Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères : "La Syrie n’est pas Auschwitz"

Dans une interview donnée à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas explique que sa vocation pour la politique lui est venue d’Auschwitz, du choc que cela a créé en lui, qui ne comprenait pas comment l’Allemagne avait pu plonger le monde entier dans une telle catastrophe. L’entretien, qui porte sur la politique internationale et le conflit syrien, a été diffusé le 16 avril 2018 sur le site spiegel.de et aussitôt relayé en anglais. Sa phrase sur la Syrie et Auschwitz a fait le tour du monde, comme il se doit. Mais il est surtout question des rapports avec la Russie et les pays d’Europe de l’Est, cette chasse gardée allemande...

 

Dès sa première réponse, Heiko rassure la partie sioniste de son parti : c’est Auschwitz qui lui a donné envie de prendre des responsabilités politiques afin que « plus jamais » ça ne se reproduise. Une chanson entendue mille fois mais qu’il vaut mieux dire en Allemagne quand on évoque la politique étrangère, le Proche-Orient, la Syrie, la Russie. Il ne sera en revanche pas une seconde question d’Israël.

Der Spiegel : Que signifie pour vous la politique étrangère ?
Maas  : La politique étrangère est faite de valeurs et d’intérêts. Et il n’est pas toujours aisé d’harmoniser les deux. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne s’est vue en puissance pacifique. Nous avons fait de notre mieux pour consolider la paix dans un processus long. Je veux poursuivre cet effort-là.

[...]

Der Spiegel : En 1999, le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer [un Vert, NDLR] a justifié les bombardements allemands au Kosovo [contre les Serbes, NDLR] en disant “Plus jamais Auschwitz”.
Maas  : Oui, et c’était quelque chose que j’ai très bien compris à l’époque.

[...]

Der Spiegel : Cette Allemagne pacifiste doit-elle utiliser des moyens militaires pour empêcher des meurtres de masse ?
Maas  : Je ne suis pas pacifiste. De notre histoire allemande, j’ai tiré la conclusion que nous devons toujours faire ce qui est en notre pouvoir pour éviter les conflits armés. Malheureusement, il y a des moments où l’on doit recourir à l’option militaire dans un ultima ratio.

 

Der Spiegel : En Syrie, l’Occident se pose depuis des années la question de l’intervention militaire. Qu’en pensez-vous ?
Maas  : Je ne crois pas qu’il soit approprié de faire un parallèle entre Auschwitz et la Syrie. La Syrie n’est pas Auschwitz. Le niveau de barbarie des crimes nazis fait qu’il est impossible de les comparer à d’autres.

 

Der Spiegel : Pourquoi est-ce qu’il était possible de faire un parallèle entre l’ex-Yougoslavie et Auschwitz et que ça ne l’est plus pour la Syrie ?
Maas  : Auschwitz ne peut être comparé à rien d’existant. Joschka Fischer a simplement essayé de clarifier sa décision de recourir à une intervention pour éviter un génocide.

 

Der Spiegel : Les centaines de milliers de morts en Syrie ne représentent-ils pas une motivation suffisante pour intervenir ?
Maas  : Ce qu’on a vu depuis des années en Syrie est horrible. Des armes chimiques ont été employées de manière constante et ont infligé des souffrances inimaginables à des innocents. Il est intolérable que les dirigeants politiques aient été incapables de trouver une solution politique à ce conflit. C’est la condition d’une paix durable. L’utilisation d’armes chimiques en Syrie doit cesser et ne peut rester sans conséquences. C’est l’une des armes de destruction massive les plus barbares. Elles ont été proscrites pendant des décennies par les autorités internationales. J’ai été le premier partisan de l’initiative française de s’assurer de ce que les responsables de l’utilisation des armes chimiques soient punis.

 

Der Spiegel : Qui considérez-vous comme le plus dangereux pour la paix mondiale, le président américain Donald Trump ou le président russe Vladimir Poutine ?
Maas  : L’escalade verbale n’est jamais positive. Mais il est clair que de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité ont été bloquées suite au veto de la Russie. La communauté internationale ne doit pas accepter une situation dans laquelle l’organe le plus important de l’ONU soit rendu impuissant.

[...]

 

Malgré le jeu très solitaire de Donald Trump, partisan de son America first, et relativement imprévisible du point de vue diplomatique, Heiko Maas rappelle le lien relativement indéfectible entre l’Allemagne et les États-Unis. Il n’en est pas de même avec la Russie...

Der Spiegel : S’agissant de la Russie, vous faites preuve d’un ton autrement plus critique que vos deux prédécesseurs...
Maas  : Notre politique russe doit être réaliste. La Russie se définit de plus en plus en opposition avec l’Ouest. Et malheureusement, la Russie a agi de manière de plus en plus hostile : l’attentat de Salisbury, le rôle qu’elle joue en Syrie et en Ukraine, les attaques des pirates informatiques, y compris contre le ministère allemand des Affaires étrangères. Pourtant, nous avons toujours maintenu le dialogue avec la Russie. Nous avons besoin d’elle, et pas uniquement dans l’optique de trouver une solution au conflit syrien. Mais je dois prendre note que la plupart de nos partenaires ont désormais un avis extrêmement critique sur la Russie et ont des doutes sur la possibilité d’un dialogue constructif avec elle. Dans le passé, ces partenaires ont été enclins à suivre l’Allemagne [dans sa tentative de conciliation et de dialogue, NDLR] jusqu’à un certain point. Aujourd’hui ils se demandent à quoi cela a servi.

[...]

Quand Der Spiegel aborde la problématique des sanctions, Maas ne semble pas emballé : il ne l’énonce pas clairement mais les sanctions ne servent pas économiquement l’Allemagne : c’est le prix de la soumission à l’Amérique, une Amérique (l’OTAN) qui la protège contre le grand méchant Russe. Quand les Allemands parlent de paix, ils pensent marché, développement, Hinterland. Une déstabilisation de l’Europe de l’Est aux frontières de la Russie est tout ce que l’Allemagne craint. Leur anti-panslavisme s’arrête à leurs intérêts sonnants et trébuchants. C’est d’ailleurs la conclusion de l’interview...

Der Spiegel : Vous ne pensez pas que la Russie peut être une démocratie ?
Maas  : Avec le recul, il ne semble pas évident que Vladimir Poutine ait voulu pousser la Russie dans cette direction.

Der Spiegel : En 2001 Vladimir Poutine a déclaré devant le Parlement allemand qu’il voulait que la Russie devienne une économie de marché moderne et une démocratie, avec l’Ouest comme partenaire dans ce projet.
Maas  : Cela aurait été bien s’il avait persisté sur cette ligne. Peut-être que l’Ouest n’a pas été très réglo de son côté... Au final, la Russie a choisi de cheminer seule.

 

Der Spiegel : Votre parti, le SPD [sociaux-démocrates, NDLR] a une longue tradition de dialogue avec la Russie. Que pensez-vous des leçons de l’Ostpolitik, la politique de détente avec l’URSS inaugurée par le chancelier Willy Brandt, lui aussi du SPD, en 1969 ?
Maas  : Pour moi, l’Ostpolitik ne concerne pas seulement la Russie, mais tous les pays d’Europe de l’Est. Nous devons leur prêter plus d’attention que ce que nous avons fait par le passé.

 

Der Spiegel : Des pays comme la Pologne et la Hongrie divergent sur certaines des valeurs européennes. Que comptez-vous faire à ce propos ?
Maas  : Tout d’abord, l’expansion vers l’est de l’Union européenne est une véritable success story. Cependant nous avons vu récemment en Hongrie qu’il est hélas possible de mobiliser les électeurs avec une campagne fortement anti-européenne. Dans cette phase, qui est décisive pour l’avenir de l’Europe, il est crucial de garder nos voisins est-européens dans l’UE. On ne peut pas donner l’impression qu’il existe une première et une seconde classe en Europe où certains sont laissés pour compte et ne jouent plus aucun rôle. Sinon nous aiderons les voix anti-européennes dans ces pays et les rendrons plus réceptives aux sirènes séparatistes venues de l’extérieur.

 

Der Spiegel : Vous voulez conserver les pays d’Europe de l’Est dans l’Union européenne même s’ils tournent le dos aux principes européens ? Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán envisage une démocratie « ilibérale » pour son pays...
Maas  : [...] Le socle de valeurs de l’Union européenne est non négociable.

Ainsi, on comprend mieux les affres de la politique extérieure allemande : en isolant la Russie, elle cherche à ramener les pays d’Europe de l’Est qui sont sa chasse gardée et qui font sa richesse économique dans le giron de l’UE, c’est-à-dire dans son giron. Mais la volonté d’émancipation de ces pays – sur qui elle peut à tout moment exercer un chantage à l’emploi – notamment sur la question de l’immigration, est forte, on l’a vu en Pologne et en Hongrie, qui sont prêtes à encourir les foudres du droit européen plutôt que d’accepter des migrants sur leur sol.

En affaiblissant la Russie, l’Allemagne conserve une chance de conserver son Hinterland car une Russie trop puissante risque de limiter l’expansion d’une UE germanocentrée à l’Est. Voilà pourquoi le combat pour l’Ukraine est si important. Mais une Ukraine ou une partie de l’Ukraine européanisée n’est pas la panacée : les pays du groupe de Visegrad sont en train de former une résistance au dogme européen tout en y appartenant. Ces pays, qui sont clairement sous la domination économique allemande – il y a évidemment réciprocité dans la dépendance – peuvent tirer avantage des deux puissances qui les enserrent... depuis toujours.

Traduction  : Rédaction E&R

Comprendre la géopolitique de l’Europe et de la Russie
avec Kontre Kulture

 

Autour du choc Allemagne/Russie, sur E&R :

 






Alerter

27 Commentaires

AVERTISSEMENT !

Eu égard au climat délétère actuel, nous ne validerons plus aucun commentaire ne respectant pas de manière stricte la charte E&R :

- Aucun message à caractère raciste ou contrevenant à la loi
- Aucun appel à la violence ou à la haine, ni d'insultes
- Commentaire rédigé en bon français et sans fautes d'orthographe

Quoi qu'il advienne, les modérateurs n'auront en aucune manière à justifier leurs décisions.

Tous les commentaires appartiennent à leurs auteurs respectifs et ne sauraient engager la responsabilité de l'association Egalité & Réconciliation ou ses représentants.

Suivre les commentaires sur cet article

Afficher les commentaires précédents
  • Mon chien s’appel Heiko, je vais lui changer de nom.

     

    Répondre à ce message

  • quel intérêt de colporter les ragots de cet imbécile ?
    perte de temps et d’énergie.
    comme dirait l’autre, c’est mon avis et je le partage, hé hé hé !

     

    Répondre à ce message

  • 1/2

    Je vois que vous mettez en lien sous l’article le livre très important sur les minorités régionales en Europe et l’Allemagne.
    J’y reviens deux secondes.
    Quand on voit la carte proposée aux instances européennes par les allemands, on voit que tous les pays sont morcelés, sauf... sauf l’Allemagne ! Qui en plus gobe l’Autriche et la Suisse sans leur avoir rien demandé ! (Tiens, ça me rappelle les heures les plus sombres...)
    Or il n’existe aucun pays unifié linguistiquement (à part le Japon par exemple), tous ont des accents, des dialectes, des langues régionales...
    Et jouer sur les dialectes d’oc, le breton, le catalan pour ébranler la France est très mauvais pour l’Allemagne, car ça peut se retourner contre eux.
    Comme je l’ai dit, l’Allemagne n’est pas unie linguistiquement, il faut arrêter de le croire.
    Alors, oui, la politique linguistique de l’état français des siècles passés est critiquable, mais l’Allemagne dispose de pas moins de 32 dialectes différents : sous trois groupes principaux, le haut-allemand (qui est en bas sur une carte), le moyen-allemand et le bas-allemand.
    Il y a une scission nette entre haut/moyen et bas allemand, comme il existe la ligne de différenciation oil oc en France.
    Le bas-allemand, encore appelé platt, est très proche du néerlandais.
    J’ai même l’impression que l’occitan est plus proche du français que le platt de l’allemand.
    Ensuite, aller écouter du schwyzerdütsch, le suisse allemand, et vous m’en direz des nouvelles. Ainsi que le bavarois. Pour quelqu’un qui a étudié 15 ans l’allemand, c’est incompréhensible.

    Donc si les autorités allemandes s’avisent d’appuyer sur les lignes de fractures régionales en France, qu’ils sachent que si des patriotes retournent au pouvoir en France, ils sauront eux aussi appuyer sur les lignes de faiblesses en Allemagne, qu’on nous présente comme un fort et puissant espace germanique homogène parlant la même langue, alors que c’est faux.

    Du reste, les allemands restent très attachés à leurs dialectes régionaux et les parlent quotidiennement. Mais n’ont aucune volonté séparatiste de leur land.
    Contrairement à certains occitans, bretons, qui ont en réalité un esprit gueulard et grandiloquant très français en réalité qui ne jurent que par le séparatisme et la division et ... qui ne parlent pas un traître mot de leur langue régionale.

     

    Répondre à ce message

  • 2/2

    Et toutes ces notions sont très élastiques :
    Les locuteurs de platt disent parler un dialecte allemand lorsqu’ils sont allemand, mais à 500 m de l’autre côté de la frontière, les néerlandais disent parler un dialecte du néerlandais... alors que c’est la même langue !

    J’en veux aussi pour preuve le mandarin et le cantonais qui sont considérés comme deux dialectes chinois aux variations mineures... alors qu’il y a autant de différences entre ces deux langues qu’entre le français et l’espagnol !!!

    Une des réussites de l’unité allemande peut-être, paradoxalement, le fédéralisme.
    En effet, en tant que provincial, sans parler des compétences des régions, ça m’énerve passablement que tout soit centralisé à Paris.

    Or en Allemagne, toutes les régions semblent égales (je connais les disparités à l’est, mais je parle ici des compétences attribuées) : ça semble ne gêner personne de ne rien centraliser, et ça fonctionne d’ailleurs mieux que chez nous, et il n’y a pas ce complexe de supériorité que peut avoir le capitale est Berlin, l’ancienne est Bonn, la capitale économique est Francfort, le siège de la première chaîne publique de télévision est à Berlin, le journal télévisé de la première chaîne est produit à Hambourg, la météo à Francfort, sans cafouillage sans rien (imaginez un peu le siège de TF1 à Paris, le journal fait à Marseille et la météo à Toulouse), le siège et le JT de la deuxième chaîne publique sont à Mayence, le siège de la grande radio nationale est à Cologne, et je pourrai continuer la liste durant des heures.

     

    Répondre à ce message

  • "qui ne comprenait pas comment l’Allemagne avait pu plonger le monde entier dans une telle catastrophe."
    Bon, il n’est pas prêt de comprendre. Il devrait visionner la vidéo "une histoire jamais racontée".

     

    Répondre à ce message

  • J’ai bien aimé le discours de Poutine. Il était jeune et il croyait à cette union Russie Europe. Mais c’était sans compter sur l’hydre hideuse cosmopolite qui règne sur New York, Washington, Londres, qui ne pardonne pas à Poutine d’avoir viré les oligarques communautaires qui pillaient la Russie. Tous les troubles actuels contre lui, son pays, ses alliés, les vilipendes, les coups d’État, viennent de là.
    C’était sans compter sur la soumission jouissive de nos larbins de l’UE à l’empire.

     

    Répondre à ce message

  • encore un qui va bientot ramasser ses dents après s’être fourvoyé aux profits des dégénérés

     

    Répondre à ce message

  • Dès que j’ai lu « Auschwouitz » j’ai arrêté.

    Une argumentation commençant par là ne peut être qu’un tissu d’âneries professées doctement par un demeuré qui n’a que sa prétendue grande âme à vous flanquer en travers du visage. On part du degré zéro de la discussion politique et on va se contenter de creuser plus profond pour s’enfoncer encore plus dans les tréfonds de la bêtise.

    « Auschwouitz » c’est un peu comme la pâte à tartiner. Vous en consommez enfant, et puis un jour, d’en avoir trop mangé, vous avez une crise de foi/foie. La simple évocation de la marque vous donne la nausée.

     

    Répondre à ce message

  • "Ce qu’on a vu depuis des années en Syrie est horrible. Des armes chimiques ont été employées de manière constante"

    Carrément. On est passé deux deux attaques chimiques avérées (sans preuves) à des attaques chimiques effectuées de manière constante. Soit c’est une erreur de traduction, soit y’a tout plein de "preuves classifiées" dont on n’avait pas idée.

    Ya plus de pilote dans l’avion.

     

    Répondre à ce message


  • Le niveau de barbarie des crimes...




    Tout comme les figues (de barbarie), quel que soit le niveau d’innocence, il en est toujours pour se faire fourrer plus que d’autres : encore pour les unes, plus jamais ça pour les autres...
    Si le lascar avait dit « c’est la Russie et ses dizaines de millions de morts d’éthnies disparates » (depuis la Révolution, puis ceux des deux guerres et enfin sous Staline) qui avaient éveillé sa conscience, nous aurions pu nous dire, tiens, enfin un humaniste : mais, de ne mettre le doigt que sur la souffrance tzigane amoindrit le propos...

     

    Répondre à ce message

Afficher les commentaires précédents