Egalité et Réconciliation
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Eradication factice des paradis fiscaux

Depuis près d’un siècle, les gouvernements faisaient semblant de lutter contre les paradis fiscaux. Désormais, ils feront semblant de les avoir éradiqués le 2 avril à Londres, à l’occasion du G20. Ils le feront dès jeudi soir, et avec conviction. Peut-être les Vingt iront-ils jusqu’à publier une liste de territoires où une banque n’aura plus le droit de s’installer, si elle veut poursuivre ses activités chez eux.

Et peut-être même se trouvera-t-il des commentateurs pour applaudir la fin des paradis fiscaux : les mêmes qui saluèrent leur disparition en Europe il y a quelques années, sur la foi d’un accord international aussi spectaculaire que factice.

Où en sommes-nous vraiment ? Très loin, en réalité, de l’éradication des paradis fiscaux. Celle-ci ne sera réelle que le jour où chaque pays échangera automatiquement des renseignements fiscaux avec tous les autres. Alors plus personne, ni individu, ni entreprise, n’échappera au fisc de son propre pays, en ouvrant un compte bancaire ou une filiale dans un territoire étranger qui l’en exonère.

Ce principe est tellement simple qu’il fut posé dès 1928, à la conférence financière internationale réunie à Bruxelles par la Société Des Nations. Il ne restait plus qu’à le recopier dans les conventions fiscales bilatérales et à mettre celles-ci en œuvre.

Or ce principe fut boudé dès l’origine par plusieurs pays, dont la Suisse. Et depuis quatre-vingts ans, les paradis fiscaux en retardent sans cesse l’approbation puis l’application. Quant aux gouvernements de pays à fiscalité dite « normale », leur acharnement à exiger leur dû ne saute pas aux yeux.

D’où l’étalement insensé du calendrier. 1928 : premier modèle de convention fiscale bilatérale dans le cadre de la Société des Nations. 1943 : convention de Mexico. 1946 : convention de Londres. 1949 : L’Organisation européenne de coopération économique (OECE) abrite maintenant les travaux. 1956 : L’OCDE naissante reprend le flambeau et produit toute une série de modèles de conventions bilatérales : 1963, 1977, enfin 1991, date à partir de laquelle le même modèle est actualisé périodiquement, jusqu’à son ultime version de juillet 2008.

Mais l’échange automatique de renseignements fiscaux n’est plus au programme depuis belle lurette. Le modèle OCDE prévoit seulement qu’un état signataire de la convention bilatérale fournira des renseignements à l’autre, si ce dernier lui présente une demande argumentée et au cas par cas.

Le modèle de convention prévoit, en son article 26, que les Etats échangeront des renseignements « vraisemblablement pertinents ». Cette réserve, est-il expliqué, « a pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible tout en indiquant clairement qu’il n’est pas loisible aux États contractants « d’aller à la pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé. »

Ainsi, le fisc américain a-t-il eu gain de cause auprès d’une banque suisse, lorsqu’il a exigé des renseignements concernant 250 contribuables lestés d’épais dossiers. Mais sa demande ultérieure, qui en concernait 53.000 sur simple liste, a été rejetée. Pêche interdite.

Jusqu’à ces dernières semaines, la Suisse, l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique refusaient même d’entériner les principes du paragraphe 5 de l’article 26. Il prévoit que la fourniture des renseignements fiscaux demandés est obligatoire, même s’ils sont protégés par le secret bancaire.

C’est cela qui vient de changer. Les uns après les autres, ces pays viennent de lever leurs réserves à propos de l’article 26. Est-ce à dire qu’il va s’appliquer dès demain ? Ne rêvons pas. Le principe étant admis auprès de l’OCDE, il ne s’appliquera que lorsque ces quatre pays l’auront intégré dans des nouvelles moutures de leurs conventions fiscales bilatérales.

Cela exige d’ouvrir des dizaines de négociations bilatérales, d’aboutir à des accords, enfin de ratifier ces conventions – ce qui peur donner lieu en Suisse à autant de referendums. Par-dessus le marché, les banques suisses se sont préparées depuis longtemps à la résistance. Si leur célèbre secret devait un jour être éventé en Suisse, elles ont prévu d’assurer à leur clientèle cosmopolite des refuges plus difficiles à pénétrer.

Les Bahamas, Singapour et Hong Kong ont le vent en poupe.