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Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

Dans son édition du 14 novembre 2018, l’hebdomadaire Rivarol diffusait deux articles de Me Viguier à propos de l’Histoire, de l’historien, de la mémoire et du révisionnisme. Voici le premier.

 

La question se pose au sujet du sort que les tribunaux ont réservé à Robert Faurisson, au bas mot depuis 1979. Formulée ainsi, elle est encore trop restrictive et l’on pourrait dire « l’historien est-il libre ? », ou, ce qui revient au même, « est-ce que l’histoire est libre ? ».
On pense immédiatement à l’article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (loi de 1990, dite loi Gayssot). Mais il ne faut pas trop focaliser son attention sur la loi Gayssot, car en réalité cette loi n’a pas résolu la question, et l’on va voir qu’au regard de celle-ci elle est même devenue un paradoxe de notre droit actuel. Mettons un peu d’ordre dans les idées, prenons l’une après l’autre les thèses en présence. Affrma et nego.

 

Oui ! L’historien est libre !

Peut-être pas absolument libre, au regard de la réprobation sociale et académique, et de la marginalisation ou de la répression institutionnelle qu’une opinion trop divergente peut valoir à son auteur. Nuançons aussitôt : l’historien est relativement libre. C’est-à-dire qu’il n’est pas en France de vérité historique officielle. C’était l’état du droit avant même l’intervention de la loi Gayssot. L’arrêt de 1983 s’inscrit dans cette jurisprudence : ce n’est pas devant les tribunaux que l’histoire peut trouver ses juges. L’historien est simplement soumis à réparation, comme tout le monde, lorsque par une faute intentionnelle ou d’imprudence il vient à commettre un dommage envers autrui. Il est également sujet à répression lorsque, sortant du domaine scientifique, il commet une injure ou une diffamation. Cette dernière infraction est déjà plus délicate. Mais un débat peut encore s’instaurer sur la vérité du fait imputé à celui dont l’honneur est atteint. Et puis il y a la provocation à la haine raciale. C’est dans la veine de cette infraction que s’inscrivent l’apologie ou la contestation de crime contre l’humanité. Car en effet la contestation a sa place ici, selon une certaine thèse, défendue tant par la Cour de cassation que par le Conseil constitutionnel. Selon ces deux organes la loi Gayssot n’incrimine nullement le révisionnisme historique. L’histoire est libre. Ce qui est interdit c’est l’outrance ou la mauvaise foi dans la présentation des faits historiques dans le but dès lors présumé d’injurier, de diffamer ou de provoquer à la haine. Dans le cas des faits de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit d’une présomption d’antisémitisme. Le révisionnisme est libre, le négationnisme interdit.

Cette thèse est devenue celle d’Alain Jakubowicz, qui distingue l’historien, totalement libre de débattre de tous les points de la Seconde Guerre mondiale, et, disons, le gangster de l’histoire, le menteur professionnel, le falsificateur ou le faussaire de l’histoire que la loi Gayssot a pour objet d’appréhender, y compris lorsqu’il se livre à son travail de manière sournoise ou par allusions.

Après que je fus intervenu à ses côtés, la ligne de défense du Professeur s’inscrivait dans le cadre de cette hypothèse. Si l’historien est libre, je devrais l’être, car je ne fais que travailler sur des faits offerts à la réflexion scientifique : l’existence ou non d’un plan, d’un ordre, d’une organisation du massacre en masse des Juifs d’Europe, l’existence ou non d’un appareil d’exécution de ce meurtre de masse (chambre à gaz cyanhydrique ou autre), enfin l’existence du corpus delicti, les victimes, et leur nombre. À preuve, dans ses derniers procès, Robert Faurisson n’était quasiment plus poursuivi que pour avoir cité quantité d’historiens orthodoxes qui reprenaient ses thèses ou du moins avançaient des idées où il voyait des « Victoires du révisionnisme ».

Pourtant le Professeur était condamné. C’est-à-dire qu’un même propos, selon qu’il était tenu par Raul Hilberg ou par Robert Faurisson, pouvait vous valoir les lauriers ou la couronne d’épines. Puisque la LICRA prétendait que mon client était un antisémite acharné, j’en vins à soutenir que s’il fallait être antisémite pour oser se livrer aux recherches auxquelles il avait consacré sa vie, alors on pouvait reconnaître au moins ce mérite à l’antisémitisme.

 

Non ! L’historien n’est pas libre !

C’est cette position qui est le plus naturellement prise au sujet de la loi Gayssot. On ne compte plus le nombre de juristes et d’historiens, mais aussi de philosophes et d’hommes politiques qui se sont élevés à ce titre contre l’existence de cette loi Gayssot. Cette thèse est juste, car les juges du fond, surtout les juges de première instance, tendent à comprendre la loi Gayssot comme une loi qui interdit de nier l’existence des chambres à gaz homicides. Interprétation naïve, mais qui a le mérite de la clarté. La XVIIe chambre correctionnelle du tribunal de Paris, en 2017, a ainsi pu dire que Robert Faurisson était un menteur parce qu’il contredisait la loi : la loi Gayssot est ainsi érigée en édiction d’une vérité historique officielle, avec sanction positive de ceux qui ne la respectent pas.

Cela génère une situation paradoxale : d’un côté le Conseil constitutionnel, dans sa décision Reynouard (2016), du nom du révisionniste bien connu, estime que si la loi Gayssot respecte la Constitution, c’est parce qu’elle n’interdit pas la recherche historique, de l’autre, les juges du fond appliquent précisément cette même loi dans le sens d’une interdiction du débat sur l’existence des chambres à gaz homicides. Et aucun organe constitutionnel n’est susceptible de trancher cette situation ubuesque à laquelle les promoteurs du système de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) n’avaient pas pensé.

Toujours est-il que c’est dans ce cadre que j’ai entendu pour la première fois Robert Faurisson se défendre. Au juge qui lui demandait s’il allait continuer de violer la loi Gayssot, le Professeur répondit :

« Oui ! Oui et oui, vous pouvez me jeter en prison, jamais je ne me soumettrai à la force injuste de la loi. »

C’est la défense de rupture articulée par Antigone devant Créon. Au sortir d’une guerre fratricide, l’édit de Créon avait ordonné que l’on accordât à Étéocle des funérailles nationales, mais que l’on abandonnât le corps de Polynice aux oiseaux rapaces et aux chiens errants. Je crois que la référence à l’édit de Créon est adaptée à la situation. Le jugement de Nuremberg n’a pas, au sens du droit, autorité de la chose jugée, et l’on n’a jamais vu que la res judicata s’imposât aux historiens. Mais il ne s’agit pas d’un jugement comme les autres. Il s’agit d’un acte politique. Nuremberg est comparable à un traité, sauf que ce n’est pas un traité de paix. Finalement, la question n’est plus tant de savoir si l’histoire est libre ou non. Il faut distinguer selon que l’histoire est brûlante ou non, c’est-à-dire actuelle ou pas, politique ou sans enjeu. Lorsque l’histoire est présente (il peut s’agir de faits récents comme de faits très lointains), l’histoire n’est jamais libre. Sauf la liberté absolue pour l’historien d’enfreindre l’interdit, à ses risques et périls.

Mais il est une distinction cardinale en la matière. Certains interdits, comme celui de Créon, sont des prolongements de la guerre, tandis que d’autres, comme l’éclair de Zeus évoqué par Carl Schmitt dans un texte de 1947, sont des gages de paix. Entretien de la mémoire dans un cas, effacement de la mémoire dans l’autre.

Damien VIGUIER, ancien avocat de Robert FAURISSON et avocat d’Alain SORAL.

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Sur le procès de Nuremberg,
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9 Commentaires

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  • #2091547
    Le 1er décembre 2018 à 15:50 par Babar
    Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

    Il n’y a pas d’universitaire révisionniste, il se ferait virer illico de l’Université, comme au bon vieux temps du regretté Joseph Staline . Progrès considérable : il n’a pas droit à la balle dans la nuque .

     

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  • #2091585
    Le 1er décembre 2018 à 17:28 par Dalloz
    Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

    Merci à Maître Viguier et à E&R pour cette analyse de fin juriste, laquelle permet d’éclairer le citoyen lambda, qui se donne la peine de la lire.

     

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  • #2091729
    Le 1er décembre 2018 à 22:20 par syzygy
    Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

    Bravo Damien VIGUIER, il y a des magistrats dont le col doit gratter. Ne les oublions pas et notons-les sur le mur des collabos. Leur heure viendra bientôt, ils devront rendre des comptes à la Nation. Salut et Fraternité !

     

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  • #2091766
    Le 1er décembre 2018 à 23:31 par Sedetiam
    Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

    Au collège, à l’heure de l’étude, je ne révisais jamais le latin, malgré l’imposition. Déjà n’étions-nous pas libre de réviser, ou pas.
    Interrogé par le prof le lendemain, muré dans un certain mutisme ce circonstance, lorsqu’il affirmait d’un ton exclarrogatif : « Vous n’avez pas révisé », je niais, d’une locution conjonctive ne permettant pas d’ambiguité.
    « Si. »
    Et lui d’affirmer : « Non !
    - Oui, absolument. »
    Ce qui me valait de me faire foutre à la porte. Ce qui était le but, tant les belettes qui avaient envahi trois pré-fabriqués placés au sein de notre quartier non mixte, pour préparer quelques diplômes en comptabilité, avaient sport dans cette fourchette horaire : et c’était bien dans cet espace-temps qu’il ne fallait pas perdre son latin. D’autant que ce sont elles qui m’ont enseigné le fameux : « oui... mais non », dans la même phrase.
    De quoi être armé contre quelque future loi Gayssot, l’autre qui fait du bon boulot.

     

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  • #2093647
    Le 4 décembre 2018 à 12:15 par manièredevoir
    Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

    On entend beaucoup parler de changement de Constitution, mais s’il l’on voulait rendre vivant ce droit constitutionnel, plutôt que la QPC, ne vaudrait-il pas mieux plaider le plus souvent possible, Maître, l’exception d’incontitutionnalité ?

     

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  • #2093897
    Le 4 décembre 2018 à 17:15 par Mariana
    Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

    Le révisionnisme historique est d’autant moins libre en France que les clercs ont fait le deuil de l’exactitude ! Or un peuple, pas plus qu’un homme ne peut faire le deuil de l’exactitude car il renonce alors au sens.

     

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  • #2096497
    Le 8 décembre 2018 à 02:37 par HP
    Le révisionnisme historique est-il libre en France ?

    Ainsi l’entretien de la mémoire est une nuisance contre la paix ? Voire une déclaration de guerre.

    Très bonne mise au point en tout cas.

     

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