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Mort du philosophe et anthropologue René Girard

L’anthropologue René Girard est mort mercredi 4 novembre, à Stanford, aux Etats-Unis. Il avait 91 ans. Fondateur de la « théorie mimétique », ce franc-tireur de la scène intellectuelle avait bâti une œuvre originale, qui conjugue réflexion savante et prédication chrétienne. Ses livres, commentés aux quatre coins du monde, forment les étapes d’une vaste enquête sur le désir humain et sur la violence sacrificielle où toute société, selon Girard, trouve son origine inavouable.

 

[...] Né le 25 décembre 1923 à Avignon, René Noël Théophile grandit dans une famille de la petite bourgeoisie intellectuelle. Son père, radical-socialiste et anticlérical, est conservateur de la bibliothèque et du musée d’Avignon, puis du Palais des papes. Sa mère, elle, est une catholique tendance Maurras, passionnée de musique et de littérature. Le soir, elle lit du Mauriac ou des romans italiens à ses cinq enfants. La famille ne roule pas sur l’or, elle est préoccupée par la crise, la montée des périls. Plutôt heureuse, l’enfance de René Girard n’en est donc pas moins marquée par l’angoisse. [...]

 

Longue aventure américaine

Après des études agitées (il est même renvoyé de son lycée pour mauvaise conduite), le jeune Girard finit par obtenir son bac. En 1940, il se rend à Lyon dans l’idée de préparer Normale-Sup’. Mais les conditions matérielles sont trop pénibles et il décide de rentrer à Avignon. Son père lui suggère alors d’entrer à l’Ecole des chartes. Il y est admis et connaît à Paris des moments difficiles, entre solitude et ennui. Peu emballé par la perspective de plonger pour longtemps dans les archives médiévales, il accepte une offre pour devenir assistant de français aux Etats-Unis. C’est le début d’une aventure américaine qui ne prendra fin qu’avec sa mort, la trajectoire académique de Girard se déroulant essentiellement outre-Atlantique.

Vient alors le premier déclic : chargé d’enseigner la littérature française à ses étudiants, il commente devant eux les livres qui ont marqué sa jeunesse, Cervantès, Dostoïevski ou Proust. Puis, comparant les textes, il se met à repérer des résonances, rapprochant par exemple la vanité chez Stendhal et le snobisme chez Flaubert ou Proust. Émerge ainsi ce qui sera le grand projet de sa vie : retracer le destin du désir humain à travers les grandes œuvres littéraires.

 

De la littérature à l’anthropologie religieuse

En 1957, Girard intègre l’Université Johns Hopkins, à Baltimore. C’est là que s’opérera le second glissement décisif : de l’histoire à la littérature, et de la littérature à l’anthropologie religieuse. « Tout ce que je dis m’a été donné d’un seul coup. C’était en 1959, je travaillais sur le rapport de l’expérience religieuse et de l’écriture romanesque. Je me suis dit : c’est là qu’est ta voie, tu dois devenir une espèce de défenseur du christianisme », confiait Girard au Monde, en 1999.

À cette époque, il amasse les notes pour nourrir le livre qui restera l’un de ses essais les plus connus, et qui fait encore référence aujourd’hui : Mensonge romantique et vérité romanesque (1961). Il y expose pour la première fois le cadre de sa théorie mimétique. Bien qu’elle engage des enjeux profonds et extrêmement complexes, il est d’autant plus permis d’exposer cette théorie en quelques mots que Girard lui-même la présentait non comme un système conceptuel, mais comme la description de simples rapports humains. Résumons donc. Pour comprendre le fonctionnement de nos sociétés, il faut partir du désir humain et de sa nature profondément pathologique. Le désir est une maladie, chacun désire toujours ce que désire autrui, voilà le ressort principal de tout conflit. De cette concurrence « rivalitaire » naît le cycle de la fureur et de la vengeance. Ce cycle n’est résolu que par le sacrifice d’un « bouc émissaire », comme en ont témoigné à travers l’histoire des épisodes aussi divers que le Viol de Lucrèce, l’Affaire Dreyfus ou les procès de Moscou.

 

Prédicateur chrétien

C’est ici qu’intervient une distinction fondamentale aux yeux de Girard : « la divergence insurmontable entre les religions archaïques et le judéo-chrétien ». Pour bien saisir ce qui les différencie, il faut commencer par repérer leur élément commun : à première vue, dans un cas comme dans l’autre, on a affaire au récit d’une crise qui se résout par un lynchage transfiguré en épiphanie. Mais là où les religions archaïques, tout comme les modernes chasses aux sorcières, accablent le bouc émissaire dont le sacrifice permet à la foule de se réconcilier, le christianisme, lui, proclame haut et fort l’innocence de la victime. Contre ceux qui réduisent la Passion du Christ à un mythe parmi d’autres, Girard affirme la singularité irréductible et la vérité scandaleuse de la révélation chrétienne. Non seulement celle-ci rompt la logique infernale de la violence mimétique, mais elle dévoile le sanglant substrat de toute culture humaine : le lynchage qui apaise la foule et ressoude la communauté. Girard, longtemps sceptique, a donc peu à peu endossé les habits du prédicateur chrétien, avec l’enthousiasme et la pugnacité d’un exégète converti par les textes. De livre en livre, et de La Violence et le sacré (1972) jusqu’à Je vois Satan tomber comme l’éclair (1999), il exalte la force subversive des Évangiles.

Lire l’intégralité de l’article sur lemonde.fr

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24 Commentaires

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  • #1309409
    Le 5 novembre 2015 à 12:05 par Lavrov
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    Amis de E&R
    L’article du monde est consternant.
    Girard est un des derniers penseurs Français avec une morale ,proche de celle que nous pensons fondatrice de la France.
    Celui qui a écrit cet article doit probablement être un fan de finky ou de Bhl.
    Ne varietur
    Lavrov.

     

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    • #1309579
      Le Novembre 2015 à 15:10 par bourdieusien
      Mort du philosophe et anthropologue René Girard

      Salut Lavrov .... selon toi Pascal ou meme Rabelais seraient donc sans morale ???

       
    • #1310228
      Le Novembre 2015 à 01:49 par Seb
      Mort du philosophe et anthropologue René Girard

      @bourdieu
      Girard est un des derniers penseurs Français avec une morale

      avec Soral

      Pascal, c’était avant...

       
    • #1311331
      Le Novembre 2015 à 04:32 par bourdieusien
      Mort du philosophe et anthropologue René Girard

      C’est vrai, autant pour moi ... on peut faiblir de temps en temps ...

       
    • #1311768
      Le Novembre 2015 à 18:16 par bourdieusien
      Mort du philosophe et anthropologue René Girard

      je re-precise ... j’avais tilté sur "morale" .... et non pas "penseur" (ou philosophe ou intellectuel), catégorie que je conchie intégralement (pour lever toute ambiguité)... Qualifer de "penseur" est (selon mes catégories inspirées de la tradition) insultant. Catégorie que j’oppose à celle de sage. Pour clarifier, Descartes n’est pas un philosophe mais un sage (à l’inverse de Nietzche et Girard qui sont de tres grands philosophes selon leurs fans).

       
  • #1309411
    Le 5 novembre 2015 à 12:05 par Pierre
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    Voici une très bonne synthèse de la théorie de René Girard, qui vient de paraître :

    http://www.valeursactuelles.com/soc...

     

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  • #1309415
    Le 5 novembre 2015 à 12:13 par Track
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    Je préfère de loin des gens comme Jean Pierre Girard ! Bien plus effectif que de la "pensée pure"

     

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  • #1309458
    Le 5 novembre 2015 à 13:04 par paramesh
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    rassurez vous, René Gérard mort ne sera pas plus valorisé qu’il ne l’a été de son vivant, tout simplement parce que sa pensée n’a rien d’idéologique et donc elle dérange nos élites universitaires des lumières.
    s’il n’y a qu’un livre à lire de lui c’est " la violence et le sacré"
    c’est le genre de livre dont on a du mal à se remettre tant il touche des cordes sensibles (et c’est agréablle à lire c-a-d le contraire de la littérature universitaire) et surtout il n’y a besoin d’être chrétien pour comprendre où il veut en venir. pas d’obligation non plus d’adhérer à tout ce qu’il dit pour en tirer profit, c’est une pensée ouverte.
    un très grand penseur à l’esprit typiquement Français à découvrir pour ceux qui ne connaissent pas

     

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  • #1309476
    Le 5 novembre 2015 à 13:23 par Rachid
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    triste coincidence pour moi, je suis actuellement un train de lire "la violence et le sacre", livre achete a la librairie facta a paris...pour 1 euro.

    clair, precis et inspire, je conseille ce livre qui devoile quelque peu la nature humaine.

    paix a votre ame rene girard

     

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    • #1309585
      Le Novembre 2015 à 15:17 par david
      Mort du philosophe et anthropologue René Girard

      Ah oui, quand même, y a des bons plans à "Librairie Facta" 1 euros seulement, dommage je suis pas parisien, dommage aussi qu’il faille payer les carreaux cassés par les antifas enfin les antifacta est.

       
  • #1309480
    Le 5 novembre 2015 à 13:29 par Gerard John Schaefer
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    René Girard n’a jamais remué mes abysses.

    Désolé, ça demeure une pensée de surface.
    Ici, on est tout au fond, au chaud, merci.

    Sade, Céline, Debord, vas-y, René Girard, pour quoi faire ?

     

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  • #1309535
    Le 5 novembre 2015 à 14:30 par Les Dieux Ont Soif
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    Le Monde toujours au niveau !

    René Girard n’est pas un "prédicateur chrétien", de même il n’est pas de "droite", pas plus que Marx est "de gauche". D’ailleurs il y a une corrélation intense entre le Fétichisme de la marchandise et le désir triangulaire. Mais pour s’en apercevoir il faut commencer par produire un boulot suffisant sur ces questions. Ce qu’aucun journaleux ni même Guyot ou autre Pommier n’ont fait.

    Girard s’inscrit dans le très mince filet de pensée qui part des pré-socratiques, emprunte 2 ou 3 autres esprits, et renaît dans une partie restreinte mais puissante d’Hegel, puis Marx et donc - enfin - Girard.

    Girard ne dit nulle part que le désir est "une maladie". Il montre la nature ambivalente et instable du désir qui n’est jamais le fait d’une subjectivité ou d’un individu mais qui en revanche est l’unique possibilité de la culture humaine, voire le coeur même du processus d’hominisation. On peut même dire qu’il fait exploser les notions fallacieuses d’individu, de liberté, d’intimité etc... qui font les choux gras des thuriféraires de la modernité. On est donc bien loin des supputations transpirantes angoissées de ses commentateurs.

    Il y a la pensée Vraie et la pensée Fausse. Ou comme disait Camus, très tôt, "j’ai toujours pensé qu’il y avait l’intelligence intelligente et l’intelligence bête". Ou encore René Char : "La lucidité est la blessure la plus proche du Soleil".

     

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  • #1309541
    Le 5 novembre 2015 à 14:36 par Georges 4bitbol
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    Hommage respectueux à Monsieur René Girard qui m’a littérairement et littéralement sauvé la vie grâce à la lecture, il a 30 ans, de "mensonge romantique et vérité romanesque".

     

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  • #1309551
    Le 5 novembre 2015 à 14:44 par Rien
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    Un des traits saillants des religions païennes antiques est la pratique du sacrifice humain.

    Jésus, par son message d’amour, s’est trouvé en contradiction flagrante avec ces dernières. A la lumière de sa prédication, force nous est de désigner comme religion païenne y compris le judaïsme, qui, fatalement le sacrifiera sur la croix.

    C’est ce qui explique aussi, par ailleurs, que Jésus ne faisait de distinction, de son vivant, qu’entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas, indépendamment de leur appartenance religieuse. Avoir la foi voulant dire tout simplement croire et aimer, sans aucune idée de martyr.

    En ce sens, le catholicisme est aussi une religion païenne, ce que son terreau romain ne pouvait manquer d’ailleurs de lui insuffler. D’où sa vénération pour la croix (symbole étroitement lié à Carthage, dont on connaît la voracité pour les crucifixions et les holocaustes au dieu Moloch Baal) censé reproduire le soi-disant sacrifice assumé de Jésus (agnus dei), sa propension aux bûchers et aux croisades (ces dernières lui étant venues par sa contagion avec l’islam conquérant, autre religion païenne, et son concept de guerre sainte), sans parler de son goût pour les saints et les vierges.

     

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    • #1309861
      Le Novembre 2015 à 20:09 par Rahan Abitbol
      Mort du philosophe et anthropologue René Girard

      @ Rien



      En ce sens, le catholicisme est aussi une religion païenne,



      La grande différence, à mon humble avis, c’est que les religions païennes sacrifient des victimes (humaines) en direction des Dieux, alors que le Christianisme sacrifie le Dieu lui-même,en direction des hommes...
      ...Jésus était à la fois victime et objet du sacrifice.
      C’est ce qui fait la spécificité du Christianisme, je crois ! et ce qui a annoncé la fin des sacrifices humains aussi.

       
    • #1312028
      Le Novembre 2015 à 23:42 par Cyrène
      Mort du philosophe et anthropologue René Girard

      @Rien

      La différence entre le christianisme et les religions païennes n’est pas le sacrifice, mais le statut de la victime.
      Dans les religions païennes, la victime sacrifiée (le bouc-émissaire pour reprendre la terminologie de Girard) est immolée pour restaurer la paix sociale dans la communauté. Le bouc-émissaire est ainsi rendu coupable de tous les maux puis sacrifié pour conjurer ces maux.
      Dans le christianisme, on prend pour la première fois conscience de l’innocence du bouc-émissaire désigné. Ainsi, le christianisme rend inopérant le sacrifice comme moyen de résorber les conflits internes au groupe.

      La chasse aux sorcières est une résurgence de la mentalité païenne (archaïque) en Europe. C’est une "initiative" populaire, elle n’a pas grand chose à voir avec l’Eglise. D’ailleurs, dans de nombreux cas, l’Eglise a même réussi à contenir cette folie, bien mieux que les Protestants.

       
  • #1310240
    Le 6 novembre 2015 à 02:15 par Seb
    Mort du philosophe et anthropologue René Girard

    Grand merci E&R, cet article vient étayer la réflexion d’AS sur le handisport.

    J’apprends le concept de rivalité mimétique, qui semble mériter tout à la fois vulgarisation et approfondissement.

     

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