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Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

par Bernard Lugan

Lorsque l’on est président de la République, l’on se doit d’être prudent avec l’Histoire et de demander à ses conseillers de relire soigneusement leurs fiches. Nicolas Sarkozy et François Hollande l’ont tous deux appris à leurs dépens.

Le premier avec son « Discours de Dakar », dans lequel, voulant paraître avoir compris des Afriques dont il ignorait tout, il humilia gravement les Africains. Le second avec son éloge de Jules Ferry, quand, pensant placer son mandat sous la figure tutélaire d’un homme de gauche consensuel, il provoqua la polémique, une grande partie de ses millions d’électeurs issus de notre ancien Empire colonial considérant le « père de l’École républicaine » comme un odieux « raciste ». Adieu le consensus…

Faut-il que la culture historique des conseillers du nouveau président soit à ce point partielle qu’ils aient pu ignorer que Jules Ferry a, en son temps, tenu des propos qui, aujourd’hui, le feraient très sévèrement condamner par les tribunaux ? Dans son fameux discours du 28 juillet 1885 prononcé devant les députés, il déclara ainsi : « Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Précisant sa pensée, il ajouta même que la colonisation est le « devoir d’hommes de race supérieure »…

Pour Jules Ferry, la conquête coloniale n’était brutale qu’en apparence puisque son but était civilisateur. La République n’avait-elle pas agi de même avec les « fanatiques » Vendéens pour les libérer de leur « obscurantisme », avec les Bretons, les Occitans ou les Basques et toutes ces « peuplades inférieures » qu’elle brisa et accultura par « altruisme », pour les transformer et les « sublimer » en Français ? Il devait donc en être de même avec les « sauvages » d’Afrique. Toujours par amour de la Liberté et du genre humain.

Chez Jules Ferry se retrouvent à la fois la notion de conquête émancipatrice et celle d’une France patrie des Droits de l’Homme ne pouvant se dérober devant les exigences de cette croisade laïque, libératrice et pour tout dire républicaine, qu’était la colonisation. D’ailleurs, pour lui, « la race supérieure ne conquiert pas pour le plaisir, dans le dessein d’exploiter le faible, mais bien de le civiliser et de l’élever jusqu’à elle » (Discours du 28 juillet 1885).

Ceux qui ont applaudi le discours prononcé au pied de sa statue dans l’attente fébrile de maroquins tant espérés, Madame Taubira en tête, ainsi que les édiles socialistes qui ont fait débaptiser des universités et des rues portant le nom d’Alexis Carrel, ont donc une mémoire curieusement sélective, pour ne pas dire hémiplégique…

Pour justifier une politique coloniale qui était à l’opposé du Contrat social, la gauche française établit en effet une hiérarchie entre les « races », entre « les civilisations ». Étant ses héritiers sans même le savoir, par simple imbibition à l’air du temps, messieurs Sarkozy et Guéant firent de même… et il leur en coûta médiatiquement…

Pourtant, aussi tard que le 9 juillet 1925, Léon Blum, cette autre grande conscience républicaine elle aussi irréprochable, n’avait pas craint d’affirmer devant les députés : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l’industrie. »

Lors du congrès de la Ligue des droits de l’Homme qui se tint à Vichy en 1931, Albert Bayet, son président, déclara quant à lui sous les applaudissements nourris des ennemis de toutes les intolérances, que la colonisation française était légitime car porteuse du message des « grands ancêtres de 1789 » et que, coloniser revenant à : « Faire connaître aux peuples les droits de l’Homme, ce n’est pas une besogne d’impérialisme, c’est une tâche de fraternité ».

À la différence des partisans des lois mémorielles, mille-feuilles historicide interdisant toute recherche, l’universitaire est bien conscient qu’il ne s’agit évidemment pas ici d’oublier le contexte qui prévalait à l’époque. Condamner les propos de Jules Ferry, d’Albert Bayet ou de Léon Blum en ayant l’œil fixé sur l’étalon mètre du politiquement correct que leurs héritiers ont déposé dans le pavillon de Flore de la pensée unique serait en effet une aberration scientifique.

Ceci ne doit cependant pas dispenser les héritiers des « grands ancêtres », aujourd’hui si prompts à la repentance et aux condamnations hors contexte, d’oublier de « balayer devant leur porte ».

En définitive, derrière l’éloge en apparence « innocent » de Jules Ferry prononcé par François Hollande, se cachent deux hypothèses :

  • 1) La première est qu’à Sciences-Po et à l’ENA, les professeurs d’histoire du futur président devaient être particulièrement incompétents et que ses actuels conseillers ont de singulières lacunes historiques. Nous aurions là la preuve par 9 des résultats obtenus par ces « pédagogistes » enkystés au ministère de l’Éducation nationale depuis la Libération et qui, tant sous les régimes de gauche que sous les régimes dits de « droite », n’ont eu de cesse d’assassiner l’enseignement de l’histoire.
  • 2) La seconde serait au contraire celle d’une volonté clairement affichée d’un grand retour aux sources idéologiques de la gauche française, François Hollande raccrochant ainsi une famille doctrinalement déboussolée par le « mitterrandisme » aux mythes fondateurs de la République, tout en occultant prudemment le fait que le « père de l’école républicaine » fut le chantre d’un certain « racisme philanthropique ».

Les années à venir nous diront laquelle de ces hypothèses était la bonne…

 






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32 Commentaires

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  • #155563
    Le 21 mai 2012 à 05:34 par micka
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    La "gauche" et mitterand en particulier a quand même été incroyablement forte et habile sur ce sujet.

    Parvenir en moins d’un demi-siècle à occulter son rôle de colonisatrice et de collaboratrice tout en réussissant remarquablement à mettre aujourd’hui les anciens colonisés de leur côté, et mieux, à rejeter ses méfaits sur la droite nationale en usant et abusant de sa novlangue antiraciste, chapeau bas.

    Mais si elle a réussi un tel exploit, ce ne peut être que grâce à l’appui des élites d’une certaine communauté qui lui a toujours été acquise et dont le taux d’entrisme dans les médias de masse est sans équivalent

     

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  • #155571
    Le 21 mai 2012 à 07:24 par bobforrester
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    bonjour

    Les difficultés en histoire, qui est une "science de parti" (Lénine) =où chaque classe a sa propre vision des évènements, c’est 1)de ne pas oublier la lutte des classes -qui est le "moteur de l’histoire" (Marx) 2) de ne pas mélanger la morale et la science , c’est à dire porter des jugements de valeur anachroniques à partir du présent sur un passé révolu dans des contextes différents : autres lieux autres temps = autres moeurs. La colonisation est un fait universel qui traverse l’histoire de l’humanité de l’antiquité à nos jours. Toutes les races humaines y ont participé peu ou prou apportant avec elles le progrès ou le recevant du colonisé. Les impérialismes européens du 19e siècle n’ont pas dérogé à cette loi historique.Ils se sont partagés le monde plus ou moins cruellement en fonction notamment des résistances rencontrées dans les pays colonisés et de l’action des forces démocratiques du pays colonisateur .L’impérialisme français n’ a pas été ,loin de là, le pire des colonialismes, lire "Contre la repentance" de D.Lefeuvre pour s en convaincre . Mais le fond de l affaire est le suivant : quel est le bilan "civilisationel" de l’Impérialisme ? Lire pour comprendre "L’Impérialisme stade suprême du capitalisme" où Lénine cite le grand économiste Schulz Gavertniz : « Si le "mérite" de l’impérialisme est d’habituer le Noir au travail" (on ne saurait se passer de la contrainte...), le "danger" de l’impérialisme consiste en ceci que "l’Europe se déchargera du travail manuel - d’abord du travail de la terre et des mines, et puis du travail industriel le plus grossier - sur les hommes de couleur, et s’en tiendra, en ce qui la concerne, au rôle de rentier, préparant peut-être ainsi l’émancipation économique, puis politique, des races de couleur".
    Quand aux causes de la colonisation Lénine cite un auteur français (WAHL : La France aux colonies) : « il convient d’ajouter aux causes économiques de la politique coloniale d’aujourd’hui des causes sociales : "Les difficultés croissantes de la vie qui pèsent non seulement sur les multitudes ouvrières, mais aussi sur les classes moyennes, font s’accumuler dans tous les pays de vieille civilisation des "impatiences, des rancunes, des haines menaçantes pour la paix publique ; des énergies détournées de leur milieu social et qu’il importe de capter pour les employer dehors à quelque grande oeuvre, si l’on ne veut pas qu’elles fassent explosion au-dedans ." » Ces analuses n’ont elles pas été validées ?

     

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  • #155584
    Le 21 mai 2012 à 08:49 par jeff
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    j’ai plus de respect pour CLEMENCEAU,que pour FERRY qui rime avec pourri,et depuis quand Hollande et socialiste.C’est un pur libérale de droite.Chaque peuple a le droit a sa souveraineté et ses coutumes,jules ferry c’est une merde.Le FN prône ça avec les Congolais qui votent Marine Lepen pour la souveraineté de leur pays.Nationalisme rime avec nation libre ne pas l’oublié.

     

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  • #155634
    Le 21 mai 2012 à 11:49 par Rachid
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    Le premier racisme fut celui des elites francaises pour le peuple francais, que ces elites ont constamment exploites, humilies, et tues...

    Alors il est assez simple de comprendre ce que ces elites ont pu faire en afrique ou ailleurs avec d’autres populations...

    Et en parlant colonisation, la question est dans quelle mesure le paysan auvergnat ou le mineur du nord de la france, ont beneficie de la colonisation ?

    Quelles etaient leurs conditions de vie au moment ou l’armee francaise se lancait a la conquete de territoires exotiques ?

     

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  • #155640
    Le 21 mai 2012 à 12:04 par A.F
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    Le droit de l’ or :

    La faim confèrera au capital des droits plus puissants sur le travailleurs que jamais le pouvoir légal du souverain n’ en eut conferé à l’ aristocratie .
    Nous gouvernons les masses en tirant parti des sentiments de jalousie et de haine allumés par l’ opression et le besoin .Et au moyen de ces sentiments ,nous nous débarasserons de ceux qui entravent notre démarche .

     

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  • #155663
    Le 21 mai 2012 à 13:07 par Pito
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    J’apprécie certains articles de Lugan, mais pour le coup je le trouve complètement à côté de la plaque.

    Il y a une différence majeure entre le discours de Sarkozy à Dakar et celui de Hollande. Le discours de Dakar portait sur l’Afrique et était adressé aux africains. François Hollande par contre à cité Jules Ferry non pas dans un contexte africain mais pour sa vision de l’éducation.

    Jules Ferry reste celui qui a ouvert l’école à tous en la rendant gratuite et obligatoire, c’est une avancée non négligeable. Le racisme de Ferry ne doit pas être occulté, mais il ne doit pas lui même occulté les aspects positifs du travail de Jules Ferry. Il y a des écoles qui s’appellent Jules Ferry un peu partout sur le territoire, ce n’est pas choquant à mon sens.

    Ce que je vois par contre c’est que sur ce site il y a parfois un deux poids deux mesures, par exemple beaucoup défendent l’héritage littéraire de Céline malgré son racisme revendiqué, mais ils reprocheront Hollande de rendre hommage à Jules Ferry pour ses avancées en matière d’éducation... Dommage.

     

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    • #155911
      Le Mai 2012 à 23:04 par abderrahim
      Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

      Dommage ...oui pour sûr....Dommage que vous n’ayez pas encore (visiblement) regardé les vidéos d’Henri Guillemin (Un Historien, un vrai). Il y aborde dans ses vidéos consacrées à la Commune de Paris le cas Jules Ferry. Vous seriez surpris d’apprendre que Ferry était probablement un Franc-Mac, un anti-clérical primaire, un homme de biens (au sens Guillemin du terme, mdr) qui détestait tellement les prêtres qu’il eut l’idée géniale de les remplacer par des instituteurs (donc laïcs). L’idée sournoise à l’époque étant le contrôle sociale du peuple par l’instruction orientée. Je vous invite à aller voir ces vidéos d’Henri Guillemin sur E&R, c’est très instructif...

       
  • #155686
    Le 21 mai 2012 à 13:58 par mimiche
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    ‎"Coloniser, c’est faire connaître aux peuples les droits de l’Homme : ce n’est pas une besogne d’impérialisme, c’est une tâche de fraternité ».
    Ligue des Droits de l’Homme, 1931
    En bref rien n’a changé, quoi : aujourd’hui, au nom des mêmes droits de l’homme que Jules Ferry le laïc revendiquait pour justifier la colonisation, BHL fait bombarder les mêmes êtres basanés "inférieurs" (inférieurs évidemment, puisqu’ils ne peuvent se débrouiller seuls, sans nos bombardements, les petits merdeux...).
    (ou c’est que je vomis ?)

     

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  • #155692
    Le 21 mai 2012 à 14:13 par mimiche
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    Entre le racisme qui dit : "Nous sommes différents, ne nous mélangeons pas", et le racisme qui dit "Ils nous sont inférieurs, soyons assez bons pour les faire accéder à notre niveau", le second me paraît mille millions de fois pire.
    Un certain racisme de gauche.
    Insupportable parce qu’empli de bonne conscience.
    Et de destruction active.
    De l’altérite.

     

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    • #156086
      Le Mai 2012 à 16:27 par A.F
      Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

      Le premier s’ appelle l’ ethno-différencialisme ou racialisme .Merci d’ être plus précis sur la sémantique ,c’est très important .

       
  • #155724
    Le 21 mai 2012 à 15:35 par MrVeeshan
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    Bonjour

    Nous connaissons tous l’aversion de Monsieur Lugan pour la gauche , l’occasion était trop belle pour ne pas en profiter et se payer le nouveau gouvernement . Alors certes , ce qu’il dit n’est pas faux , mais avec un peu plus probité intellectuelle , il aurait pu préciser que J.Ferry était de gauche seulement par posture et non par les actes , puisque pour la colonisation il marchait main dans la main avec les affairistes de l’époque . Et que la colonisation , une fois débarrassée de l’écran de fumée émancipateur , ne s’est en fait révélée qu’être une vaste entreprise de pillage de richesse et de ressources naturelles , bien capitaliste et de droite , un peu comme une renaissance du mouvement Girondin .

     

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    • #155738
      Le Mai 2012 à 15:53 par joseph
      Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

      tout cela ne doit rien au hasard : homme instruit autant que cultivé, Hollande sait pertinemment ce qu’il fait en rendant hommage à Ferry ; il n’ignore rien des écrits de ce dernier...selon moi, c’est un message subliminale envoyé aux milieux d’affaires pour bien faire comprendre que la marche néo-coloniale reste d’actualité- malgré le changement de président à la tête de l’état français...

       
  • #155912
    Le 21 mai 2012 à 23:05 par abderrahim
    Derrière l’éloge fait à Jules Ferry

    Hollande un descendant de Jules Ferry ???
    Pouah

     

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