Egalité et Réconciliation
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En une décennie, le phénomène des voitures brûlées s’est étendu et banalisé

Il y a dix ou quinze ans, la publication des statistiques sur les voitures brûlées lors du Nouvel An, en particulier à Strasbourg, créait un émoi politique et médiatique important. La droite accusait le gouvernement Jospin, alors au pouvoir, de ne pas répondre aux problèmes d’insécurité. En septembre 1999, le chef de l’Etat, Jacques Chirac, s’alarmait ainsi devant le congrès des sapeurs-pompiers de la hausse du nombre d’incendies dans le cadre des violences urbaines : il livrait le chiffre, jugé inquiétant, de 14 000 incendies volontaires pour 1998. Une année qui s’était conclue par une Saint-Sylvestre agitée à Strasbourg mais très calme dans le reste de la France : à peine une centaine de véhicules incendiés, au total, selon les statistiques transmises à l’époque au Monde.

Une décennie plus tard, le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, peut se féliciter publiquement d’avoir permis aux Français de passer une soirée de Saint-Sylvestre "calme", alors que 1 137 véhicules ont été incendiés dans la nuit. "La tendance à la hausse a été enrayée", s’est réjoui M. Hortefeux en référence aux statistiques de l’année précédente, les pires jamais enregistrées avec 1 147 véhicules carbonisés. Mais cette appréciation positive est invalidée par l’analyse des années précédentes : 878 voitures brûlées en 2008, 397 en 2007, 425 en 2006, 337 en 2005, 324 en 2004, selon les chiffres officiels alors transmis à la presse par le ministère de l’intérieur.

Deux facteurs semblaient pourtant se conjuguer pour en réduire le nombre en 2009. D’abord une couverture a minima du sujet par les télévisions, fortement critiquées dans les années 1990 et après les émeutes de 2005 pour avoir contribué à une émulation négative entre quartiers sensibles : avant le réveillon de cette année, elles sont restées extrêmement sobres, sinon silencieuses sur le sujet. Ensuite, une présence policière exceptionnelle : 45 000 policiers et gendarmes mobilisés pour le 31 décembre 2009, 34 000 pour le 14 juillet 2009... soit des capacités proches du maximum, de l’avis des syndicats de policiers.

Le Nouvel An masque un mouvement de banalisation du phénomène : depuis cinq ans, le ministère de l’intérieur ne parvient pas à faire diminuer le nombre global d’incendies de voitures, ceux du Nouvel An et du 14-Juillet comme ceux du quotidien.

Alors que l’année 2005, marquée par les trois semaines d’émeutes dans les banlieues, avait été qualifiée d’exceptionnelle (45 588 véhicules incendiés, dont 10 000 pendant les émeutes), la tendance est restée globalement défavorable, très loin des statistiques évoquées en 1999 par le chef de l’Etat. Encore 44 157 voitures brûlées en 2006, 46 814 en 2007, un peu plus de 40 496 en 2008 et probablement plus de 40 000 en 2009, si on en croit les premiers chiffres rapportés par Le Figaro.

Les autorités policières insistent sur le fait que les violences urbaines n’expliquent qu’une partie des feux. Elles mettent en avant la "multiplicité des motivations des incendiaires", en particulier les escroqueries à l’assurance, la volonté de faire disparaître des traces ADN ou digitales dans des voitures volées, des vengeances personnelles, des conflits de voisinage... Une analyse validée par la dispersion des incidents sur la quasi-totalité du territoire : alors que le phénomène touchait presque uniquement les quartiers sensibles il y a quelques années, des territoires ruraux et périurbains sont désormais concernés.

Mais l’expérience de ces dernières années montre que l’incendie est devenu un outil banal de manifestation, de colère mais aussi de joie. Tous les rassemblements importants impliquant la jeunesse sont devenus à risque : le Nouvel An, donc, mais aussi les nuits des 13 et 14 juillet (500 véhicules), les matches de football (au moins 300 véhicules brûlés en France en marge du match Egypte-Algérie), les élections importantes (730 voitures le soir de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007). Un phénomène unique en Europe à cette échelle.