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La faillite des révolutions colorées

L’arrivée au pouvoir de Viktor Yanoukovitch est un nouveau revers pour la politique américaine d’expansion de l’OTAN. Cet échec intervient moins de deux ans après la débacle de l’armée géorgienne, pourtant entraînée et équipée par l’US army. La victoire de Yanoukovitch marque aussi l’échec de la révolution colorée la plus emblèmatique. Il semble, d’ailleurs, que le département d’Etat américain croit de moins en moins à ce système de subversion. Pour preuve, la prise du pouvoir au Honduras, par un parti pro-américain, en juin 2009, a été réalisée grâce à un coup d’état militaire. Il ne s’agit plus d’une manœuvre semi-pacifique et subtile, mais d’un putsch, comme la CIA en était friande pendant la guerre froide.

Malgré des succès en Serbie, en Ukraine et en Géorgie, peu de ces révolutions ont finalement abouti. En Asie centrale, elles ont toute échoué et la tentative manquée en Ouzbékistan, en 2005, s’est terminée par le départ forcé des troupes américaines qui y étaient stationnées. En Biélorussie, le pouvoir de Loukachenko n’a jamais été ébranlé ne serait-ce qu’une heure. En Iran, le pouvoir d’Ahmadinejad est sorti vainqueur de l’affrontement.

Analyser les conditions qui ont favorisé la réussite de ces mouvements politiques permet de mieux comprendre l’évolution des régimes qui en sont issus.

Les révolutions colorées, comme les révolutions en général, ne réussissent que dans les régimes où l’autorité de l’Etat est considérablement affaiblie et discréditée. C’est le cas en Yougoslavie en 2000. La rue considère Milosevic comme le meilleur allié de l’OTAN. Il est accusé d’avoir abandonné successivement la Krajina, la Bosnie et le Kosovo, cela malgré la supériorité de l’armée serbe. C’est aussi le cas en Ukraine et en Géorgie. L’instabilité politique et économique a profondément miné la confiance des populations dans leurs dirigeants. A cela s’ajoute la présence d’oligarchies politico-économiques incontrôlables. Cet affaiblissement de l’autorité de l’Etat est une raison nécessaire mais pas suffisante. Le Tadjikistan, l’Ouzbékistan ou encore la Biélorussie connaissent également des situations économiques difficiles dans bien des domaines. Pourtant elles n’aboutissent pas à des révolutions. Pour survivre, ces régimes ont su maintenir un contrôle étroit sur les forces d’opposition potentielles et empêcher l’implication massive des ONG étrangères.

Pour réussir, une révolution colorée doit être précédée par la mise en place de réseaux et d’ONG dans le pays cible. Cela suppose une ouverture préalable de ce pays à l’influence américaine. Les administrations yougoslave, ukrainienne et géorgienne qui ont été renversées par les révolutions colorées ont toutes cru avoir trouvé dans les Etats-Unis, un allié fiable. Milosevic est l’un des premiers aparatchiki yougoslaves à se tourner vers les Etats-Unis dès les années 1970 (1). Il devient alors président de la BEOBANK, poste qu’il occupe à Belgrade et à New York. Dans les années 1990, il est l’interlocuteur privilégié des Américains. Il est même qualifié de Gorbatchev des Balkans dans la presse occidentale. Rêvant davantage d’une petite Yougoslavie dont il serait le maître que d’une grande Serbie, il joue la carte américaine quasiment jusqu’au bout. En Ukraine, c’est Léonid Koutchma qui lance, en 2002, l’idée de l’intégration à l’OTAN. Enfin, Shevernadzé en Géorgie, dont l’armée a été défaite par les indépendantistes abkhazes et ossètes, finit par se rapprocher des Occidentaux à partir de 2000 et signe un accord militaire avec les Américains en 2003. Comme le général Noriéga, le Shah d’Iran ou Saddam Hussein, ces chefs d’Etats se sont rendus compte trop tard que leur protecteur américain avait décidé de les remplacer. Entre temps, ils avaient laissé s’installer les réseaux et les ONG pro-américaines et s’étaient attirés l’animosité de la seule puissance capable de faire contrepoids dans la région.

La nécessité de garder les nouveaux présidents sous influence, et au besoin de les remplacer, explique le choix de personnalités aussi médiocres que Saakhachvili ou Youtchenko. Le fait, que Saakhachvili ou Youtchenko aient chacun mené leur pays respectif dans une impasse, importe moins que leur loyauté vis-à-vis de leur commanditaire. Le Président ukrainien ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Au lendemain de son humiliante défaite au premier tour des élections présidentielles ukrainiennes, sa décision de promouvoir Stepan Bandera (2), grand massacreur de juifs et de Polonais, comme héro national ukrainien, sonne comme une vengeance vis-à-vis de l’Occident qui l’a abandonné. Saakhachvili, de son côté, n’a pas accepté de renoncer au pouvoir, malgré les incitations de ses parrains américains (3). Il ne doit sa survie politique qu’à la transformation de son administration en un régime policier répressif. Le département d’Etat américain est ainsi piégé. Un scénario à l’Ukrainienne ne manquerait pas de rapprocher deux peuples dont les destins ont été souvent liés. Pour les Etats-Unis, perdre le Caucase après avoir perdu l’Asie Centrale et l’Ukraine serait une catastrophe. Cela sonnerait le glas de la stratégie de refoulement de la Russie (4), appliquée consciencieusement par les administrations américaines depuis 20 ans.

La situation en Serbie est sans doute plus délicate encore. En portant l’indépendance du Kosovo devant les instances juridiques de l’ONU et en se plaçant du point de vue du droit international, le Président Tadic devrait remporter une victoire importante, invalidant la reconnaissance de l’indépendance de la province de jure. Ses récentes déclarations à l’ONU pourraient l’ammener à figurer sur la liste des « remplaçables », si une telle manoeuvre est encore possible.

Les échecs de ces révolutions colorées prennent place à un moment où l’ex-première puissance n’inspire plus ni n’impressionne. La crise économique a marqué l’échec de son modèle ultra-libérale, tandis que le conflit géorgien a montré que l’US army n’affrontera pas l’armée russe pour protéger ses alliés. Un recul sur les ventes d’armes à Taïwan achèverait de la discréditer en tant qu’allié fiable et puissance militaire majeure.

Xavier Moreau

(1) Il est particulièrement proche de l’Ambassadeur américain en Yougoslavie jusqu’en 1980, Lawrence Eagleburger, lui même proche de Henry Kissinger. Il est également très lié à l’attaché militaire Brent Scowcroft, membre du Center for Strategic and International Studies, proche de Kissinger et de George Bush père. Scowcroft est co-auteur avec Zbigniew Brzezinski et David Ignatius d’ “America and the World : Conversations on the Future of American Foreign Policy” (Basic Books, 2008). Il est vraissemblable que Milosevic a surrestimé l’influence de ses soutiens américains, tandis que d’autres se sont tout simplement joués de lui.

(2) Stepan Bandera fut condamné à mort en 1934, pour l’assassinat du ministre de l’intérieur polonais. A partir de 1939, il fonde et organise la « légion ukrainienne », unité comabattant au sein de l’armée allemande. Il a été élevé à la dignité posthume de Héros d’Ukraine par un décret signé le 22 janvier 2010 par le président ukrainien Viktor Iouchtchenko, provoquant une vague de protestations en Fédération de Russie, au sein de la majorité russophone d’Ukraine et des défenseurs des droits de l’homme. Le 29 janvier, le Centre Simon-Wiesenthal a dénoncé, dans une lettre adressée à l’ambassade ukrainienne aux États-Unis, l’attribution de ce titre à un « collaborationniste nazi responsable du massacre de milliers de Juifs pendant la guerre de 1939-1945. »

(3) Au lendemain de la défaite militaro-diplomatique du Président Saakhachvili, Condolezza Rice avait déclaré « off record » que la Géorgie aurait besoin d’un nouveau président. Plus tard Georges Bush avait fait savoir au Président géorgien qu’une place de professeur l’attendait dont son institut de formation pour futurs cadres de pays amis.

(4) La politique de « rollback », en français « refoulement », est une doctrine mise au point en 1952 par le président Eisenhower et son secrétaire d’État aux affaires étrangères, John Foster Dulles, qui vise à refouler le communisme, et non plus simplement à contenir sa progression.