Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

André Hazout, le gynéco tout-puissant en examen

Spécialiste reconnu de la médecine de la reproduction, le docteur André Hazout a été mis en examen pour « viols et agressions sexuelles » sur plusieurs de ses patientes. Une affaire qui se heurte à l’omerta du milieu médical.

Rarement une affaire aura autant déstabilisé une partie du corps médical. Depuis la mise en examen, le 19 octobre, du docteur André Hazout, 64 ans, gynécologue, pour « viols sur personnes vulnérables et agressions sexuelles », c’est la stupeur et la consternation. Mais aussi la gêne, le silence et le lourd jeu des rumeurs et contre-rumeurs.

L’affaire, si elle se confirme au plan judiciaire, concerne une personnalité très connue de la médecine de la reproduction assistée. Les faits auraient été commis à l’encontre de six patientes, mais une dizaine d’autres plaintes sont en attente d’être étudiées, et certaines n’ont pas pu être retenues en raison de leur prescription. Pour un des enquêteurs, il n’y a guère de doutes : « Cet homme fait peut-être référence dans le monde médical, mais pour nous, c’est clair. Il a reconnu en plus trois relations sexuelles, mais consentantes. Ce qui est sidérant, c’est qu’il a été laissé en liberté. »

Le Dr Hazout nie farouchement, et son avocat, Francis Szpiner, est persuadé que« cette affaire n’ira jamais aux assises ». « C’est à la justice de trancher. Il existe en France la présomption d’innocence », soutient le professeur René Frydman, chef de service à l’hôpital Antoine-Béclère (Clamart), qui ajoute : « Je travaille avec André Hazout depuis plus de trente ans. » Assurément, René Frydman est une des personnalités les plus incontestables du monde de la médecine de reproduction. De quoi renforcer l’impression que toute une discipline fait bloc derrière l’accusé… sans oser le dire. « Monsieur, je n’ai pas d’opinion à formuler », évacue ainsi le professeur Serge Uzan, doyen de faculté et personnalité centrale de la gynécologie française. Dominique Cornet, gynécologue de renom, ne souhaite « absolument pas évoquer cette affaire »,explique sa secrétaire. Jeanne Belaisch, chef de service à l’hôpital de Sèvres : « L’ordre des médecins nous déconseille de parler, et moi je ne peux et je ne veux pas. » « Je le connais bien, c’est un très bon médecin. Je tombe des nues », explique le professeur François Olivennes, qui a quitté l’année dernière la direction de la maternité de Port-Royal pour s’installer avec le Dr Hazout. « Tout le monde est gêné, comme si on avait peur d’un grand déballage. Mais lequel ? » s’interroge une des rares femmes professeurs de gynécologie.

« Allez, on va se faire un gros câlin »

Revenons aux témoignages. Certains doutent de leur fiabilité, mettent en cause la fragilité des femmes concernées. Il n’empêche, les mots sont là, terribles et brutaux. D’abord, ceux de Catherine (1), à l’origine de l’explosion publique de l’affaire. C’est une femme élégante. Elle raconte lentement. « Moi, ce que je veux, c’est qu’il n’exerce plus jamais. C’est en 2004 qu’on m’a conseillé ce médecin, alors que je n’arrivais pas à avoir d’enfants. Lors des premières consultations, tout se passe bien. Puis quand on commence le traitement hormonal, il se met à me tutoyer, il devient familier, puis m’embrasse sur la joue. Vous savez, sur le moment, on ne comprend pas, on est quand même très vulnérable », confie-t-elle. « Puis, en juin, il m’agresse d’un coup, me déshabille de force, me presse contre lui. J’étais dans un état d’ahurissement. On est dans sa pièce de consultation, et juste derrière la porte, il y a une dizaine de femmes dans la salle d’attente. Que faire ? Crier ? Passer pour une folle ? Vous ne pensez qu’à une seule chose : sortir au plus vite. Mais on revient quand même, parce qu’on est en traitement. Et que cet enfant, on le veut… La deuxième fois, ça a continué. Je lui disais : “Je ne veux pas.” Il me disait : “Mais tu ne sais pas profiter de la vie.” Cette fois-là, alors que j’étais sur la table d’auscultation, il m’embrasse le sexe. Et puis il y a eu une autre fois où il m’a dit : “Allez, on va se faire un gros câlin”, et là, vous ne pouvez pas savoir la peur que j’ai eue. Heureusement que le téléphone s’est mis à sonner, ça m’a sauvée. Je ne me suis jamais rhabillée aussi vite. » Catherine a du mal à poursuivre : « Je ne pouvais plus supporter le simple fait de me retrouver dans sa salle d’attente. Je n’en avais pas parlé à mon mari, je n’osais pas. En novembre, je me suis décidée à lui raconter, il était outré. J’étais mal, très mal, j’ai perdu beaucoup de poids, c’était une phase épouvantable. Je me sentais coupable. C’est dur d’expliquer pourquoi je suis retournée le voir, j’avais le sentiment de ne pas avoir eu le choix. »

Par le biais d’un ami, le couple contacte le collectif féministe contre les violences sexuelles, qui lui présente l’avocat Claude Katz, spécialiste de ce genre de dossiers. « Au début, on n’avait pas l’intention de déposer plainte, mais via l’association, on est allé sur Internet. Et on a commencé à voir qu’il y avait d’autres histoires », explique Catherine. Très vite, sur le Net, d’autres patientes se font connaître, racontent des expériences encore plus terribles : cinq, dix, vingt témoignages s’étalant sur plus de vingt ans. « Il y a même une histoire remontant à 1984, note l’avocat. Tout cela prenait une dimension énorme. »

Déjà une plainte il y a quinze ans

En juillet 2005, une plainte est déposée avec constitution de partie civile. Mais une première juge d’instruction se dessaisit. Un deuxième, en raison de la particularité de l’affaire, s’adjoint une juge femme. La police judiciaire se lance dans un travail de fourmi : reprendre les témoignages anonymes, retrouver leurs auteurs, confirmer leurs dires, vérifier si les jours de consultations sont les bons, interroger le principal accusé, mais aussi ses proches, les médecins avec qui il a travaillé, sa femme, qui lui sert de secrétaire. Les victimes sont entendues, mais aussi examinées par des psychologues et des psychiatres. « Pour nous, les témoignages retenus sont vraiment béton », lâche un enquêteur.

En cours d’enquête, les enquêteurs découvrent une plainte déposée il y a plus de quinze ans, auprès de l’ordre des médecins. Une patiente se plaignant du comportement sexuel du Dr Hazout. Réponse du secrétaire général de l’ordre régional des médecins, le 18 janvier 1991 : « Cette affaire aura les suites qu’elle doit comporter. » Il ne se passera rien, le dossier sera oublié . Comme sera oublié un signalement auprès de la Direction générale de la santé.

« C’est incroyable ce silence ! tempête Me Claude Katz. Mais de quels soutiens, de quels appuis a-t-il pu bénéficier ? » De fait, André Hazout n’est pas n’importe quel gynécologue. « En matière de médecine de la reproduction, il est très compétent, il suit toutes les avancées scientifiques et il a de bons résultats », disent un grand nombre de gynécologues. Pendant près de vingt ans, il est attaché au service phare de la médecine de la reproduction, chez son ami René Frydman, à l’origine des premiers bébés-éprouvette en France. Puis il le quitte. « En 2004, il est venu me trouver », raconte le professeur Patrick Madelenat, alors chef du service de gynécologie obstétrique de l’hôpital Bichat. « On avait une unité de médecine de la reproduction qui n’allait pas bien. Il s’est proposé pour en prendre la direction. Et je m’en félicite, car très vite, il l’a redressée de façon spectaculaire. C’est un excellent praticien. »

Mais quid de ces pratiques avec les patientes ? Tant René Frydman que Patrick Madelenat disent ne jamais les avoir soupçonnées. « Attendez, c’était connu comme le loup blanc qu’il était… chaleureux avec ses patientes », lâche pourtant un gynécologue parisien. « Hazout, on le connaît tous, c’est un de ces médecins un peu dragueurs, paternalistes, c’est ce qu’on se disait, raconte Dr Joëlle Brunerie-Kaufman. Les rumeurs existaient, mais cela s’arrêtait là. »

Durant ses années à l’hôpital Antoine-Béclère, il y a pourtant eu des conflits. Certaines femmes médecins sortaient ostensiblement du « staff » hebdomadaire quand André Hazout venait. « C’est dû à son caractère », tempère Frydman. Un ancien chef de clinique, parti depuis à l’étranger, raconte l’histoire d’une femme, enceinte de jumeaux après une FIV (fécondation in vitro). Cette femme, brutalement, s’est tue, est devenue totalement muette. Un jour, dans le service, elle a explosé en larmes, hurlant à la stupeur des soignants : « Mais je ne suis même pas sûre que ces enfants soient ceux de mon mari. » Une autre gynécologue : « Dans les années 1990 et 2000, nous avons été plusieurs gynécologues à recevoir des patientes d’Hazout. Elles arrivaient dans un état psychologique déplorable. On ne pensait pas à des violences sexuelles, mais à des violences verbales. C’était toujours la même histoire. Ces femmes nous arrivaient après avoir arrêté tout traitement pendant deux ans. Comme traumatisées. » Echo inverse, en revanche, du professeur Patrick Madelenat : « Je n’ai jamais eu, à l’hôpital, le moindre souci avec lui. Même si personne ne nie qu’il avait un caractère dirigiste. »

« Je ne pouvais pas partir, je voulais un enfant »

Comment, en tout cas, ne pas être troublé par ce témoignage qui a permis de qualifier les faits en viols aggravés. Véronique (1) a 45 ans. Elle a tant de mal à parler qu’elle se tait souvent. C’est une collègue de travail qui lui a indiqué le nom du Dr Hazout. « En 2004, j’étais allée le voir pour une FIV. Au départ, il était très correct, chaleureux. Il donnait le sentiment de vouloir tout faire pour me donner cet enfant. Vous savez, quand on se bat depuis des années contre la stérilité, on a envie de tomber sur un grand magicien, sur quelqu’un qui va aller contre la nature… Au bout de deux consultations, j’ai été mise dans un protocole lourd. Et c’est là qu’il a commencé à avoir une attitude… », Véronique cherche, ne trouve pas le mot, puis lâche : « … anormale ».

Elle ne veut pas en dire plus. « A chaque fois, la salle d’attente était pleine, il avait toujours une heure de retard. Après trois échecs, il m’a dit, brutalement, qu’il n’y avait plus rien à attendre, que mes ovocytes étaient de mauvaise qualité. Et qu’il fallait penser au don d’ovocyte. Il m’a parlé d’une clinique à Grenade, en Espagne. Et je ne sais pas, là, je me suis réveillée, oui réveillée. C’est ça peut-être qui m’a permis de briser l’emprise. » Trois ans après les faits, Véronique cherche toujours à comprendre cette emprise. « Le gros problème, c’est le conjoint. S’il y a si peu de plaintes contre Hazout, c’est parce que les femmes n’osent pas parler. Moi, ça m’a pris un temps fou. Je n’ai pu vraiment lui en parler que devant le juge. Vous savez, on est dans une attente énorme, on est prête à tout pour l’enfant. Vous avez l’impression que votre corps ne vous appartient pas, que vous n’avez plus qu’un corps mort. Pendant le traitement, vous devez vous faire des piqûres tous les jours. Et c’est à ce moment-là qu’il m’a violée, la veille de me faire une ponction ovocytaire… Je ne pouvais pas partir, je voulais un enfant. »

« On a un pouvoir énorme dans la médecine de reproduction, note Nathalie Lédée, maître de conférences et médecin à l’hôpital de Poissy. Et au-delà de cette affaire, on ne peut pas ne pas s’interroger sur nos pratiques, sur le pouvoir excessif que l’on a, nous, médecins… Quand au cours d’une consultation de quelques minutes on va lâcher à une femme que sa réserve ovarienne s’est effondrée, c’est terrible ! Comment, dans cette médecine, se décline le respect de la femme ? Pourquoi n’aborde-t-on jamais non plus les questions d’argent, qui sont omniprésentes ? Il y a des questions à se poser, et c’est ce qui me gêne actuellement dans le malaise autour de cette affaire. »

(1) Les prénoms ont été changés.

Source : http://www.liberation.fr
 






Alerter

1 Commentaire

AVERTISSEMENT !

Eu égard au climat délétère actuel, nous ne validerons plus aucun commentaire ne respectant pas de manière stricte la charte E&R :

- Aucun message à caractère raciste ou contrevenant à la loi
- Aucun appel à la violence ou à la haine, ni d'insultes
- Commentaire rédigé en bon français et sans fautes d'orthographe

Quoi qu'il advienne, les modérateurs n'auront en aucune manière à justifier leurs décisions.

Tous les commentaires appartiennent à leurs auteurs respectifs et ne sauraient engager la responsabilité de l'association Egalité & Réconciliation ou ses représentants.

Suivre les commentaires sur cet article