ont manifesté pour repousser ces attaques, pour démasquer Pyat et ses partisans bonapartistes, pour combattre Mazzini et les actions de Woodhull, et par-dessus tout pour mettre à nu le complot de l’Alliance de Bakounine contre l’Internationale (voir la Revue Internationale n °84 et 85). La pleine conscience qu’ils avaient de la menace que constitue l’occultisme se retrouve dans la résolution proposée par Marx lui-même, adoptée par le Conseil général, sur la nécessité de combattre les sociétés secrètes.

A la conférence de Londres de L’AIT, en septembre 1871, Marx (1818-1883) insistait sur le fait que « ce type d’organisation se trouve en contradiction avec le développement du mouvement prolétarien, à partir du moment où ces sociétés, au lieu d’éduquer les ouvriers, les soumettent à leur lois autoritaires et mystiques qui entravent leur indépendance et entraînent leur conscience dans une fausse direction. » (Marx-Engels, Oeuvres)

La bourgeoisie aussi a essayé de discréditer le prolétariat à travers les allégations des médias suivant lesquelles l’Internationale et la Commune de Paris auraient toutes deux été organisées par une direction secrète de type maçonnique. Dans une interview au journal The New York World, qui suggérait que les ouvriers étaient les instruments d’un « conclave » d’audacieux conspirateurs présents au sein de la Commune de Paris, Marx déclarait :

« Cher monsieur, il n’y a pas de secret à éclaircir... à moins que ce ne soit le secret de la stupidité humaine de ceux qui ignorent obstinément le fait que notre Association agit en public, et que des rapports développés de nos activités sont publiés pour tous ceux qui veulent les lire. »

La Commune de Paris, selon la logique du World, « pourrait également avoir été une conspiration des francs-maçons car leur contribution n’a pas été petite. Je ne serais vraiment pas étonné si le pape venait à leur attribuer toute la responsabilité de l’insurrection. Mais envisageons une autre explication. L’insurrection de Paris a été faite par les ouvriers parisiens. »

Le combat contre le mysticisme dans la Deuxième Internationale.

Avec la défaite de la Commune de Paris et la mort de l’Internationale, Marx et Engels ont appuyé le combat pour soustraire de l’influence de la franc-maçonnerie des organisations ouvrières dans des pays comme l’Italie, l’Espagne ou les Etats-Unis (les « Chevaliers du Travail »). La Deuxième Internationale, fondée en 1889, était, au début, moins vulnérable que la précédente à l’infiltration occultiste, car elle avait exclu les anarchistes. L’ouverture même du programme de la Première Internationale avait permis à des « éléments déclassés de s’y faufiler et d’établir, en son coeur même, une société secrète dont les efforts, au lieu d’être dirigés contre la bourgeoisie et les gouvernements existants, l’étaient contre l’Internationale elle-même. » (Rapport sur l’Alliance au congrès de La Haye, 1872) Alors que la Deuxième Internationale était moins perméable sur ce plan, les attaques ésotériques commencèrent, non pas au moyen d’une infiltration organisationnelle, mais à travers une offensive idéologique contre le marxisme.

A la fin du 19e siècle, la franc-maçonnerie allemande et autrichienne se vantait d’avoir réussi à libérer les universités et les cercles scientifiques du « fléau du matérialisme ». Avec le développement des illusions réformistes et de l’opportunisme dans le mouvement ouvrier, au début du siècle, c’est à partir de ces scientifiques d’Europe centrale que le mouvement bernsteinien adopta « la découverte » du « dépassement du marxisme » par l’idéalisme et l’agnosticisme néo-kantien. Dans le contexte de la défaite du mouvement prolétarien en Russie après 1905, la maladie de la « construction de Dieu » pénétra jusque dans les rangs du bolchevisme, d’où elle fut néanmoins rapidement éradiquée. Au sein de l’Internationale comme un tout, la gauche marxiste développa une défense héroïque et brillante du socialisme scientifique, sans pour autant être capable de stopper l’avancée de l’idéalisme, si bien que la franc-maçonnerie commença à gagner des adeptes dans les rangs des partis ouvriers. Jaurès, le fameux leader ouvrier français, défendait ouvertement l’idéologie de la franc-maçonnerie contre ce qu’il appelait « l’interprétation économiste pauvre et étroitement matérialiste de la pensée humaine » du révolutionnaire marxiste Franz Mehring. Dans le même temps, le développement de l’anarcho-syndicalisme en réaction au réformisme ouvrit un nouveau champ pour le développement d’idées réactionnaires, parfois mystiques, basées sur les écrits de philosophes comme Bergson, Nietzsche (celui-ci s’étant qualifié lui-même de « philosophe de l’ésotérisme ») ou Sorel. Cela, en retour, affecta des éléments anarchistes au sein de l’Internationale comme Hervé en France ou Mussolini en Italie qui, à l’éclatement de la guerre, s’en allèrent rejoindre les organisations de l’extrême-droite de la bourgeoisie. Les marxistes tentèrent en vain d’imposer une lutte contre la franc-maçonnerie dans le parti français, ou d’interdire aux membres du parti en Allemagne une « seconde loyauté » pour ce type d’organisations.

Mais, dans la période d’avant 1914, ils ne furent pas assez forts pour imposer des mesures organisationnelles semblables à celles que Marx et Engels avaient fait adopter dans l’AIT.

La Troisième Internationale contre la franc-maçonnerie.

Déterminé à surmonter les faiblesses organisationnelles de la deuxième internationale qui favorisèrent sa faillite en 1914, le Komintern a lutté pour l’élimination totale des éléments « ésotériques » de ses rangs. En 1922, face à la l’infiltration au sein du Parti communiste français d’éléments appartenant à la franc-maçonnerie et qui ont gangrené le parti dès sa fondation au congrès de Tours, le 4e congrès de l’Internationale Communiste, dans sa « Résolution sur la question française » devait réaffirmer les principes de classe dans les termes suivants : « L’incompatibilité de la franc-maçonnerie et du socialisme était considérée comme évidente dans la plupart des partis de la Deuxième Internationale (...) Si le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste n’a pas formulé, dans les conditions d’adhésion à l’Internationale, de point spécial sur l’incompatibilité du communisme et de la franc-maçonnerie, c’est parce que ce principe a trouvé sa place dans une résolution séparée votée à l’unanimité du Congrès. Le fait, qui s’est révélé d’une façon inattendue au 4e Congrès de l’Internationale Communiste, de l’appartenance d’un nombre considérable de communistes français aux loges maçonniques est, aux yeux de l’Internationale Communiste, le témoignage le plus manifeste et en même temps le plus pitoyable que notre Parti français a conservé, non seulement l’héritage psychologique de l’époque du réformisme, du parlementarisme et du patriotisme, mais aussi des liaisons tout à fait concrètes, extrêmement compromettantes pour la tête du Parti, avec les institutions secrètes, politiques et carriéristes de la bourgeoisie radicale (...) L’Internationale considère comme indispensable de mettre fin, une fois pour toutes, à ces liaisons compromettantes et démoralisatrices de la tête du Parti Communiste avec les organisations politiques de la bourgeoisie. L’honneur du prolétariat de France exige qu’il épure toutes ses organisations de classe des éléments qui veulent appartenir à la fois aux deux camps en lutte. Le Congrès charge le Comité Directeur du Parti Communiste français de liquider avant le 1er janvier 1923 toutes les liaisons du Parti, en la personne de certains de ses membres et de ses groupes, avec la franc-maçonnerie. Celui qui, avant le 1er janvier, n’aura pas déclaré ouvertement à son organisation et rendu publique par la presse du Parti sa rupture complète avec la franc-maçonnerie est, par là-même, automatiquement exclu du Parti communiste sans droit d’y jamais adhérer à nouveau, à quelque moment que ce soit. La dissimulation par quiconque de son appartenance à la franc-maçonnerie sera considérée comme pénétration dans le Parti d’un agent de l’ennemi et flétrira l’individu en cause d’une tache d’ignominie devant tout le prolétariat. »

Au nom de l’internationale, Trotsky dénonça l’existence de liens entre la « franc-maçonnerie et les institutions du parti, le comité de rédaction, le comité central » en France. « La ligue des droits de l’homme et la franc-maçonnerie sont des instruments de la bourgeoisie qui font diversion à la conscience des représentants du prolétariat français. Nous déclarons une guerre sans pitié à ces méthodes car elles constituent une arme secrète et insidieuse de l’arsenal bourgeois. On doit libérer le parti de ces éléments. » (Trotsky, La voix de l’Internationale : le mouvement communiste en France) De façon similaire, le délégué du Parti communiste allemand (KPD) au 3e congrès du Parti Communiste italien à Rome, en se référant aux thèses sur la tactique communiste soumises par Bordiga et Terracini, affirmait : « Le caractère irréconciliable évident entre l’appartenance simultanée au Parti Communiste et à un autre Parti, s’applique, en dehors de la pratique politique, aussi à ces mouvements qui, en dépit de leur caractère politique, n’ont pas le nom ni l’organisation d’un parti (...) on trouve ici en particulier la franc-maçonnerie. » (« Les thèses italiennes », Paul Butcher dans L’Internationale, 1922) Le développement vertigineux des sociétés secrètes dans la décadence capitaliste.

[…]

Déjà, le deuxième congrès mondial de l’Internationale communiste, en 1920, avait adopté une motion du parti italien contre les francs-maçons, motion qui officiellement ne faisait pas partie des « 21 conditions » pour adhérer à l’internationale mais qui officieusement était connue comme la 22e condition. En fait, les fameuses 21 conditions d’août 1920 obligèrent toutes les sections de l’Internationale à organiser des structures clandestines pour protéger l’organisation face à l’infiltration, pour faire des investigations en direction des activités de l’appareil illégal contre-révolutionnaire de la bourgeoisie. Elles les amenèrent également à soutenir le travail centralisé internationalement qui était dirigé contre les actions politiques et répressives du capital. Le troisième congrès en juin 1921 adopta des principes destinés à mieux protéger l’Internationale contre les informateurs et agents provocateurs, par l’observation systématique des activités, officielles et secrètes, de la police, de l’appareil paramilitaire, des francs-maçons, etc. Un comité spécial, l’OMS, fut créé pour coordonner internationalement ce travail. Le KPD, par exemple, publiait régulièrement des listes d’agents provocateurs et d’informateurs de la police exclus de ses rangs, avec leur photo et la description de leurs méthodes. « D’août 1921 à août 1922 le département d’information démasqua 124 informateurs, agents provocateurs et escrocs. Soit ils avaient été envoyés dans le KPD par la police ou des organisations de droite, soit ils avaient espéré exploiter financièrement le KPD pour leur propre compte. » Des brochures furent préparées sur cette question. Le KPD découvrit aussi qui avait tué Liebknecht et Luxemburg, publia les photos des assassins et demanda l’aide de la population pour les pourchasser. Une organisation spéciale fut créée pour défendre le parti contre les sociétés secrètes et les organisations paramilitaires de la bourgeoisie. Ce travail incluait des actions spectaculaires. Ainsi, en 1921, des membres du KPD, déguisés en policiers, perquisitionnèrent les locaux d’un bureau de l’armée blanche russe à Berlin et confisquèrent les papiers. Des attaques surprises furent menées contre les bureaux secrets de la criminelle « Organisation Consul ». Et surtout, le Kominterm alimentait régulièrement toutes les organisations ouvrières en avertissements concrets et en informations sur les experts du bras occulte de la bourgeoisie afin de l’anéantir.

Après 1968 : la renaissance des manipulations occultes contre le prolétariat.

Avec la défaite de la révolution communiste après 1923, le réseau secret anti-prolétarien de la bourgeoisie fut soit dissout soit affecté à d’autres tâches par l’Etat. En Allemagne, beaucoup de ces éléments furent plus tard intégrés dans le mouvement nazi. Mais quand les luttes ouvrières massives de 1968 en France mirent fin à 50 ans de contre-révolution et ouvrirent une nouvelle période de développement de la lutte de classe, la bourgeoisie commença à réactiver son appareil caché anti-prolétarien. En mai 1968 en France, « le Grand Orient salua avec enthousiasme le magnifique mouvement des étudiants et des ouvriers et envoya de la nourriture et des médicaments à la Sorbonne occupée. » Ce « salut » n’était qu’hypocrisie. Dès après 1968, en France, la bourgeoisie va mettre en branle ses sectes « néo-templières », « rosicruciennes » et « martinistes » dans le but d’infiltrer les groupes gauchistes et autres, en collaboration avec les structures du SAC (le Service d’Action Civique, créé par les hommes de main de De Gaulle). Par exemple, Luc Jouret, le gourou du « Temple solaire », a commencé sa carrière d’agent d’officines parallèles semi-légales en infiltrant des groupes maoïstes, avant de se retrouver en 1978 comme médecin parmi les parachutistes belges et français qui sautèrent sur Kolwesi au Zaïre. En fait, les années suivantes apparurent des organisations du type de celles utilisées contre la révolution prolétarienne dans les années 1920. A l’extrême-droite, le Front Européen de Libération a fait renaître la tradition du National-Bolchevisme. En Allemagne, le front Ouvrier Social Révolutionnaire, suivant sa devise : « la frontière n’est pas entre la gauche et la droite, mais entre au-dessus et en dessous », se spécialise dans l’infiltration de différentes organisations de gauche. La Loge de Thulé a également été refondée comme société secrète contre-révolutionnaire. Parmi les services de renseignement privés de la droite moderne on trouve ceux de la Ligue Mondiale Anticommuniste, ceux du Comité du Travail ou encore ceux du Parti Européen du Travail dont le leader Larouche est décrit par un membre du Conseil National de Sécurité des Etats Unis comme ayant « le meilleur service privé de renseignement du monde. » En Europe, certaines sectes rosicruciennes sont d’obédience américaine, d’autres d’obédience européenne telle que l’ « Association Synarchique d’Empire » dirigée par la famille des Habsbourg qui a régné sur l’Europe à travers l’empire austro-hongrois. Des versions de gauche de telles organisations contre-révolutionnaires ne sont pas moins actives. En France, par exemple, des sectes se sont constituées dans la tradition « martiniste », une variante de la franc-maçonnerie qui, dans l’histoire, s’est spécialisée dans les missions secrètes d’agents d’influence complétant le travail des services secrets officiels ou dans l’infiltration et la destruction des organisations ouvrières. De tels groupes propagent l’idée que le communisme soit n’explique pas tout et doit être enrichi, soit qu’il peut être instauré plus sûrement par les manipulations d’une minorité éclairée. Comme d’autres sectes, ils sont spécialisés dans l’art de la manipulation des personnes, pas seulement leur comportement individuel mais surtout leur action politique. Plus généralement, le développement de sectes occultes et de regroupements ésotériques dans les dernières années n’est pas seulement l’expression du désespoir et de l’hystérie de la petite-bourgeoise face à la situation historique mais est encouragé et organisé par l’Etat. Le rôle de ces sectes dans les rivalités impérialistes est connu (cf. l’utilisation de l’Eglise de Scientologie par la bourgeoisie américaine contre l’Allemagne). Mais tout ce mouvement « ésotérique » fait également partie de l’attaque idéologique de la bourgeoisie contre le marxisme, particulièrement depuis 1989 avec la prétendue « mort du communisme ». Historiquement, c’est face au développement du mouvement socialiste que la bourgeoisie européenne commença à s’identifier avec l’idéologie mystique de la franc-maçonnerie, particulièrement après la révolution de 1848. Aujourd’hui la haine profonde de l’ésotérisme envers le matérialisme et le marxisme, aussi bien qu’envers les masses prolétariennes considérées comme « matérialistes » et « stupides », n’est rien d’autre que la haine que concentrent la bourgeoisie et la petite-bourgeoise face au prolétariat non vaincu. Incapable elle-même d’offrir aucune alternative historique, la bourgeoisie oppose au marxisme le mensonge selon lequel le stalinisme était du communisme mais aussi la vision mystique suivant laquelle le monde ne pourra être « sauvé » que lorsque la conscience et la rationalité auront été remplacées par les rituels, l’intuition et les supercheries. Aujourd’hui, face au développement du mysticisme et à la prolifération des sectes occultes dans la société capitaliste en décomposition, les révolutionnaires doivent tirer les leçons de l’expérience du mouvement ouvrier contre ce que Lénine appelait « le mysticisme, ce cloaque pour les modes contre-révolutionnaires. » Ils doivent se réapproprier cette lutte implacable menée par les marxistes contre l’idéologie franc-maçonne. Ils doivent « rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité » (comme le disait Marx) en dénonçant fermement ce type d’idéologie réactionnaire. Au même titre que la religion, qualifiée par Marx au siècle dernier, d’ « opium du peuple » les thèmes idéologiques de la franc-maçonnerie moderne sont un poison distillé par l’Etat bourgeois pour détruire la conscience de classe du prolétariat. Le fait que le mouvement ouvrier du passé ait dû mener un combat permanent contre l’occultisme est assez peu connu aujourd’hui. En réalité, l’idéologie et les méthodes d’infiltration secrète de la franc-maçonnerie ont toujours été un des fers de lance des tentatives de la bourgeoisie pour détruire, de l’intérieur, les organisations communistes. Si le CCI, comme beaucoup d’organisations révolutionnaires du passé, a subi la pénétration en son sein de ce type d’idéologie, il est de son devoir et de sa responsabilité de communiquer à l’ensemble du milieu politique prolétarien les leçons du combat qu’il a mené pour la défense du marxisme, de contribuer à la réappropriation de la vigilance du mouvement ouvrier du passé face à la politique d’infiltration et de manipulation par l’appareil occulte de la bourgeoisie. »

Annexe 6 : Trotsky critique la Franc-Maçonnerie

Texte de Trotsky, publié dans « Les Cahiers Communistes », le 25 novembre 1922, Moscou :

« Communisme et franc-maçonnerie

Le développement du capitalisme a toujours approfondi et approfondit sans cesse les antagonismes sociaux. Les efforts de la bourgeoisie ont toujours tendu à émousser ces antagonismes en politique. L’histoire du siècle dernier nous présente une extrême diversité de moyens employés par la bourgeoisie à cet effet. La répression pure et simple est son argument ultime, elle n’entre en scène que dans les moments critiques. En temps « normal », l’art politique bourgeois consiste à enlever pour ainsi dire de l’ordre du jour la question même de la dénomination bourgeoise, à la masquer de toutes sortes de décors politiques, juridiques, moraux, religieux, esthétiques et à créer de cette façon dans la société l’impression de la solidité inébranlable du régime existant.

Il est ridicule et naïf, pour ne pas dire un peu sot, de penser que la politique bourgeoise se fasse tout entière dans les parlements et dans les articles de tête. Non, cette politique se fait au théâtre, à l’église, dans les poèmes lyriques et à l’Académie, et à l’école. La bourgeoisie enveloppe de tous côtés la conscience des couches intermédiaires et même de catégories importantes de la classe ouvrière, empoisonnant la pensée, paralysant la volonté.

C’est la bourgeoisie russe, primitive et mal douée, qui a le moins réussi dans ce domaine, et elle a été cruellement punie. La poigne tsariste mise à nu, en dehors de tout système compliqué de camouflage, de mensonge, de duperie, et d’illusions, se trouva insuffisante. La classe ouvrière russe s’empara du pouvoir.

La bourgeoisie allemande, qui a donné incomparablement plus dans les sciences et les arts, était politiquement d’un degré à peine supérieure à la bourgeoisie russe : la principale ressource politique du capital allemand était le Hohenzollern prussien et le lieutenant prussien. Et nous voyons actuellement la bourgeoisie allemande occuper une des premières places dans la course à l’abîme.

Si vous voulez étudier la façon, les méthodes et les moyens par lesquels la bourgeoisie a grugé le peuple au cours des siècles, vous n’avez qu’à prendre en mains l’histoire des plus anciens pays capitalistes : l’Angleterre et la France. Dans ces deux pays, les classes dirigeantes ont affermi peu à peu leur domination en accumulant sur la route de la classe ouvrière des obstacles d’autant plus puissants qu’ils étaient moins visibles.

Le trône de la bourgeoisie anglaise aurait été brisé en mille morceaux s’il n’eût été entouré d’une atmosphère de respectability, de tartufferie et d’esprit sportif. Le bâton blanc des policemen ne protège que la ligne de repli de la domination bourgeoise et une fois le combat engagé sur cette ligne — la bourgeoisie est perdue. Infiniment plus important pour la conservation du régime britannique est l’imperceptible toile d’araignée de respectability et de lâcheté devant les commandements bourgeois et les « convenances » bourgeoises qui enveloppe les cerveaux des trade-unionistes, des chefs du Labour Party et de nombreux éléments de la classe ouvrière elle-même.

La bourgeoisie française vit, politiquement, des intérêts du capital hérité de la Grande Révolution. Le mensonge et la perversion de la démocratie parlementaire sont suffisamment connus et semble-t-il, ne laissent plus place à aucune illusion. Mais la bourgeoisie fait de cette perversion même du régime son soutien. Comment cela ? Par l’entremise de ses socialistes. Ces derniers, par leur critique et leur opposition, prélèvent sur les masses du peuple l’impôt de la confiance, et au moment critique transmettent toutes les voix qu’ils ont recueillies à l’Etat capitalistes. Aussi la critique socialistes est-elle actuellement un des principaux étais de la domination bourgeoise. De même que la bourgeoisie française fait servir à ses buts non seulement l’Eglise catholique, mais aussi le dénigrement du catholicisme, elle se fait servir non seulement par la majorité parlementaire, mais aussi par les accusateurs socialistes, ou même souvent anarchistes, de cette majorité. Le meilleur exemple en est fourni par la dernière guerre, où l’on vit abbés et francs-maçons, royalistes et anarcho-syndicalistes, se faire les tambours enthousiastes du capital sanglant.

Nous avons prononcé le mot : franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie joue dans la vie politique française un rôle qui n’est pas mince. Elle n’est en somme qu’une contrefaçon petite bourgeoise du catholicisme féodal par ses racines historiques. La République bourgeoise de France avançant tantôt son aile gauche, tantôt son aile droite, tantôt les deux à la fois, emploie dans un seul et même but soit le catholicisme authentique, ecclésiastique, déclaré, soit sa contrefaçon petite-bourgeoise, la franc-maçonnerie, où le rôle des cardinaux et des abbés est joué par des avocats, par des tripoteurs parlementaires, par des journalistes véreux, par des financiers juifs déjà bedonnants ou en passe de le devenir. La franc-maçonnerie, ayant baptisé le vin fort du catholicisme, et réduit, par économie petite-bourgeoise, la hiérarchie céleste au seul « Grand Architecte de l’Univers », a adapté en même temps à ses besoins quotidiens la terminologie démocratique : Fraternité, Humanité, Vérité, Equité, vertu. La franc-maçonnerie est une partie non officielle, mais extrêmement importante, du régime bourgeois. Extérieurement, elle est apolitique, comme l’Eglise ; au fond, elle est contre-révolutionnaire comme elle. A l’exaspération des antagonismes de classes, elle oppose des formules mystiques sentimentales et morales, et les accompagne, comme l’Eglise, d’un rituel de Mi-Carême. Contrepoison impuissant, de par ses sources petites-bourgeoises contre la lutte de classe qui divise les hommes, la maçonnerie, comme tous les mouvements et organisations du même genre, devient elle-même un instrument incomparable de lutte de classe, entre les mains de la classe dominante contre les opprimés.

Le grand art de la bourgeoisie anglaise a toujours consisté à entourer d’attention les chefs surgissant de la classe ouvrière, à flatter leur respectability, à les séduire politiquement et moralement, à les émasculer. Le premier artifice de cet apprivoisement et de cette corruption, ce sont les multiples sectes et communautés religieuses où se rencontrent sur un terrain « neutre » les représentants des divers partis. Ce n’est pas pour rien que Lloyd George a appelé l’Eglise « la Centrale électrique de la politique ». En France, ce rôle, en partie du moins, est joué par les loges maçonniques. Pour les socialistes, et plus tard pour le syndicaliste français, entrer dans une loge signifiait communier avec les hautes sphères de la politique. Là, à la loge, se lient et se délient les relations de carrière ; des groupements et des clientèles se forment, et toute cette cuisine est voilée d’un crêpe de morale, de rites et de mystique. La franc-maçonnerie ne change rien de cette tactique, qui a fait ses preuves, à l’égard du Parti Communiste : elle n’exclut pas les communistes de ses loges, au contraire, elle leur en ouvre les portes toutes grandes. La maçonnerie cesserait d’être elle-même, si elle agissait autrement. Sa fonction politique consiste à absorber les représentants de la classe ouvrière pour contribuer à ramollir leurs volontés et, si possible, leurs cerveaux. Les « frères » avocats et préfets sont naturellement très curieux et même enclins à entendre une conférence sur le communisme. Mais est-ce que le frère de gauche, qui est le frère cadet, peut se permettre d’offrir au frère aîné, qui est le frère de droite, un communisme sous le grossier aspect d’un bolchevik le couteau entre les dents ? Oh ! Non. Le communisme qui est servi dans les loges maçonniques doit être une doctrine très élevée d’un pacifisme recherché, humanitaire, reliée par un très subtil cordon ombilical de philosophie à la fraternité maçonnique. La maçonnerie n’est qu’une des formes de la servilité politique de la petite-bourgeoisie devant la grande. Le fait que des « communistes » participent à la maçonnerie indique la servilité morale de certains pseudo-révolutionnaires devant la petite bourgeoisie et, par son intermédiaire, devant la grande.

Inutile de dire que la Ligue pour la Défense des Droits de l’homme et du citoyen n’est qu’un des accès de l’édifice universel de la démocratie capitaliste. Les loges étouffent et souillent les âmes au nom de la Fraternité ; la Ligue pose toutes les questions sur le terrain du Droit. Toute la politique de la Ligue, comme l’a démontré avec clarté la guerre, s’exerce dans les limites indiquées par l’intérêt patriotique et national des capitalistes français. Dans ce cadre, la Ligue a tout loisir de faire du bruit autour de telle ou telle injustice, de telle ou telle violation du droit ; cela attire les carriéristes et abasourdit les simples d’esprit.

La Ligue des Droits de l’Homme a toujours été, de même que les loges maçonniques, une arène pour la coalition politique des socialistes avec les radicaux bourgeois. Dans cette coalition, les socialistes agissent, bien entendu, non pas comme représentants de la classe ouvrière, mais individuellement. Toutefois, l’importance prise par tel ou tel socialiste dans les loges est déterminée non pas le poids de sa vertu individuelle, mais par l’influence politique qu’il a dans la classe ouvrière. Autrement dit : dans les loges et autres institutions du même genre, MM. les socialistes tirent profit pour eux-mêmes du rôle qu’ils jouent dans le mouvement ouvrier. Et ni vu ni connu, car toutes les machinations sont couvertes par le rituel idéaliste.

Bassesse, quémandage, écorniflage, aventurismes, carriérismes, parasitisme, au sens le plus direct et le plus matériel du mot, ou bien, en un sens plus occulte et « spirituel » — voilà ce que signifie la franc-maçonnerie pour ceux qui viennent à elle d’en bas. Si les amis de Léon Blum et de Jouhaux s’embrassent dans les loges avec leurs frères du bloc des gauches, ils restent, ce faisant, complètement dans le cadre de leur rôle politique ; ils parachèvent dans les séances secrètes des loges maçonniques ce qu’il serait incongru de faire ouvertement en séance publique du Parlement ou dans la presse. Mais nous ne pouvons que rougir de honte en apprenant que dans les rangs d’un Parti communiste (! !!) il y a des gens qui complètent l’idée de la dictature du prolétariat par la fraternisation dans les tenues maçonniques avec les dissidents, les radicaux, les avocats et les banquiers. Si nous ne savions rien d’autre sur la situation de notre Parti français, cela nous suffirait pour dire avec Hamlet : « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark... » L’Internationale peut-elle permettre à cet état de choses véritablement honteux de se prolonger et même de se développer ? Ce serait permettre que la Parti communiste français occupe dans les systèmes du conservatisme démocratique la place de soutien de gauche occupée autrefois par le Parti socialiste. Mais cela ne sera pas — nous avons trop foi en l’instinct révolutionnaire et en la pensée révolutionnaire de l’avant-garde prolétarienne française. D’une lame impitoyable elle tranchera une fois pour toutes les liens politiques, philosophiques, moraux et mystiques qui rattachent encore la tête de son Parti aux organes déclarés ou masqués de la démocratie bourgeoise, à ses loges, à ses ligues, à sa presse. Si ce coup d’épée laisse par delà les murs de notre Parti quelques centaines et même quelques milliers de cadavres politiques, tant pis pour eux. Tant pis pour eux et tant mieux pour le Parti du prolétariat, car ses forces et son poids ne dépendent pas du seul nombre de ses membres.

Une organisation de 50.000 membres, mais construite comme il faut, qui sait fermement ce qu’elle veut et qui suit la voie révolutionnaire sans jamais s’en écarter, peut et doit conquérir la confiance de la majorité de la classe ouvrière et occuper dans la révolution la place directrice. Une organisation de 100.000 membres contenant centristes, pacifistes, francs-maçons, journalistes bourgeois, etc., est condamnée à piétiner sur place, sans programme, sans idée, sans volonté — et jamais ne pourra conquérir la confiance de la classe ouvrière.

La franc-maçonnerie est une plaie mauvaise sur le corps du communisme français. Il faut la brûler au fer rouge. »

Léon Trotsky

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[1] Mellor A., Histoire de l’anticléricalisme français, Mame, 1966, page 16.

[2] Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire, Editions du Seuil, 1978, page 195.

[3] Ragache Jean-Robert, La culture politique des francs-maçons à la fin du XIXe siècle en France, in Franc-Maçonnerie et histoire, bilan et perspectives, sous la direction de Christine Gaudin et Eric Saunier, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2003, page 266.

[4] Daniel Ligou, http://sog2.free.fr/802/Articles2/A...

[5] Lefebvre Denis, Socialisme et Franc-Maçonnerie, le tournant du siècle (1880-1820), Editions Bruno Prince, 2000, page 9.

[6] Riberette Pierre, Charles Fourier à Lyon : ses relations sociales et politiques, Actes du 99e congrès national des sociétés savantes, 1974, II, page 274.

[7] Bien qu’Hébert fut maçon.

[8] Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, Eric Saunier, Librairie générale française, collection La Pochothèque, 2000.

[9] Dommanget Maurice, Blanqui et l’opposition révolutionnaire à la fin du Second Empire, Cahiers des Annales 14, Association Marc Bloch, page 141.

[10] Voici quelques réflexions de ce qu’est le néo-hébertisme : Le jour où l’Egalité cessera d’être une fiction, nous croirons possibles la Liberté et la Fraternité, qui ne sont et ne peuvent être que les conséquences de l’Egalité.

L’athéisme doit être la priorité. La Révolution est plus qu’une guerre de classes : c’est une guerre d’idées. Ainsi, Blanqui écrivait : « On ne peut pas changer sérieusement une société dans son ordre politique et social sans détruire l’idée philosophique qui en est la base. »

L’extrême droite anti-chrétienne n’existe pas encore sous le second empire parce qu’elle est alors incluse dans l’extrême gauche athée. L’athéisme ultra-révolutionnaire du second empire a frayé la voie d’un matérialisme d’extrême-droite.

La patrie ne peut, dans tous les cas, se constituer que par la fédération des patries et non par leur écrasement. L’Humanité, sans les patries, serait une nation sans provinces, une province sans famille, c’est-à-dire un immense grouillement inorganique.

Le patriotisme est parfaitement lié au socialisme. En avant contre les exploiteurs, les voleurs, les panamistes qui eux sont les véritables internationalistes, ne connaissant d’autre patrie que leur coffre-fort.

Le nationalisme met la nation, constitué en Etat, au premier rang des valeurs politiques et sociales, ce qui n’est pas obligatoirement le cas dans les diverses expressions du patriotisme.

« Souvenons nous de la Commune, la Commune de 93 surtout, puisque la Commune de 1871 a échoué faute d’avoir su être aussi énergique et révolutionnaire que celle de 1793, assassinée par la déiste Robespierre. »

« La Bastille a été remplacé par le Veau d’or. »

[11] Crapez Marc, La gauche réactionnaire, Paris, Berg, 1997, page 33.

[12] Sous l’Empire, Aux bureaux de l’Eclipse, 1972, pages 47-48.

[13] Gourdot Paul, Les sources maçonniques du socialisme français, Monaco, Editions du Rocher, 1998, page 275.

[14] Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, (sous la direction d’Eric Saunier), La Pochothèque, 2000, page 684.

[15] Proudhon, La presse belge et l’unité italienne, Tome XIV, pages 13-15.

[16] Il faut remarquer également que le jeune Karl Marx contribue à implanter l’idée selon laquelle le socialisme implique une dose d’antisémitisme en motivant l’amalgame entre judaïsme et bourgeoisie, comme dans Les Luttes de classes en France où il écrit : “Ayant reçu à la place de son livret de caisse d’épargne des bons du Trésor, il fut contraint d’aller les vendre à la Bourse et de se livrer ainsi directement aux mains des juifs de la Bourse contre lesquels il avait fait la révolution de février”.

[17] Lalouette Jacqueline, Libre-pensée et franc-maçonnerie : des liens forts et ambigus, in Franc-Maçonnerie et histoire, bilan et perspectives, sous la direction de Christine Gaudin et Eric Saunier, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2003, page 277.

[18] Laguionie Michel, Histoire des francs-maçons à Limoges, 1986, page 170.

[19] Source : Principes socialistes par Gabriel Deville, 2° édition, 1898.

[20] Zévaes finira sa carrière politique sous l’Occupation en écrivant dans l’œuvre de Marcel Déat, après avoir été l’avocat en 1919 de Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès.

[21] Lefebvre Denis, Socialisme et Franc-Maçonnerie, le tournant du siècle (1880-1820), Editions Bruno Prince, 2000, page 68.

[22] Pemjean Lucien, La Maffia Judéo-Maçonnique, Paris, Editions Baudinière, 1934, page 103-104.

[23] La Petite Presse, 26 octobre 1879.

[24] Berth Edouard, Les nouveaux aspects du socialisme, Paris, Marcel Rivière, 1908, page 57.

[25] Jarrige Michel, L’antimaçonnerie en France à la belle époque, Archè, Milano, 2006, pages 248-249.

[26] Lefebvre Denis, Socialisme et Franc-Maçonnerie, le tournant du siècle (1880-1820), Editions Bruno Prince, 2000.

[27] Lebey André, « Jean Jaurès », Floréal, n°14, 7 avril 1923.

[28] Vacher de Lapouge Georges, L’Aryen, son rôle social, A. Fontemoing, 1899.

[29] Jarrige Michel, L’antimaçonnerie en France à la belle époque, Archè, Milano, 2006, page 447.

[30] Jarrige Michel, L’antimaçonnerie en France à la belle époque, Archè, Milano, 2006, page 448.

[31] Tiré du site : www.amisdepierreleroux.org

[32] Jarrige Michel, L’antimaçonnerie en France à la belle époque, Archè, Milano, 2006, page 85.

[33] Jarrige Michel, L’antimaçonnerie en France à la belle époque, Archè, Milano, 2006, page 252.

[34] Jarrige Michel, L’antimaçonnerie en France à la belle époque, Archè, Milano, 2006, page 300.

[35] Article « Libre-Pensée » dans : Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, Eric Saunier, Librairie générale française, collection La Pochothèque, 2000, page 498.

[36] Lalouette Jacqueline, Libre-pensée et franc-maçonnerie : des liens forts et ambigus, in Franc-Maçonnerie et histoire, bilan et perspectives, sous la direction de Christine Gaudin et Eric Saunier, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2003, pages 283-284.

[37] Lalouette Jacqueline, Libre-pensée et franc-maçonnerie : des liens forts et ambigus, in Franc-Maçonnerie et histoire, bilan et perspectives, sous la direction de Christine Gaudin et Eric Saunier, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2003, page 285.

[38] Le Gueux, 26 mars 1892, n°1.

[39] Cité par Fabienne Dumont, Jules Grandjouan créateur de l’affiche politique illustrée en France, Paris, Somogy, 2002. Catalogue de l’exposition Chaumont, 2001, Musée d’Histoire contemporaine, 2002 et Nantes, 2003, sous la dir. de Fabienne Dumont, Marie-Hélène Jouzeau et Joël Moris, p. 29-30.

[40] Maitron Jean, Le mouvement anarchiste en France, Gallimard, 1992, Tome 1, pages 263-330.

[41] Vinatrel Guy, Communisme et franc-maçonnerie, Les Presses Continentales, 1961, page 13.

[42] Michel Henri, Les courants de pensée de la Résistance, Paris, PUF, 1962, page 173.

[43] Sabah Lucien, Une police politique de Vichy : le Service des Sociétés Secrètes, Klincksieck, 1996, page 230.

[44] Sabah Lucien, Une police politique de Vichy : le Service des Sociétés Secrètes, Klincksieck, 1996, page 319.

[45] Sabah Lucien, Une police politique de Vichy : le Service des Sociétés Secrètes, Klincksieck, 1996, page 134.

[46] Sabah Lucien, Une police politique de Vichy : le Service des Sociétés Secrètes, Klincksieck, 1996, pages 431-434.

[47] Rossignol Dominique, Vichy et les Francs-Maçons, la liquidation des sociétés secrètes 1940-1944, Paris, Jean-Claude Lattès, 1981, page 142.

[48] Déat Marcel, Discours, articles et témoignages, Editions Déterna, collection « Documents pour l’histoire », 1999, pages 26-27.

[49] Monatte Pierre, Souvenirs sur La Vie Ouvrière, 1959, page 34.

[50] Onfray Michel, Traité d’athéologie, Le livre de poche, 2005, page 90.

[51] Lalouette Jacqueline, Libre-pensée et franc-maçonnerie : des liens forts et ambigus, in Franc-Maçonnerie et histoire, bilan et perspectives, sous la direction de Christine Gaudin et Eric Saunier, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2003, page 285.

[52] Article de Jean-Pierre Lassalle dans Histoires littéraires n°1-2000.

[53] Blanrue Paul-Eric, Le monde contre soi. Anthologie des propos contre les juifs le judaïsme et le sionisme, Editions Blanche, Paris, 2007, page 290.

[54] http://www.que-faire.info/Principal...

[55] Bakounine, cité par R. Huch, Bakunin und die Anarchie (Bakounine et l’anarchie).

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