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Les noms de Sarkozy et Alliot-Marie cités dans une affaire d’espionnage

Histoire d’espionnage sur fond de règlements de comptes politiques, l’affaire sent le soufre. Un ancien gendarme reconverti dans le renseignement privé a affirmé sur procès-verbal début décembre, à la juge d’instruction parisienne Stéphanie Forax, avoir collecté grâce à la DST (Direction de la surveillance du territoire) des données personnelles confidentielles sur les dirigeants d’une société concurrente du groupe Bolloré dans le cadre d’une opération de déstabilisation.

Progosa, la société en question, est dirigée par l’homme d’affaires Jacques Dupuydauby, un proche des réseaux chiraquiens et ennemi personnel du magnat Vincent Bolloré, qui est pour sa part un ami du président de la République, Nicolas Sarkozy.

Patrick Baptendier, qui avait déjà décrit ses activités de “barbouze” dans un livre publié en 2008, a été mis en examen le 3 décembre dernier pour « collecte frauduleuse de données à caractère personnel » et « détournement de données à caractère personnel » suite à ses déclarations.

Il a assuré à la juge Forax que son agent traitant au sein du service de contre-espionnage français (aujourd’hui DCRI), François H., lui avait également fourni spontanément en 2005 — « sans que je lui demande quoi que ce soit » — des informations sur « les amis » de Jacques Dupuydauby, « à savoir Mme Alliot-Marie, Renaud Muselier et Alain de Pouzilhac, ancien directeur de Havas ».

« Je dois également vous dire que M. H. (commandant de police à la DST, NDLR) m’a dit “qu’il fallait y aller” sur Dupuydauby, qu’il y aurait Sarkozy en 2007, que le clan des chiraquiens tomberait », a précisé Patrick Baptendier lors de son audition devant la magistrate.

L’enquête de la juge Forax a d’ores et déjà pu établir que François H. avait consulté à quatre reprises, entre le 1er août et le 22 septembre 2005, le fichier STIC (Système de traitement des infractions constatées) pour obtenir des informations sur le directeur juridique de Progosa, Gérard Perrier.

Contacté par Mediapart, M. Baptendier a confirmé la teneur de ces déclarations. Il a ajouté que la DST, dont il a été un correspondant entre 2003 et 2006, lui avait communiqué en 2005 une note dans laquelle il était indiqué que Jacques Dupuydauby avait été « auteur d’abus de biens sociaux, banqueroute et recel sur la période de 1986 à 1996 » — suite à la publication de cette enquête, Jacques Dupuydauby nous fait savoir qu’il a profité d’un non-lieu en justice pour tous ces faits.

Les informations sur l’environnement amical de M. Dupuydauby, concernant notamment ses rapports avec l’actuelle ministre de la justice, auraient en revanche été livrées à l’oral, selon Patrick Baptendier, lors de rendez-vous au bar de l’hôtel Nikko, quai de Grenelle à Paris.

Les déclarations de M. Baptendier sont potentiellement explosives quand on sait que M. Dupuydauby est présenté comme proche des réseaux chiraquiens et que M. Bolloré gravite, lui, ouvertement dans la galaxie sarkozyste.

Une affaire « stupéfiante »

Cela n’a manifestement pas échappé à l’avocat de Jacques Dupuydauby qui a adressé à la juge Forax, dès le 17 décembre, un courrier très explicite.

Qualifiant la déposition de M. Baptendier — à laquelle il a eu accès en sa qualité de partie civile — de « stupéfiante », Me Sébastien Bono note :

→ « Il s’agit tout de même de renseignements fournis par la DST portant sur des données personnelles et qui concernent, s’agissant de Mme Alliot-Marie, la personne d’un ministre régalien de 2002 à aujourd’hui, au moment des faits en 2005 ministre de la défense, au moment de la publication du livre de M. Baptendier en 2008 ministre de l’intérieur, et, aujourd’hui, garde des Sceaux. »

Dans sa missive, l’avocat demande à la juge de joindre à son dossier une lettre du 7 juin 2008 signée de M. Dupuydauby et adressée à l’actuel chef de l’Etat, dans laquelle son client se plaignait des méthodes de M. Bolloré, qu’il accusait d’utiliser la DST ainsi que l’agence d’intelligence économique Geos pour déstabiliser son groupe.

M. Dupuydauby concluait son courrier ainsi :

→ « Je suis certain que vous aurez à cœur de demander à Madame la ministre de l’intérieur de faire toute la lumière sur le rôle joué par la DST, afin que toutes les mesures disciplinaires soient prises pour mettre fin à ce type d’agissements qui déshonorent l’Etat. »

M. Dupuydauby n’obtint jamais de réponse de l’Elysée. Mais Mme Alliot-Marie, alors en poste place Beauvau, fut-elle informée par la présidence de la République ?

Dans son courrier à la juge, Me Bono semble suggérer que le chef de l’Etat aurait pu dissimuler une information importante à celle qui était alors ministre de l’intérieur (et donc ministre de tutelle de la DST). « Il serait particulièrement éloquent de savoir si, finalement, cette affaire a été portée à la connaissance ou au contraire cachée au ministre de l’intérieur de l’époque qui n’était autre que Mme Michèle Alliot-Marie », écrit l’avocat.

Ce dernier ajoute : « Cette question prend un relief particulier au regard des déclarations de M. Baptendier concernant précisément la personne de ce ministre. »

L’affaire Baptendier a éclaté publiquement en juin 2008 avec la sortie d’un livre-confession, Allez-y, on vous couvre ! (éd. du Panama), dans lequel Patrick Baptendier racontait par le menu les diverses opérations de barbouzeries ordinaires auxquelles il s’était livré pour le compte du groupe Bolloré, mais aussi pour celui de la patronne du Medef, Laurence Parisot, ou des Mutuelles du Mans Assurances.

La mission menée à l’encontre des dirigeants de Progosa avait été baptisée « Nicomède ». Les révélations du livre de Patrick Baptendier avaient entraîné le dépôt d’une plainte de Progosa, qui a provoqué, en septembre 2009, l’ouverture d’une information judiciaire confiée à la juge Forax.

Patrick Baptendier ? « Une excellente source », selon la DST...

Lors de son audition de première comparution, Patrick Baptendier a affirmé :

→ « J’ai collecté d’abord les données personnelles puis je les ai vendues à la société Geos, société d’intelligence économique. Je tiens également à vous préciser qu’à cette époque, j’étais un agent privé de recherches pour la DST, j’avais avec cette dernière un contrat moral. Ils sont venus me chercher car à cette époque, en mai 2004, je travaillais pour la société Kroll, une société américaine d’intelligence économique dont la DST pensait qu’ils étaient une vitrine de la CIA. »

François H., l’agent traitant de Patrick Baptendier à la DST, a confirmé cette version des faits dans le cadre d’une procédure judiciaire annexe, qui a été instruite à Versailles. Le policier, qui n’a pas été inquiété par la justice, a présenté Patrick Baptendier comme une « excellente source (...), un gros », qui avait permis à la DST « d’entrer en contact avec l’un des objectifs du service ». Soit le cabinet américain Kroll, numéro un mondial de l’espionnage privé.

Selon les termes d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, déjà évoquée par Mediapart, Patrick Baptendier « avait obtenu de la part de “François” des informations provenant du fichier national des étrangers, du fichier des permis de conduire, du fichier national des automobiles, du fichier national des détenus, du STIC (Système de traitement des infractions constatées, NDLR), des identifications de téléphone et de comptes bancaires ainsi que des “fiches DST” ».

Concernant le directeur juridique de Progosa, Gérard Perrier, qui fut l’une des cibles de la mission « Nicomède », M. Baptendier a expliqué dans son ouvrage :

→ « Je devais savoir [s’il] possédait des comptes bancaires et des propriétés en France, une adresse au Togo. Il me fallait également obtenir les factures détaillées de son portable togolais. Et, surtout, vérifier s’il avait eu affaire à la justice. »

Il précisait que « le groupe Bolloré cherchait, en jetant l’opprobre sur Perrier, à discréditer Progosa, installée sur son territoire de chasse, l’Afrique de l’Ouest. » Les deux sociétés se livrent en effet une lutte acharnée pour le contrôle des ports africains, un juteux business.

Sollicitée par Mediapart, la société Geos affirme n’avoir jamais fait travailler Patrick Baptendier. Ce dernier a pourtant assuré à la juge Forax que « la DST était informée de la destination de ces informations et c’est même à leur demande que je les ai remises à la société Geos ».

Selon des documents internes à Geos, ce serait un ancien directeur de la police judiciaire parisienne reconverti dans le privé, Olivier Foll, resté célèbre pour avoir refusé l’assistance de la PJ au juge Eric Halphen lors de la perquisition au domicile des époux Tiberi en 1996, qui a joué les intermédiaires entre le groupe Bolloré et Geos pour la mission « Nicomède ».

M. Foll n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.

Du côté du groupe Bolloré, on confirme qu’une mission avait été confiée à la société Geos mais l’on dément toute instruction d’espionnage illégal :

→ « Cela s’était passé dans le cadre d’une affaire de détournements d’actifs à notre préjudice, qui vaut d’ailleurs à M. Dupuydauby plusieurs mises en examen en Espagne. Nous avions voulu savoir quel était l’état du patrimoine de Gérard Perrier afin de lister ses biens en vue d’une éventuelle saisie. Tout cela a dérapé quand Geos a confié le travail à Patrick Baptendier qui a fait ce qu’il savait faire... »