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Le populisme américain

Parmi les mouvements de révolte et de contestation que connurent les États-Unis au cours de leur histoire, le populisme agraire constitue certainement en lui-même le mouvement le plus important et le plus marquant, mais aussi sans doute celui qui eut la plus grande postérité, fût-elle indirecte. Accessoirement, il exprima mieux que n’importe quelle autre mouvance politique le caractère essentiel du peuple américain, son génie propre, dans ses aspirations et sa vision du monde comme dans ses irréductibles contradictions.

 

Apparu dans les dernières décennies du XIXe siècle, dans les États du sud et du Middle West, il traduisit la protestation des petits exploitants agricoles face à l’industrialisation massive et la modernisation de l’économie. Les couches paysannes se sentaient en effet victimes des progrès techniques en cours, non pas pour ce qu’ils représentaient en eux-mêmes, mais parce qu’ils favorisaient selon eux une concentration du capital entre les mains de riches propriétaires ou de spéculateurs fortunés. Les tarifs prohibitifs des chemins de fer contribuaient tout particulièrement à la ruine progressive des petits exploitants, qui se rassemblèrent alors dans des Granges, c’est-à-dire des coopératives censées leur permettre de rivaliser avec les plus gros cultivateurs. Les Grangers se sentaient menacés économiquement, mais aussi moralement et spirituellement, dans leur mode de vie traditionnel.

Plus que tout attachés à leur indépendance, héritée de la période des pionniers, ils voyaient d’un très mauvais œil se profiler le spectre d’une société où les travailleurs indépendants seraient de moins en moins nombreux, remplacés par des salariés au service de grands patrons. En plus d’une crainte économique immédiate de déclassement, c’est donc une sorte de crispation identitaire assez compréhensible qui guida leurs revendications : ces citoyens, qui avaient passé toute leur vie dans une autonomie presque complète, et qui voyaient dans cette autonomie même la plus grande dignité d’un homme (ainsi que la vertu princeps du fameux « rêve américain »), commençaient à comprendre que leurs enfants ne jouiraient probablement plus du même statut qu’eux, qu’ils seraient ravalés à un rang proche à leurs yeux de celui du serf : le salariat. C’est cela que devait originellement signifier la sacro-sainte « liberté américaine » : jouir de soi librement, en profitant du fruit de son travail, sans devoir s’aliéner économiquement au service d’un autre et y perdre sa responsabilité individuelle.

Le populisme ne fut pas pourtant le seul fait de couches paysannes, bien que les agriculteurs constituèrent indéniablement les gros bataillons de leurs partisans. On trouva également à leurs côtés des mineurs, des socialistes chrétiens, les membres de sectes puritaines et beaucoup de femmes des milieux modestes.

Mais si le populisme fut aussi représentatif de la mentalité américaine, c’est qu’il ne fut jamais un mouvement révolutionnaire. Certes, il se voulait farouchement contestataire et s’opposait avec ferveur au développement du grand Capital. Mais, profondément conservateur à d’autres égards, il ne remit jamais en cause les valeurs fondamentales de la démocratie américaine, et les porta même au plus haut. Le populisme ne fustigeait pas la « corruption » et le « manque de bon sens » des élites pour remettre en cause la démocratie ; il prétendait au contraire « sauver » la démocratie de ceux qui en avaient une conception trop faible, trop élitiste, justement, et qui restaient délibérément sourds aux revendications du peuple. Le populisme incarnait donc une sorte de « réformisme radical » : il fut « réformiste », car il se montra désireux de préserver le régime en place, et même d’en renforcer les assises, mais il fut aussi « radical », car il se montra violemment hostile au développement du marché et de la spéculation.

Quoi qu’il en soit, il se tint évidemment à l’écart du marxisme, dans le sens où il demeura toujours l’expression de petits agriculteurs qui, pour être modestes, n’en étaient pas moins des propriétaires, et se battaient même précisément au nom de la défense de leur propriété. Ils estimaient seulement que cette propriété était un droit pour tout homme, qu’elle le rehaussait dans son humanité, et qu’il n’était pas sain que quelques exploitants ou spéculateurs s’arrogent la possession de toutes les terres. Au-delà des revendications morales, toutefois, il importe bien de comprendre que le populisme exprimait aussi, et peut-être avant tout, une inquiétude intéressée et concrète : la peur de disparaître, pour toute une classe sociale, et la hantise de sombrer dans la misère.

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4 Commentaires

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  • #1617330
    Le 6 décembre 2016 à 18:25 par Mo’Truckin’
    Le populisme américain

    Parmi les définitions de populisme, deux d’entre elles ont retenu mon attention :

    - attitude politique cherchant à attirer la sympathie du peuple par des mesures sociales populaires
    - idéologie de certains mouvements politiques se fondant sur le peuple

    Ce que je vois depuis plusieurs décennies, c’est que beaucoup de politiciens utilisent ce terme en le dévalorisant (l’élection de Trump, dernièrement, est le dernier exemple en date qui me vient à l’esprit) ...
    Or, pour moi, c’est un mépris flagrant vis-à-vis Du Peuple, dont je suis fière de faire partie.

     

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  • #1617348
    Le 6 décembre 2016 à 19:00 par missa
    Le populisme américain

    entre le citoyen lambda et les mouvements populistes c’est plus que du mépris c’est le dépit de voir que le peuple ne peut plus encaisser cette démocratie et tous ses valets. Ne reste que les idiots utiles ou intéressés.

     

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  • #1617398
    Le 6 décembre 2016 à 20:04 par yéti déporté au Benêtland
    Le populisme américain

    En 1906 Werber Sombart écrivait un article "Pourquoi l’Amérique n’est pas socialiste"
    - multiethniquage = divisions raciales prééminente sur le politique
    - conquête de l’Ouest = individualisme
    - pas d’Histoire ni religion commune = apolitisme + sectes

    En 2016, 2 directeurs de recherche d’Harward ont démontré la corrélation entre le multiculturalisme et l’absence de couverture sociale, dans le monde...

     

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    • #1617993
      Le Décembre 2016 à 17:05 par Geof’
      Le populisme américain

      meerde...

      ça voudrait dire que le métissage "sollicité" par nos dirigeants aurait une motivation inavouable ?

      du genre "détruire la sécurité sociale" , pour in fine réduire en esclavage TOUS les peuples ?

      ce qui me fascine, ce sont les patriotes-capitalistes : ils veulent jouer à un jeu où le perdant disparaît, comme si ils allaient logiquement s’imposer...

      le capitalisme, c’est le jeu où le gros gagne tjrs à la fin car il a d’emblée un avantage concurrentiel - il rachète peu à peu les terres agricoles, et prolétarise les ex-fermiers - Marx en a parlé !!!

      le Salut de l’humanité est dans le partage, çàd le communisme

      Geof’, neo-communiste