Egalité et Réconciliation
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Marie-France Garaud, l’impérialisme germanique et la crise européenne

Invitée de l’émission Ce soir ou jamais, sur France 3, le 13 décembre dernier, Marie-France Garaud, l’une des grandes égéries politiques de la France (elle passait pour « l’éminence grise » des gouvernements Pompidou et Chirac) a tenu sur l’Allemagne des propos qui tranchent singulièrement avec le ronron ambiant. Aucun des hôtes de Frédéric Taddeï n’a osé l’interrompre. En voici l’essentiel, in extenso.

C’est l’Allemagne qui a demandé la création de la monnaie unique pour des raisons de politique intérieure

« N’y aurait-il pas une autre logique que la nôtre, que celle que nous voulons voir ? Pourquoi pas ? Je n’ai pas un raisonnement d’économiste, mais j’essaie d’avoir un raisonnement politique. Il faut se souvenir que c’est l’Allemagne qui a demandé la monnaie unique. On nous serine le contraire, mais c’est faux. C’est le Chancelier Kohl qui, au moment de la réunification, a d’ailleurs écrit une lettre à François Mitterrand, qui était alors président du Conseil européen, pour lui demander de le voir avant le sommet de Dublin parce qu’il avait besoin de l’union politique et monétaire le plus rapidement possible pour des raisons de politique intérieure. On est donc amené à se demander quelles étaient ces raisons.

Si on considère l’histoire ancienne et récente de l’Allemagne par rapport à celle de la France, on voit bien que nous sommes dans une situation dissymétrique. La France est un État constitué depuis dix siècles, l’Allemagne n’a pas eu d’État entre Otton Ier et Bismarck (850-1862, NDLR). Les Reich successifs n’ayant pas très bien réussi (par la guerre, NDLR), on peut considérer que les Allemands souhaitent constituer un Etat dans la paix, ou plus exactement sans la guerre. Et pour constituer un Etat dans la paix, il leur est nécessaire de réaliser une structure plurielle.

Car l’Allemagne est plurielle : entre la Prusse, la Bavière, les pays rhénans, il y a des différences beaucoup plus lourdes qu’entre les provinces françaises, il faut donc qu’il y ait entre elles un élément structurant. On peut imaginer que cette structure plurielle est celle de l’Europe fédérale, et que l’élément structurant est la monnaie unique. »

Les Allemands ont créé une monnaie qui correspond à l’espace historique de la Germanie

« Ils ont fait tout ça pour une Europe qui comporte les pays qui correspondent, en gros, à l’espace historique de la Germanie. Je ne pense pas que ce soit absurde, ce que je dis là. Au moment où l’euro a été créé, ils abandonnaient le mark, mais ça valait bien un petit sacrifice, c’est-à-dire de créer une monnaie qui s’appliquait à cette Europe-là.

Le ministre des Finances allemand d’alors avait d’ailleurs dit : « Ah non, pas les pays du club Med ! » Signe que l’euro était construit pour une Allemagne comportant la France, les pays du Benelux et les pays d’Europe centrale bien sûr. C’est Monsieur Romano Prodi, qui a été un détestable président de la Commission mais un excellent président du Conseil à l’époque, qui a fait rentrer l’Italie à coups de pieds dans le derrière dans l’euro, car il savait pertinemment que si l’Italie n’entrait pas dans l’euro, elle se couperait en deux, comme elle l’avait fait aux temps très anciens des partages de l’Empire de Charlemagne. Et c’est ainsi que les pays du Club Med sont entrés dans l’euro, mais cette monnaie unique n’était pas conçue pour eux. »

L’Allemagne retrouve son tropisme historique vers l’Est. La réunion avec la Pologne et la Russie s’est faite à Paris la semaine dernière.

« Si cette idée, que je schématise abusivement pour les besoins de la discussion, correspond à un plan allemand, il ne faut pas s’étonner de ce qui arrive. L’Allemagne n’a pas l’intention de soutenir les pays avec lesquels elle ne partage aucune solidarité politique, économique ou régionale. D’autant que ceci se passe à un moment où le basculement vers l’Asie est véritablement patent, visible, criant, massif, et où, par conséquent, l’Allemagne retrouve son tropisme historique vers l’Est. Enfin, ça se passe sous nos yeux ! La réunion de l’Allemagne, la Pologne et la Russie s’est faite à Paris la semaine dernière. On a fait l’hôtel. Ce n’est là qu’une politique germanique classique (au sens d’impérialisme, NDLR). Ça ne veut pas dire qu’elle ne veut pas que la France soit dans cette Europe-là, mais l’Allemagne n’a pas du tout envie des pays du Club Med. Le projet de l’Allemagne pourrait être de garder les pays qui l’intéressent et de trouver les mécanismes, sans être trop sauvage, qui amènent à terme à des limitations de capacité pour les pays du sud, de sanctions, de privation des droits, etc. »

Pourquoi avons-nous été assez stupides pour aliéner notre souveraineté ?

« Nous sommes devant une opération gigantesque, massive (…) Ce qui gêne la France, dans cette situation, c’est un problème juridique. L’Allemagne est restée souveraine. La cour de Karlsruhe est garante de la souveraineté allemande. Elle le dit expressément dans toute une série d’arrêts. Et pendant ce temps-là, nous, comme des imbéciles, il n’y a pas d’autres mots, nous avons aliéné notre souveraineté dans les traités européens. Mais pourquoi ? C’est véritablement incompréhensible. Comment prétendre être le pays le plus intelligent du monde et se conduire d’une manière aussi stupide ? »