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Jérusalem et la mystique de l’élection

Comme le montre la naïveté des commentaires sur la crise actuelle, on ne comprend pas les conflits du Proche-Orient si l’on oublie l’essentiel. Le sionisme n’est pas un mouvement d’émancipation juive, ni un nationalisme séculier classique. C’est un colonialisme fondé sur une mystique de l’élection. Lorsque Netanyahou est reçu au congrès américain, il parle du « peuple élu » et il invoque la « destinée manifeste ». En validant les prétentions israéliennes sur Jérusalem, Trump ne se contente pas de piétiner la loi internationale. Flattant le narcissisme israélien, il accrédite la mythologie fondatrice de l’État-colon.

 

On s’inquiète d’une confessionnalisation du conflit, mais on oublie que ce conflit est confessionnel depuis l’origine. Non pas du fait de la résistance arabe, mais du fait de l’entreprise sioniste. En fait, le mouvement auquel le sionisme ressemble le plus est le suprématisme blanc des Afrikaners. Dans les deux cas, ils se prennent pour le peuple élu, et la guerre coloniale vise à s’emparer de la « Terre promise ». L’État d’Israël, cet enfant chéri de la conscience laïque occidentale, est un implant colonial justifié par l’Ancien Testament.

Même s’ils ont raison, le déni de légitimité que les juifs orthodoxes opposent au sionisme est trompeur. Il faut lire les penseurs sionistes de l’ère pré-israélienne : le sionisme n’a pas trahi le judaïsme, il s’est simplement affranchi de sa passivité. Il substitue à l’attente du sauveur une action politique, mais cette action vise à prendre possession d’« Eretz Israël », et non d’une lointaine contrée indifférente au récit biblique. Le sionisme moderne n’a pas laïcisé l’espérance messianique, il l’a détournée à son profit pour implanter au Proche-Orient un État occidental.

La conquête coloniale de la Palestine se fonde sur une mystique de l’élection, et cette mystique se nourrit d’une géographie du sacré. Interprétant la Thora comme un acte notarié, elle le brandit comme si un texte religieux pouvait fonder un droit opposable. Croyant occasionnel, Theodor Herzl avait bien compris la puissance symbolique de cette supercherie. « Si la revendication d’un coin de terre est légitime, disait-il, alors tous les peuples qui croient en la Bible se doivent de reconnaître le droit des juifs ». Quel Occidental contestera, si elle est bibliquement établie, la légitimité d’un État juif en Palestine ?

L’entreprise sioniste repose sur une idée simple : la Thora tient lieu de titre de propriété, et cette propriété sera reconnue par un Occident pétri de culture biblique. Il faut reconnaître que ce tour de passe-passe a porté ses fruits. Loin d’être une nouveauté, le sionisme chrétien est constitutif du sionisme lui-même. L’idée du retour des exilés en Terre sainte fut une idée protestante avant d’être une idée juive, et le gouvernement britannique s’en fit l’ardent défenseur à l’apogée de l’Empire. Ce n’est pas un hasard si cette entreprise a fini par voir le jour avec la bénédiction d’une Grande-Bretagne férue d’Ancien Testament.

Malheureusement, ce n’est pas la première fois qu’une idée absurde exerce une force matérielle. Pour les sionistes, la cause est entendue : si le droit des juifs sur la terre d’Israël n’est pas négociable, c’est qu’il dérive de la transcendance. Combattre l’entreprise sioniste, c’est faire offense à Dieu, se rebeller contre sa volonté. Avant la proclamation unilatérale de l’État d’Israël, le grand rabbin de Palestine déclarait devant une commission internationale : « C’est notre forte conviction que personne, ni individu, ni pouvoir institué, n’a le droit d’altérer le statut de la Palestine qui a été établi par droit divin ».

Chef du parti national-religieux, le général Effi Eitam expliquait en 2002 : « Nous sommes seuls au monde à entretenir un dialogue avec Dieu en tant que peuple. Un État réellement juif aura pour fondement le territoire, de la mer au Jourdain, qui constitue l’espace vital du peuple juif ». On comprend pourquoi le sionisme, à l’appui de ses prétentions, n’invoque pas le droit international, mais la promesse de Yahvé à Abraham : « C’est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Égypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate » (Genèse, 15).

Cette mythologie a fait de Jérusalem le joyau de la promesse. La cité de David est l’écrin de la présence divine depuis que son successeur Salomon y bâtit le premier Temple. Espace de communication avec le divin, Jérusalem porte témoignage de la geste hébraïque. Le martyre subi lors de sa destruction en accentue la sacralité, en la déclinant sur le mode messianique. Dans la narration biblique, Jérusalem est le centre d’une histoire sainte. Le tour de force du sionisme est de l’avoir fait passer pour une histoire tout court.

Cette conversion de la narration biblique en narration historique, pourtant, est un véritable château de cartes. Israël s’est lancé à Jérusalem dans une quête obstinée des vestiges de sa grandeur passée. À coup d’excavations frénétiques, on a exhibé la moindre breloque comme si elle était la preuve d’une gloire ancestrale, et un tesson de poterie attestait le rayonnement immémorial du royaume hébraïque. Mais cette manie de fouiller le sous-sol palestinien à la recherche d’une gloire perdue a montré ses limites, et les archéologues israéliens ont fini par tirer un trait sur ces affabulations.

« Les fouilles entreprises à Jérusalem n’ont apporté aucune preuve de la grandeur de la cité à l’époque de David et de Salomon ».

Mieux encore :

« Quant aux édifices monumentaux attribués jadis à Salomon, les rapporter à d’autres rois paraît beaucoup plus raisonnable. Les implications d’un tel réexamen sont énormes. En effet, s’il n’y a pas eu de patriarches, ni d’Exode, ni de conquête de Canaan, ni de monarchie unifiée et prospère sous David et Salomon, devons-nous en conclure que l’Israël biblique tel que nous le décrivent les cinq livres de Moïse, les livres de Josué, des Juges et de Samuel, n’a jamais existé ? »

Ces citations ne sont pas tirées d’un brûlot antisioniste, mais du livre d’Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée, Les nouvelles révélations de l’archéologie, Éditions Bayard, 2002, p. 150. La mythologie sioniste avait maquillé le mythe en histoire pour les besoins de la cause. Cette histoire en carton-pâte est balayée par la recherche scientifique. La véritable histoire reprend ses droits, et la géographie du sacré sombre dans les sables mouvants. Mais peu importe. Avec de vieilles pierres en guise de témoins muets, les sionistes revendiquent obstinément la propriété d’une terre arrachée en 1948 à ses détenteurs légitimes.

Bruno Guigue

À lire chez Kontre Kulture :

Bruno Guigue, sur E&R :

 
 






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31 Commentaires

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  • #1863416
    Le 17 décembre 2017 à 22:18 par Khem
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Les musulmans ont pris Jérusalem par la force, ils l’ont perdue par la force.

     

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    • #1863435
      Le Décembre 2017 à 23:40 par Gracchus
      Jérusalem et la mystique de l’élection

      "Bien que les détails du siège soient inconnus, il semble qu’il n’y ait eu aucune effusion de sang[7]. La garnison byzantine ne peut espérer aucun secours de l’empire épuisé d’Héraclius. Après un siège de quatre mois, Sophrone offre la reddition de la cité ainsi que le paiement d’un tribut, à la condition que le calife vienne à Jérusalem signer le pacte et accepter la reddition[8]. Il est dit qu’au moment où les termes de Sophrone sont connus des Musulmans, Shurahbil ibn Hassana, un des commandants arabes, suggère qu’au lieu d’attendre que le calife fasse le voyage depuis Médine, Khalid ibn Walid soit envoyé devant la ville en tant que calife du fait de sa physionomie proche de celle d’Omar. Toutefois, la ruse ne fonctionne pas. Peut-être Khalid est-il alors trop connu en Syrie ou des Arabes chrétiens présents dans la cité ont-ils été à Médine et y ont vu Khalid et Omar. Quoi qu’il en soit, le patriarche refuse de négocier. Quand Khalid rapporte l’échec de sa mission, Abu Ubaidah écrit au calife Omar pour lui faire part de la situation et l’invite à venir à Jérusalem pour accepter la reddition de la cité[9]." Source Wikipedia. Je ne peux détailler ici, mais la prise de Jérusalem était inéluctable. Tout comme sa reprise.

       
    • #1863923
      Le Décembre 2017 à 18:19 par Anonyme
      Jérusalem et la mystique de l’élection

      Et sera sûrement reprise aussi par la force celle du DIVIN...

       
    • #1864720
      Le Décembre 2017 à 21:30 par balkis saba
      Jérusalem et la mystique de l’élection

      les sionistes ont pris jerusalem par la force et il la perdront par la force l’histoire est un eternel recommencement

       
  • #1863431
    Le 17 décembre 2017 à 23:22 par renaud
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Quelqu un a t il un lien pour prouver que Netanyahou a parler de peuple elu au congres ? Car je trouve ca hallucinant et tres grave !

     

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  • #1863486
    Le 18 décembre 2017 à 07:10 par Misensaine
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Des fouilles pour gagner du temps et encourager tous les candidats à la colonisation musclée. Sinon au dessus c’est le soleil et en dessous le néant.

     

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  • #1863534
    Le 18 décembre 2017 à 10:27 par pitchou
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Les sionistes roulent le monde avec un cadastre vieux de 2000 ans et inexistant de surcroît. Pour un tel mensonge, faut obligatoirement des complicités à l’échelle mondiale, c’est bien dans l’Histoire qu’on les trouve principalement, aussi bien récente ou dans l’ambiguité du cinéma comme propagande. Les esprits finissent par admettre naturellement comme un fait acquis l’existence d’israel, laissons le génocide et son chantage de coté, une autre dimension.

     

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  • #1863591
    Le 18 décembre 2017 à 11:39 par deNNoch
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Jérusalem est désormais le piédestal d’Israël !
    Le socle sur lequel, à leurs yeux et face au reste du monde, vient s’asseoir la légitimité de leur statut de "peuple élu"...

     

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  • #1863728
    Le 18 décembre 2017 à 13:57 par Yann Amar de l’ Ashoa
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Un attachement profond à la Bible se retrouve chez presque tous les dirigeants israéliens de la génération de Ben Gourion et de la suivante. La biographie de Menahem Begin, qui revendique à juste titre une part aussi importante dans la fondation d’Israël par son action terroriste à la tête de l’Irgoun, a pour titre : La Bible et le fusil (1976). Moshe Dayan, le héros de la campagne d’annexion de 1967 (guerre de Six Jours), publie un livre intitulé Living with the Bible (1978) pour justifier sa conquête : « Si l’on se considère comme le peuple de la Bible, on devrait aussi posséder les terres de la Bible. »
    Et ce n’est pas seulement en parole que le sionisme se révèle imprégné d’histoire et d’idéologie bibliques. Il ne s’agit pas de rhétorique, mais de géopolitique. Comme le remarque Avigail Abarbanel, Israélienne repentie :
    « Les sionistes ont suivi à la lettre l’ordre biblique donné à Joshua de pénétrer et de tout prendre. […] Pour un mouvement soi-disant non religieux, c’est extraordinaire comment le sionisme a suivi la Bible de près. »
    Le paradoxe n’est qu’apparent, car pour les sionistes, la Bible n’est pas un texte religieux, mais un livre d’histoire ; c’est le passé du peuple juif, et la référence immuable pour son avenir. C’est une référence non pas secrète, mais totalement assumée, proclamée. Il devrait donc être évident qu’on ne peut pas comprendre le comportement de la nation d’Israël sur la scène internationale sans pénétrer au cœur de l’idéologie biblique.
    Pour les fondateurs de l’État hébreu, les prophéties bibliques sont un programme, le programme. Et il s’agit d’un programme mondial.
    Que ceux qui pensent que la Bible et le sionisme n’ont aucun rapport – qu’il existerait un bon judaïsme biblique et un mauvais judaïsme sioniste – y pensent à deux fois : même la politique de dissuasion nucléaire israélienne porte un nom biblique : l’ « Option Samson ».Laurent Guyénot

     

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    • #1864263
      Le Décembre 2017 à 09:39 par deNNoch
      Jérusalem et la mystique de l’élection

      « Les sionistes ont suivi à la lettre l’ordre biblique donné à Joshua de pénétrer et de tout prendre. […] Pour un mouvement soi-disant non religieux, c’est extraordinaire comment le sionisme a suivi la Bible de près. »



      Ça fait froid dans le dos ! Parce que si on va plus loin dans le texte, il s’agit (ou s’agira) d’exterminer tout ce qui vit sur ce territoire de Canaan - hommes, femmes, enfants.
      Sans doute cela fait-il partie du projet : transformer le mythe en réalité...

       
  • #1863764
    Le 18 décembre 2017 à 14:30 par anonyme
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Ils vont en foule se frapper le front au fond de l’impasse. Leur manifeste est à l’ontologie ce qu’est le couteau suisse au camping, un truc toute main hyperstructuré de longue date avec emprunts, mystique, hyperfictions, croyances, superstitions, pratiques ultracontraignates, le tout bâtit sur RIEN. ’’Dieu’’ des juifs c’est vraiment un truc à plein temps, une construction globale qui abrite tout et son contraire, poussée aux paroxysmes. D’où le fanatisme...Archaïque et rudimentaire, un écho lointain de civilisations disparues. Un appareil mystique squelettique et simpliste, un recueuil de manifestations skizophréniques à prétentions visionnaires, des histoires à dormir debout...en fait hollywood avant la lettre.

     

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  • #1863834
    Le 18 décembre 2017 à 16:30 par Telecaster
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    La découverte du pétrole et le projet de Theodor Herzl sont contemporains. Volonté divine ou cupidité humaine ?

     

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  • #1863916
    Le 18 décembre 2017 à 18:11 par Anonyme
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Ce sont les américains dans leurs majorité qui acredite la mythologie... Il n’aurait pas pu créer leur foyer national juif sans cette naïveté fondatrice.... bien entendu poussé par les lobbies Ultra sionistes et les pourfendeur du va t’en guerre par les lobbies de l’armement....

     

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  • #1864779
    Le 19 décembre 2017 à 23:24 par jvidepi
    Jérusalem et la mystique de l’élection

    Destin manifeste, peuple élu, espace vitale...Il me semble avoir déjà entendu cela quelque part !

    Ah oui, c’était dans un des dix mille documentaires sur les méchants nazis.

     

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